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De peu supérieurs à la brute, peut-être même plus malheureux qu'elle ; poussés par Tinstinct du plaisir ou par l'aiguillon du besoin, nous ressemblerions à des enfants qui, nés au milieu de la nuit, croiraient, en voyant apparaître l'ho- rizon, qu'il est créé à Tinstant même. L'étude des hommes et celle des livres nous façonne à la vie, et devance pour nous l'expérience dont les précieuses leçons s'achètent si chèrement; l'une immédiate et réelle, l'autre plus diverse et plus vaste, toutes deux insuffisantes, si elles ne mar- chent ensemble. L'histoire , qui recueille dans les livres les études faites sur l'homme, allie heureusement les deux ensei- gnements, et constitue le meilleur passage de la théorie à rai>- plication. Mais si l'histoire se réduit à une vaste collection de faits d'où l'homme prétende déduire une règle pour agir en des circons- tances pareilles, l'enseignement qui en résulte est aussi incom- plet qu'inutile, puisqu'aucun fait ne se reproduit avec les mêmes accidents. Elle acquiert une bien autre importance, lorsque l'on considère les faits comme la parole successive qui, d'une manière plus ou moins claire, révèle les décrets de la Providence; lorsqu'on les rattache, non à une idée d'utilité partielle, mais à une loi étemelle de charité et de justice. Il ne faut pas que, dans une sombre contemplation, elle dévoile et envenime encore les plaies sociales, mais qu'elle fasse tourner au profit des enfants la moisson des douleurs subies par les pères T. I. 1 2 IINTEODUCTION. et l'exemple des grandes catastrophes. Alors elle nous élève au-dessus des intérêts éphémères ; nous devenons tous membres d'une association imiverselle appelée à la conquête de la vertu, de la science, du bonheur ; elle étend notre existence à tous les siècles, la patrie au monde entier; elle nous rend contempo- rains des grands honmies, et nous fait sentir Tobligation d'ac- croître pour la postérité Théritage que nous avons reçu de nos ancêtres. Quelle pure satisfaction réjouit l'intelligence qui contempla d'une telle hauteur la morale et l'humanité ! Les préjugés que nous dicte l'esprit de parti dans l'appréciation de nos contem- porains font place à des opinions plus justes et jplus absolues; le sentiment moral redouble d'énergie, et nous perdons l'habi- tude de confondre le bien avec l'utile, le beau avec ce qui est conforme à nos i)assions et à l'opinion vulgaire. En nous familia- risant avec les arrêts d'une rigoureuse justice, sympathisant avec les sentiments généreux, nous apprenons à régler chacun de nos actes selon les lumières de la raison, à nous laisser gui- der par une philanthropie qui confond notre félicité propre avec celle de tous. Ne produisît-elle d'autre bien que de mettre im frein au lâche égoïsme, cette gangrène de la société moderne, et d'encoura- ger à des actes généreux, l'histoire serait déjà d^une immense utilité. Chaque fois que des passions contrariées ou de profonds chagrins nous amènent à ne voir dans l'homme que l'individu, quel dédain ne doit pas nous causer cette race humaine, ou folle ou perverse, orgueilleuse d'esprit, molle de volonté, qui s'égare dans un labyrinthe dont elle ne connaît pas l'entrée, dont elle ne trouvera pas l'issue, et qui, poussée par la violence, circonvenue par la fraude, se traîne au milieu de chocs aveu- gles et d'amères déceptions, de douleurs ou d'espérances, du- rant le peu de jours où le malheur la dispute à la mort ! Éch^uoge d'hostilités déguisées, de bienfaits calculés, de caresses insidieuses , d'insultantes compassions ; lutte étourdissante et sans relâche d'intérêts frivoles, au milieu des serviles convoi- tises des uns et de la lâche insouciance de la plupart ; vieillards moroses qui repoussent tout progrès, et jeunes imprudents qui le compromettent pour vouloir trop le hâter : voilà le spectacle offert à l'homme ici-bas. Ne doit-il pas croire le monde livré aux caprices du hasard, ou jouet misérable d'une puissance en- vieuse et cruelle, se complaisant à voir les plus magnanimes INTRODilCTIOi^. â efforts succomber sous Tastuce ou sous la violence? Alors, in- timidé ou désespéré, il prend le parti de jouir de l'heure fugi- tive, et se dit : « Cueillonn les rosés avant qu*etlés sù flétris- sent* Jouissons aujourd'hui; nous mourrons demain. » Mais quand Thistoire, concitoyenne immortelle de toutes les nations, embrasse d'un regard Thumanité entièl^ , le spectacle d'une durée incommensurable modifie la brièveté de notre exis- tence. Ce courroux mélancolique qu'on éprouve à se sentir isolé est vaincu par la pensée consolante de la fraternité avec toute là famille humaine , dans un but de régénération complète de l'individu çt de l'espèce. Alors, à travers les volontés déréglées de l'homme, dans cette combinaison d'accidents que nous ap- pelons hasard, nous reconnaissons une intelligence supérieure qui dirige les efforts individuels vers la Conquête de la vérité et de la vertu, qui fait que la victime de la Violence devient l'ins- titutrice de ses persécuteurs, et que Icà fléaujc de l^umanité eu sont les bienfaiteurs. Quand l'homme voit cette race de pygmées qui se soumet l'Océan , modifie les climats , arrache à la mer l'Egypte et la Hollande, pare de vignobles les forêts germaniques , il se per- suade que sa raison et son libre arbitre ne sont pas serfs de la glèbe où il naquit. Quand il dénombre la succession des siècles et celle des générations, il échange le sentiment de son impuissance, sentiment douloureux comme un remords, contre cette con- fiance en soi et en autrui, première condition de la dignité de l'homme. En appliquant la logique aux événements, il trouve et rapproche les causes et les effets; il rencontre des exemples de chaque vertu et de chaque vice, il en déduit des règles de sagesse et de prudence, et il constate les limites assignées à l'humanité. S'il remonte le cours des âges antiques, et pèse les siècles les plus vantés , il apprend combien la dignité humaine commande de plus en plus le respect ; la liberté du sauvage ou celle d'Athènes cesse alors d'exciter ses vœux. Se contentant du temps où il vit, il aperçoit des améliorations possibles, a la conscience de leur réalisation, et il se munit de patience pour ne rien précipiter. Bien plus : par les avantages résultant pour nous de ce que firent nos ancêtres, il apprend quelle est la des- tinée de chaque nation et de chaque siècle ; il puise dans le passé la force nécessaire pour se lancer dans l'avenir, avec au- tant de maturité et d'expérience que de persévérance énergique et réfléchie. S'il remarque ensuite que chaque Age se rit de l'âge 1. 4 INTRODUCTION. qui Ta précédé ou s'apitoie sur lui, que chaque école ravale récole contraire, que chaque système se prétend seul en pos- session de la vérité, que les mêmes faits obtiennent ici des tro- phées et là des supplices, sans que tant d'égarements nuisent au triomphe du bien général , son âme se dispose à la tolérance. Tolérance, dis-je, et non indifférence; non le doute vacillant et inactif, mais Fexamen impartial de la lutte entre les principes de la liberté et de la servitude, entre la justice et le crime, en- tre les doctrines et les actions, Tintelligence et la force brutale; lutte d'où résultent des améliorations que n'ont pas même rê- vées ceux qui agitent Ja cause de la société dans les écoles, dans les cabinets, à la tribune, ou dans les camps. Une fois que l'homme a reconnu dans la conscience univer- selle que le meilleur moyen de perfectiomiement consiste dans la plus grande dose de liberté civile en harmonie avec Tordre et l'égalité, il trouve reproduite en lui-même la série des senti- ments qui, durant de longs siècles, se sont développés dans l'hu- manité entière; il sent qu'un combat semblable à celui des pou- voirs politiques s'engage entre ses facultés personnelles ; et il comprend que les hommes, à l'exemple des nations, se perfec- tionnent, et même avec une rapidité proportionnée à la courte durée de leur existence. Combien Thistoire lui est profitable pour obtenir l'harmonie de la raison avec l'imagination et l'in- telligence, harmonie qui fait une si grande part du bonheur ! Par l'histoire est comblé le vide d'affections réelles, désolation de la vie; par elle aussi sont dirigés vers un noble but l'amour et l'admiration qui deviennent la cause de tant de peines, s'ils sont ignorés ou mal conapris. Cette force incessante qui renverse des empires et des institutions en apparence éternels , ne doit-elle pas nous être une consolation quand, dans le cours de la vie, une espérance est détruite par une espérance, im désir par un autre, quand nos sentiments sont froissés, quand nos projets les plus magnifiques s'évanouissent comme les rêves d'une nuit: mieux inspirés alors, nous ferons trêve aux vaines lamenta- tions, souvent aussi injustes que celles de l'insecte qui maudi- rait l'ondée sous laquelle reverdit la feuille dont il se nourrit ; la douleur commune ranimera en nous le sentiment de la fra- ternité. En étudiant l'histoire, le cœur du faible s'élève, par la certitude que ses efforts, tout débiles qu'ils puissent paraître, aideront au triomphe universel; et la honte s'accroît dans le cœur de celui qui se traîne bassement derrière la foule, ou de INTBODrCTlON. 5 récrivain dont Tesprit se consume en d'inutiles labeurs^ en fu- tilités corruptrices, et qui, recherchant de misérables querelles et d'ignobles victoires, se fait le complice des forts et des per- vers pour amener Tavilissement public. Les grands écoutent sa voix, comme le triomphateur celle de Tesclave placé sur son cliar pour lui rappeler qu'il est mortel. Le lâche qui a trahi ses frères pourra bien faire taire par la violence les imprécations de ses contemporains, mais il lit son avenir dans les louanges que Plutarque dispense à la vertu, et dans Tinfamie dont Tacite stigmatise le vice. Qu'un tyran élève des pyramides en témoi- gnage étemel de son orgueil, l'histoire y gravera, plus durable- ment que sur le granit, ce qu'elles coûtèrent de larmes à uû peuple opprimé; enfin, au juste enchaîné elle montrera les couronnes tardives, mais sûres, mais immortelles, qu'elle ré- serve à la vertu. Combien d'ailleurs ne s^est pas accrue Timportance de l'his- toire par les applications qui en ont été faites à toutes les sciences , à une époque où Pon a pour principe de n'accorder foi qu'aux faits , et où l'on ne demande qu^à eux seuls la solu- tion de tous les problèmes ! La littérature y apprend à se con- naître elle-même dans son origine et dans ses progrès ; elle s'y habitue à ne rien dédaigner, à ne rien idolâtrer. La philosophie, pour trouver les propriétés absolues de l'être , recueille ses en- seignements et réprouve les élucubrations sohtaires qui divisent dans Tesprit ce qui est uni dans la nature : car Fhistoire, dans ce qu'elle contient de plus utile , ne sépare jamais la raison de Fexemple ; elle ne renie pas les faits comme certains théori- ciens, et ne s'y attache pas exclusivement comme les empiri- ques; tout en accordant son attention aux intérêts, ce n'est point aux dépens de la justice, comme les épicuriens, et ne nie pas, avec les platoniciens, que Paiguillon de la nécessité soit nécessaire aux progrès et aux découvertes. La politique (j'em- brasse sous ce nom les sciences de la législation, de l'adminis- tration, de la jurisprudence) apprend de Phistoire le caractère d'un peuple, ses mœurs, son degré de civilisation, pour évaluer plus justement les éléments sociaux, les placer au rang qui leur revient , les faire revivre dans la société comme ils furent pro- duits dans l'histoire. L'économie politique, qui recherche liBs lois de la production, de la distribution et de la consommation de ce qui sert au bien-être matériel , ne peut déduire que par les faits recueillis dans l'histoire la théorie mathématique de la sûciéié ^ l'équilibre entre les besoins at les moyenii de les satis- faire. Car nous sommes en grande partie ce que nous firent nos aïeux ^ et la raison du présent existe dans un passé que ne sau- raient changer une bataille , un décret, une révolution : si Ton n'en tient pas compte, on ne pourra enfanter que des constitu- tions inapplicables , commç celle de Rous^au pour la Pologne , ou de Locke pour la Caroline, Que si le spéciale de Thumanité est déroulé devant nos yeux spr une toile dont la variété donne au style Tanimation et le co- loris, et dont la grandeur lui imprime la majesté; si rhistorien> se sentant interprète des faitf», raconte à ses contemporains, mec une dignité naïve et respectueuse, les gloires, les infor- tunes, les crimes, les vertus des ancêtres; si, h travers les obsr tacles de l'ignorance, dé la vanité, du fanatisme, de la tyrannie, il suit les progrès de la civilisation avec amour et avec la fran- chise de la raison, aussi éloignée du sarcasme de Timpie que de la crédulité du superstitieux; sll ose déplaire fiux vivants et af- fronter les passions ou Tinsouciance contemporaines , sans ja- mais professer le mensonge utile , ni taire la vérité qui fait de tièdes amis et des ennemis ardents, combien n'y piusera-t-il pas de sublimes jouissances et d'instruction sociale ! combien cette littérature, qui s'est abaissée en se montrant trop souvent frir vole, haineuse, babillarde, ne s'ennoblira-t-elle pas quand elle ne réveillera plus que des sentiments généreux ! Si l'intime convic- tion et la sympathie pour la classe la plus nombreuse et la plus négligée communiquent à la pensée et h la parole cette puissance qui conunande l'attention, on verra diminuer la malheureuse habitude de feuilleter les pages sans les méditer, de rechercher ce qui brille et plaît, de préférence h ce qui est utile et bon; on sortira de cette apathie qui accepte sans examen, blâme pu loue de confiance, a horreur de toute fatigue, et se blesse de tout ce qui est dit avec franchise et vérité. Reconnaissons donc qu'au rôle de Thistorien appartient au- jourd'hui cette sainteté et cette vénérî^tion que la poésie avait obtenues en d'autres temps. Méthode» Mais dans ce sacerdoce des nations, dans cette sublime cul- ture du bien, du beau, du vrai^ comme en toute autre chose, le mode varie selon les temps et les opinions, Tout d'abord This- toire ne s'écrit pas, elle se fmt ; et les mythes nous révèlent l'in- dividualité d'un peuple, ils sont l'histoire nationale telle que son génie la conçut, qu'elle s'uççorde ou non avec les faits. Cette INTaODUCTION. 7 manière de procéder se reproduit au berceau des sociétés mo- dernes. Ainsi Roland^ dont Éginhard fait à peine mention y de- vient^ du fait des traditions populaires^ un héros en rapport avec leurs inclinations et leur état social : ainsi l'aventure de Guil- laume Tell est racontée sous des noms différents dans Saxo Graounaticus ^ ancien cbroniqueiur Scandinave; ainsi les Aben- cérages et les Zégris , thèmes perpétuels des romances espa- gnoles^ et dont l'histoire ne cite pas même les noms, nous montrent sous son véritable jour la lutte entre les Maures et les chrétiens. En étudiant ces altérations, un esprit sagace arrive à expliquer les mythes d'Hercule, de Thésée, de Brahma; et qui veut suivre les changements subis par les histoires d^Alexandre et de Cbarlemagne , apprend à lire avec plus de fruit les expé- ditions de Ninus et de Sésostris, ou la lutte entre les patriciens et les plébéiens, représentée par les symboles historiques de Rome primitive. Ces traditions sont conservées sous la forme poétique , et transmises de père en fils avec toutes les erreurs propres à l'en- fance des peuples, sans connexion de causes et d'effets, sans songer à aucun enseignement. ËcQutées avec l'attention que prête encore aujourd'hui TArabe du désert aux récits des vieil- lards , elles ont dès lors pour but d'exciter la curiosité par le merveilleux, de flatter la vanité des nations et des races en fo- mentant les croyances vulgaires. C'est ainsi qu'à son début l'his- toiïe se montre à nous chez tous les peuples, excepté chez ce- lui à qui elle fut dictée par Dieu lui-même ; et les milliera de siècles dont l'Inde et la Chine remplissent leurs chroniques , loin de prouver l'antiquité du genre humain, attestent, au con- traire, combien il est jeune, pour avoir pu si récemment encore se délecter à des amusements aussi puérils. L'histoire du grand Hérodote est toute poétique: il s'applique à composer une épopée d'un intérêt soutenu, aux parties bien proportionnées, aux ornements flattems, dont la Grèce est le héros devant lequel s'abaisse tout le reste de l'humanité. Hé- rodote et ceux qui le suivirent immédiatement avaient peu de lecture, ne faisaient guère usage de la critique, citaient vague- ment, et avaient presque uniquement en vue leur cité et ses relations avec la confédération hellénique; mais ils recher- chaient une érudition qui ne s'acquiert pas dans les livres, voyant avec leurs propres yeux, et transmettant à leurs lec- teurs l'impression qu'ils avaient reçue des lieux mêmes. Bien 8 INTRODUCTION. que semblables à ceux qui transcrivent les hiéroglyphes sans les comprendre^ les interprétant à leur guise^ et quelquefois les reproduisant à faux^ on est avide d^apprendre d^eux, comme il arrive pour les navigateurs du quinzième siècle^ conmient ont vu les choses ceux qui les virent les premiers, cu^aê. I^ même que les poèmes d^Homëre déterminèrent la forme des épopées subséquentes , ainsi les applaudissements donnés en Élide au père deThistoire poussèrent ses successeurs à Ti- miter dans la composition^ dans la forme et dans le style. De Thucydide à AmmienMarcellin, nous trouvons des annales, des vies, des commentaires de mérite divers , et parfois éminent, mais sans esprit de suite et d'ensemble^ sans le but de représen- ter tels quils sont une nation^ un siècle, un héros, les désastres et les conquêtes du genre humain et de la liberté. Voilà pour- quoi Aristote plaçait. Phistoire au-dessous de la poésie, comme un art auquel suffisait un fait vrai ou faux pour déployer tout le luxe du style et de la rhétorique. Hérodote déclare écrire afin que la mémoire des grands et merveilleux exploits ne se perde pas; Thucydide, parce quHl croit la guerre du Péloponèse plus digne de souvenir que toutes les précédentes; Tite-Live laisse à Pécart les particularités qu'il désespère de retracer avec un cer- tain appareil, et s'arrête volontiers à l'endroit favorable pour une description, pour une harangue ; Justin loue Trogue-Pom- pée de ce qu'il procura aux Latins la facilité de lire dans leur langue les hauts faits des Grecs. Vous trouverez bien çà et là dans Polybe de judicieuses observations : à son exemple , Sal- luste s'efforça de remonter des effets aux causes. Il est vrai que Cîcéron appela l'histoire V institutrice de la vie. Caton, Var- ron, Denis d^Halicarnasse s^appliquèrent à recueillir les origines et à déchiffrer les antiquités, mais sans sortir pour cela du sillon tracé; ils ne déposèrent pas Pégoïsme des sociétés d'alors; ik ne portèrent pas leurs regards au delà des faits partiels, et ne subordonnèrent pas la forme à la pensée. Je ne parferai pas de Suétone, quêteur d'anecdotes; mais Plutarque même, éclecti- que de style, d^érudition , de morale , Plutarque, qui , dans sa naïveté même, se montre le fruit d'une société décrépite, nous fait-il connaître entièrement et Solon, et Aratus, et Pompée ? Ta- cite, dont l'indignation aiguillonna le génie pour pénétrer au fond des actions et sonder leurs causes , fait voir à nu les per- sonnages et les faits; mais en vainl'interrogerez-vous sur les lois, les mœurs, les arts, la religion, sur ce qui constitue lecarac- INTBODUGTION. 9 tère d'un peuplé. Ses renseignements exacts^ mais égrenés et incom{dets, ne vous feront pas comprendre l^esprit du gouver- nement impérial ; les yeux sur Rome, il ignore les mœurs de l'Asie^ et jusqu'à sa géographie; il regrette la république sans s'apercevoir qu'elle a péri irréparablement sous ses propres coups ; il voit apparaître une secte d^ommes exempts des vices qu'il reproche aux autres^ mais il les confond avec les astrolo- gues et les magiciens; il raconte les persécutions auxquelles ils sont en butte, sans s^nquiéter si elles sont justes, sans s^aper- cevoir que la religion de Numa tombe en ruine , et que le monde est mûr pour une régénération. En somme, Tart était l'i- dole perpétuelle des anciens écrivains. Des discours aussi beaux que peu vraisemblables devaient varier le récit, et suppléer pour l'historien la tribune devenue muette. De là résulte que le côté pittoresque de lliistoire, la reproduction exacte des usa- ges, les particularités les plus précises et les plus intéressantes étaient abandonnées à l'érudition. Tite-Livene fait pas même mention des traités de commerce entre Rome et Carthage, et Tacite n'aurait jamais inséré dans son récit historique la pein- ture des mœurs des Germains. En s^occupant ainsi d'offrir un appât plutôt que des leçons sévères, l'historien ne songe pas au perfectionnement de l'espèce par les souflTrances de l'individu ; il étouffe dans le sentiment de !a patrie la bienveillance universelle, et maudit chez le barbare ce qu^il applaudit chez le Grec et le Romain. Puis le lecteur, qui se contente de fleurs de rhétorique et d^omements artifi- ciels, s'habitue à considérer plus le brillant que le vrai , à sépa- rer les idées du beau et du bien, à préférer la force désordon- née qui déborde à la force régulière qui persiste; ainsi se fomente cette sympathie pour les événements heureux, dange- reux penchant de la nature humaine. Au déclin de la puissance romaine, n^apparaissent plus que des compilateurs et des abréviateurs ; puis, une fois qu^elle a succombé par les vices du dedans et par les invasions du de- hors, rhistoire, en un silence morne comme cehii qui succède dans la nature au fracas de la foudre, ne trouve plus de voix pour raconter l'événement le plus notable de l'antiquité. Et cependant, tandis que les Byzantins du Bas-Empire s'obs- tinaient à modeler sur des formes antiques des sentiments et des faits d'une nature nouvelle; tandis qu^à force d^art ils ne par- venaient qu'à se rendre inutiles et fatigants, en Occident, l'his- |0 INTJtQDUCTlOK* ioire^ de môme que tout autre genre d'études, seref ugiait dans les cloîtres. C'était, il est vrai, une position favorable pour observer les faits d'un point de vue élevé en même temps que sûr; mais l'ignorance universelle ne permettait guère d'espérer y rencour trer une intelligence capable d'embrasser dans son ensemble Un mouvement aussi varié, et de distinguer les détails accident tels de ce qui méritait d'être transmis à la postérité. La plupart, écrivant pour leur monastère et pour leurs frères en religion, se bornent à des événements très-partiels, et, avec une inculte bonne foi, racontent ce qu'ils voient; mais ils voient mal. Quant, à Pétat général de la nation, aux mœurs, aux usages, c'étaient choses 31 naturelles à leurs yeux, qu'ils ne les envoyaient pas le moins du monde dignes d'être mentionnées. Voilà pourquoi l'époque à laquelle le genre humain marcha d'un pas plus hardi resta privée d'historiens; et le rétablisse- ment de l'empire d'Occident, les croisades, la formation des communes, furent loin d'avoir, aux yeux des plus habiles, l'im- portance qu'ils méritaient : aussi, lorsque nous demandons aux chroniqueurs de nous aider à résoudre le problème compliqué de notre situation actuelle, nous abandonnent-ils dans une obs- curité complète. Les persécutions, les hérésies, les barbares, ^'avaient pas laissé le temps au christianisme de renouveler les études comme il avait renouvelé l'esprit de la société ; ce qui fit conserver la forme païenne, la philosophie d'Aristote et l'ado- ration des classiques. Quand parfois, tout rudes et incultes qu'ils sont, ils abandonnent pour un moment le ton de la chro- nique, c'est pour revenir au faire antique, à la dignité factice, aux harangues fleuries, aux descriptions de batailles, aux juge- ments modelés sur les souvenirs de Rome et d'Athènes. Si , néanmoins, l'enfance des idiomes nouveaux et la déca- dence des anciens; si une morale pleine de préjugés, une poli- tique étroite, sont pour eux autant d'entraves, combien les rend précieux cette fidélité naïve et comme transparente avec laquelle ils exposent leurs propres opinions et celles de leur temps ! C'est donc plus le narrateur que les narrations qu'il faut étudier en eux. On remsfrque chez les plus vieux l'effroi d'mi orage qui plane de plus en plus menaçant, un regret farouche du passé; puis, après le dixième siècle, la lueur d'espoir avec laquelle ils saluent une ère nouvelle ; enfin, la crédulité impassible de ceux qui racontent les croisades , a par le besoin de recorder aux hommes combien p&tir^qt les guerriers dans leur glorieuse con- IMTMOPUCTIOlf • 1 1 quota, p Oa trouvera dans Villebardouin, dans Joinville, Frois- sârt, Holinshedj Pàris^ chez les auteurs espagnols^ le sentiment vrai des guerres saintes et de la chevalerie ; de même que d9ns Dino CompagTii^ dans Jmmillay dans les Yillani , la condition réelle des conununôs italiennes. Parfois la grandeur des évé- nements les pousse presque par instinct jusqu'au sublime^ et leur fait lancer des éclairs qui aident les esprits d'élite à retrou^ ver^ par de justes inductions, de précieuses vérités. Il y a plus : le sentiment religieux, <ïhez eu)^ prédominant, en élève quel- ques-uns auHlessus des intérêts d'un jour et d'un pays, et leur fournit une mesure plus généreuse pour reconnaître ce qui est juste et pour évaluer les angoisses des victinies. Aussi, sous leur simple ignorance, sent-on une bien autre vigueur que dans les exercices scolastiques et décrépits des Byzantins ou dans les chroniques orientales; car dans celles^i Fhonmie se montre trivole et n'apparaît qu'à demi, jamais ne brille une pensée qui rëvèle le fond du cœur humain, ni les malaises sociaux, ni lés grandes raisons du bien et du mal. Ces premiers pas dans la carrière donnaient à espérer qu'avec le secours d'études meilleures viendrait à éclore une forme d'his- toire originale; mais la prise de Constantinople inonda l'Italie et TEurope de rhéteurs, qu'on s'obstine encore à nous prôner comme les régénérateurs des lettres dans le pays qui avait déjà produit Dante, Pétrarque et Bocçace, tandis que ces étrangers ne firent réellement que repousser l'esprit humain sur les traces des anciens, et, en entravant les haidiesses du génie, ils rédui- sirent toute science à Pimitation. Alors, de même que la poésie et les beaux-arts, qui déjà avaient enfanté la Dimne Comédie et les cathédrales, renon- cèrent à la naïveté, aux idées, aux formes nationales et chré- tiennes pour se refaire grecs et latins, l'histoire se remit à la ^uite des anciens. Observez les premiers historiens, tant natio»- naux qu'étrangers ; vous les verrez, dans la forme, entachés d'imitation, tandis qu'au fond ils pèchent par le défaut de cri- tique dans l'appréciation des sources et p^r leur admiration ex- clusive pour les faits éclatants, sans se douter même de la par- lie intime, la seule véritablement instructive. Les vicissitudes du gouvernement et du pouvoir, qui ne s'altèrent pas seulement par les changements extérieurs; les coutumes et les opinions ^u milieu desquelles les personnages ont vécu ; leurs intentions, la justice ou riniqu|té de leurs entreprises, déduitp, non des con- i s IlfTHODUCTlON. ventions humaines^ mais des principes éternels; les désirs^ lés crantes^ les griefs de cette foule qui ne prit nulle part aux évé- nements publics^ et qui en subit les effets; les éléments^ en un mpt^ d*où peut sortir vin sage et majestueux jugement sur les fait^y disparaissent sous la plume des écrivains deTécole classi- que. Machiavel, qui^ le premier^ appliqua son esprit à trouver des causes lointaines aux événements, créa une œuvre sans modèle^ dans laquelle un style d'une nudité énergique^ comme celle des athlètes^ lui servit à graver sa pensée avec autant de facilité que de profondeur, Machiavel lui-même^ au fond, est tout classique. Plein d'enthousiasme pour le triomphe/ d'admiration pour toute témérité civile, Rome lui parait grande, comme à Polybe, parce qu'elle subjugua tant de peuples et leur ravit, par force ou par ruse, richesses, lois, liberté, indépendance; tel était Pexemple qu^il proposait aux tyranneaux d'Italie : exterminer sous le glaive ou envelopper d'un réseau d'artifices tout ce qui résistait, et égorger des hécatombes humaines à Pidole d'ime grandeur uni- quement fondée sur la force. Voilà quelle est l'homicide con- ception politique du secrétaire florentin , tellement éloigné des idées modernes, que les érudits discutaient entre eux s'il par- lait ironiquement ou de bonne foi; mais déjà le bon sens popu- laire avait prononcé, en donnant le nom de son auteur à cette malheureuse politique qui, dès qu'elle se propose une fin, n'hé- site pas dans le choix des moyens entre la justice et l'iniquité, entre l'astuce et la violence : politique dont l'Italie est dénon- cée comme l'inventrice par ceux qui l'en ont rendue la vic- time. Machiavel cependant tient déjà du moderne; il introduit la discussion dans l'histoire, et tend à réduire la série des faits à une thèse philosophique. Il est suivi dans cette voie par le sub- til Comines et par Guicciardini. Ce dernier, plus servile imita- teur des anciens, prolixe dans ses harangues, inanimé dans ses descriptions, d'une indifférence immorale dans ses jugements , brille au premier rang parmi ceux qui font de Vhistoire un exer- ciôe d'éloquence, une étude dans l'art de mettre en relief un personnage ou un événement, en rejetant dans Tombre la foule qui n'a pas dé nom. Un jugement aussi sévère nous est inspiré par la conviction qu'une telle manière d'envisager l'histoire ne satisfait plus aux besoins de notre époque. L'Italie elle-même (le seul pays qui en offre encore des exemples éclatants), lltalie invoque d'auttes INTHODUCTION. 13 formes qiri^ n'étouffant pas le vrai sous le beau^ contribuent à donner une vigueur nouvelle aux esprits^ à la civilisation ^ à réconomie sociale. Il faudrait avoir, trois siècles durant, tenu les yeux clos sur la marche de l'humanité, pour n'avoir pas vu d'autres idées grandir immensément à côté de celle de la force. On laisse désormais aux Chinois les récits dans lesquels tout ce que fait la nation est attribué au roi seul. On ne croit plus main* tenant aux^hangements dans les lois imposées par un législateur, aux institutions créées par un décret, aux révohitions produites par' une conjuration. Il faut qu'il soit tenu compte de l'humble bonheur du plus grand nombre, à qui une loi importune, un tribut corrupteur nuisent plus qu'une atrocité mstantanée. On n'hésite pas à croire que celui qui adapte la boussole aux voyages sur mer, ou applique au mouvement un agent nou- veau, ou importe le chameau dans l'Afrique méridionale, est plus digne de mention que celui qui emploie la force brutale et se révèle sous les noms d'Attila, de Gengis-Kan ou de Tamer- lan , ou se déguise sous ceux plus classiques de Sésostris, de Cambyse et de Napoléon. Inutile encore de chercher dans les chroniques et dans les an* Annale», mé- nales l'accord du vrai, du bien et du beau. Les travaux si re- n\q^^ "*' commandables des PP. de Saint-Maur, des Bollandistes, des du Gange, des Baluze, des Montfaucon, des Ganciani, des Leibnitz, des Muratori, et ceux que nos contemporains poursuivent avec une noble patience , sont des matériaux appelant l'étincelle de vie de qui saura la leur conununiquer. Je crois pouvoir ranger dans la même classe les histoires en tableaux synoptiques, in- vention de notre époque, celles, par exemple, de le Sage et de Longchamps; œuvre laborieuse pour qui l'entreprend, utile à consulter, et aidant Fattention par le secours des sens, mais où l'aridité de l'exposition , Tindifférence entre le certain , le pro- bable et le faux, l'exclusion de tout lien, excepté celui du temps, élément si accidentel, ne sauraient se représentera nous que comme une trame composée de fils calculés seule- ment quant à la longueur, et attendant le tissage pour offrir un dessin et servir à im usage quelconque. Le rôle des chroniques est rempli aujourd'hui par les gazet- tes. Nos neveux auront à dépenser plus de fatigues pour dé- mêler la vérité dans leurs révélations, que nous avec les chro- niqueurs du moyen âge. Geux-ci, grossiers, mais non pas vendus, trompés, non trompeurs, jugent inal lés faits, mais ne 14 INTflODUGTION. renient pas leur sentiment intime, et ne font pas pompe de couardise. De bonnes chroniques des temps modernes sont les Mémoi- res. La Retraite des dix mille, lés Commentaires û originaux de César, les Anecdotei de Procope, ne permettent pas de dire que les anciens ne les connussent pas. Mais ils ont acquis chez les modernes une tout autre importance^ surtout chez les Fran- çais , qui semblent là sur leur terrain é Qu'ils vous fassent , avec le sire de Joinville, observer dans les croisades un mélftnge de rudesse septentrionale, de sentiments évangéliques, de légèreté française, de chevaliers allant conquérir deâ couronnes qu'ils ne porteront pas; qu'avec le Loyal serviteur ^% vous racontent les prouesses de Bayard sans peur et sans reproche ; qu^avec Frois- sart ils ne s'occupent que de tournois ou de passes d'armes; qu'avec le cardinal de Richelieu enfin ils discutent la raison politique des événements, tout y est dramatique : les erreurs, les vanteries, les mensonges même y abondent, mais sans ana- chronismes de mœurs et de caractères : tout, jusqu'à la langue et au style, vous aide à vous retracer l'époque , mieux que les histoires proprement dites. Benvenuto Cellini, et les vies des artistes et Kttérateurs , nous ont conservé par lambeaux Iié véritable histoire d'Italie; c'est là que la postérité apprend à connaître le peuple dont ils sont sortis. On sent le dévergondage de la Fronde dans le spirituel caquetage du cardinal de RetZr Henri IV se montre à nu dans ceux de sa femme, de la prin- cesse de Condé, et dans les Économies royales de Sully. Si Voltaire n'a pu faire du Siècle de Louis XIV qu'un livre de parti, madame de Motteville et la duchesse de Montpensier percent à Jour le château et les boudoirs^ Saint-Simon nous montre avec causticité l'ensemble et les détails, les pompes et les misères du grand siècle. Mesdames de Maintenon et de Sévigné réduisent à ses proportions naturelles ce Louis, que ses contemporains trouvèrent supérieur à tous, jusque dans sa stature, tant il connaissait à fond son métier de roi. La révo- lution française^ la cour et les camps de Napoléon, seront à leur tour bien mieux révélés par ces confidences partielles que par les historiens qui se hasarderaient sérieusement à fouler un terrain encore brûlant. Car c'est dans les Mémoires qu'appa- raissent et le peuple, et les joies, et les douleurs de la classe la plus négligée, que s'épanchent les secrets de l'âme et de Fin- telligence, que l'on sent enfm cette vie active qui, dans la plu- ^ INTBODUCTtON. 16 part des historiens^ ressemble aux secousses du gàlvanismeé Mais^ dans le siècle passée l'histoire prit une autre direction Histoire sous la plume de ceux qui , s'arrogeant le nom de philosophes^ phuowpiiiqne. proclamaient l'émancipation du genre humain. L'école phiioso^ phique ne pouvait toutefois se dire nouvelle^ puisque déjà Ma* chiavel avait cherché à ramener son récit aune tbéoriesociale, et que Fra Paolo Sarpi exploita les faits pour attaquer la Rome papale en faveur de Venise et de l'autorité laïque : tentative qui iie rehaussa pas lliistoire^ mais qui agrandit le pam[Alet; car son récit ressemble à ces dossiers présentés par les avocats à l'appui de leurs assertions. Le cardinal Pallavicino descendit en lice contre lui^ se servit des mêmes armes^ plus l'ennui d'une réfutation^ mal racheté par le charme du style et la puissance de la vérité. Mais^ quand l'histoire fut conviée à se liguer avec les autres sciences pour anathématiser tout ce qui jusqu'alors avait été révéré, elle substitua aux faits, étemel langage de Dieu, les opi- nions, langage éphémère des hommes. Sublime conception^ sans doute, que celle de réunir arts, sciences, morale, littéra- ture, pour exprimCT la même idée sociale, pour révéler ainsi l'unité des lois du monde et tout coordonner pour le bie»-êtt*e présent : mais, les intentions fussentrelles loyales, l'état de la société d'alors égarait ceux qui l'avaient conçue. Deux siècles se heurtaient l'un contre l'autre; la noblesse, le clergé, la mo- narchie, le peuple, au lieu de s'équilibrer l'un par l'autre, s'em- barrassaient réciproquement, et se faisaient une sourde vio- lence; présage certain, pour les esprits d'élite, d'un imminent conflit. Mécontents donc de la société présente, ils en maudis- , saient les éléments, sans songer qu'ils avaient marché de con- serve avant de se déclarer ennemis, et les considéraient, depuis l'origine, non comme des forces morales, mais comme des ri- vaux importuns. De là cette haine fanatique contre les coutumes et les institutions antérieures, haine qui se manifestait tantôt dans un bon mot , tantôt dans les énormes volumes de YEndy- ciopédie, La censure empêchait-elle de combattre à visage dé- couvert les nobles, les prêtres, les trônes encore debout, on s'en prenait aux seigneurs féodaux dans leurs niches de pierre, et aux pontifes sanctifiés; les croisades n'étaient plus que du fa- natisme; saint Louis un homme de bien, jouet de ses illusions; Chariemagiie nn clerc armé; Grégoire VII et Innocent lïl, deux intrigants mêlant le royaume du ciel à ceux de la terre ; et l'on 16 INTAODUCTION. allait jusqu^à applaudir le triple sacrilège, religieux, moral et patriotique, contre la Pucelle, libératrice de la France ; sacri- lège commis par celui qui chantait la petite fossette de ma- dame de Pompadour, par celui qui sollicitait Tappui de la du- chesse de Gréqui-Lesdiguières pour faire ériger en marquisat sa terre de Ferney, comme une gloire et un bonheur de sa triste vie. Ce qui venait encore en aide aux philosophes dans leur guerre de plaisanteries et de sarcasmes, c'était la vogue où était alors ridéologie. Grâce à elle, les questions de fait étaient arrachées au domaine de la réalité, à force d'abstractions, de combinm- sons et d^altematives, jeu bizarre auquel on donnait le nom d'a- nalyse. Voulait-on battre en brèche la noblesse d'alors, frivole, amaigrie, viciée jusqu^aux os? on ne s'enquérait pas de quelle manière, en se posant jadis entre les monarques et le peuple, elle avait contribué aux franchises et à la civilisation du plus grand nombre; mais on disait : « Les hommes naissent égaux, toute inégalité dans la société est donc injuste. » On disait de même : «La religion doit être un rapport entre Dieu et Phomme, doncc^est chose libre et individuelle; donc poin^t de culte, point de sacerdoce ; arrière tout le cortège de l'imposture. » C'est ainsi que le clergé devenait une phalange de fanatiques, hostile à toute instruction; la noblesse, «une bande d'assassins, le faucon au poing, intitulés comtes, marquis et barons. » Les formules iabstraites de rébellion, de droit héréditaire, de cons- pirations réprimées, de légitimité, de coups d'État, étaient substituées aux faits précis : les mots de roi, de liberté, d'es^ claves, devaient exprimer la même chose à Londres et à Persé- polis, pour les contemporains de Pèriclès et pour ceux de Washington. Dans les invasions des Lombards, des Saxons, des Normands, il n^y avait rien à voir de plus qu'un changement de dynastie ; qu'une révolte dans la ligue lombarde ; que des concessions royales dans la grande char le et dans Taf franchis- sement des commmies. C'est ainsi qu'à grand renfort d'abstrac- tions, on privait l'histoire des secours que doivent lui prêter Fexamen et Texpérience; qu'on la rendait ignorante du passé, abusée sur le présent, stérile pour Tavenir. On conçoit que les passions, tant qu'elles sont en jeu et me- nacées dans leur action, peuvent nuire à l'impartialité; mais, quant aux événements depuis longtemps consommés, il sem- blerait qu'il ne s'agit que de rechercher et d'exposer loyalement INTBODUCTION. 17 la vérité. Loin de là : l'esprit de système et le préjugé faisaient descendre Thistorien du poste élevé d'où il distribue Tinfamie et la gloire, pour le mêler à de petites escarmouches, et lui suggérer des sophismes encore plus subtils que ceux dont au- raient pu s'étayer les intérêts engagés dans la lutte. Pour re- cueillir ce qu'oo appelait l'esprit des faits, on dénaturait les in- tentions , en créant des rapports arbitraires entre un premier fait et le caractère de ceux qui lui succédaient. L'historien, poète dans l'antiquité, devint un avocat qui avait raisoa en pro- portion de ce qu'il savait mieux parler ou se taire; car on ne récusait pas les faits, on les rapportait seulement à sa guise. En effet, exagérez certaines particularités ; supprimez-en d'autres par des subterfuges habiles; faites briller ici la lumière, tandis que là vous renforcez l'ombre; admettez conune incontestables certaines traditions qui vont à votre gré, en même temps que vous déchaînez la critique contre celles qui vous gênent ; dé- guisez le vide des faits sous l'appareil des systèmes; tournez une vertu en ridicule, tandis que vous couvrez un crime de la sauvegarde d'un bon mot, il vous sera facile de représenter Ju- lien l'Apostat comme un héros et Grégoire VII comme un fu- rieux; d'érever au ciel Dioclétien, qui renonce à l'empire du monde, et pour le même acte d'accuser de lâcheté le pape Cé- lestin. Qu'il me soit permis de m'arrêter quelque peu sur cette école dont les tristes doctrines ne se sont pas bornées à envahir la littérature. Bien qu'elles aient perdu de leur crédit dans les pays les plus éclairés, je les vois encore inspirer, dans quelques autres, tantôt des redites de société, tantôt des écrits auxquels, pour être applaudis comme des actes d'énergie , suffit le cou- rage inconsidéré de traiter légèrement les choses les plus gra- ves, de tourner en dérision les opprimés, et de lancer le sarcasme contre la religion, la liberté et les convictions profondes. Or, une assurance dogmatique dans les décisions, une verve ma- ligne dans certains portraits, un mode d'observation ingénieux, un pétillement perpétuel d'arguties, étaient précisément les procédés au moyen desquels les historiens dont je parle cares- saient la propension native de l'homme pour ce qui est défeiulu, et aiguillonnaient la satiété d'un siècle crédule envers tous ceux qui ne croyaient à rien. Ajoutez à cela l'esprit de coterie, qui fait porter au ciel ceux qui se mettent à sa remorque, dé- précier quiconque ose aller contre le courant, et vous vous ex- T. I. 2 18 IRTfiODUCTlON. pliqtierez cotnment acquirent si haute renomtnée les malencon- treux efTorté de Mably déraisonnant toujours sans jamais rien dire^ les déclamations sentimentales de Raynal et de Diderot ; les interminables plaidoyers de Hume, et le vide vaniteux au- quel MiUot réduit non^-seulement son propre récit, mais encore les œuvres dans lesquelles il puise. Vous comprendrez aussi comment on ne tarit paii en louanges sur les récits décousus de Gibbon, dans lesquels on ne sait ce qui domine le plus, ou la mauvaise foi, ou Télégance guindée, ou les continuelles ten^ dmices vers un but unique, celui de dégoûter de toute institua tion religieuse^ Vous concevrez comiïient furent admirés, et Boulanger^ qui sanctifie le hasard pour en faire découler la re- ligion, et Bailly et Dupuis, qui multiplient les siècles pour né faire des cultes, quels qu'ils soient, que des archives d'observa- ttons astronomiques; et les amis de d'Alembert, qui regardaient la connaissance des faits <ît comme étant seulement d'une néces- « site convenue, conmie une des sources les plus ordinaires de « là conversation, en un mot, comme une de ces inutilités si né- t( cessaires qui servent à remplir lefe vides immenses et fré- « quents de la société (1). » Vous saurez enfinla valeur des élo- ges prodigués à toute cette foule, chez laquelle ressort peut-être encore moins la hardiesse de Tentreprise que la mlanière frivole dont elle fut tentée ; en tête, il faut citer Fauteur de VEssai sur les maurs, ouvrage plein de verve> dô sarcasme et dlgno- rance(2). (1) D'ALEMBËRT, Réflexions sur V histoire. * (2) Comme Ton prétend que c'est la mode aujourd'hui de faire de la reli- gion, je rapporterai le jugement d'un contemporain de Voltaire, d'un écrivain qui ne peut être suspect aux contradicteurs. « J'étais, dit Mably, très-disposé à pardonner à Voltaire sa mauvaise politique, sa mauvaise morale, son ignorance, et la hardiesse avec laquelle il tronque, défigure et Altère la plupart des faits : mais j'aurais au moins voulu trouver ikns lliistdrien un poète qui eût assez de sens pour ne pas faire grimacer ses persoDMges, et qui rendit les passions avec le caractère qu'elles doivent avo ir: un écrivain qui eût assez de goût pour ne jamais se permettre des bouffonne- ries dans l'histoire, et qui eût appris combien il est barbare et scandaleux de rire et de plaisanter des erreurs qui intéressent le bonheur des hommes. Ce qn'il dit n^est ordinairement qu'ébauché : veut-il atteindre au but, il le passe. Il est outré» « Ce qui m'étonne davantage^ c'est que cet histotien, ce patriarche de noa philosoplies, cet homme enfin qu'on nous représente comme le plus puissant génie de notre nation, ne voie pas jusqu'au bout de son nez. • toltaire se tante quelque part d'avoir lu nos tapitulàires ! mais it n'est pat INTBODIiCTIOft* Itt Affiliés pour la plupart à cette philosophie qui tient à prom^er que je ne sais quels fluides produisent le courage du héros^ conmie la mollesse du Sybarjte^ et qui voudrait débarrasser donné à tout le monde d'y puiser assez de gaieté pour être le plus frivole et le plu8 plaisant des historiens. « Que de dtoMS iautiies qu'on historien ne se penntt que quand il Mt Tort IGKOBANT ! « Maliieureusenient cet auteur a fini tous ses ouvrages avant que d*avoir bien compris ce qu'il Toulait faire. « La vérité n*est quelquefois pas vraisemblable, et il n*en Oiut pas davantage pour qu'un historien qui se pique d'être philosophe^ sans avoir trop étudié les travers de l'esprit humain et les caprices de nos passions et de la foi tune » rejette comme une erreur tout événement qui lui parait extraordinaire : c'est la manière de Voltaire. « t^our me prouver combien sa critique est circonspecte et sévère, Il dira que îatenture de Lucrèce ne lui parait pas appuyée sur des foudements bien au- ttieutiques) de tnème que cette de la fiUe du comte Julien. La preuve qu'il ea donne^ c'est qu*un viol est d'ordinaire aussi dillicile k prouver qu'à foire. Ua goguenard sans goût peut rire de cette mauvaise plaisanterie, mais elle déslio- nore un historien. (t Son Bistoire universelle n'est qu'une pasqulnade digne des lecteurs qui radmirent sur la fbî de nos philosophes. « Quel autre historien aurait osé dire que les enfants ne Se font pas à coups déplume? Un écrivain judicieux aurait cru .se dédlionorer par une bouffonnerie si indécente. Voltaire a semé dans cette Histoire universelle une foule de plaisanteries, qui ont du sel, et que je louerais dans une comédie ou dans une satire ; mais elles sont déplacées et Impertinentes dans une histoire. » {De la mamère (Técrire l'hisMre.) B«9|jaiiMn Constant, autorité non douteuse, disait que, pour plaisanter comme l'a fait Voltaire sur Ëzécbicl cl sur la Genèse, il fallait réunir deux choses qui rendent la plaisanterie bien misérable : la plus profonde iCNonANCE et Ja plus déplorable légèreté, le veux en outre citer M. Villemaln de préférence à tant d'an^ très, d'aboni parce que la modération de ce prudent critique est très-conntie ; en second lieu, parce qu'il se nM>ntre généndemeot assez respectueux envers le pat riarclie de ï*Encyclopédie; enfin parce que ses leçons, professées publi- quement en présence de la jeunesse française, en ont contracté quelque chose de solennel dans l'expression et presque de populaire. Eh bien! dans soa Cours de lillérature française, il dit en parlant de Voltaire (Leçon XVJ«) :. « Sa vue moqueuse du christianisme «Itère la vérité de J'hlstoire^ eu éétruil l'intérêt, et substitue des caricatures au tableau de l'esprit humain L'au* teur n'aime pas sou sujet ( Histoire du moyen âge); il l'a en pitié; il le méprise, et par oeU oiètiie il s'y trompe asaei souvent, malgré tant de sagacité, et même d'execUtude. Car ne supposée {ms Voltaire géaéraleaieut inexact... ce qui manque seulement k soa ouvrage» c'est U chose même qu'il promettait, la phi* losophie. . . Il avait médiocrement étudié l'antiquité, dont il V4>ttt donner «ne idée sosunaire après Bossuet. Les erreurs de noms ^ de dates, les cita- tions troublées, et» il faut le dire, les ighoeàkc^s abondent dans sa prétendue criUqne de l'iilsloire anoienne. « U établit ce singulier prind^ que les ieibkiKes des princes ne doivent 2 20 IlfTBÔDUCTION. rbomme de Tâme, Tunivers du Créateur, les historiens, ces té- moins du passé, se complurent à le détruire; ils firent comme les Arabes, qui édifient leurs misérables cabanes sur les ruines des temples d'ApoUinopolis, et souillent des immondices reje- tées: de leurs habitations les portiques élevés pour retentir éter- nellement des louanges de la Divinité. Mais, en voulant tout dé- river de la matière et tout y ramener, ils prouvèrent combien Fimpiété est misérable quand elle vient à toucher aux douleurs de rhumanité. S'ils remontaient au berceau de ITiomme, ils le supposaient un germe se développant sur des plages diverses, à l'aide d'une température favorable. Tout en prenant pour donnée que son premier état fiit l'existence du sauvage, ils le façonnaient tel qu'im Européen jeté nu sur une île déserte ; lui attribuaient dès lors nos idées, notre manière de raisonner, nos besoins; lui faisant peu à peu trouver un pacte social, analogue aux alliance^ stipulées dans notre droit des gens, une religion due aux artifices des prêtres, et jusqu'à un langage avec des rè- gles telles que pourrait les établir une académie. La diversité de culte, d'institutions, de coutumes, devait i)rovenir du climat sous lequel végète la planie-hoïnme. C'était en vain, pour eux, que l'Italie est asservie malgré la barrière des Alpes, tandis que la liberté se promène fièrement sur les bords sans défense de la Tamise; que la Russie et la Scandinavie fleurissent aujour- d'hui, tandis que l'Inde devient barbare; que l'humble Amstel regorge de richesses, refusées désormais au Tage aux sables d'or. Les historiens philosophes, comme ces dieux qui avaient des yeux pour ne point voir, écartaient les faits qui contra- riaient leur thèse ; ils ne voulaient pas entendre l'histoire en- tière attester que la forcé de l'esprit humain maîtrise la nature et réagit contre les causes physiques ; que, supérieure aux sen- sations, l'intelligence n^est pas esclave de la nature matérielle. Le moyen âge s'appelait barbarie; pouvait-on, dès lors, at- tendre de lui autre chose qu'horreurs et décadence ? La réalité pas toujours être divulguées, et que Fliistoire doit cacher quelque eliose-.. Voltaire, qui se plaint si sauvent des mensonges historiques, finit malheureu- sement par réduire l'histoire au panégyrique et au pamphlet. Ge Ubre génie obéissait à mille petites passions. ( Leçon XVll®.) « il n'est pas besoin dé rappeler tout ce que dans>a vieillesse il a écrit contre la Bible, et que de doutes insidieux, que du sarcasmes et d'in- tarissables bouffonneries il a tirés souvent, de quoi, messieurs? de ses dis- tractions, de ses contre-seus, de ses propres ignohançës. » / IMTBODUGTION. 21 et la poésie des origines européennes échappaient donc aux yeux pour ne plus laisser voir qu'un déplorable dépérissement de toute civilisation^ que ténèbres palpables^ s'éclaircissant à peine après le XV* siècle, puis enfin dissipées par les temps qu'ils appelaient des siècles d'or (i). C'est ainsi que l'histoire, abandonnée de l'esprit de Dieu, était devenue, comme le dit un éloquent philosophe, une grande ^conspiration contre la vérité. Le beau lui-même allait se per- dant avec le vrai et le bien ; car il semblait que, dans cette dé- bauche de discussion, ceux qui s'y livraient craignissent de cliarmer, d'émouvoir le lecteur par le spectacle des vicissitudes de l'humanité, ou en le laissant croire à la vertu et au dévoue- ment. Toujours froids, ils ne s'animaient que pour le sarcasme et les déclamations contre la foi et contre la bonté de notre na- ture. Les plus habiles surent grouper adroitement les faits, re- monter aux causes avec sagacité , et analyser les caractères ; mais, à leur suite, vous chercherez en vain l'homme, votre semblable, avec ses vices et ses vertas, avec ses joies et ses souffrances; vous les trouvez passionnés contre Terreur, sans amour pour la vertu. Tout en ne dédaignant pas de fouiller dans les criblures anecdoticpies , ils estimeraient au-dessous d'eux de descendre à certaines particularités. Robertson lui- même, prolixe comme il est, sMl rencontre quelques détails ori- ginaux et dramatiques, les relègue dans une note, conmie le peintre qui retrancherait d'un portrait les ombres et la couleur, pour laisser au dessin toute la pureté des lignes. Par une de ces réactions ordinaires, tout à côté de Pécole Hi«ioiir« philosophique, s'élevaient Rollin,Grevier, Barthélémy et d'autres savants, idolâtres de l'antiquité au point de n'en pas apercevoir les taches. Pour eux, peu importe qu'un fait soit vrai ou même probable, il suffit qu'il soit rapporté dans la langue d^Honière ou de Virgile, et les citations au bas des pages dispensent de tout raisonnement. Ils ne choisissent pas même entre les autorités, et, sur le compte d'Alcibiade, ils accorderont une égale croyance à Plutarque et à Thucydide; Xënophon fera foi sur Socrate, de pair avec un scoliaste du Bas-£mpire. Ne sachant que réfléchir leurs auteurs, ils admirent avec Tite-Live les massacres aux- quels se livrent les Romains, avec Quinte-Curee la bonhomie des Scythes ; ils maudissent avec César l'opiniâtreté des Gaulois (I) Voir notre Discours sur le moyen dge, entête du livre VIll. 13 JNTBOMJCTION. qui refusent de se laisser ravir patrie et liberté. De là, un mé- lange informe de temps et de couleurs : les erreurs mémos d'as- tronomie, de métaphysique, de géographie, doivent être tenues pour sacrées dès qu'elles sont antiques. Bien plus, pour être justifiés, il suffit que le vol, l'assassinat, la trahison, aient, été commis par Thémistocle ou par Pompée* Quoique la voix de Vico se fût fait entendre depuis un siècle, il fallut que Beaufort vînt démontrer que les classiques pouvaient et se tromper et tromper. Tels étaient les livres qui, dans les écoles, enseignaient aux jeunes gens la bonté sans le jugement, en attendant qu'une fois entrés dans le monde, ils apprissent des historiens philosophes le jugement sans la bonté. La lutte et l'accord de ces deux mé* tfaodes se manifestèrent lorsque les théories acquirent la réalité des faits, et que, de la polémiqqe de cabinet, les opinions pas- sèrent à la guerre du glaive. Inspirée par eux , la révolution livra bataille au moyen âge; et tandis que, d'un côté, elle bri-* sait les écussons sur les sépultures violées, détruisait les arclii- ves gardiennes du passé, démolissait les constructions gothi- ques, renversait et les châteaux et leurs possesseurs, elle semblait, d'une autre part, ressusciter la Grèce et Rome. Elle n'entendait la liberté que sous les formes de l'ancienne démo-r cratie : le bonnet phrygien et les faisceaux consulaires étaient son symbole; un panthéon s'ouvrait aux hommes illustres; la déesse de la Raison obtenait les autels refusés au Christ; les républiques ligurienne , cisalpine , parthénopéenne , faisaient oublier l'Italie. Puis on vit se succéder le tribunat et le consu- lat, jusqu'au jour où apparut celui qui profita de ces exhuma- tions pour demander aux nouveaux fils de Brutus le consulat à vie comme César, et la puissance impériale conune Auguste. Génie habile, il sut fournir un aliment à cet enthousiasme clas- sique, et, tandis que les chants des nouveaux Pindares réson- naient en l'honneur d'Achille et deBérécynthe, mère de tant de demi-dieux, les aigles ressuscitées guidaient au massacre des barbares les légions, contentes de mourir, pourvu que se re- nouvelassent les triomphes du Capitole (1). Mais les extravagances poussées au comble profitent à la vé- rité , que la Providence fait germer sur le tronc même de l'er- reur. Les discussions de cette science de doute et de négation (1) Les esprits les plus valg^lres eav-mêmes n^oat pu néconaaltre la ten- INVIOOUCTIOBI. 213 éveillèrent te goftt des études fortes. Les esprits loyaux ne s'y flirept pas plutôt plongés^ que là où ils croyaient trouver pré- jugés ^ tyrannie > abrutissement^ ils découvrirent Thumanité en progrès , le culte rationnel , les droits protégés 2 le moyen Age excita l'étonnement par sa littérature robuste et naïve^ non moins originale que ses beaux-rarts. On s'aperçut que notre société pe dérive pas directement de celle des Orecs et des Romains , niais qu^il faut rechercher ses éléments dans cette époque jus- tement appelée moyenne ^ parce qu'elle signale le crépuscule entre le couchant d^une civilisation fondée sur la conquête^ sur l'esclavage, sur Tégoïsme, et l'aurore d'une civilisation nou- velle^ basée sur l'industrie^ sur Tindividualité ^ sur le catholi- cisme (1), Les détracteurs de ce dernier parurent Mvoles, men- dunM académique de la révolntion avee ses Bratiis et ses Timolëon, avae son urbre de libertés ses dénomîQations «rcliaïques de dignités, son panlhéon^et le rf^te. Les harangues aq^ assemblées fourmillent de citatiops at d^aUusipni classiques. On avait gravé sur les sabres de la garde nationale u)) vers tant soit peu altéré de Lucain : Ignoranlne datas ne quisquam serviat emes ? J.es souvenirs cl^is^iqMes servaient à justifier jusqu'à l'esclavage, pi effet, quand on eut recouvré Sàint-Domjngue et qu'on y eut riîlabli la traite des nègres, Bruix, conseiller d'État, s'écriait : « La liberté de Rome s'en- vironnait d^esclaves ; plus douce parmi nous, elle les relègue an loin. » Magna- nime phifantbropie à laquelle suffit de ne pas voir les souffrances! Et Saint* Just, dans ses fragments Sur les inslUutions républicaines, dit : « Un peuple agricole peut sei^l être vertueux et libre. Un métier à tisser convient mal au vrai citoyen; la main libre n'est faite que pour la terre ou les armes. » Voijà le fondenient de la société moderne sapé au nom des anciens. M. de Tracy, sous la KestauratioB, raconta à la tribune qu'en 1793 Je ne sais quel individu écrivait h l'un de ses i^mis : « Je suis chargé de préparer un projet de cmistitutjmi : envoie-moi donc les lois de Niima et de Lycurgue. » La très-inique loi de pré* succession aux biens des émigrés se justifiait au moyen de la proposition tri- bunitienne par laquelle les Romains se déclarèrent héritiers de Ptolémée encore vivant, chez les Romains même on trouvait parfois des principes trop libé- raux, e| quand on représenta le Brutusûe Voltaire, ces vers » Arrêter un Romain sur de simples soupçons, C'est agir en tyrans , nous qui |es punissons , furent modifiés ainsi par la censure républicaine : Arrêter un Romain sur un simple soupçon « Ne peut être permis qu'en révolution. (I) Le principal mérite dans cette recherche consciencieuse i^pparlient aux Allemands, d^ poussés dans cette voie par L^ibnilz, le premier aussi qui s'iivisa d'étudier IMiistûire dans les langues. ^4 INTIODOCTION. teurs ou ignoranis> et la question^ devenue historique, aida par d'éclatantes révélations la cause de la vérité et de la vertu. Alors les politiques virent quMIs ne pouvaient se passer de revenir sur ses institutions , s'ils voulaient connaître la voie dans la- quelle ils avaient à pousser les générations; les artistes recon- nurent que le beau pouvait emprunter d^autres formes que celles de l'idéal antique ; les savants rendirent justice à un temps qui dota l'Europe de Palgèbre^ des cbif&es arabes^ de la bous- / sole, de la poudre à canon ^ de l'imprimerie ^ et dans le cours duquel les esclaves se changèrent en serfs^ les serfs en colons ^ et ceux-ci en peuple. Et nous^ nés du peuple^ ce sont d'autres sympathies que nous {qpportons dans l'étude de l'histoire : nous avons moins d'admi- ration pour les événements éclatants que pour ceux qui sont utiles : nous portons notre intérêt sur les opprimés ; nous les voyons creuser les temples souterrains de Wnde et élever les pyramides de l'Egypte ; payer de leurs sueurs les édifices de Périclès , et de leur sang la victoire de Salamine ; combattre durant des siècles contre les patriciens y pour participer dans Rome aux droits de l'humanité, et les acquérir lorsque périssait le nom de liberté ; embrasser les autels et implorer la bénédic- tion des prêtres au milieu des hurlements des barbares; s'exal- ter dans les croisades, et s'organiser lentement en communes; exprimer enfin leurs vœux au milieu des disputes théologiques, et faire entendre avec persistance le cri de l'émancipation. phiiMophie En méditant sur chaque pas fait par Thumanité, notre esprit rhisioire. croit y apercevoir l'unité et l'accord; il pense pouvoir donner l'explication des faits par les idées qu'ils représentent, et dé- couvrir le sphinx immobile au milieu des sables mouvants du désert. Rapprochant alors du passé les choses présentes comme les effets de la cause, comme la fin des moyens, il transporte dans l'ordre éternel les lois qui gouvernent le monde moral. De là prend naissance la philosophie de l'hiàtoire, science ignorée des anciens. Ils avaient trop peu de ruines sous lés yeux; et de même que le premier observateur de l'homme ne pouvait acquérir de notions précises sur la vie et sur la mort, il ne leur était pas donné de connaître si tous les empires avaient leur enfance, leur jeunesse , leur vieillesse et leur décrépitude. Ajoutons que, confiant dans le présent, et chacun se faisant centre et circonférence, ils ne recherchaient rien au delà de la loi nationale et contemporaine. C'est l'égoïsme en effet qui IHTBODUCITION. 25 peint avec Hérodote, inédite avec Thucydide, raconte av^c César, compile avec Diodore : l'histoire expose les événements développés dans une politicpie phis ou moins étroite, dans rintérét d'une ville, d'un empire, d'une ambition, sans jamais s'occuper de l'humanité; elle considère les Grecs et les Romains comme des peuples privilégiés, les autres comme des barbares ou des esclaves. Le christianisme releva l'histoire et la rendit universelle, du moment où, proclamant l'unité de Dieu, il proclama celle du genre humain : en nous apprenant à invoquer notre Père, il nous enseigna à nous regarder tous comme des frères. Alors seulement put naître l'idée d'un accord entre tous les temps et toutes les nations, ainsi que l'observation philosophique et religieuse des progrès perpétuels et ihdéfmis de l'humanité vers le grand œuvre de la régénération et le règne de Dieu. Saint Augustin, Ëusèbe, Sulpice-Sévère, et quelques autres au déclin de l'empire romain, envisagèrent l'histoire sous ce point de vue. Le moyen âge, plus occupé de préparer l'avenir que de méditer sur le passé, laissa leur voix se perdre dans L'oubli,^ jusqu'à ce que Bossuet s'inspirât d'elle dans son sublime Discours, qui réunit l'observation des modernes à l'exposition des anciens, et dans lequel une érudition vigoureuse se pare d 'un style inimitable. Ck>ntemplant le monde des hauteurs du Sinaï, tandis qu'il intime aux puissants des vérités dures et inaccoutumées, pui- sées au livre infaillible, tandis qu'il va proclamant la vanité de toutes les choses humaines , il contemple le convoi funèbre des peuples et des rois qui passent de la vie à ta mort, dirigés par le doigt du Seigneur, comme si les nations n'étaient des- tinées qu'à faire cortège au Messie, attendu ou domié. Si l'idée de placer tous les peuples sous la conduite de Dieu est due à Bossuet, c'est à Vico que l'on doit' celle de la Provi- dence, celle d'une loi sage se manifestant au milieu des erreurs et des iniquités. Partant d'une théorie métaphysique sur la justice, dont il trouve les principes dans la nature spirituelle de l'homme et dont il suit les applications dans le droit histori- que, il croit que les faits se développent dans des rapports plus ou mouis directs avec une loi à laquelle est subordonné le monde des nations. Après avoir éclairé l'histoire de la législa- tion romaine, en généralisant l'hypothèse, dans ia Science ncm- velle, il indique comment les hommes s'élèvent de l'état de S9 IMTAQPUCVlOil. pâture h l'asaociation civile^ commpîit les ari^toomtias se plieiit aux gouvernements humains^ ainsi qu'il les appaUe^ pour re* toniber ensuite dans la brutalité originaire ; ear les ftg^s dldo- latrie^ de barbarie^ de législation^ ou autrement^ les temps my*- thiques^ héroïques et historiques^ tracent un œrele fatal que las nations parcourent inévitablement, Yico devança son siècle; grâce à une admirable force d'intuition , il interrogea sur les temps primitifs les fables et las traditions poétique»^ las récits détachés^ les traces consarvées par le langage; mais, en recher- chant' les principes du nionde des nations dans la nature 4e noire esprit et davsi la force de notre intelligence, il subor- donne rérudition à la méditation ; il ne sait pas biaiser avec la difficulté , et il force Thistoire à parler selon son système ; il restreint les faits aux proportions de ^m caractère poétique et de son idéal romain. Tous les efforts donc qui poussent le mcmde yers le mieuît; ne pourront , hélas l réussir qu'au pire et à la destruction ; de sorte que l'humanité serait contrainte de re- commencer toujours cette tâche fatale et inconsolée. Il ne sup- posa paspiême, comme Machiavel, que le génie de Thomnoe puisse, en ramenant les institutions à leur origine , empedier cat étemel trajet de la vie à la mort. Bien plus ; après que Giordano Bruno eut, en 1584, soutenu la pluralité das mondes; que Galilée, Descartes, Newton, Huyghens, eurent révélé Tor- dre dep cieux, Vicq appelle absurde Teidstenca de plusieurs mondes > et soutient que, quand il existeraient j ils devraient subir la méma loi providentielle que le nôtre. A part la reproche d'avoir négligé tout le monde oriental, on ne saurait lui pardonner d'avoir laissé &ans explication, dans le nôtre, de3 événements çapitauxt la destruction da Tidol&trie, de l'esclavage t des castes , la prééminence donnée aux droits de Thonwa sur ceu3^ du citoyen. Vint ansuite la société améri- caine, avec une civilisation sans dieux> ni héros, ni faudataires, ^e constituant à force d'industrie et de concurrapce, Elle donna un démenti à Vico, pour qui tout progrès sa réduisait à une ré- surrection de la Grèce et de Home; at par elle s'accrut la aon^ fiance qu^i'homn^ n'est pas destiné ^ traverser les superstitions et les atrocités pour arriver à rintelligenae et à la justice, Yico, si supérieur à son ^ècle , dont il ne fut ni compris ni même écouté, reprit cirédit dans le nôtre, mais ça fut quand le progrès eut franchd le cercle qu'il lui avait tracé j en sorte qu'il ne^ lui reste plus rien à prédire, ^Q œuvre demeure cependant parmi INTBODUCTtON. 27 le petit nombre de livres originaux qui émeuvent jusqu'au fond de Tâme et donnent l'impulsion à la pensée. Toutes le» théories modernes s'y rattachent; car, avant Beaufort^ il relégua au rang des mythes Phistoire des premiers temps de Rome; avant Wolf, il se douta que V Iliade était l'ouvrage d'un peuple, et la der- nière expression érudite après des siècles de poésie inspirée; avant Creuzer et Gôrres, il découvrit des idées et des symboles dans les images des dieux et des héros, et appela Fattention sur le caractère austère et religieux du berceau des nations; avant que Niebuhr y parvint piu* l'érudition , il trouva par Tins- piration du génie le véritable mot de la lutte entre les patriciens et les plébéiens, celui des familles et des curies (génies et ouriœ) ; avant Gans et Montesquieu , il démontra l'intime relation du droit avec les mœurs, et comment les gouvernements se plient à la nature des gouvernés. Mais si Montesquieu, génie emprisonné dans son siècle, avait connu la Science nouvelle , déjà publiée lorsqu'il parcourait l'Italie, peut^tre aurait-il rallié à un principe supérieur les ob- servations de détail avec lesquelles il traça aussi une histoire de l'humanité, en attribuant les institutions et la manière d'être des peuples aux législateurs , aux philosophes , aux intrigants et , faute d'autre cause, au climat, dont il fit une barrière au pro^ grès, une entrave au libre arbitre. Tandis que Bossuet se fondait sur la foi et sur la menace , Voltaire portait la critique et la moquerie sur les questions les plus importantes, qu'il prétendit résoudre par une série de plai- santeries intitulée philosophie de l'histoire. Rien ne montre mieux à quelles extravagances est forcé de croire celui qui ne veut croire à rien. Kant, modifiant la pure raison et l'étude de Phomme pris abstractivement, par celle de l'homme concret, excita parmi les Allemands le goût de Phistoire. Il fit entrevoir la possibilité d'en écrire une générde, dans laquelle l'espèce humaine serait con- sidérée comme l'accomplissement d^un dessein mystérieux de la nature , tendant à perfectionner une constitution intérieure vers laquelle sont dirigées les lois des États, conformément aux dispositions que la nature a imprimées à l'homme. Cette unité de but dans le mouvement des sociétés avait été déjà indiquée; mais il l'exprima plus clairement en la distin^ guant de l'harmonie de la création , et il fonda une école de penseurs appliquée à observer de quelle manière les individus SB INTRODUCTipN. et la sociélé coopèrent au perfectionnement de lliumanité. Herder^ souvent obscur > toujours déclamateur^ exagérant rinfluence du climat , indiquée par Hippocrate dés centaines d'années avant Bodin et Montesquieu^ pétrifie Tbistoire tout en prétendant lui imprimer le mouvement. Il fait du monde la re- présentation de je ne sais quel dieu-nature : les êtres s'élèvent en série progressive du minéral et de la plante jusqu'à Tbomme ; toutes les forces de la nature existent depuis Tétemité^ et dans leur ensemble Dieu réside : de même que de leurs combinaisons naissent tous les êtres^ de leur balancement harmonique naît le mouvement universel : par elles ^ Thomme agit sur le monde extérieur, et celui-ci sur lui; de sorte que les mœurs, les lois, la liberté, varient selon le degré de latitude ; et, pour le sys- tème de Tunivers, surgit à époque fixe telle ou telle forme de gou- vernement et d'améliorations. Mais s'agit-il de rendre raison du langage? le secours de la nature lui échappe, et il est contraint de se réfugier dans la tradition. Boulanger, scrutant rhistdre primitive , fait enfanter la so- ciété par l'effroi, comme Vico. Les dieux dominèrent d'abord, puis les héros divinisés; les républiques se constituèrent ensuite. La théocratie renaquit dans le moyen âge ; puis la société s a- chemina de nouveau vers les monarchies tempérées, dernier terme du progrès. Turgot affirme que, tandis que les animaux et les plantes se reproduisent avec une inaltérable uniformité, les hommes vont s'améliorant en savoir et en moralité : de chasseurs pasteurs^ puis agriculteurs : le christianisme fut Un progrès , continué dans le moyen âge. Ici se montre déjà clairement l'idée de la marche toujours progressive de l'humanité, considérée comme un être unique. Cest l'idée proclamée indéfiniment par Gondorcet, créature de Y Encyclopédie , qui ne voyait toutefois d'améliorations que dans ce qui était alors effectué par la révolution, n esquissa une dixième époque, qu'il se plut à embellir de tous les perfection- nements de l'homme et de la société, perfectionnements tou- jours dirigés pourtant vers le bien-être individuel. Pour de Maistre, le monde n'est qu'un immense autel où toute chose doit être immolée en expiation perpétuelle du mal causé par la liberté de l'homme. Pour Ballanche aussi, ce monde est une cité d'expiation où se développent les deux dogmes gé- nérateurs, de la chute et de la réhabilitation ; tandis que Miche- INTBODUCTIOn. 29 let, à la suite de Schelling, y voit un combat incessant de la li- berté contre la fatalité. Cousin professe que toute époque se constitue de Tun des éléments de la raison humaine^ Tinfini, le fini, le rapport, et qu'un pays, un peuple, un génie, ne grandit qu'autant quil sert fatalement à Tun de ces éléments. Le génie, pour lui, ne serait tel qu'à raison de ce qu'il est l'expression de la généralité d'un peuple ; tout peuple, tout lieu, toute révolu- tion, représenterait Fun des termes du développement néces- saire ; et le triomphe sanctionnerait toujours la cause la meil- leure. En tête de l'école philosophique-historique allemande, Hegel prétend que l'âme du monde se manifeste à l'homme sous quatre aspects : substantiel, identique, immobile en Orient; individuel, varié, actif en Grèce ; à Rome, composé des deux premiers en lutte perpétuelle entre eux; et c'est de cette lutte qu'il fait sortir le quatrième pour accorder ce qui était divisé, phénomène offert par les nations germaniques. Pour lui, la religion n'est pas seulement une impulsion du sentiment, un éclair de l'ima- gination, mais le résultat complet de toutes les facultés du genre humain. En Orient, l'homme s'anéantit dans l'idée de l'Être in* fini ; de là la puissance théocratique ; en Grèce, l'infini disparait pour faire place à l'immense activité humaine, qui devient pré- dominante à Rome, et enfante une personnalité égoïste ; puis, chez les nations germaniques, l'unité divine se réconcilie avec la nature humaine, et la liberté, la vérité, la moralité y prennent naissance. D'autres aussi s'appuient sur la religion. Daumer, après Les- sing, croit que toutes les religions précédentes ne furent que des révélations successives de la plus haute raison humaine , un acheminement vers une religion absolue. Les saint-simoniens, portant leur attention sur le peuple qui travaille et qui a faim, qui obéit et souffre, pensent cpie tout effort humain doit tendre à l'unité de sentiment, de doctrine, d'activité; à l'asso- ciation religieuse, scientifique, industrielle, dans laquelle sera assigné à chacun un travail selon sa capacité et une rétribution selon ses œuvres. Mariant cette doctrine à celle de Herder , avec une érudition plus positive. Bûchez analyse l'idée du progrès de manière à en fonder la science sur des bases métaphysiques : il présente la théorie complète de l'activité sentimentale , scientifique et 80 IHTBODUCTiad. historique^ et appelle toute la nature^ (Faccord avec l'buinanité> à opérer le perfectionuement (1). D'autres déduisirent de la même école sain1>-8imoniemie une théorie panthéiste^ pour laquelle la nature et l'histoire sont des manifestations du grand tout^ appelé Dieu; manifestations dans lesquelles tout est nécessaire^ comme conséquence inévitable des phénomènes précédents^ et cause infaillible des subsé- quents (S)* Appuyé sur les doctrines catholiques^ Frédéric Sohlegel veut qu'avec la parole, attribut distinctif de l'humanité, aient été ré- vélées à riionune les vérités cardinales , tant religieuses que morales et sociales. La parole fut d'abord altérée chez l'indivi- du, puis chez toute la race; or, tandis que la philosophie pure doit la réintégrer dans la conscience, la philosophie de l'histoire doit opérer cette même restauration dans l'espèce et en indi^ quer la marche. Au flambeau de son expérience, on distingue ccHument luttent et se combinent dans tous les événements quatre actions différentes, la force matérielle, le libre arbitre, le mau- vais principe, et la volonté divine, principe de salut : ,de là les diverses phaies de la parole, de la force, de la lumière, et, ptAe divin au milieu des temps, la rédemption. C'est ainsi que l'histoire naquit du désir, inné dans l'homme, de connaître les actions de ses semblables. Elle devint ensuite un exercice d'art, puis une école d'expérience, puis une lice pour le combat, enfin science de l'humanité, dont la mission est d'assigner aux événements leurs causes éloignées et conver- gentes; de même que l'observateur découvre dans la profon- deur des cieux la force qui émeut le fond des mers par le flux et le reflux. Tant que la pliiiosophie de l'histoire repose sur les faits, et se contente de les vérifier, de les exposer, d'enchaîner des frag- ments épars, de résumer tout le savoir historique, elle élève les esprits plus que ne le fit jamais la science antique; franclût- elie ces limites? elle dégénère en systèmes capricieusement adoptés et soutenus par une série indéterminée d'observations sur les événements. Mais ces systèmes peuventnls rester debout en présence de (1) Introduction à la science de V histoire. (2) Voir V Encyclopédie nouvelle. Le travail de M. ClieTalier en tête de ses Lettres sur PAmériqm est extrémemeBt rettiarc|fial)le. INTBODUCTIOIf. SI la totalité des faits? le ndonde qui passe est-il véritablemeiil Teiiveloppe d'un autre monde qui se perpétue? Oui, certainement, Thommé, h son insu, accomplit sur la terre l'œuvre de Dieu; et la Providence, qui traça aux planètes des orbites infranchissables , n'a pu abandonner l'espèce hu- maine à un arbitraire aveugle; elle la guide, au contraire, à l'aide d'un fil mystérieux , où s'allient, sans se contrarier, la liberté et la prescience. Mais le principe rationnel de la créa** tion, mais le but de la vie de Thumanité, peut-il être saisi par rhonmie? peut-il s'appliquer à la manifestation des faits? Ce ne sont pas, à coup sûr, les théories débitées avec le plus de hardiesse qui s'y appliquent : il suffit de les mettre à l'é^ preuve pour les reconnidtre chimériques ou du moins insuffla santés. En effet, qui pourrait nous apprendre comment partici- pèrent aux événements les plus éclatants de notre civilisation, soit les Chinois, société patriarcale, immobile sur la base primi- tive de la piété domestique; soit les Indiens, qui, circonscrits en castes perpétuées par la fausse interprétation des traditions religieuses, semblent avoir jeté l'ancre sur la mer des âges; soit toutes ces populations, non moins nombreuses que les nôtres, qui, derrière des fleuves immenses et des montagnes gigantesques, avancent dans la voie de la civilisation, mais d'un mouvement si lent, quil est à celui des Européens comme la précession des équinoxes à la révolution annuelle? Et cepen- dant à cette civilisation si imparfaite nous sommes redevables d'inventions capitales, la boussole, l'imprimerie, la poudre à canon, le papier-monnaie, les chiffres de numération , l'art de maintenir durant tant de siècles sous une même loi une popu- lation plus considérable que celle de l'Europe entière. Un jour \iendra où ces peuples se mêleront avec nous pour remplir la promesse évangélique (l);et alors peut-être appa- raîtra dans leur marche un ordre providentiel conforme au nôtre. En attendant, il ne faut pas que les naufrages signalés dans la philosophie de l'histoire nous fassent perdre courage, et nous détournent de livrer de nouveau notre voile au venté Beaucoup avaient péri avant que Colomb, grâce à un sublime mécompte, abordât le nouveau monde; et les tombes de La- peyrouse et de Mungo-Park servirent de phare à ceux qui che- minèrent sur leurs traces. Mais si jamais on arrive à prescrfce (1) Fiet unum ovile et unus pastor. 32 INTIODUCTIOKI. une règle aux progrès , eDe ne pourra reposer que sur la con- naissance de ceux qui déjà ont été accomplis : d'où ressort rimportance des recherches historiques^ d'autant plus qu'ayant cessé d'être individuelles^ elles s'étendent au monde entier, conune une vaste épopée dans laquelle chaque nation réalise une pensée de Dieu dans l'intérêt du genre humain. La philoso- phie de Phistcrire ne doit donc point s'arroger le droit de pres- crire la formule du progrès, mais il faut qu'elle l'enregistre, en observant les circonstances qui dominent dans ce sublime voyage de la civilisation d'Orient en Occident. Voye3&-la s'avancer du cœur de l'Asie vers l'Atlanticpie, con- quérir et faire halte. A chaque temps d'arrêt, elle a adopté des croyances nouvelles, des mœurs, des lois, des usages et im langage nouveaux ; les questions capitales des rapports entre l'homme. Dieu et ^univers, de la hiérarchie pplitique, sociale et domestique, sont remises en débat. Elles sont résolues et acceptées; mais dans l'âge suivant, la civilisation reprend sa marche, et va les agiter de nouveau, pour en chercher une solution nouvelle. Dans sa route, elle est détournée par le dioc des deux races de Sem et de Japbet, Tune venant du septen- trion, et l'autre du midi. Toutes deux se rencontrent sur le même terrain, se heurtent, puis se mêlent et se modifient; et à chaque nouvelle période, elles se retrempent à leur source primitive. Tantôt ce sont les fils de Sem qui répandent les arts de Fesprit et du luxe; tantôt ceux de Japhet qui font irruption dans les tentes des Sémites (1), et leur mâle et indomptable vi- gueur apporte une nouvelle énergie aux méridionaux dégénérés. C'est sur une ligne opposée que s^avance la civiUsation de l'extrême Orient, partant de même des plateaux de l'Asie cen- trale, pour se diriger lentement à rencontre du soleil. Comme la nôtre, elle est modifiée par le mélange des hommes septen^ trionaux et des méridionaux ; car le Nord, qui nous envoya les Pélasges, les Scythes, les Celtes, les Thraces, les Slaves, y diri- gea des flots de Young-nu, de Mongols et de Mantchoux qui , parfois, firent retentir jusqu'aux rives du Danube leurs sauvages hourras (â). Attachons-nous à suivre cette marche imposante, et qu^elle soit pour nous l'occasion d'embrasser dans son ensemble le (1) înhabitei Japhet in tabernacuUs Sem. Genèee. (2) Avec Geugis-Kan. « IlNTBOUtlCTlON. 33 spectacle que nous nous proposons de développer dans cette Histoire universelle : heureux si nous savons faire notre profit des conquêtes et des erreurs de nos devanciers. Ce pays, paré de toutes les beautés, qui s'étend entre le golfe \^ é^^ ; Persique , T Arabie , la mer Caspienne et la Méditerranée, posi- tion centrale entre l'extrémité du Bengale et l'Ecosse, entre TEspagne et la Chine, est le foyer de la civilisation. L'homme y naît dans la parfaite harmonie de ses facultés, doté par Dieu de tout ce qui peut contribuer à son développement moral, physi- que et intellectuel. Nous dirons avec Vico (1) que, désespérant de retrouver le principe commun de l'humanité dans les annales des Romains, trop récentes eu égard à l'antiquité du monde; dans celles des Grecs , dictées par l'orgueil ; dans celles des Égyptiens, mutilées comme leurs pyramides; non plus que dans les ténébreuses traditions de l'Orient , nous irons le demander au début de Thistoire sainte, à la Genèse, dont chaque science confirme , par ses progrès , les enseignements. Uunité est brisée par Torgueil; et Pharmonie entre les facul- ii« époque; tés intérieures une fois détruites par le péché, les facultés exté- iio\îuxoîyra. rieures , telles que le langage et les traditions , s'égarent égale- ment. Le Paropamise et le Caucase déterminent deux courants de populations, Tun se dirigeant vers TOrient, Fautre vers le couchant; et si vous interrogez sur Phistoire la plus reculée les mythes, les étymologies, les traditions, les idiomes, tous d'un commun accord vous signalent PAsie centrale comme le ber- ceau des nations* Mais tandis que tout nous atteste la jeunesse de la société , loin d^y rencontrer Pétat sauvage d*où l'homme se serait élevé peu à peu jusquli devenir le roi de la nature , nous rencontrons déjà dans ces temps primitifs quatre gi^ands empires : Passyrien, Pégyptien, le chinois, Pindien. Ces deux derniers enfantent la civilisation du Thibet et du Japon , étran- gère à celle de PEurope. LTÉgypte, en rapport par le commerce ou par les armes avec la Perse, les Babyloniens, les Arabes, les Phéniciens, les Hébreux, devient, non la source, mais le canal par lequel les sciences, les lettres, les arts, le culte, se propagent chez les trois nations occidentales, étrusco-pélasgienne, grecque et romaine , héritière des empires primitifs. Les deux civilisations s'entre-choquont d'abord lorsque les Deucaîions de PAsie et de l'Afrique métamorphosent en hommes (1) Sdenza nuova, i, 7. T. I. 5 34 irsTBODUCTiorv. les pierres de la Grèce et de l'Asie Mineure» Quinze cents ans avant J. C, toute chose est orientale^ telle que Tont transplan- tée les colonies égyptiennes^ arabes, phéniciennes, personnifiées dans les types d'Ogygès, de Cécrops , de Pélops et de Cadmus. Mais Proniéthée, fils de Japet, ou la race hellénique descendue du Nord , anime ces êtres dégrossis , auxquels elle donne une autre vie, jusqu'à ce qu'elle demeure subjuguée à son tour par les mœurs de TOrient ; et les monarchies sont partout établies. Toutefois les Héraclides ne tardent pas à survenir avec la race septentrionale des Doriens; ils font prévaloir TOccident, rédui- sent à des aristocraties féodales les gouvernements, qui passent de l'immobilité asiatique à la variété , et ouvrent en réalité le monde occidental. L'enlèvement d'Europe , celui d'Hélène , les amours de Médée, la conquête de la toison d'or, sont les riantes fictions sous lesquelles les poètes voilent les inévitables corn-* bats de ces civilisations différentes. La conquête n'efface pas cette différence originaire , et la rivalité des Doriens et des Io- niens dure autant que la Grèce : on en voit les chances alter- natives dans la suprématie des Athéniens, de Cimon à Périclès, dans celle des Spartiates après la victoire d'^Egos-Potamos, dans celle des Thébains, née et morte avec Épaminondas, jusqu'à ce ce que la domination macédonienne vienne livrer le pays amolli et enchaîné à TOccident vainqueur dans la lutte. Durant ce temps, un peuple spécialement dirigé par Dieu conserve intacte la tradition primitive ; et tandis que chez les autres nations celle-ci s'altère à mesure qu'elle s'éloigne des sources, il main- tient et proclame le principe le plus sublime ; un Dieu seul qui créa Tunivers par un acte de sa libre volonté. iit« époque; Cc pcupIc a SOU histoirc ; tandis que l'histoire des autres 77«-S8S; desoiViupia- Qeuples OU sc tait, OU se nourrit des fictions qui valurent à cet des à Alexan* dre. âge le nom de fabuleux. C'est seulement au huitième siècle avant J. G. que les faits commencent à se classer par époques; et l'ère des olympiades (776) pour la Grèce, celle de la fonda- tion de leur cité (754) pour les Romains, de Nabonassar (747) pour les Babyloniens et les Égyptiens, annoncent qu'à la ifable succèdent les tempâ historiques , à l'âge des héros celui des hommes. Dans l'Orient la civilisation s'affermit , et la race des Perses descend des montagnes pour rajeunir les Mèdes amollis et fon- der un des plus vastes empires du monde. On dirait que cette monarchie s'irrite contre la petite Europe qui commence à con- IMTliODUCTiOIV. 36 quérir les sciçuces/les arts^ les lois, et que^ par dépita elle pré- cipite sur elle des torrents d'hommes réclamant la terre et l'eau. C'est le passé qui se déchaîne contre l'avenir; la race immobile contre la race progressive. De même qu'Homère avait chanté le premier duel de l'Asie avec FEurope , en faisant Jaillir de la barbarie la pitié et l'admiration ^ ainsi Hérodote, témoin de la guerre persique , nous la transmet dans un récit dramatique dont la rivalité de l'Orient et de l'Occident forme le nœud principal. A Marathon, à Salamine, à Platée, la supériorité de la civilisation européenne l'emporte sur la civilisation asiatique, et bientôt les peuples , restés d'abord isolés, se rapprochent et 3e connaissent mieux les uns les autres. L'esprit humain, dans le siècle qui s'écoula de Périclès à Alexandre , fait plus de che- min que ne lui en avaient fait faire durant une bien plus longue période ni l'imagination des Indiens, ni la profonde intelligence des Égyptiens, ni le froid raisonnement des Chinois, ni la ferme volonté des Israélites. £n racontant la guerre des Mèdes et celle du Péloponèse, le récit acquiert l'intérêt de l'épopée : comment pourrait-il en être autrement au milieu du vaste essor de la pensée et des beaux-arts , au milieu de ces caractè- res héroïques qui mettent de la grandeur jusque dans le crime, et qui se montrent à nous à travers le double prestige du loin- tain des âges et du style d'incomparables écrivains? Mais l'Orient, vaincu par les armes , triomphe par sa civilisa- tion. La Grèce se plie peu à peu aux usages de TAsie, et après la paix d'Antalcidas , le grand roi la remanie à son gré. Mais avant qu'elle se corrompe entièrement , s'élance du Nord une race nouvelle descendue des montagnes de la Macédoine; et Alexandre , par une sublime réaction , songe à placer la civili- sation grecque en tête de l'unité orientale. Seul, il réussît à implanter au cœur de l'Asie un État européen; il fonde entre elle et ^Afrique une cité qui donnera un nouveau centre au commerce du monde , et où le génie grec , devenu impuissant à créer , s'assiéra entre deux mondes , pour expliquer au nou- veau les mystères de ^a^cien. Alexandre, et plus encore ses successeurs, se laissent énerver par les vaincus , et deviennent des princes orientaux ; cepen- dant la civilisation marche à pas de géants vers l'Italie, dentelle fait la conquête. La variété, caractère que la Grèce apporte dans ses institutions, dansles arts, dans la science, tendà s'agglomérer autour de Rome 3. 36 INTfiODUCTION. qui, constituée d'éléments disparates, marche à la conquête de sa propre liberté et du territoire d'autmi : grande dans ses vic- toires, plus grande dans ses désastres , elle épie durant la paix l'occasion opportune pour s^assurer les chances de la guerre. Rome, plus jeune, cesse de rapporter son origine aux dieux, et se contente d'un héros pour fondateur. Son histoire est celle d'une cité pour qui la considère en petit ; en grand, <5'est l'his- toire de tout rhéroïsme antique, Tarène où combattent le fini contre f infini, la généralité abstraite contre l'individualité li- bre , les aristocraties représentant la stabilité asiatique contre les démocraties engendrées par le mouvement européen. Ce- lui-ci l'emporte, et Vâge humain de Vico, qui jamais ne se réa- lisa dans la Grèce, naît avec la liberté véritable dans Rome, qui, la première, cherche à réunir, à fonder, à organiser les nations, jusqu^alors réduites à des communautés particulières ou à des agglomérations forcées. IV* époque; Toutc l'attention se concentre désormais sur Rome, dont guerre» pâai- Fhistoirc Certaine, selon Tite-Live, ne commence qu'avec les guerres carthaginoises. Aussitôt qu'elle s'est avec peine assi- milé ses éléments primitifs, Rome s'élance comme un géant à la conquête de l'univers. Douée d'une persévérance merveil- leuse dans ses vastes desseins, elle se trouve en présence de nations qui se soutiennent par les lois de l'équilibre; incons- tantes dans leurs alliances, attentives seulement à croître et à empêcher les autres de grandir. Le résultat pouvait-il être dou- teux? Au moment où Rome déborde de l'Italie subjuguée, la race japétique rencontre en face d'elle les fils de Sem; la pre- mière, avec le génie de Théroïsme, des beaux-arts, de la légis- lation; les seconds, avec l'esprit d'industrie et de commerce. La race sémitique succombe quand Tyr cède à Alexandrie, sa rivale, lorsque Carthage est détruite par Rome; et c'est à peine si le souvenir de cette civilisation survit chez ceux qui en re- cueillent les fruits. Qui sait si la colonie d'Alger, naissante au- jourd'hui sur la plage voisine, ne pourra pas, assise au milieu des ruines de Carthage, en obtenir un jour les révélations que l'on a déjà arrachées à Babylone et à Memphis? C'est ainsi que Rome triomphe de l'Orient, avant même de s'aventurer à le combattre en Egypte, en Syrie, dans le Pont et en Arménie. Mais POrient, dans le même temps qu'il apporte à la cité conquérante ses industries et ses doctrines, la corrompt et la modifie. Tout en forgeant des chaînes au monde, Rome se INTBODUCTION. 37 montre magnanime ; elle triomphe des rois^ donne aux peuples la liberté^ distribue les provinces entre ses alliés y abattant les superbes et pardonnant à qui se soumet. Mais^ une fois qu^elle a passé en Asie^ elle abdique toute retenue ; elle croit la liberté des aubres une insulte pour sa grandeur; elle viole efirontément la justice : Persée^ chargé de fers , est donné en spectacle à la foule qui insulte aux misères royales ; Carthage est détruite avec iniquité; Numance mérite l'admiration de la postérité^ sans apai- ser le farouche vainqueur qui^ de Teffusion du sang ennemi, passe à Pefiusion du sang romain. Avant d'aborder Père nouvelle, npus reporterons nos regards sur un peuple oriental bien plus antique, qui, du Scen-si, va étendant pas à pas sa lente civilisation, et grandit tellement à part du reste du monde, qu^il a pu être négligé par Phistoire vivant de mouvement et de progrès. Mais, à cette époque, s'élève de son sein un de ces grands hommes qui, par la doctrine et les méditations, résument et incarnent la pensée du peuple, et hâtent les changements que Pépée ne réussirait pas à effectuer. En parlant des Chinois et de Ck)nfucius, nous aurons occasion de jeter un coup d'oeil rétrospectif sur le monde patriarcal que nous abandonnons, sur ces sociétés orientales, existant dans Pespace, non dans le temps; de les comparer avec les nôtres, qui, répu- diant le principe de la nécessité, se séparèrent de Punité établie et universelle, pour se lancer vers le progrès libre et varié ; dan» lesquelles enfin le droit se détache de la religion et de l'État, pour devenir individuel et efficace. Qu'on ne s'étonne pas si l'Orient prévaut par moments, vu le v« époH»; nombre immensément plus grand des peuples encore façonnés iSff»? avant aux mœurs asiatiques. La civilisation européenne se bornait à j.' c."^ **" la Grèce et à PItalie, et encore ces deux contrées tenaient-elleç de PAsie Pesclavage, l'assujettissement de la femme, les cultes, souvent le luxe et le despotisme. Elles s'acheminaient cepen- dant à pas tardifs, mais assurés, vers une condition meilleure. La victoire faisait d'abord les esclaves et les maîtres, puis l'inté- rêt ou les transactions formèrent la plèbe, sans existence ni ci- vile, ni politique, ni religieuse; existence qu'elle ne peut acqué- rir que sous la sanction du patricien, en qui le droit de la forée est à peine réfréné par les solennités légales. Mais la cité plé- béienne s'élève à côté de la cité aristocratique de Romulus, contrainte de s'attacher rigoureusement à la lettre de la loi. Cette légalité rigide, Péloquence la combattra, les privilèges 38 iutboduction. rèluderont, lefs fictions rituelles la tromperont; puis, par la voix des Qracques, le peuple réclamera le droit de posséder est de voter, et, de défaites en défaites, il marchera vers le triomphe. Les deux caractères oriental et occidental du patriciat et du plébéianisme, amalgamés dans Rome, lui impriment une double nature. Tune c(ui veut conserver, Fautre qui demande des inno- vations. Elle adopte toutes les idées, mais après une vive résis- tance ; elle grandit, mais en acquérant de nouvelles forces ; elle change de gouvernement, mais en se fondant toujours sur les mêmes principes, ceux qui avaient servi de base à la société hu- maine; et, comme elle forma jadis la cité en amalgamant en- semble patriciens et plébéiens, elle fonde Pempire en amalga- mant des peuples divers, qu^elle rend sujets d'abord, et qu'après la guerre sociale elle fait Romains. Voilà pourquoi ses con- quêtes ne sauraient lui échapper : elle subjugue, elle civilise, elle assimile; et, dans Fordre des faits, elle obtient un empire chaque jour plus étendu et plus durable, tandis que, dans l'ordre des idées, elle acquiert la jurisprudence la plus savante. Les es- claves ont fait d'abord retentir un cri d'émancipation; les vain- cus, qui ont rempli en Italie les vides laissés par les indigènes détruits dans la conquête, réclament des droits. Le sang des Gracques engendre Marins, qui aplanit la voie à César, précur- seur d'Auguste. Au milieu des guerres intestines, la civilisation s'avance, en suivant la marche du soleil, jusqu'aux rives de l'Océan ; et les descendants des Gaulois et des Germains, conquis à la vie ci- vile, sont disposés à pardonner aux Romains d'avoir massacré leurs ancêtres. D'autre part , l'Europe règtie en Egypte, com- bat en Perse, subjugue la patrie de Masinissa, et augmente le nrnnbre des nations associées à sa civilisation , au point de pou- voir désormais combattre l'Orient à forces égales. C'est à Actium qu'elle se trouve face à face avec le monde oriental , et la fuite de la reine d'Egypte assure la prédominance de l'Europe. Et cependant l'Orient trioniphe dans la profonde corruption de la nouvelle Babylone. Car, tandis que le glaive aide à la fraternisation des peuples, tandis que les formes exté- rieures de la Cité, Tindustrie, le commerce, les arts, les lois, l'administration, s'améliorent , la blessure que la superstition ou la philosophie Qntpottée au cœur et à l'intelligence du monde antique grandit et s'ulcère. Les principes essentiels à la rUTBODOCTIOrf. S9 vîc sociale, foi, conscience, liberté, sont rongés: les lois pro- tègent les esclaves, et l'esclavage ne fut jamais si étendu ni si impitoyable : Paul Emile vend en Épire 150,G00 habitants de soixante-dix cités détruites, pour en distribuer le prix à ses sol- dats; César remercie les dieux de ce qu'il a exterminé les Gau- lois, vendu à Fencan 53,000 habitants de Namur, tué dans Ava- ricum 40,000 citoyens désarmés. Ce n'est pas seulement pour assouvir sa faim ou dans l'enivrement de la vengeance qu'on massacre les hommes, mais aussi pour amuser dans les cirques la foule qui s'y presse. Sur Fautcl de la patrie, érigée en di^i* nité inexorable, on immole l'indépendance des nations; le monde est considéré comme une mine d'or ou comme un mar- ché d'esclaves; la parole de la république est sacrée, non parce qu'elle est juste, mais parce qu'elle est dite, et la légalité tient lieu de justice; elle sert même à couvrir les iniquités extérieu- res. Aussi, le monde étant réduit à la seule politique, U ne reste de lien possible que la force, inciipable de maintenir longue- ment l'harmonie. La sagesse païenne ne sait que plaindre cette race, pire que la précédente, et en prévoir une plus perverse encore (1). Auguste sait se prévaloir de ce respect envers la légalité pour masquer l'usurpation. Il absorbe les pouvoirs que le peupleavait acquis par de longs efforts , et parvient ainsi à substituer au despotisme de la république celui de la monarchie. Il résout la grande question débattue entre nobles et plébéiens, entre pa- triciens et chevaliers ; et en proscrivant ^aristocratie, en intro- duisant l'égalité dans le droit civil, il fait tomber en désuétude les lois des Douze Tables; il nivelle tous les membres de l'em- pire ; il appelle les muses à couvrir de lauriers les fers imposés à la cité-reine, et, insultant au monde subjugué, il lui crie :La paix! Non, ce n'est pas des hauteurs fastueuses du Palatin, ni du vi« époque: seuil du temple clos, de Janus que la paix doit sourire au monde, t cônstanuu! c'est d'une chaumière de la Galilée. De là sort la bonne nou- velle qui proclame le Dieu unique, la fraternité, l'égalité des (1) ^tMparentum,pejoravis,1ulit. Ifos nequiores, mim daiuroi Progeniem vitiosiorem. Horace, III, 0. C'est le seatimeot qui prédomine cliez les écrivains de ce siècle. 40 lOCTBODUCTION. homnies> et un règne de vertu ^ de vérité ^ de justice^ que les nations^ mises c(ès ce moment sur la vraie et infaillible voie du progrès morale s'acheminent à réaliser. Les conquêtes de Pbu- manité s'étaient bornées jusqu'alors au mariage légitime , aux libertés civiles et politiques, à l'égalité devant la loi, et celle-ci encore au profit de la seule race dominatrice. Désormais Vur nité de Dieu enseigne l'unité du genre humain. Linnocence e$t imposée^ non-seulement dans les œuvres, mais encore dans la pensée affranchie. L'unique moyen de puissance et de gloire jusqu'alors^ ce fut la guerre; l'unique but des héros^ la con- quête : la servitude était déclarée un fait nécessaire, équitable^ naturel^ et Fesclave condamné^ non pas seulement à toutes les misères^ mais à l'abrutissement intellectuel et moral , restait sans existence religieuse, sans affections, sans descendance lé- gitime. A cette beure^ la charité^ parole nouvelle^ allège ses chaînés en attendant qu'elle parvienne à les briser; la paix wii- verselle est proclamée; les privilèges de naissance et de con- quête sont effacés. Ce n'est pas seulement l'horreur du sang qui est dans les cœurs^ c'est encore celle de la lutte. On voit apparaître le modèle d'une société fondée sur la combinaison des forces pacifiques d'un pouvoir tout spirituel, opposé aux excès du pouvoir armé^ le modèle d'une fraternité de nations qui, au lieu de s'entre^étruire, se rapprocheront pour se per- fectionner réciproquement. Qui donc a opéré ce prodige? Un artisan de Galilée. C'était encore une doctrine venue de l'Asie qui devait, non subjuguer, mais convertir l'Europe, associer la vérité politique à la vérité religieuse, et, opposant la conscience aux idoles, la résignation aux tyrans, réintégrer le genre humain dans sa dignité, sous un seul Dieu. A côté de la puissance du glaive se dresse celle des idées, qui, indépendante de sa rivale, soutient le progrès dans ses luttes contre cette même puissance du glaive pour empêcher qu'il ne chancelle : alors un nouvel élément entre dans le récit, rhistoire de l'Église. L'Église, représentant le peuple et admet- tant à l'émancipation tous les infortunés, tous ceux qui souf- frent par la conquête et par la force, ne détruit pas du premier coup la servitude, les violences légales, les glorieuses rapines, mais elle leur oppose une doctrine qui les réprouve et un Dieu qui les condamne. Bientôt Néron et Domitien se trouvent face à face avec Pierre et Lin : les premiers, maîtres armés du monde, ayant pour eux IlfTlODUCTIOX. 41 la légalité^ û différente de la justice, représentants du monde ancien qui^ dans les cirques encombrés, crie : Le* Chrétiens aux lions ! les seconds^ pauvres^ faibles^ méconnus^ calomniés^ propageant le règne de Dieu parrautoritéj'instruction^ les cé- rémonies^ Texemple, et enseignant à rendre à César ce qui est à César; mais rien de plus; mais non le culte de Tempereur^ non le sacrifice des sentiments et des convictions. Ne vous sentez-vous pas sur un autre théâtre? Ne vous aper- cevez-vous pas que la civilisation occidentale prend un essor plus assuré ? Mais les accidents extérieurs empêchent ou retar- dent le triomphe. L'adoration que l'on prétait à VÉtat se con- centre maintenant sur les empereurs^ protégés par la religion conmie par la loi. Tantôt c'est FOccident qui prévaut avec Tra- jan et Marc-Aurèle^ tantôt c'est l'Asie qui revit avec Commode et Héliogabale. Le stoïcisme s'ingénie poiu* arracher la domi- nation à la force brutale; mais le troupeau d'Ëpicure se résigne à des souffrances avilissantes qui ne troublent pas ses jouis- sances brutales ou sa savante corruption. Les théurgies vien- nent repaître les croyances chancelantes^ tandis qu'une révo- lution qui apaise la pensée, parce que son origine est supérieure^ qui donne vigueur aux lois, parce qu'elle établit un pouvoir in- faillible, tend à Tuniversalité de la morale, et enseigne à tous ce qu'il importe de connaître, d'aimer, de pratiquer, non-seu- lement dans la société, mais aussi dans la conscience indivi- duelle. La translation du siège de saint Pierre de Jérusalem à Antioche, puis à Rome, accroît l'influence de l'Occident, tan- dis que le trône impérial installé à Constantinople rajeunit l'é- lément oriental. Le luxe et la mollesse énervent les Césars dé- générés, qui déposent le glaive défenseur pour disputer sur la théologie. Et cependant des princes souillés d'iniquités promul- guent des règles d'une justice parfaite. Les empereurs, pour se débarrasser de la noblesse, s'appliquent à faire jM^évaloir les droits de la nature: ils favorisent les émancipations, le pécule du fils de famille, les dernières volontés; ils amplifient les ef- fets et restreignent les solennités de l'affranchissement; ils .éten- dent enfin le droit de bourgeoisie, jusqu'à ce qu'à l'époque de Constantin, l'équité l'emporte tout à fait en abrogeant les formules, dernier débris cyclopéen, et en étendant l'émanci- pation des provinces au monde entier. Rome se trompait en se flattant que ses aigles tenaient l'u- vifépoqae, nivers dans leurs serres. Si elle ne put entendre le mouvement de^nlSntia '^ à AHgoAlttle. 45 INTMmiCTIOW. silencieux et uniforme de Tlnde et de la Chine, destinées à lui survivre, si elle crut PAsie et PAfrique domptées, après avoir traîné chargés de chaînes les rois d'Alexandrie et de Palmyre le long de la voie Sacrée, Tivresse du triomphe et le fracas ob- scène des bacchanales n'auraient pas dû Tempécher d'entendre au loin la marche des barbares poussés Pun par l'autre comme par une force surnaturelle, pour mettre au pillage la dépréda- trice de l'univers. 'Au Midi, les Bérebères, les Gétules, les Maures, repoussent les Romains vers les côtes; à POrient, les Sassanides ressusci* tent la puissance de la Perse, et menacent de renouveler les Jours de Xerxès. Les Germains trouvent d'autres Arminius qui les conduisent aux Alpes. Les Scandinaves tuent Valens dans une bataille, comme les Perses avaient tué Julien. Les provin* ces, lasses du joug fiscal, accueillent comme des libérateurs les nouveaux conquérants. Les Ogoro-Finnois et la Tartarie ignorée prétendent aussi prendre leur part aux dépouilles, et les frères de ceux qui assaillirent Pempire chinois viennent in- cendier les villes de PAdriatique et mourir dans les plaines de Châlons. En vain Constantin crut retremper la monarchie , le peuple était gangrené par Pancienne prospérité et par les misères ré- centes. Entre des millionnaires aux inmienses domaines, et la foule innombrable des prolétaires, avait disparu la classe moyenne, foyer des vertus civiques et de Pégalité sociale; les croyances religieuses étaient en désaccord avec les institutions civiles, et tandis que la législation étaiît catholique , l'adminis- tration se maintenait païenne, identifiant l'État avec le souve- rain qui, sans bornes dans son influence , corrompait le peuple avec sa dépravation, ou troublait sa foipar des disputes théolo* giques. L'armée , jadis obéissante à la république, puis soule- vée contre elle dans les guerres civiles, mise enfin sur le trône par les Césars, veut maintenant disposer d'eux; et Rome, agrandie par la force, succombe sous la force. Les derniers em- pereurs, honteux du passé , tremblants pour Pavenir, s'étour- dissent sur le présent; au milieu des voluptés asiatiques. Leur couronne ressemble à la guirlande dont on pare la victime des- tinée au sacrifice, et leur nullité hâte en Occident la chute de Pempire qui, en Orient, devait survivre longtemps. Constantinople, dans sa langueur, peut encore dépouiller de leur rudesse native les barbares qui s'en approdient. Elle donne inTBODrcrroK. ^S * aux Goths l^aiphabet, modifié par Ulfilas : c'est à elle qu'ils doivent Théodoric, leur meilleur souverain ; elle fait briller aux yeux des Russes et des Bulgares la lumière de la vérité; avec le code de Justinien^ elle sauve du naufrage cette vaste science pratique du droit romain , et le transmet à la postérité pour en modifier les législations. Au conflit entre rorient, TOccident et le Nord, entre le chris- tianisme, rhellénisme et la barbarie, s'il y a perte dans les for- mes extérieures, il y a gain au fond. Un petit nombre de privi- légiés tombe, mais l'humanité se relève. Alors que la cité romaine s'écroule , la cité de Dieu est proclamée par une doc- trine sublime apprise sur les genoux maternels; par la liberté promulguée sans révolutions , parce qu'elle est fondée sur la justice de la pensée et sur la sainteté de la vie. De ce moment, le progrès suit une route directe et logique, et la doctrine du christianisme se réalise dans les croyances, dans les idées, dans les arts, dans les habitudes. Qui dirait que les hérésies mêmes dussent propager la civilisation? Les mani- chéens pénètrent jusque dans l'Inde, dans le Thibet, dans la Chine, où ils prennent part à Tapparition du dernier Bouddah, et à l'établissement de la religion des lamas, qui aujourd'hui compte autant de sectateurs que la loi du Christ. Les nesto- riens fondent dans Édesse la première univei*sité chrétienne, d'où ils répandent Talphabet syriaque en Mésopotamie, en Phé- nicie, en Perse. Ils enseignent l'usage des voyelles aux Arabes, en traduisant dans leur langue les œuvres grecques que, plus tSLvdy l'Europe recevra des fils dlsmaël. C'est ainsi que l'Orient et l'Occident reprennent leur marche viii» époque^ par des routes diverses. Le premier s'énerve de plus en plus iMbarbafet. en suivant l'ornière antique et les traditions de l'Asie; dans l'autre, les barbares détruisent l'édifice des siècles, et effacent jusqu'au nom d'empire romain; mais ils régénèrent par la force les populations forligilées, dans le même moment où une loi d'amour les associe. Si quelquefois l'histoire se manifesta comme un ordre visible de la Providence , ce fut certes alors , quand d'inexprimables souffrances tournèrent au profit de l'hu*- manité. Sur ce chaos de sang et de décombres planait un es- prit supérieur aux événements , et, à mesure que les barbares avançaient dans leur conquête, ils étaient conquis & la croix, c'est-à-dire à la civilisation. Les nations divisées par Tépée se réunissent dans ce qu'il y a de plus libre au monde , le senti- ^^ INTIODUCTION. ment religieux; et l'Asie ne pourra plus dommer irrévocable- ment partout où fut empreint le signe de Tunité catholique. Le schisme semble consolider le divorce de TOrient et de l'Oc- cident. La France, TAngleterre, FEspagne, ^Allemagne, Tlta- lie, constituent en Europe de nouveaux États qui prennent du Nord un élément inconnu au monde asiatique, la liberté indivi- duelle, que les vaincus sauront acquérir aussitôt que, la pre- mièi^e fureur de l'invasion passée, il leur sera permis de regar- der en face leurs conquérants. Quel profit apporta Pinyasion des barbares du Nord? C'est ce que les esprits les moins pénétrants reconnaîtront facilement, s'ils confrontent la désolante monotonie et la longue agonie de l'empire d^Orient avec la civilisation ressuscitée de TEurope, où l'antique se mêle et combat encore avec le nouveau; où les charmes et les défauts d'une enfance inexpérimentée se mon- trent à côté des avantages d'une vieille société. Les esprits sont ingénus, mais les affections profondes; les formes sont con- trefaites jusqu'à la monstruosité, mais les conceptions sont gracieuses. Les cœurs soumis et pieux n'en laissent pas moins les caractères forts et inflexibles; l'ignorance s'associe avec la pédanterie et avec le génie , la grossièreté avec les émo- tions tendres. On entrevoyait déjà vaguement les idées des temps à venir; mais elles apportaient une frayeur inquiète, comme ces inspirations intérieures qui ne trouvent pas d'ex- pressions pour se manifester. De là ce fonds de mélanco- lie prédominante, ces images habituelles dé la mort; de là ces terreurs renaissantes de la fin du monde, ces folies gran- dioses, ces vertus naïves, et les trois faits dominants de cette époque: l'expiation reUgieuse, l'oppression, la résistance. Celle-ci, enfin, triomphe et pousse l'Occident à la conquête de la civilisation moderne. vx* époque. Déjà, avec les Lombards , a fini cette émigration des peuples Mahomet. (Ju Nord qui durait depuis des siècles. Eux-mêmes repoussent les excursions guerrières, et dressent contre elles les murailles de cités nouvelles qu'ils surmontent de la croix. La civilisation vaincue réagit sur les vainqueurs; la conversion procède alors du Midi vers le Nord, en propageant au milieu des armes les idées de paix, d'ordre , de charité , et en acquérant le pouvoir par le moyen le plus légitime, c'estrà-dire par la capacité* D'un autre côté , le Micji, Mahomet à sa tête , prépare une réaction terrible. Le poëte arabe, guerrier sans générosité. INTBODUGTIOiV. 45 prophète sans miracles , propage sur les ruines une religion sans mystères^ un culte sans sacerdoce, une morale fondée sur la volupté. Sa mission , qui ne se prouve que par Pextermina- tion , immole plus de victimes humaines que ne Pont fait en- semble toutes les croyances antiques. L'islamisme commence par une guerre de tribu, et, dans l'espace d'un demi-siècle, il a déjà soumis par la force tout ce qui s'étend entre le Tigre et PEuphrate , la Syrie, la Palestine jusqu'aux bords de la Médi- terranée, les frontières de PAsie Mineure jusqu'au Taurus. Peu après, il envahit les côtes d'Afrique, et menace à la fois la Perse et PEspagne, PInde et Pempire de Byzance. Le cimeterre est son symbole ; il ne le déposera plus jusqu'à nos jours; mais ce sera quand, désormais émoussé, il cherchera à le retremper dans la civilisation européenne. C'est la même race que nous avons vue succomber avec Car- thage ; c'est la même lutte qui se renouvelle sous l'aspect de deux religions; c'est une autre émigration , mais elle ne porte pas avec elle l'affranchissement , comme l'émigration septen- trionale, elle ne dépose pas les armes en rencontrant la croix. Lom de là, elle veut effacer la florissante civilisation de l'Occi- dent, et la remplacer par le despotisme temporel et spirituel, par l'esclavage, par l'asservissement de la femme. L'Afrique et l'Asie perdent ce qu'elles avaient emprunté à PEurope ; mais heureusement le croissant rencontre les remparts de Gonstanti- nople à l'Orient; à l'Occident, la francisque de Charles-Martel et Pépée du Cid. Cependant, quand la première impétuosité s'est ralentie , les khalifes contribuent à la civilisation en consentant la science , et, au milieu des erreurs d'un peuple servile et superstitieux, y ajoutent de nouvelles découvertes. Us développent les arts du beau et du vrai, qui doivent un jour enseigner à PEurope la gaie science, le roman, la scolastique, la chimie, les mathéma- tiques, l'astronomie. Les tribus dispersées et hostiles de l'Ara- bie sont aussi rassemblées en un faisceau par Punité de croyance^ et, s'établissant au cœur de l'Asie et de l'Afrique, elles y res- suscitent le commerce ; substituent Bassora, Damas et le Caire à la prospérité éclipsée de Byzance et d'Alexandrie ; trafiquent avec la Chine; portent leur civilisation jusque chez les Malais et les habitants des Moluques; imposent enfin leur langue et leur culte jusqu'à la Cafrerie , en portant aux idolâtres la con- naissance de la pure unité de Dieu. 46 II qui retardèrent le développement de la société chré- tienne et compromirent son (mité, mais d'où sortirent les cons- titutions politiques de l'Allemagne, de la France et de l'Angle- terre. Malheur, si la division se fût introduite alors que l'islamisme, x« époque, dans la vigueur d'une jeunesse fanatique, s'élançait de l'Espagne im croisàdet. et de la Syrie .en menaçant l'Europe! A l'approche du péril, l'autorité qui veille sur la civilisation occidentale élève la voix ; de toutes parts accourent preux et dévots , guerriers et pèle- rins ; et l'Europe, selon l'expression d'Anne Gomnène, arrachée de ses fondements , semble se précipiter sur l'Asie. C'était en- core la grande unité chrétienne qui se levait comme un seul homme, ne connaissant qu'une seule raison^ celle que procla- mait son cri de guerre. Dieu le veut. Un enthousiasme hé- roïque, la profondeur d'un sentiment unique, une merveilleuse énergie de volonté , arrêtent l'esprit sur cette grande réaction 48 ir^TRODUGTlON. de POccîdent contre TOrient. Elle continua avec plus ou moins d'ardeur et de désintéressement jusqu'à la prise de Rhodes ; elle se fit même permanente, et s'organisa en instituts religieux, armés pour affranchir l'Espagne, défendre l'Europe contre l'A- sie, et acquérir le Nord. Dans ces expéditions , les esprits guerriers de l'Occident s'é- lèvent vers un but plus noble. En voyant les civilisations musub mane et grecque, l'Europe améliore la sienne. La féodalité a accompli sa part de bien en faisant refluer la population dans les campagnes, en développant dans l'isolement des manoirs les affections domestiques , en réhabilitant la femme , et en réveil- lant le sentiment de l'individualité , si faible chez les Romains et les Grecs. Elle se voit faiblir, depuis que les petits seigneurs vont se grouper autour des hauts barons, vivent près d'eux, et apprennent à obéir. Beaucoup, afin d'avoir de l'argent pour les expéditions, engagent leurs fiefs , d'autres les laissent vacants . en mourant sur le sol étranger : ainsi l'autorité royale ou les • communes en profitent. Le menu peuple a partagé les efforts, les périls, les affections de ses maîtres; celui qui est demeuré dans ses foyers a profité de leur éloignement pour respirer de sa longue oppression , et a observé avec convoitise la prospérité des républiques maritimes dont le conunerce s'est étendu aux contrées les plus riches de l'Asie. Avant de maudire le clergé, mettons-nous un moment à la place de la plèbe d'alors, d'où sortit le peuple d^aujourd'hui. Avant de médire du moyen âge, rayez de ses fastes Gharlemagne et Alfred, Grégoire le Grand et saint Louis, Etienne de Hongrie et Othon le Grand, Godefroy de Bouillon et Frédéric II, saint Thomas et Roger Bacon. Que ceux qui raillent la frénésie reli- gieuse des croisades ne se plaignent pas de voir le croissant briller sur les harems et sur les marchés de chair humaine dans la plus belle ville du monde. C'est pendant les croisades, comme jadis la Grèce dans la guerre de Troie, que ITEurope apprit à se connaître elle-même, et à mesurer ses forces pour s'élancer hardiment sur la voie de l'avenir. Désormais la chrétienté a un nom, même dans la po- litique, à opposer à ceux qui refusent de marcher avec nous sur - les routes de la civilisation. XII» époqoc. L'empire oriental, entouré d'eunuques, de femmes et de so- tioo-ISTo; * ^ lescouimunci. phistes, décline à tel point, que les Grecs mcmc, répudiant leur nom, s'appellent Romains. La splendeur première du khalifat INTmODUCTIOeC. 49 s'Àdipse depuis que les élans de Tenthousiasme arabe s'éteignent dans les délices énervantes de Bagdad, et l'épée d'Amrou tombe aux mains des faibles imans et des mollahs suppliants. Au contraire^ l'empire d'Occident, passé des Francs aux Alle- mands, s'élève à son point culminant sous les maisons de Saxe et de Souabe > tandis que la puissance pontificale touche aussi à son apogée^ et^ posant des limites aux abus des puissants de la terre, ouvre la porte aux franchises représentatives. Aussi n'est-ce plus le temps où les princes seuls apparaissent sur la scène; le peuple s'y montre à son tour. La plèbe, même après avoir acquis à Rome les droits naturels, restait toujours atta- chée en grande partie à la glèbe; à cette heure, elle acquiert la faculté de changer de sol et de choisir un maître. Au milieu des guerres tantôt sourdes,, tantôt ouvertes, par lesquelles les princes cherchent à convertir la préséance féodale en préroga- tive princière, les barons à conserver leur indépendance et à transformer le domaine politique en propriété personnelle et privée; au milieu des discordes des conquérants, les vaincus relèvent la tête, le sentiment de leur propre dignité les reporte à celui de leur propre grandeur; et par ces continuels litiges, par les vieux livres exhumés, par les traditions non encore effa- cées, ayant appris ce que c'est que le droit, ils prétendent con- server ou recouvrer possessions , lois, union. Alors se multi- plient les luttes entre la féodalité, l'Église, rEnq)ire et les com- munes. Pour la première fois depuis que le monde existe, on s'occupe des paysans; on rend à tous la capacité poUtique, les serfs sont affranchis, une idée vraie de la liberté civile se fait jour, le tombeau de la noblesse devient le berceau du peuple. La puissance royale se consolide par la formation d'une classe moyenne; et TEurope, que les barbares trouvèrent partagée en maîtres et en esclaves, selon les usages de TOrient, ne comp- tera plus désormais que des hommes. Cependant , grâce à la chevalerie, cette brillante création du génie .méridional et septentrional , des Sarrasins et des Nor- mands, la valeur devient humaine et généreuse. La jurispru- dence romaine ressuscitée place le droit sur le siège usurpé par la force. Une architecture originale élève partout des pa- lais au peuple et des temples à la Divinité. Les langues, em- ployées à traiter des intérêts de la patrie, sortent de Tenfance : Kdiome provençal est l'anneau qui joint les classiques aux mo- dernes; l'italien naît du latin vulgaire ; le français se mêle au T. T. 4 celtique^ au tudesque^ au picard , au normand^ au waDon ; Ve&^ pagaol se fond harmonieusement avec Tarabe elle goth; le portugais conserve encore davantage i'aspiration orientale^ tan- dis que du goth et du Scandinave découlent Tallemand^ le hol- landais^ le flamand, le danois^ le suédois; enfin ^ le saxon ^ fécondé par le nonnand^ engendre l'anglais moderne. Déjà Ton entend dans des langages nouveaux^ avec desfoitnes fantasti* ques et originales, chanter la religion ^ la vaillance et l'amour^ tandis que l'Orient conserve les langues mortes et les monu- ments Uttéraires^ sans savoir en faire jaillir une étincelle. Les idiomes deviennent le signe distinctif des nations^ et semblent tracer des cours divers à la culture européenne, selon quils dé- rivait du teuton , du latin ou du slave. Dans ces entrefaites les républiques italiennes étendent le commerce de FEuxin à T Atlantique, du golfe d^Arabie à la Bal- tique; elles aidçnt puissamment la civilisation en fondant les rap- ports des Etats sur Tintérêt réciproque, la rivalité d'industrie, la probité laborieuse. La civilisation se propage dans la Scandi- navie, et un ordre rehgieux défriche sur les rives de la Baltique le terrïiin où doit s'asseoir une puiisg;ante monarchie. Des ligues de comm^'ce se forment sur les mers et sur les fleuves, tandis que sur les Alpes les peuples de FHelvétie se liguent à leur tour, envoyant, dans les cours de France et d^Angleterre, leui^ dé- léguas s'asseoir près des rois et des barons. Mais la lutte entre les Guelfes et les Gibelins a relâché le lien religieux et politique des nations. En vain triomphera tan- tôt la ligue lombarde, tantôt la maison de Souabe, la dynastie la plus puissante du moyen âge : ces partis survivront jusqu'à nos jours, pour représenter, Tun, ceux que séduit la nouveauté, Pautre, ceux qui n'ont foi que dans le passé. L'Asie nous en- voie pour sa vengeance le manichéisme et la philosophie sco- lastique, dont les disputes pointilleuses et les subtilités em- brouillées troublent la majesté de Platon et des philosophes occidentaux. En présumant mettre d^accord le rationalisme péripatéticien avec le dogme, elle répand le germe des hérésies qui, d'Amauld de Brescia jusqu'à Luther, tendent à substituer ^individualité au catholicisme. La chance des armes fait encore pour un moment prévaloir l'Orient, alors que, pour retremper l'Arabe dégénéré, descen- dent de nouveau les hommes du Nord : de la Bukarie les Sa- nianides ; de l'Hircanie les Bouides, qui rétablissent le trône de INTBODUCTIOU. SI Perse; de rAjrménîe lés Sophis. Les Turcs passent de Plnde au Nil ; les Curdes, souche des anciens Chaldéens, produisent Sa- ladin, le héros le plus pur de l'islamisme : Jérusalem est reprise, l'Europe menacée. D'autre part , Gengis - Kan , du fcmd de la Tartarie > décoche ses flèches homicides jusqu'au Gange et au Caucase, jusqu'à la mer Jaune et au Dnieper. Il subjugue la Russie , dévaste la Po- logne et la Hongrie, et la chrétienté observe en tremblant si une nouvelle invasion ne va pas anéantir ses laborieux progrès. Heureusement l'orage va éclater sur la domination des Seljiu- cides et sur le khalifat de Bagdad. Mais, si Gengis- Kan feit un désert de toutes les contrées comprises entre la mer Caspienne et rindus, il sert la civilisation en substituant aux bandes qui s'entr'égorgent une nombreuse armée qu^il guide contre les en- nemis communs , tandis que d'autres hordes musulmanes se réunissent pour lui résister. Il est vrai qu'en changeant en dé- sert la Transoxianre , il enlève sa barrière à l'Asie occidentale, où bientôt Tamerlan passera sur les cadavres des Kowaresmiens. Le pouvoir religieux perd aussi son unité, quand le petit-fils de Gengis égorge le dernier khalife : 0 se décompose alors en deux sectes ennemies, Tune soutenue par les Sophis de Perse, l'autre par les futurs maîtres de Constantinople. Cependant, par l'ordre du pape, de pauvres frères qui ne connaissent que leur humble couvent traversent des pays san8 nom, arrivent sous la tente de l'empereur tartare, et, bravant les bourreaux qui les attendent , lui intiment l'ordre de cesser ses massacres et de se faire chrétien; première parole de vérité qui se fasse entendre à ces barbares. Sur les traces de ces mis^ sionnaires, d'autres se mettent en chemin, guidés par des, mo- tifs différents : Marc Pol traverse l'Arménie et la Perse pour re- trouver la Chine, et prépare le monde à l'audace de Christophe Colomb. A l'intérieur, l'Empire, en combattant la tiare, s'il lui enlève xiii» époque, sa splendeur , perd aussi de la sienne propre ; et quand un de éiiSSievèÊ- ses plus dignes représentants (Rodolphe de Habsbourg) monte ^*'* sur je trône après un long interrègne, son influence se limite à l'Allemagne. Dans les débats avec Rome, il ne s^agit plus de la grande idée de l'essence du droit, mais d'une politique bornée. Les papes mêmes , après Bonifaee VIII , oublient leur sublime destination temporelle , et la translation du saint-siége à Avi*- gnon signale le déclin de leur puissance morale. Le grand 52 inXAODUGTIONr sdiisme d'Occident égare les esprits, et jette la confusion et l'incertitude dans la vie comme dans Tordre public. Cette désu- nion amène un retour de puissance pour FÂsie. Une horde de Turcs , partie deux siècles auparavant des rives de la mer Cas- pienne y avait enlevé FÉgypte aux Mameluks ; aux empereurs grecs leurs provinces Tune après l'autre. Elle parvient enfin à s'asseoir sur le trône des Constantins, d'où elle ^ubj ugue la Grèce et menace FEurope. Le manque d'unité ne permettrait guère à celle-ci de résister , si le climat lui-même n'énervait les Turcs , et si la Providence ne leur refusait un troisième Mahomet. De Constantinople asservie , une invasion de nouvelle espèce inonde l'Europe : une foule de savants^ non contents de la sainte mission de remettre en honneur les fragments de ^antiquité échappés au naufrage des temps barbares, y viennent circons- crire le génie dans les limites des arts et de la littérature clas- siques; ils repoussent l'originaUté vers l'imitation, introduisent Fesprit du paganisme et l'ardeur de la polémique , non-seule- ment dans les études, mais encore dans l'histoire, dans les mœurs, dans la politique, et, par les prestiges d'une beauté de convention , font oublier ce qui est juste et saint. Alors l'affermissement des monarchies , la régularité des im- pôts, les armées permanentes, changent le système des gouver- nements. La politique , limitée naguère aux moyens de se pro- curer de l'argent, apprend de Ferdinand le Catholique, de Louis XI et de Henri VII, à étendre la prérogative royale; la presse, motrice assidue de l'opinion, assure pour toujours, les ecmquétes de l'esprit, tandis que le§ armes à feu rendent moins redoutables les traces sanglantes que Tamerlan et les Ottomans impriment sur le sol oriental. Nous voici donc arrivés aux temps modernes : l'Europe est désormais ce qu'elle doit être ; que si les Mongols sont encore maîtres de la Russie, les Espagnols viennent d'abattre l'étendard du Prophète sur les minarets de Grenade. XIV époque; Ainsi la civilisation , partie des plateaux de PAsie et s'avan- ira découver- çaut continuellement au milieu de chances désastreuses , avait désormais répandu la lumière sur toute TEurope. Maintenant , en quête de nouvelles nations, elle brise les colonnes d'Hercule, et avec Vasco de Gama, elle se rapproche de son berceau, tan- dis qu'avec Christophe Colomb elle va planter la croix chez les antipodes. Ici se renouvellent les prodiges des premières con- quêtes asiatiques : le vainqueur s^empare du sol, et, pour s'en INTHODUCTIOW. 5$ assurer la possession , il extermine ses habitants. Quels grands noms que Colomb^ Améric, Pizarre, Cortès, Vasco, Albuquer- rpie, aventuriers devenus des héros ! Les empires de Montézuma et des Incas, témoins ou héritiers des temps primitifs, s'écrou- lent. La bienfaisante nature offre à Fhomme un nouveau monde, et l'homme en fait le théâtre d'événements extraordinaires, d'a- ventures dans les découvertes, de cupidité sanguinaire dans les conquêtes, de charité dans les missions. Le mérite de Colomb ne consiste pas tant dans ce qu'il au- rait, en se trompant, découvert un nouvel hémisphère, que dans la pensée d'ouvrir la voie des mers au conunerce qui, de- puis les temps antiques , se faisait presque invariablement par terre. L'Aëie éprouva alors sa plus grande révolution par la di- rection différente que prirent ses denrées, bien qu'elle conserve encore le marché intérieur, jusqu'à ce que le despotisme turc, l'anarchie de Fempire persan , les dévastations des Afghans et des Marhattes dans l'Inde septentrionale, achèvent de Fanéantir. En Europe, ^accroissement des puissances maritimes empê- che que le nombre décide de la supériorité , comme au temps où lesjguerres se terminaient par la seule force des armées de terre ; et l'Occident acquiert une importance absolue, dont sont loin d^approcher les trois grands États des Sophis en Perse, des Mongols dans l'Inde, et du Céleste Empire dans la Chine. Ces nations reparaissent sur le terrain de la civilisation pour le cultiver désormais de concert avec les Européens ; et l'Amé- rique est destinée à devenir le point de jonction entre notre ci- viÛsation, qui gagne de plus en plus vers l'Occident, et celle de l'Orient, qui s'avance lentement en sens opposé , jusqu'à ce qu'elles aient à se rencontrer dans le nouveau monde pour y travailler fraternellement à un résultat commun. Charles-Quint, sous le règne duquel s'accomplissait la dé- xv« époque, couverte de F Amérique, tente de ressusciter le saint-empire, et la Réforme, arbore la croix pour refouler la barbarie sur les côtes d'Afrique. Dans l'âge nouveau , subsistent encore les traces du moyen âge; les municipes, les petites principautés , les rois , les chefs de bandes, vivent de l'ancien souffle. Dans la littérature et dans les beaux-arts, Fltalie, associant à l'imitation la spontanéité na- tionale, fait éclore un autre siècle d'or; et, de même que le mot vertu était synonyme de valeur chez les anciens Romains, ce root indique en Italie le mérite dans les arts d'agrément. Mais la mort de Charles le Téméraire, le duel entre la France et $4 INTRODUCTION. r Autriche^ Ron^ saccagée par les catholiques^ François ^% le dernier des chevaliers, qui à Pavie perd tout fors t honneur, annoncent un âge positif ^ une époque de calcul^ de raisonna ment, de protestation. yéclat des arts et des conquêtes ne suffit pas à déguiser une profonde corruption. L'Italie peint et chante, à la veille de per- dre son indépendance, comme les habitants de Pompéia accou- raient au théâtre le jour de son ensevelissement. La dépravation pénètre dans le sanctuaire, dans les cabinets, dans les familles ; l'idolâtrie dans les chants des poètes, dans l'atelier des artistes ; la corruption dans le pouvoir spirituel qui , avec PoubU de ses propres devoirs, perd la confiance des nations* Quelle belle en- treprise s'offrait alors à un réformateur qui aurait été capable de ramener à la vérité et à la lumière les idées pratiques si con- fuses, et de débrouiller les rapports compliqués entre les ecclé- siastiques et les séculiers, entre la politique ^ la religion ] Mais Luther n'était pas à la hauteur du rôle de réformateur : il se jeta tète baissée dans une tentative de révolution. De ce mo- ment , Punité des idées est irréparablement brisée : le protes- tantisme ne s'applique pas seulement au dogme et à la disci- pline, mais, à découvert ou à Pombrç, il s^insinue partout, envahit les lettres^ PÉtat, les mœurs, la philosophie, la science. Il laisse pour héritage à l'avenir des humains cette divi^on qui, chaque jour encore , fait dçux camps ennemis y celui de l'é- g(Hsme et celui de la fraternité universelle; ici la devise e$i la stabilité, là, le progrès; d^un côté la discorde, de l'autre l^ar- monie; division qui ne cessera qu'à l'heure où une immense effusion de doctrine rapprochera la société de la véritable source de lumière et de paix. On ne connaît que trop les misères de cette nouvelle barba- rie qui envahit PEurope , quand le fanatisme et Pintolérance bouleversèrent les royaumes, non moins que les familles. Des bûchers et des gibets furent dressés par Pinquisition, comme par Calvin et par Henri YlII. Les arts en sont troublés dans la source la plus pure du beau; la littérature devient polénadquç; la peur des excès fait réprimer même la véritable science; une guerre des plus longues et des frfus homicides dévaste le cœur de l'Europe; PÂllemagne, PËtat le plus florissant des temps moyens, est entraînée par l'étoile de Waldstein et par les armes de Gustave-Àdo^he à des désastres irrépars^les« Les colonies Idntaines épuisent les peuples; et les somptueuses misères es* INTRODUCTION. 6ê pàgnoles, s'insinuant dans la littérature et dans la vie des Ita- liens, les font se résigner à perdre Tindépendance quand les autres peuples vont l'acquérir. Le concile de Trente ne rétablit pas Tunité, mais fixe la théologie et clôt Phistoire extérieure de l'Église. De même , la paix de Westphalie ne réconcilie pas les esprits, mais apporte une fiii à la guerre de Trente ans, et devient la loi fondamentale de l'Allemagne , qu'elle constitue de manière à la rendre le pivot de la politique européenne. G^est là le premier modèle en grand du système d'équilibre qui depuis dirigea TEurope, à Faide d'alliances politiques , de contre-poids matériels et d'as- tucieuses transactions entre la vérité et Terreur; système dans lequel les grands États garantissent les petits, qui, poin* faibles qu^ils soient, se considèrent comme égaux et indépendaifits; De ce point de vue les cabinets règlent tout; la tranquillité est in- troduite dans la lutte, la guerre convertie en science , la diplo- matie créée. Le gouvernement monarchique, désormais géné- ral en Europe , empêche que les factions ne s^entre-choquent comme dans l'antiquité; PAngleterre achève sa constitution; lès papes, devenus puissance séculière , subissent la politique étrangère, au lieu de la diriger ; T Autriche assume le caractère pacifique et conservateur que depuis lors elle a généralement soutenu. Et la guerre sert encore au développement de la pensée; car Fautotité est désormais subordonnée à la discussion. Avec Lope de Vega, Camoens, Shakspeare, Milton, le Tasse, la litté- rature est agitée par les passions modernes; naais ra][)pelon&- nous que Galilée et Descartes furent catholiques; que les ré- formés n'ont aucun nom à opposer, je ne dirai pas à Michel^ Ange et à Raphaël, mais à Fénelon et à Bossuet. L'Asie tente deux fois de porter le croissant dans le cœur de xvi» éptuiue, 164^1713 * TEurope; mais, tandis que les potentats chrétiens demeurent umis xiv \t spectateurs oisifs, satisfaits de se sentir guéris de Fenthousiatoe Grand. religieux, la Pologne et Venise sauvent d'une nouvelle barbarie les pays qui sont destinés à les engloutir un jour. Cependant le Turc, atteint à Lépante d^un coup qui préludait à celui de Na- varin, entre lui-même dans le système politique de l'Europe. II ne s'agit donc jHus pour cellè-ei d'entreprises communes pour assurer l'indépendance ou empêcher la subversion de l'ordre et dii gat^oir; mais, guidés par Fégofeme, les États s'épient jakm- •^6 INTBODUCTtON. $etnent l*un l'autre , attentifs à rétablir la balance dès qu'elle vient à pencher. L^Autriche, dans le siècle précédent, s^était agrandie au point de faire craindre qu^elle aspirât à la monarchie univer- selle : la Réforme et les insurrections l'en empêchèrent; puis Louis XIV monte sur le trône , et la France se place à la tête des nations continentales. La révocation de Tédit de Nantes menace de compromettre la paixde Westphalie; mais à la fin la France reste seule à en souffrir. Ses citoyens persécutés vont accroître la prospérité de la Hollande , qui du Zuyderzée s^est élancée, commerçante et belliqueuse , pour arracher aux Por- tugais leurs établissements d'Afrique et des Indes. Ainsi , les idées du siècle précédent vont s'accomplissant; aux massacres succèdent les proscriptions, à Faction les théories , à la guerre les discussions^ au génie le talent, aux généraux les ministres tout-puissants. Lapaixou la guerre ne sont plus que des intrigues de cabinet. Un père veut transmettre ses États par la voie hé- réditaire , une mère placer toutes ses filles sur des trônes , un ministre rendre ses travaux nécessaires, et cela suffit pour que de temps à autre le calme des peuples soit troublé; des peu- ples qui répandent or et sang sans en être mieux, fens même que leurs maîtres se trouvent à la fin posséder un pouce de 'terrain de plus, ou un degré de plus d'autorité et de force. De là résultent seulement Taugmentation des armées , les ambas- sades permanentes, la défiance , et la tendance réciproque à se tromper, enfin la suprématie des finances dans le gouverne- ment des États. Les grands seigneurs s'abaissent au rôle de gentilshommes et de courtisans; mais, sur ces entrefaites, le peuple, les savants , les négociants, s'élèvent jusqu'à regarder les cours en face: ils examinent les finances et ils étendent le commerce. Les doctrines deviennent la cause de grands événe- ments, et Colbert et Jansénius remuent l'Europe, non moins que Villars et Eugène. Le merveilleux accroissement acquis par un peuple à l'aide du commerce maritime et des manufac- tures , pousse les gouvernements à vouloir diriger et régler un mouvement auquel, pour grandir , il suffit de ne pas avoir d'entraves. En vain Quesnay crie, Laisseis faire , laissez pas^ ser ; ïes fabriques privilégiées et le système prohibitif ne s'in- troduisent pas moins. On prétend que chaque nation se suffise à elle-même, c'est-à-dire qu'on ne vende ni n'achète pour fa- INTBODUCTfON. 57 voriser ie commerce. De là des jalousies^ et même des guerres qui n'ont d'autre but que d'anéantir la prospérité commerciale de ses rivaux. G^est l'Angleterre qui, grandie au milieu de sanglantes péri- péties, donne à son gré la prépondérance tantôt à l'une, tantôt à l'autre des nations du continent, jusqu'à ce qu'elle en devienne l'arbitre. Mais elle accomplit une autre mission par ses colo- nies, qui relient à l'Europe et l'Inde et la Chine. Tandis que les missionnaires continuent leurs pacifiques expéditions, une com- pagnie de négociants renouvelle et dépasse les conquêtes d'Alexan- dre. Smith, Hudson, Baffin poursuivent l'entreprise de Colomb; et devant les vaisseaux hollandais surgit un monde encore plus nouveau, qui paraît destiné à devenir, s'il ne l'a déjà été, un vaste continent où la civilisation viendra déployer sa bannière et siéger en reine. La France, en évitant les défauts du moyen âge, Pobscurité et la confusion scolastique dans les ouvrages de raisonnement, le fantastique dans ceux d'imagination, Tincorrection dans tous, est illustrée par l'éclat dont brille sa littérature, plus que par les conquêtes du grand Louis. Mais suffit-il d'éviter les fautes et d'atteindre à la perfection des formes pour exercer de l'influence sur l'avenir? Cette influence, au surplus, semble réservée à la langue française, qui devient chaque jour le véhicule commun entre les esprits éclairés des diverses nations, et réalise presque ce vœu d'un langage universel, que Rome avait cherché à satis- faire avec le latin. Le faitle plus notable pour la civilisation européenne est d^avoir acquis la Russie. Une fois que celle-ci a secoué le joug mongol, qu'elle s'est incorporé les Cosaques de l'Ukraine et du Dnieper, elle se soustrait à la juridiction du patriarche grep, dépendant du sultan, sans pourtant se réunir ni à l'Empire, ni à Rome ; et la chrétienté apprend avec étonnement qu'à la paix de Nipsciu, le czar a déterminé les limites entre ses États et ceux des Chi- nois. La Russie évite la précipitation dans les améliorations dont l'apparence peut éblouir, et suit un progrès entièrement d'uti- lité pratique; elle entre ainsi dans la famille occidentale, ayant pour destinée de consommer le triomphe de notre société sur la société asiatique. La paix d'Utrecht met ime entrave au redoutable agrandisse- Époaucxvii*. ment de la France, comme celle d'Oliva (1660) avait fixé les 'Vc^ièckf* bornes des États du Nord. Mais les tracasseries d'une politique ^8 lNTBO0IS€f ion. devenue commerciale et guerroyante ne se ralentksent pas pour cela. Ces deux caractères^pparaissent spécialement dans la po- litique de la Russie, qui s'entend avec la faction protestante pour cootre-balancer l'empereur d'Allemagne ; et dans celle de FAngleterre, qui marche en tête de PEurope, tandis que sa dor mination s'étend de Tlnde au Pérou: preuve éclatante que ce n'est pas la situation qui rend puissant, mais le courage et l'in- telligence. Les établissements maritimes augmentent d^impor^ tance et altèrent les relations entre les Européens, au point que l'on se bat en Saxe pour dominer sur le Canada. Laissons ces mœarchies qui se résument en favoris, maî- tresse et confesseur, attencbce nonchalamment la foudre ; laissons la Porte, après la paix de Passarowilz (17i8), combattre pour subsister, non plus pour conquérir; tandis qiie la Russie^ sortie des marais et de la barbarie, prévaut dans les affaires de PEu- rope. Les flottes de la Baltique voguent sur la Méditerranée, et poursuivent les Turcs jusque dan^ ITEuxin : Catherine, procla- mée législatrice des mers, veut se faire la libératrice desGrecç, et ne dissimule pas le désir d'échanger ses frimas contre le cli- mat enchanteur de l'Hellespont. Elle fait explorer l'intérieur ignoré de son empire, de Parchi- peldu Nord jusqu'à la Perse, du Caucase au Japon. Tandis que Behring découvre le nord-ouest de PABftériijue, Adson ao^ eœnplit son voyage autour du monde, Cook s'af^MPoehe des gla- ces australes, Damberger pénètre au cœur de PAfrique. D'au- tre part, Maupertuis et la Condamine, élevant des pyramides asr- tronomiques au pôle et sous l'équateur, seinblent, au nom de PEurope, prendre possession du globe qu'ils ont mesuré. Le monde oriental est entraîné dans le tourbillon du nôtre. L'empire des Birmans ne Sjait pas défendre son immobilité, et la subabia du Bengale se trouve avoir les Anglais pour enne- mis ou pour maîtres. Mamelucks, Yahabites, Afbgans, Kouli- Kan> remuent PÉgypte, PAraWe, PInde, la Perse, qui reçoivent de nouveHes législations imposées par la force; dans le même temps ou, pressés parles cris de réforme générale^ Joseph II, Léo-> p se sentaM mares pour se régir par ellesHaFiêmes, s'insurgent y et ^ seecAidées fsst des jaloiasies royales^ offrent le premier exem^rie en grand d^une vaste dànocratie. L'Angleterre^ qui s'est éfi^mée pour les rete- 60 INTRODUCTION. nir sous son joug, s'aperçoit, après les avoir reconnues libres, que son commerce et son industrie en tirent meilleur parti par l'activité nationale que par le monopole d*une compagnie , et Péquilibre maritime est rétabli en Europe. C'est ainsi qu^à TA utriche , gouvernement patriarcal; à la Russie , absolue dans son administration et dans sa constitu- tion ; à l'Angleterre, libre dans l'une et dans l'autre ; à PAlle- magne, absolue dans la première, libre dans la seconde, s'as- socient les États-Unis avec leur souveraineté populaire, pour fraterniser dans le progrès. La supériorité du nombre et de l'es- prit est donc pour la civilisation européenne. Les peuples de PEurope sentent que la prééminence n*est pas donnée par la force, mais par le développement de la morale et de l'intelli- gence, et se hâtent d'accomplir le grand mouvement conmiencé au temps des communes, d'étendre Pempire de la science et de la liberté. xviii«c«oqiir; Out-ils choisî la bonne route? La Révolution accéléra-t-elle leur marche ou la retarda-t-elle? G est ce qu il est diincile de décider lorsque les passions contemporaines sont encore en lutte et en danger; lorsque le mouvement , dans Pespace d'un demi-siècle, non-seulement n'a pas atteint le but, mais ne l'a pas même reconnu avec certitude. Nous avons encore présents à l'imagination ces grands évé- nements qui étonnèrent nos pères, quand Pélan sans exemple d'une nation accoutumée à prendre pour pilote la tempête donna le branle à toutes les constitutions. Les gouvernements, sans s'apercevoir qu'il ne s'agissait pas dé modifier les acci- dents, mais de perdre la.substance; habitués à voir les choses, non les hommes, procédèrent avec lenteur et désaccord, s'in- géniant à opposer le système d'équHîbre à une politique pas- sionnée qui, devenue idolâtre comme à Rome, adorait l'État d'abord en tant que république, puis en tant que liberté, puis en tant que gloire militaire. Mais la Révolution , poussée par les générations précédentes, abat tout ce qu'elle rencontre, écrase ses propres guides aussitôt que leur pas se ralentit; elle écrase même le héros qui, pour un moment, réussit à l'arrê- ter; homme du passé, pour qui l'épée était tout, mais qui toutefois, connaissant les désirs du siècle nouveau, guidait ses phalanges au combat au nom de la paix et de la liberté du commerce. C'est dans la paix précisément et dans l'accoixl universel que |llTAODUa:iON. 61 pourra s'accomplir le triomphe de la civilisation occidentale sur l'orientale^ triomphe auquel concourent tous les événe* ments. L'Europe s'ouvre les chemins de PAsie^ non plus pas- sagèrement comme les Argonautes^ les successeurs d'Alexandre ou les croisés; elle y pénètre en dominatrice par l'isthme de Suez et par celui de Panama , par les défilés du Caboul et par le port de Canton. Napoléon a ouvert l'Egypte^ et Fétendard tricolore flotte sur les côtes d'Afrique ; la Grèce a secoué le joug; la Moldavie et la Yalachie se font européennes; la Russie presse les Ottomans sur le Danube, en Perse, dans l'Asie Mi- neure ; elle franchit les Balkans, et s'arrête spontanément à Andrinople au moment de saisir une proie qui ne peut lui échapper. La Turquie le sent; elle qui, ayant perdu le senti- ment de toutes les formes politiques et religieuses, éprouve les mêmes sympt^es qu'éprouva l'Europe au déclin de Fempire romain. N'osant pas même essayer de remonter vers ses prin- cipes fondés sur le fanatisme , die dissout les janissaires, en* tr*ouvre les harems, et cherche un souffle de vie dans les insti" tutions européennes. Si la race arabe, qui la première révéla FOrient à FOccident, et les mit en communication, est à la veille de sortir de sa longue torpeur, ne serait-elle pas appelée à devenir le plus puissant auxiliaire de la civilisation? L'Angleterre s'étend de plus en plus dans les Indes, et envoie ses voyageurs, ses marchands, ses guerriers dans le cœur de l'empire des Birmans. La Chine est resserrée au sud par les An- glais, au nord par les Cosaques, avant-garde de la Russie : de FOcéan, l'observent ou la combattent les flottes britanniques et américaines; du Mexique et des Philippmes, les Espagnols qui se réveillent. Les sauvages de FAmérique cèdent toujours plus de terrain aux odieux semeurs de 'petits grains. La civilisation chrétienne, qui résume toutes les autres, se mêle dans FInde avec celle dont toutes dérivent. On ne discute plus seulement dans nos cabinets sur Alexandrie ou Constantinople, mais sur Bombay, Pékin, les îles Sandwich et les Marquises. Les routes pot ta iC/iigiuii , guiucc?» poi ica luio, cvtaiiccs pai t iiibciugciiv^c, et qui aspire à l'unité, non plus de FEurppe, mais du monde entier. Alors les peuples deviendront frères; l'harmonie sera rétabhe entre la raison, l'imagination et la volonté; les éléments des différentes races se combineront pour le bien commun; les 63 INTEOMTCTfON* coflnaissanoes d'un peuple seront celles de tous; i^hidustrte s'associera pour tirer le meilleur parti de chaque contrée; les jouissances de la vie et les avantages de la science seront mieux répartis; l'action des pouvoirs sociaux s'exereera d'une ma- nière toujours plus conforme à la volonté de Dieu et en har- monie avec celle des gouvernés ; et la loi d'amour et de frater- nité imiverselle s'accomplira. Le genre humain pourra-t-il jamais arriver à ce terme t Qu'il s'en flatte du moins , et que tout homme comme toute nation apporte sa pierre à l'édifice, ïniérjt^hteio- N0U6? av(ms ahisi rapidement esquissé le voyage dans lequel nous entreprenons de suivre l'humanité. Elle ne nous est pas également connue sur tous les points, et ne nous y intéresse pas également; car il en est des nations comme des individus : chacun accomplit sa mission sur la terre, et y laisse un doux ou pénible souvenir pour ceux qui l'ont connu; mais il en est peu qui transmettent leur nom autrement qu'inscrit sur la pierre d'un tombeau. La Polynésie et les Amériques, si ¥ùa en ex- cepte quelques traditions éparses sur le Mexique et le Pérou, quelques monuments admirés sans être compris, manquent d'an- tij^uités, et ce serait bâtir sur le sable que de vouloir former à leur égard des conjectures que demain une découverte peut ^ venir dissiper. En Afrique, TÉgypfe et la côte septentrio- nale se rallient au progrès commun ; tout le reste est à étudier pour le commerce, les colonies, l'histoire naturelle et la navi^ gation, non pour rintelligenee et la morale. L'hiâtoire ne peut raconter du Nègre que ses souffrances; elle tie peut que com- patir à la stupidité du Samoyède et du Sibérien, dont la vie a pour unique consolation l'espérance de rencontrer après la mort une chasse de rennes plus abondante. Ainsi , le reste de l'Asie septentrionale ne fut connu que depuis qu'il devint province russe. Pour laTartarie méridionale et pour le nord delà Chine, l'humanité ne s'aperçoit de leur existence que lorsqu'elles vo- missent leurs hordes pour sa désolation. Mais, tandis que tant de peuples demeurés sans annales, sans littérature , sans relations extérieures , ont péri tout entiers , d'autres nous ont légué le souvenir de leurs progrès et de leur décadence, en laissant après eux un sillon de lumière; ils ont par là droit à notre sympathie , quand ils ne l'auraient pas à notre admiration. Néanmoins ce n'est pas un motif pour que l'histoire universelle ait à s'occuper des moindres événements INTEODCOVION. 6S aoeomplis parmi eux. Il est te} fait auquel llûstorien du pays aura consacré de longues recherches, et qui ne mérite pas même une mention. Mais elle poui*voira à renseignement de Tesprit en accompagnant les grands peuples du berceau à la tombe, en les observant se succéder avec ime mission diverse : celui-ci pour propager la civilisation , celui-là pour la conserver pure , cet autre pour la retarder ou la détruire en partie. Il en est qui perfectionnent les arts, il en est qui étendent le commerce jus- cpi'aux dernières limites de lia terre, d'autres nous transmettent les modèles du beau dans les arts; d'autres revêtent la raison écrite de sa forme la plu» éloquente, et tous ensemble concou- rent au progrès des connaissances et de la morale. Spectacle sublÎHie, ou Voa voit chaque génération apporter son tribut; à la' contemplation duquel un double sentihient de gratitude et d'espérance nous rattache à nos ancêtres et à nos descendants, lorsque l'on considère , ainsi que le veut Pascal . la succession des hommes comme une seule personne qui toujours subsiste et ap{H*end sans cesse. L'antiquité emprunte un caractère d'éternelle jeunesse à ses grands honmies qui se signalèrent à la fois comme citoyens, hommes d'État, littérateurs et capitaines; à la variété des sys- tèmes politiques, à l'originalité des peuples qui s'étaient formés chacun de soi-même, avant d'en venir à se rencontrer. Au con- traire, les États de l'Europe moderne, un seul excepté, appa- raissent plus uniformes sous le rapport des institutions , de la r^igion, des mœurs, de la culture de l'esprit; mais l'étude de leur politique et de leur économie devient essentielle pour con- naître les progrès et les temps d'arrêt de l'humanité. L'intérêt naît quelquefois de la manière dont les faits nous ont été transmis. Si Thucydide (sans parler des beautés de son style) décrit une guerre avec sa profonde connaissance du cœur hu- main, de la vie publique , des secrets ressorts de la politique , vous vous complairez à vous arrêter avec lui pour vous habituer à réfléchir. Le sombre pinceau de Tacite vous fait méditer sur les temps auxquels Rome paraissait au faîte de sa grandeur, alors pourtant que ses vices et ses forfaits l'entraînaient à Ta- bîmé. La subtile pénétration de Machiavel vous fait prendre parti dans^les luttes de deux petites factions d'une petite ville; de même que les cent mille Vénitiens résistant à la ligué de Cambrai vous attachent et vous instruisent bien autrement que 64 INXAODUCTIOX. les deux cents miUions d'hommes qui^ dans la Chine, travaillent^ 5'è*i5£ïî5S?c** engendrent et obéissent. . Mais ni Tambition ou la raison d'État^ ni la guerre^ déyelop^ pement grandiose de la force humaine, ni la paix^ but suprême des gouvernements, ne doivent exclusivement occuper Fhistoire. Elle se rapetisse lorsqu'elle ccHdsidère seulement les actions de rhomme^ non ses sentiments et sa manière de penser; quand elle ne recherche pas sous les événements les idées d'utilité > celles du juste, du beau, du wai^ du saint^ c'est-à-dire Tindus • trie^ les lois^ les beaux-arts^ la philosophie^ la religion^ éléments , par lesquels grandit Thumanité. L'amélioration matérielle ne va pas toujours de pair avec le perfectionnement intellectuel et moral ; la cause la plus samte n'est pas à l'abri d'iuie d^aite ; inais le glaive^ en détruisant la nationalité de la Grèce et de Flta- lie^ n^a pas anéanti leurs créations. L'histoire doit dcmc, en nous apprenant quel hérit(^e elles ont amassé aux générations succes- sives^ faire entendre Thymne de la reconnaissance. Et puisque^ dans l'effort continu de l'esprit à reculer les limites de la ma- tière, tout doit tendre à développer Tintelligence par la variété des connaissances^ et les ramener à un centre commun, il con- vient que celui qui écrit l'histoire de Thomme puisse embrasser l'ensemble du savoh* hunaain^ et le faire converger vers un but élevé. Que sont les sciences , en effet, quand elles ne se ratta- chent pas à riiomme? et qu'est l'homme quand il ne se rattache pas à Dieu? Que l'historien remonte donc à l'origine des connaissances et des institutions civiles et religieuses, non selon les systèmes abs- traits, mais en recherchant les faits, en méditant sur eux. Il ap- prendra ainsi comment l'homme ne serait que le premier dans la série des êtres vivants, peut-être même le plus sauvage et le plus malheureux de tous, si le Créateur ne lui avait tout d'abord concédé de lever un regard jusqu'à son essence ; si , par une soudaine élévation de la conscience, il ne l'avait mis en relation avec le monde invisible, en lui montrant de loin une éternité de bonheur ou' de malheur, S'écartant de cette première révé- lation, et du culte des» idées s'abaissant à celui de la matière, il traduisit cette vérité par des formes ou par des signes plus ou moins nobles et significatifs. De là naquirent les diverses reli- gions, que certains philosophes s'efforcèrent de déiduire d'un développement progressif de la raison. INTBODUGTION. 66 L'h istorien accepte la révélation qui^ semblable au soleil^ éblouit rœil qui s^y fixe^ mais répand la lumière sur toutes choses. A cette clarté, examinant la mythologie des nations^ il voit dans l'Inde Dieu confondu avec l'univers ; la nature sensi- ble divinisée en Grèce ; la nature matérielle, en Egypte, par la magie; à Rome, la patrie; et partout, les religions altérer un fond de vérité^ selon le génie particulier qui résulte de l'organisa- tion et de Paspect sous lequel la création se présente à nos yeux. ^industrie donne à l'historien la mesure du bien-être du plus grand nombre ; la législation lui fait connaître le degré de civili- sation et le moyen, en épargnant peut-être des essais inutiles^ de constituer une société plus satisfaisante. La pensée caracté- ristique de chaque peuple lui est signalée par la philosophie , sdence des idées générales démontrées rationnellement^ dont chaque efibrt vient s^ajouter à l'effort de la raison, pour en em- brasser la connaissance plus générale et plus parfaite. La littérature, inlKnie^ allégorique^ prodigieusement variée dsms Plnde^ respire Pamour^ l'orgueil, la vengeance, une vo- luptueuse et farouche indépendance dans l'Arabie , où elle ra- conte les querelles des tribus^ exprime les violents désirs ou les tristes regrets. En Chine, se nourrissant du culte domestique et d'une morale étroite^ triviale même^ elle manque d'élévation de vues^ d'enthousiasme^ et n^a pour mérite que d'agréables déUûls. Puissante d'une inspiration supérieure et d'une vigueur inflexible dans la Judée, elle est dans la Grèce toute harmo- nie, équilibre et perfection , mais en sacrifiant la grandeur à la beauté de la forme. Elle est tonnante et patriotique à Rome; érudite et éclectique à la cour des Ptolémées ; polémique du- rant le Bas-Empire : d'une sévère et plaintive unifoitnité , elle lutte contre une ingrate nature et contre des puissances mys- térieuses dans VEdda Scandinave et dans les Saga de PIslande. Dure^ simple, mystique dans la Germanie des Nibelunghens ; pétillante et frivole chez les Provençaux ; nationale et reli- gieuse^ puis facile^ harmonique ^ voluptueuse ^ burlesque en Italie; en Espagne, plus fière que gracieuse^ catholique jus- qu'à l'exagération^ raffinée dans la galanterie^ guerrière et ri- die de vigueur spontanée; en France, pleine d^m sens flroit, d'une harmonie tempérée, plus claire que passionnée, plus d'esprit que d^imagination, gaie, sociale, perspicace, active; en Angleterre, précise, calculée , rêveuse , expérimentale, scruta- trice inexorable ; enfin, vigoureuse, idéale , érudite , modeste, T. T. 5 6i IffTlODUCTIO!!. setttimentale ea Ali^nagne; la littéraftore ne reiraee4-eUe pas le génie pmliciilier à chaque peuple et à diaque ^^bqiie? Ses productions ne sont-elles pas autast de conquêtes dont aueune se s'est perdue? Il est donc trè»-iniportant de connattre la succession des œu- irres de l'e^it, c'est-à-dire rhistotre des lettres^ attendu qu'elle «évèle rencbdnem^t de Tort avec la foi , de la philosqphie avec la société, en montrant les divers états par lesquels ont passé l'âme «t l'imagination humaines. Mais y pour cela^ il faut une critique qui ^ «ans s'arrêter à 4es minuties^ ni se tar- guer d^ne stricte exactitude^ s'insinue d^s l'esprit d'un auteor et de son époque^ et pardonne an génie ses inégalités , ses bi- zarreries, ses égar^nents. Cette critiqne saisit le fond umque des formes variées, en acbmrant le beau qui perce eontinuelle- ment sous les apparences modifiées selon les rièdes et les pays; elle étudie l'émvain dans la totalité de ses relations, vit avec lui et avec le monde qui Tenviremne, comprend le lien in- time qui rattadie l'idée d'un homme à celle server les mouvemei^ sociaux conduit à en découvrir ie véritable sens. Sous ce rapport aussi 1^ temps présents sùù^ favorables à Tbii^ire; car, la barrière n'existant plufi^ entte ceux, qui instruisent et qui guidait et ceux qui croient et sui* v^it, rÉtat n'est plus un mystère. Les discussions des chan»- bres et les gazettes appellent chaque dtoyen à fiixer son regpard ms les trônes et sur les parlements, à c(»maitre (te la prudence IIITmODUCTiOl!!. ti fcH^epie, des cause» Idatames^ des ressorts coniplic(iiés de h machine sociale. En outre, l'extrême multiplicité des emplois augmente les rapports entre Fhomme de lettres et Phomme d'État^ entre les opinions et les institutions. De là le besoin de comparer ce qui est à ce qui fut; de là les démentis que la pra- tique doBOCy à chaque pas, à la théorie. En acquérant, de son côté^ une influence plus active sur les esprits^ deux principes généraux oint rajeuni la littérature : Tun^ c'est que le but des lettres est Futilité morale ; Fautre^ que le moyen de Tatteindre est la représentation du vrai. Elle dut pourtant en revenir à Fhistoire^ après s'être contentée de k foble. Il fallut représenter les caractères , et non les forgea, faire abstraction de soi pour s'identifler aux autres. Si le nom de Philippe II et de Rosemosde^ ou la lecture de Guillaume de Tyr suffisait à Âlfîeri et au Tasse; mijourd^hui, dans les corn- po^i s^arée de la vérité moriUe^ manque de bs^e) elle enregis^e tes prc^stations des individus ^ des peuples qfui se sentent les arbitres de leur volonté, et secc»»dent au moins de I^rs vœux les efforts qui tendent à dégager l'e^it de la matière; elle s c'est dans Toriginal seulement qu'on découvre ce colorii^ qui révèle un Age, plus encore c^ ne te fait te récit même. Et quand on n'y gagnerait rten de plus, on acquerrait la connaissanee de Técri^ vain , dont la franchise oit la servilité, F amour des choses w»^ ciennes ou le goM du nouveau manifestent la nature des ten^ (1) cfcartes XH. que. INXBODUCTION. 7d OÙ U a écrit. Je farle ici des écrivains coutemporaifis et origi^ naux (1)^ non de ceiix qui, même dans les langues classiqueSy ne firent que compiler et redire. Quiconque s'est appliqué à l'étude des preoMers diffère de celui qui se contente d'en lire des extraits, autant que celui qui connaît un peuple par les rela- tions des voya^urs diffère de celui qui a vécu avec lut. Il ne s'agit pas seulement des historiens^ mais des poertes^ des fiûlo- sophes, des artistes qui reflètent leur siècle^ comme le fleuve les bords en^re lesquels il s'écoule. Pourrait-il jamais prétendre conniutre la Grèce^ celui qui ne Taurait vue qu'à Marathon et à Ghéroaée, sans avoir pénétré dans tes écoles pour raisonner de Dieu avec Xénophane et Platon > de la vertu avec Socrale ei Zéoon^ de cosmogonie avec les pythagoricieiks^ d^éloquence avec GrOi^iaSi d'hygiène avec Hippocrate; eekû qui ne se se- rait pm pvomené des jardins d'Épicure au tonneau de Diogène, des sciures baoïptets de Sparte aux marchés de C(»inthe^ de l'atelier dé PUdias aux manufactures de Milet? Et qui pourrait Vy guider xnk^x que des contemporains? L'(d)seène Pétrosie^ le maUcteux Ârist(q>hane^ Sénèque le sophiste» l'obscur Lyco- ^iron, les épanchements familiers du faible Pline le jeune et de Cicéron, lui parleront de leur teiiqps bien mieux que les histo- riens ', et le tasipiede Jupiter Olynqpien, les obéHsques deLuxor^ les eraciitages des talapoins, compléteront PinteOigence d'un siècle et d'une nation. L'historien devrait ensiBte savoir pénétrer dans le passé avec une imagination flexible/avee un tact ex^iis auquel rie» d'ial^ portai là^échssppe, avec un discernement sévère qm, parmi les traditions adulatrices dictées par la vanité ou par la siqperstilton^ kû lasse distkxguer du faux le vrai^ que Pimagination peut bien vouer dans ses fantaisies^ mais qu^eUe n^efface jamais tout à fait. Au milieu des monumei^ en petit ncMod^re ou déigoré» par la pas^on^ par Pignorance^ par le génie même qui les a tnmsmis à sa manière, il découvre le moment ou un peuple se cŒistituei il voit s'il le fit de lui-même ou par une iiopulsioii étengère^ quel esprit dicta ses institutions, x^®^i celtesNcî détenmoèrent les événem^its, eomn^nt elles furent npK)dtftées par ces causes antériei»?es qui^ comme le àkni Tecne^ ne veu^ (1) Princîpalemeni Iférodote, Thucydide^ Polybe, Tile-LiTe, Cësar» Xéno^ phoD, la Bible, Homère, Pindare, les poèmes indiens, les lîTres cftnonlqaes de la Clwie, ete., Mo. 76 INTRODUCTION. lent pas cédeFla place aux nouvelles. Car les faits ont cOmme les hommes une espèce de génération continue, dans laquelle rien ne commence et tout se succède. Mais de même que, dans l'astronomie^ les corps lointains font illusion au.point de laisser croire réels les mouvements appa- rents, et stable ce qui se meut, ainsi, dans la partie conjecturale de Phistoire, quelque&-uns voient des personnages véritables dans toutes les fictions mythologiques ; d'autres transfoiment en mythes et en caractères poétiques jusqu'aux ^tres les plus cer- tains. Tandis que Brahma, Saturne , Odin, deviennent des rois ou des héros , Homère, Camille, et jusqu'à Solon ne sont plus que des types synoboliques, les allégories d-une phase de la so- ciété. Que le doute ne dégénère donc pas en scepticisme; que Fancienneté d'un fait ne suffise pas pour le nier, comme on ne nie pas l'existence de Syrius, parce qu^il s'enfonce dans la pro- fondeur des cieux. Combien d^assertions de l'antiquité, bafouées hier encore, n'ont-elle§ pas été confirmées ou éclaircies par les progrès de la science ! Sans tradition point d^histoire, point d'éducaUon du genre humain, et force est de l'accepter même quand elle manque de l'exactitude mathématique exigée par Volney; car, lors même qu'elle rapporte le faux, elle le calque sur la nature de l'homme et des temps, et les faits nous donnent d'utiles résultats et des leçons, pour éviter ou pour ramener les causes qui les produisirent. Et de même précisément que l'astronome , pour suivre les planètes dans leur courbe radieuse, n'attend pas qu'on ait dé- couvert ce que sont matière^ espace et mouvement ; comme le physicien ne ralentit pas ses recherches parce qu'un mot seul> gravitation, galvanisme , ëlectro-magnédsme , peut en vieillir les résultats; ainsi l'historien ne voudra pas s'arrêter dans son entreprise parce que cette ardeur unanime de recherches pro- met d'imminentes découvertes. Gœthe a dit un mot aussi dé- solant que profond : « Pour savoir quelque chose , il faudrait tout savoir. )) Mais, sans se laisser décourager par le désir d'une perfection absolue, que l'historien fasse son profit des décou- vertes plus récentes , et, se réjouissant à la pensée que nos ne- veux en sauront davantage, qu'il s'efforce de faire en sorte que ses successeurs puissent prendre son travail pour point de dé- part, et conune témoignage du degré où la science était arrivée de ses jours. Mais, s'il voulait juger les contemporains de Lycurgue et de INTXOBUCTION. Il Clovis avec les idées de notre temps^ sans trahir les faits^ il trahirait Thistoire. Il lui siéra bien de partager les généreuses sympathies de notre époque^ d'en seconder le noble élan vers tout ce qui profite à l'intelligence et au bien-être des niasses. S'il considère ensuite que chaque peuple^ en obéissant à l'ai- guillon du besoin ou de la curiosité^ aide au progrès universel de la science et de la civilisation, il trouvera le moyen de nous rendre contemporains des peuples les plus anciens, d'empêcher ce qui est frivole et superflu d'usurper la place de ce qui est essentiel ; il saura conserver aux événements racontés IMntérét qu'ils avaient lorsqu'ils étaient actuels. Je voudrais de plus qu'il eût étudié son siècle^ non-seulement dans les salons et dans les écoles^ sources perpétuelles de pré^ jugés inhumains; non-seulement dans les journaux et dana cette foule de brochures qui sapent toutes les opinions sans en avoir aucune, mais en lui-même et dans les hommes les plus simples et les plus naïfs. Que son attention ne se porte pas sur les faits anciens ou contemporains alors seulement qu'ils écla- tent avec fureur dans les révolutions, mais qu'il ait vu celles-ci se préparer sur les places publiques, dans les églises, dans les ateliers, à la bourse, au foyer domestique. A quoi bon des des- criptions de batailles suspectes et incomplètes pour le militaire, superflues pour les autres ? Ces discussions prolixes pour cons- tater une date, un lieu, un nom, cette érudition laborieuse qui croit tout savoir quand elle a tout lu, et qui nous dispense de penser en nous enrichissant des idées d'autrui,ne sont pas faites pour Phistorien qui aspire à vivre plus dans les cœurs que dans les bibliothèques, et qui, l'édifice une fois élevé, croit devoir ôter les échafaudages pour qu'on voie sa beauté, non la fatigue qu'il a coûtée. Je voudrais qu'il sût marier l'histoire statistique, résumé moderne de tout ce qui peut être réduit aux lois de la propor- tion mathématique, à l'histoire politique qui considère l'in- fluence d'une nation sur l'autre, d'un individu sur tou§, d^un siècle sur les suivants ; et à l'histoire philosophique qui consi- dère le genre humain comme subordonné à une loi, les événe- ments cx)mme se développant dans des rapports plus ou moins directs avec elle : car le cours des fleuves paraîtrait absurde à qui ne connaîtrait pas l'Océan dans lequel ils se jettent. Personne ne pense plus aujourd'hui qu'il suffise à l'histoire ? . 78 INTBO^DUCTION. â'étiressi(Hi; il faudrait réunir Fingénuité des chroniquein*s, rimpartialité des fataKstes^ la dramatique exposition des clas- siques; embrasser Pensmnlàe San» négliger les détails; faire que le récit ne &Ai ï>as séparé de la poésie, des mœurs et de la pensée ; grouper les événements sans les confondre ; unir au specttde vwié de la vie le profond intérêt métaphysique offert par les évotutions successives de Fesprit humaiil. Aussi éloigné de l'aridité qui.se cache sous la rondeur des périodes, que de la vanité qui se masque sous les antithèses et sous une fausse concision,'tl faudrait fondre en un la majesté de Tîte-Lîve, la simplicité de Villani et de Joihville, la critique de Nîebuhr, la sagadté de Madiiavel/ rîmmortelle rapidité de Tacite; ^m- prontar à Sdiiller sa manière passi pour ne pas «xposer ses sentiments ^ ses joies ^ ses tristesses propres, mais parier du genre humain dans un esprit de charité universelle ^ exempt de toute exagération; jouir des triomphes de la cause la plus juste ^ mais avec une dignité simple; souffrir avec les é^s vertueux , mais demeurer calme ; ne pas penser à faire ttne satire ou un panégyrique; toujours bienveillant et sincère, ne pas rechercher les erreurs d'un peuple pour rabaisser son génie^ ni les nier pour n^admirer que sa grandeur. Si c'est avec îe coeœ* droit, avec la conscience qu'il est digne de parier deè ^broits parce qu'il accomplit ses devoirs , avec la foi dans le btâfi et daïis la générosité, qu'il entreprend de méditer et d*é- crffe llnstoire, alors les événemaits qui paraissaient morts se raviveront d'rai souffle morale quand il reconnaîtra que tout ce qui arrive tend à la vertu , bttt de l'univers , lors même que ce but n'apparaît pas à nos yeux. Tel est ridéal de l'historien, idéal que j'avais sans cesse de- vant moi , lorsqu'en contemplant la route parcourue par Thu- manité, je me disposais à guider à travers les siècles écoulés la jeunesse du nôtre. J'ai donné plus haut une rapide esquisse de mon travail. Je n'aurais pu suivre la méthode ethnographique, parce que trop de faits très-importants qui apparaissent dans l'ensemble de l'histoire de l'humanité échappent à l'étude isolée de chaque peuple. Mais, attendu que l'esprit humain a besoin de reprendre haleine , j'ai divisé mon ouvrage en périodes^et Ton a vu comment, surtout pour l'antiquité, j'ai donné à ces périodes une plus grande extension que ne l'avait fait encore aucun histdrien. Par là, j'ai tâché de réunir les avantages des deux systèmes ethnographique et chronologique , en compre- nant la vie entière de quelques nations dans une seule époque. Cependant , fidèle à ma méthode sans en être esclave, je n'ai pas voulu suspendre l'hislôire de tous les peuples à l'année que 80 INTRODUCTION. signala la révolation d'un seul : j'ai différé à parler de quelques- uns jusqu'à Pinstant où ils vienneni coopérer à la civilisation commune^ ou anticipé sur les temps pour exposer leur agonie et leur mort. Je me suis aussi étudié à faire entrer dans le récit le plus de particularités que j'ai pu^ concernant la vie intellec- tuelle et morale d'un peuple. Quant à celles qui réclamaient des considérations expresses , un coup d'œil spécial et d'ensemble^ je leur ai réservé une pl&ce à part. Je me crois d'ailleurs dis- pensé de déduire chaque fois les motifs de ces différences de méthode : Tenchaînement des idées ^ tel fut mon but; si je l'ai manqué!^ que le blâme m'en revienne. Du reste, on doit être persuadé que celui qui examine un travail en courant doit pou- voir en juger moms à fond que celui qui, durant des années. Ta médité avec persévérance. J'ai discuté les sources où j'ai puisé, mais j'ai renoncé à la fastueuse habitude d'encombrer de citations le bas de chaque page. Celles que j'ai admises se rapportent aux faits et à leur ordre général. Quant aux réflexions spéciales, aux pensées que je puis avoir empruntées à tel ou tel écrivain , je témoigne ici ma reconnaissance à qui de droit; mais, ayant cru devoir mettre à profit le labeur de tous mes devanciers , j'ai acquis , ce sena- ble, droit de propriété sur tout ce que j'aurais pu m'identifier. Si j'ai assumé l'énorme tâche de traiter seul un sujet si varié, ce fut précisément dans la persuasion que, même en restant inférieur dans quelques parties, mon livre aurait l'avantage spécial de faire envisager l'histoire entière du même point de vue, et de lui conserver cette imité de couleur et d'intention qui manque à tant d'autres. Celui qui, par la franchise et la rec- titude d'intention de ses écrits antérieurs , s'est concilié l'opi- nion, est plus jaloux que tout autre de préserver ses vieux jours de l'opprobre réservé à quiconque trahit ses propres senti- ipents, et dévie du sentier que des convictions raisonnées lui ont fait choisir. Puissé-je répéter sans rougir ces paroles quand, au terme de mon labeur, j'exposerai les résultats de l'expérience acquise dans le voyage auquel je m'apprête avec amour, cons- tance, conviction et courage. Personne ne voit mieux que moi les dangers de l'entreprise, la difficulté d'obtenir aujourd'hui l'attention lorsqu'on ne parle pas des intérêts du jour; celle surtout de choisir franchement entre les opinions , dans un temps où toutes sqnt remises en question. Je le sen? surtout aujourd'hui que mon ouvrage va INTRODUCTION. 61 paraître dans un pays où la parole a toute sa formidable puis- sance ; où elle est étroitement associée à la pensée et à Faction ; où se trouvent mille moyens pour connaître la vérité y et la plus grande liberté pour la dire; où Thabitude des affaires achève l'éducation dcmnée par les livres ; où ^ au lieu du recueillement nécessaire à Thistoire y on a toutes les émotions du drame; où un grand nombre d'hommes spéciaux pourront me reprendre sur des détails erronés; où ^hospitalité ne me sauvera peut-être pas de cette petitesse d'esprit qui^ par des censures de détail^ prétend démolir ce qu'il y a de généreux et de complexe dans le plan d'un ouvrage. Je vois ces difficultés, et je m'y expose. Est-ce courage ou témérité? le succès en décidera. Mais, si Fon s^ laissait décourager parles difficultés et par lés chagrins prévus^ quel grand travail parviendrait à sa fm? Ce dont je suis certain y c'est que je n'ai négligé aucun soin pour que mon travail réunit le vrai^ le bien et le beau. J'ai fait tous mes efforts pour me maintenir à la hauteur des conquêtes que fait chaque jour la science. Ne me laissant aveugler ni par la haine^ ni par l'affection^ et n'étant ni assez heureux pour tout regarder avec une naïve admiration, ni assez malheureux pour tout voir d'un œil désenchanté et morose^ je suis revenu des illusions de la jeunesse^ sans en avoir pourtant consumé toutes les ardeurs généreuses; j'aime mon pays^ sans déprécier les autres. Respectueux envers l'opinion d'autrui, sans renoncer à la mienne; voulant dire franchement la vérité, mais prêt à ac- cueiUir toute opposition loyale; admirateur du passé, sans le regretter; content du présent, sans m'en dissimuler les maux, et portant un regard confiant sur l'avenir, je me suis proposé quelque chose de mieux que les applaudissements du moment. J'ai réclamé aide et conseil des savants et des gens de bien ; j'ai réfléchi sur moi-même et sur les hommes^ dans rindispen- sable froissement de la société , comme dans les laborieuses méditations de la solitude et du malheur. J'ai éprouvé ces ora- geuses alternatives de ravissements et de déceptions qui, dans une grande tentative , mettent à une épreuve terrible la force de la volonté, et la retrempent d'une nouvelle énergie si elle en sort victorieuse. Mais le champ est vaste , bien vaste pour qu'il soit donné à un homme de le parcourir tout d'une haleine. Veuillent donc les lecteurs m'aider de leur bienveillance T. I. 6 82 INTBODUGTION. quand ma faiblesse succombera; ils s'y prétemnt plus facile- ment si je sais m'en faire des amis^ et les persuader que je puis me tromper dans les motifs de mes jugements^ non dans le sen- titnent qui me les dicte. Je sais que l'orgueil s^irrite contre celui qui bat en brèche une opinion enracinée et conmiode^ et je sais encore que les intérêts jugent partial celui qui les heurte. Mais j'en appellerai aux gens sincères et sans prévention; je ferai en sorte que ceux même qui ne partagent pas mon opinion confessent au moins que j'ai cherché de bonne foi la vérité. Si Taustérité de Fhistoire exige que Técrivain commande le calme à son cœur, je n'ambitionnerai jamais, cependant, cette impassibilité, fille misérable de l'insouciance ou de la peur, qui rend indifférent entre le crime et la vertu, entre les œuvres de rhomme et celle de Dieu; je ne l'ambitionne pas. Citoyen /je crois pouvoir exposer des opinions qui sont pour moi le fruit d'une con- viction réfléchie, et avoir le droit de les voir respecter. Italien du fond du cœur, je ne crois pas avoir à m'excuser si TEurope, si ma patrie en particulier^ m'arrêtent à parler d'elles avec plus de chaleur et de complaisance. Chrétien, je soumets mes opi- nions à qui tient d'en haut le droit de juger les consciences. Je crois que la charité doit inspirer la science comme les ac- tions; mais que la charité n'empêche pas d'avoir des opinions arrêtées et de les manifester avec franchise; qu'elle repousse, au contraire, ces jugements méticuleux qui trop souvent étouf- fent les convictions et la bienveillance. C'est pour cela, sans doute, que notre siècle s'en arrange. Puissé-je garder pour moi tous les ennuis et les amers dé- couragements, pour ne porter dans l'âme de mes lecteurs que joie et vigueur, pour n'y laisser d'autres impressions que celles qui, plus d'une fois, me firent bénir les hommes généreux dont les travaux ou les méditations attestent la sublimité de notre origine! Puissé-je répandre des sentiments de tolérance, de compassion, d'amour, pour cette grande famille, plus faible que méchante, plus égarée d'intelligence que corrompue de cœur; dont les erreurs deviennent souvent , par l'œuvre de la Provi- dence , des moyens de salut et de vérité ; dont les souillures sont amplement rachetées par les tranquilles vertus qui com- posent la félicité domestique, et par de nobles actions qui mé- ritent l'admiration des contemporains et la gratitude de la pos- térité ! , INTBODUGTION. 83 C'est à VOUS, jeunes gens, qui étudiez pour apprendre, plu- tôt qu'aux hommes qui croient savoir, que j'adresse particu- lièrement mon travail. C'est à vous, qui vous appliquez encore plus à cueillir les fleurs qu'à faire mûrir les fruits, que je vou- drais rendre les douleurs moins amères, les mécomptes moins inattendus, moins durs, les égarements d'une imagination sans frein et d'affections sans prévoyance. En vous rattachant par la pensée à toutes les générations, je voudrais vous inspirer ce dévouement qui fait préférer à Tavàntage particulier le bien de son pays et de l'humanité. Je voudrais vous prouver que , plus l'homme est éclairé, moins son sentiment personnel est impé- tueux, moins ses passions sont violentes, moins basses et mo- mentanées les idées d'un intérêt égoïste. Heureux si je pouvais éloigner de vous la désolante frayeur d'une fatalité inévitable ; si, en vous signalant les progrès moraux et civils, et l'obliga- tion de les attendre du temps, je pouvais déraciner de* votre esprit ridée que la force et la témérité décident de toutes cho- ses; vous démontrer, au contraire, par Texemple des maux, fruits de Finertie et de la faiblesse, la nécessité de renforcer Fintelligence et la volonté. Puisse donc se réveiller énergique et vivace dans vos âmes le sentiment de la dignité humaine et de la sainteté de la vie so- ciale. Ainsi, au lieu de vous user dans de tristes dégoûts, de vous laisser aller à de téméraires espérances ou à des haines impuissantes et coupables, vous apprendrez à sentir fortement votre propre raison, à rapporter toutes vos actions au bien gé- néral, à vous diriger vers un but saint et déterminé, à y mar- cher avec noblesse, concorde et générosité. Je ne crois pas que l'histoire puisse se proposer ime tâche plus noble que celle de propager une affection active envers les faibles, une déférence digne et raisonnée envers les puis- sants, Famour de Tordre social , la vénération poilr la Provi- dence; et cela, en affermissant Tidée morale qui fait que Thomme ait la conscience d'une destination sociale , et sente l'obligation d'apporter son tribut d'amour, d'intelligence et d'œuvres, à l'amélioration de ses frères, au progrès de Thu- manité. 6. NOTIONS PRÉLIMINAIRES. L^histoire est le récit d'événements importants doimés pour vrais , à l'effet de recueillir du passé des probabilités pour l'avenir, dans le développement de Tactivité spontanée de Fhonune. L'histoire est tirée : 1* de l'expérience propre ; 2** de la rela- tion des personnes présentes aux faits ou ayant pu en avoir connaissance ; 3** des monuments qui les attestent. Pour que Thistoire devienne une science, des traditions va- gues et décousues ne lui suffisent pas; il lui faut des faits vé- rifiés, observés, classés et bien décrits. La critique consiste à discerner dans les sources ce qu'il y a de plus ou de moins digne de foi, à les comparer entre elles, à rattacher les antécédents et les conséquents, afin d^arriver à ce qui est Pobjet de l'histoire, la vérité. L'histoire peut être universelle (1), particulière, municipale , (1) Les histoires aniverselles les plus connues sont : Celle conspilée par une société de gens de lettres anglais ; Londres, 1747-65; Amsterdam, 1742-92, 46 votumes. Je nne sers de Tédition de Paris. Guillaume GuTmds, Jean Ghat, etc., Histoire générale du numde depuis la création (anglais). Vari de vérifier les dates des faits historiques , des inscriptions , des chroniques et autres monuments avant et après Vère chrétienne, ouvrage de dom François Clément, bénédictin de Saint-Maur, achevé dernièrement par d'antres. Delisle de Sales, Mater et Mercier, Histoire des hommes. Paris, 1779-85; 53 vol. BossuET, Discours sur V Histoire universelle, Paris, 1680. MiLLOT, Éléments d'histoire générale. Paris, 1772. Jacques Hardion, Histoire universelle , sacrée et profane, continuée par Ukguet. Paris, 1756 et suiv. H. Luden, Histoire générale des peuples (allemand). Iflll4; en trois parties. B6 NOTIONS ffiSLlllINAIBES. ancienne (1), moderne, contemporaine , selon qu'elle traite d'iin seul pays, d'une seule cité, de tout le genre humain, des peu- L. Brescp, Histoire générale politique (allemaBd). 1615. BcjRET DE LoNGGHAMPs, Ics Fastcs universcls^ ou Tableaux historiques , chronologiques, géographiques^ etc. V Univers pittoresque, ou Histoire et description de tous les peuples, leurs religions, moeurs^ etc. / Mentelle, Cours complet de géographie , de chronologie et d*histoire ancienne et inoderne. Paris, 1804, GiuLio Ferrario, // costume antîco e moderno. Milan. Le Sage, Atlas généalogique, chronologique et géographique. Paris, 1804. Gatterer, Histoire universelle synchronique. Strass, Cours des temps, MUELLER, Histoire universelle, Genève. Amqdetil, Abrégé de VhisUÀre universelle^ Paris, i8al-7 ; \% vol. S^GUR, Abrégé de Vhisioire universelle, Paris, 1817-20; 2ô vol. DiLLON, Histoire universelle, contenant le synchronisme des histoires de tous les peuples contemporains, etc. Paris, 1814-20 ; 9 vol. Roustan, Abrégé de V histoire universelle ancienne et moderne, jusqu'à la paix de Versailles, Paris, 1790. Becrer, Histoire universelle ancienne et moderne, continuée par LoEBEL et par Mentzell, jusqu'à 1789 (allemand). Rottek, Léo, Scolosser, Histoires universelles. Les deux dernières ne sont pas encore achevées. Il faut compter aussi comne fort utiles les manuels, oavrages de modeste apparence, mais de grande étude, dans lesquels excellent les Allemands. Telft sont les suivants : Begk, Courte instruction pour la connaissance générale de Vunivers et des peuples. Leipzig, 1798. ScHROECK, Traité élémentaire ^histoire universelle. 1774-9$. Beeren, Manuel de Vhisioire ancienne, considérée par rapport aux Constitutions, au commerce, aux colonies des divers États de l'aniifuité, et Manuel historique du système politique des États de V Europe et de leurs colonies api'ès la découverte des deux Indes, (1) L'histoire ancienne s^ été spécialement traitée par Rolun, Histoire an- cienne des Égyptiens, Carthaginois, Assyriens, Mèdes, Persans, Macédo- niens, Qrecs, et Histoire romaine, continuée par KM. Lebçau et Crevier. HuEBLER Freiberg, Manucl de Vhisioire générale des peuples de Vanti- quité, du commencement des États jusqu'à la fin de la république ro- maine, 1797 et 1802, ainsi que {'Histoire des Romains sous les empereurs et des autres peuples contemporaim, ju^qv^i^ If^ grgnd^ migration. 1B03 (allemand). PoiasoN et Ckix, Abrégé de l'histoire ancienne. 1 83 1 . ScHLossER, Histoire de l'antiquité. 1820 (allemand). Remeb, Manuel de Vhisioire ancienne depuis la création jusqu'à la grande migration des peuples. Brunswick, 1802 (allemand). NOTIONS Pfiil^miMAIRSB. 87 pies antérieurs à la diute de Fempire romain^ des nations qui se s(mt formées depuis, ou de Fépoque actuelle. En écrivant Thistoire universelle, on peut adopter la niéthode ethnographique, qui présente isolément chaque peuple ou cha- que nation; ou la méthode synchronique, qui rapporte à la fois les événements de tous, selon Tordre des temps. On l'appelle biographie (1), quand elle s'occupe de la vie d^un seul individu; eHe prend le nom d^histoire sacrée, quand elle parle du peuple élu; celui d^histoire ecclésiastique, lorsqu'elle ne rapporte que ce qui concerne TÉglise ; elle devient anecdotique, en ne re^ cueillant que des faits de détail et des mots fugitifs; elle est liiy ter aire, artistique , scientifique, selon qu^elle suit les progrès du savoir et de l'industrie humaine. Les m^moir^^ se rapportent à une courte période de temps et à une personne ayant pris part aux faits racontés. Les chroniques exposent les faits dans leur nudité, sans liaison entre eux, ét«de quelque peu d'impor- tance qu'ils paraissent; dans les annales ils sont disposés par année. Nous avons déjà indiqué dans l'introduction les divisions déduites de la substance plus que de la forme. L'histoire politique ne commence que du moment où les honmies se sont réunis en sociétés civiles et en États. L'histoire universelle remonte au delà de ce temps , pour retrouver les premiers pas de Thumanité. On appelle traditions ou mythes ces fragments d'histoire primitive conservés par chaque peuple, sans lien, incohérents entre eux, et dans lesquels, au récit de ce qui parut le plus digne d^être conservé, se mêlent les idées alors dominantes sur la Divinité, les résultats de l'expérience, les observations astro- nomiques et naturelles; le tout exprimé en symboles et en per- Bredow, Traité élémentaire d'histoire ancienne, ^uivi d*un abrégé de la chronologie des anciens. Altona, 1799. GoGUET, Origine des lois, des arts, des sciences, et leurs progrès chezle^ anciens. Paris, 1778. Heebi^, F4ées sur la politique et le commerce des peuples de Vantiquité, 4* éditioD. (1) Les biographies Jes plus eonnoes dans Fantiquité sont ceHes de Diogèoe Laêrce, Cornélius Népos et Plutarque. Cliez les modernes, la Biographie uni'- verselle, récemment publiée à Paris, appartient à IMiiitoirc générale. Plusieurs articles relatifs aux personnages du dernier siècle ont été faits par quelqu'un de leurs amis ou par des gens de leur connaissance, de softe que cet ouvrage peut sous ce rappoit être considéré comme source.. 88 NOTIONS PBéUMINAlRES. sorniiScations. L'analyse de ces mythes a fourni de belles vérités à la pénétration de quelques savants , lorsqu'ils ne se sont pas trop abandonnés à Fesprit de système (1). Les poésies nationales peuvent voiler, sous des allégories et des caractères poétiques, des événements réels. Certains usages, certaines fêtes, des allu- sions, de simples mots, révèlent ou confirment parfois une cir- constance importante. Aux traditions doivent se réunir les monuments; ceux-ci s(mt écrits ou non. Les hommes conservent le souvenir des faits re- marquables, en élevant soit des monceaux de pierres, soit des statues, soit des trophées, selon leur degré de culture. Tantôt Finmiensité et la magnificence des hypogées indiens et égyp- tiens attestent Fantiquité et la puissance de ces peuples; tantôt des ruines prouvent Texistence d'une grande cité. Tantôt des armes, des urnes, des ustensiles ensevelis indiquent une ba- taille, une nécropole, une ville détruite. Tantôt les débris des temples, ou même des villes entières dégagées de la lave, nous révèlent la constitution d'un pays, son culte, ses préjugés, sa manière de se vêtir, ses croyances , son ameublement domes- tique, ses poids et ses mesures (S). Jacob érigea la pierre de Béthel en monument de son pacte avec Dieu; des pierres amoncelées rappelèrent le passage du Jourdain. La Grèce était couverte de tant de monuments qu'on pouvait y lire à chaque pas les fastes de la patrie ; et l'histoire antérieure à Hoqière n^existe que dans les monuments. (1) Je citerai spécialement : Vico , Principes de science nouvelle , sur la nature commune des nations, BiAMCHiNi, la Storia universale provata coi mûnumenti. Rome, 1697. Hetne, Commentaires sur Virgile et sur la bibliothèque d^Apollodore. BocLANGER, V Antiquité dévoilée. Cbeuzer, Symbolique^ ou religions de V antiquité considérées principa^ lement dans leurs formes symboliques et mythologiques, (2) Les meilleurs ouvrages sur les monuments anciens considérés comme source historique, sont ceux de : Oberlin, OrHs antiqui monumentis suis illustrati primx lineœ, Ârgen- torati, 1790. MuELLER, Handbuch der archéologie, Eàoul-Rochette, Cours d* archéologie, Champollion-Figeag, qui mit cette science à la portée de tout le monde» àvù^^oTï Abrégé d^ archéologie. Parts, 1831. NOTIONS PfiiLIMINAIBBS* 89 On poumdt appeler histoire interprétée les recherches faites sur la topographie des antiques cités, sur la structure des en- ceintes sacrées, sur les murailles, les tombeaux , les temples souterrains, sur les statues et les bas-reliefs qu'on y découvre; sur les médailles, les armures, les instruments de la vie civile et guerrière, journellement arrachés à la terre; toutes choses qui nous font connaître ce que ne dit pas Fhistoire^ ou confir- ment ce qu'elle a dit. L'archéologie est une science italienne, puisque, les premiers, Dante, Pétrarque et Cola Rienzi songèrent à recueillir des an- tiquités. Le sol de Rome a fourni aux artistes du siècle de LéonX d'incomparables modèles. Laurent le Magnifique institua le premier un cours public d'archéologie ; Winckelmann s'ins- pira d'elle pour l'associer aux beaux-arts; Montfaucon et le comte de Gaylus, pour enseigner à tirer profit des monuments et à les classer. Demster, Passeri, Lanzi, ressuscitèrent l'É^ trurie, et à la tète de tous vint se placer Ennio Quirino Vis- conti (1). Nous avons des inscriptions antérieures à toute autre his- toire, les unes en caractères alphabétiques, les autres en hié- roglyphes. Les plus précieuses parmi les inscriptions alphabé- tiques sont les marbres de Paros, sur lesquels, l'an 264 avant J. C, furent gravés les événements les plus remarquables de l'histoire grecque et itaUque, à partir du règne de Cécrops, 1577 ans avant J. C, sommairement énoncés et dégagés de toute fable. De Paros ils furent transportés à Oxford par le comte d'Arundelen 1628(2). Le Mexique nous a transmis son (1) Pour tout ce qui concerne la critique historique et Texamen des faits, voyez la première partie du Cours tTétudes historiques , par P. C. D^imou. Paris, 1842. Voyez aussi : BauNET, Manuel du Ubraire. Le quatrième Tolume comprend une biblio- graphie raisonnée qui aide beaucoup à connaître les ouvrages spéciaux. Meusel, Struvii Hbliotheca historica. Leipzig, 1782-1S04; U vol. Beck, AulcUerny zur keunterifs der allgemeiner wetl-und vôlker gesehichte, Ldpzig, |813; 4 yoK L. v?ACHLBR, Gesch. der historischen forsehung und kunst* Gettingen , 1812; 2 TOI. £rscb, lÀteratur des Gesehichte. Leipzig, 1827; 1 vol. (2) Marmara oxoniensa arundeliana, par Seldbn, en 1629, et par Pridbaux, en 1076. U meiilenre édition est celle d'Oxford, 1768, in-f, par Rjc. Chandlrii. 90 NOTIONS PBéUMIEfAIRBg. histoire en peintures et sculptures hiéroglypbiquos. Quant à rÉgypte^ les pyramides et les tombeaux nous ont conservé da nombreuses listes de rois; et Cailliaud a trouvé à Abydos un tableau de trois dynasties antérieures à Sésostris. Les marbres Capitolins trouvés à Rome sous Paul UI^ et où sont enregistrés les consuls^ les dictateurs^ les tribuns militaires^ les censeurs et les triomphateurs^ sont d'un grand secours dans Tétude 4e l'histoire romaine. On a publié un grand nombre de recueils particuliers ou généraux d'inscriptions lapidaires; mais les plus étendus sont ceux de Muratori et de Gruter (1). Les médailles aident à vérifier les dates et les généalogies^ surtout lorsque les monuments littéraires ont péri (2). Récem- ment^ par exemple, des monnaies rapportées de Tinde ont fait connaître la série ignorée des rois de la Bactriane ; et l'on dé- couvre à cette heure celle des princes abyssins. Maintes fois ce- pendant l'imposture a fait entrer des médailles fausses dans les collections; imposture dans laquelle s'est acquis de nos jours une triste célébrité P Allemand Becker, C'est la numismatiqua (1) J. Gruter, Inscriptiones antiqtiœ totius orbis romani ^ cura J. G. GRiEYiL. Amsterdam, 1707; 1 vol. in-f*. L. A. Muratori, Novus thésaurus veterum inscriptUmum. MiUn, 1739 , et 6uiv.; 2 vol. iii-f», atec ]e& SupplemenH di Sebastuno Donato. Lucquesi 17et. Voir aus$i, pour plus amples détails, notre volume d'arcbéologie. (2) On petit eonsiilter : Charles Patin, Histoire des Médailles, ou introduction à la connais- sance de cette science. Amsterdam, 1695. Son Thésaurus numismatum et ses {filtres ouvrages. - I.A Bastie, la Science des Médailles, Paris, 1739; 2 vol. ZACCARiA, Institut, antiquario-numism. Venise, 1793. Pellerin. Recueil de médailles des rois, des peuples et des villes. Paris, 1762-98; 50 vol. Ez. Spanhemii, Dissertatio de usu et prxstantia numismatum. Londres, 1707-9; 2 vol. in-r. J. G. Rasghe, Lexieon universâsrei nummorum veterum. 1795 et suiv.; 6 vol. in-8'. EcKEL, de Doctrina nummorum veterum. Vienne, 1792-98 ; 8 roi. On en a fait on abrégé sous le titre Eckel kurzge/asse anfangsgrunde der allen numismatich. vienne, 1797. Hennin, Manuel de num^smaHçue andenne, contenant les éléments de cette science et les nomenclatures, avec V indication des degrés de rareté des monnaies, médailles antiques, et des tableauap de leurs valeurs ac- tuelles. Paris, 1830; 2 vol. NOTIOHS PBiuiflRAIBli. 91 qui s'occupe spédaleinent des monnaies et des médmUes; comme la diplomatique (i), du dépouillement des diplômes et des diartes; la généalogie , de la succession des familles; la science héraldique, des armoiries et des devises ; la philologie, du véritable sens des auteurs et des mots. Ce sont là autant d'aides pour l'histoire. Les chartes et actes publics méritent confiance à un haut degré , car les intérêts des nations dépendent de leur authen- ticité : ils ont la plus grande importance , puisqu'ils renferment les traités et les conventions entre les divers États. Barbeyrae pour les anciens^ et Dumont pour les modernes, ont fait les re-* cueils les plus complets de traités publics (â). Les documents privés peuvent aussi non-seulement servir à vérifier les temps^ mais fournir encore des renseignements importants sur la oon^ (t) Mabillon, de Re diplomatica, llb. VI. Paris, 1681; et son Supple- mentum. Mieux encore : Fr. TousTAiN e^ D. Tassin, JSouveau traité de diplomatique. F^ » 1750-65 j 6 vol. in-4%fig. Nataus de Waillt, Éléments de paléographie. Paris, 1838; 2 vol. Sestini, Descriptio nummorum veterum cum animàdversionibus in doe- trinam Sekelianam. Leipzig, 1796. lettres et dissertations numismatiques. 3eriio, 1S04-6; 9 vol. ip 4^ MioNNET, Description des médailles grecques et romaines. (2) Babbetrac , Histoire ifes anciens traités j^s^u"^ Charlemagnê. Amsterdam, 1739; 2 vol. in-f . Dumont, le Corps universel et diplomatique du droit des gens, ou He- eueil de traités de paix, alliances, etc., faits en Europe depuis Chërle- magne jusqu'à présent. Amslerdam, 1739; 8 vol. ; et Supplément au corps diplomatique, par J. Duhomt ^i 4. Roi^s^er. 1776 ; 3 vol. Saint-Priest, Histoire <(^s traités de paix du xtji« siècle. Ajg^lerdaint 172o;2voI. in-f. Négociations secrètes touchant la paix de Munster et éPOsnabruk. la Haye, 1S24-5; 4 vol. Ces Ouvrages réonis forment la colleoUoa appelée du Corps diplomatique. On y rapporte aussi : ^YMEB, Foidera çonventionesque. hottàres^, 1714-27, 17 vol. in-f*. LEiBNnrz, Codex juris gentium diplomaticvs. Hanovre, 1695. L01916, Codex Italiœ diplomaticus. Francfort, 1725, 4 vpl. in-f^. Martkbs, Recueil des principaux traités depuis 1761. GoetUngen, 1791 ; 19 vol. KocH et SceoEL, Histoire abrégée des traités de paix depuis la paix de Westph^lie. Paris, 1817 ; 15 vol. in-S"*. MM. FiRWN DinoT frères publient maintenant à Paris le Nouveau Corps diplomatique, recueil de loua les traités depuis le viii^ siècle jusqu'à nos jours, par MM. Boeueas et Paul Odbkt. 92 NOTIONS PAÉLIMINÀIBBS. dition de certains peuples ou de certaines classes dans les dif- férents siècles. Nous trouvons chez les peuples les plus anciens, comme chez les moins éclairés, Fusage d'écrire des annales ou des chroni- ques^ soit par ordre de Tautorité, soit dans un but d'instruc- tion, soit par vanité particulière. Bien peu de très-anciennes chroniques ont survécu : il a été fait divers recueils de celles des peuples nouveaux (1). La plupart même des nations ne possèdent d'abord que des récits de cette nature; car, pour apercevoir Venchaînement des effets et des causes, pour appré- cier et exposer les changements de constitution, Fétat des arts et de la science , pour s'élever, en un mot , à la véritable his- toire, il faut plus de largeur de vues politiques et plus de cul- ture qu^il n'est donné à beaucoup de gens d'en acquérir. L'histoire ne peut toutefois, avec tous ces secours , aspirer à une certitude mathématique. Le scepticisme qui récuse l'asser- tion de témoins oculaires dignes de foi et de nations entières doit douter même du témoignage de ses propres sens; aussi l'histoire n'existe-t-elle pas pour lui. Rappelons-nous qu'Héro- dote, Ctésias et Marc Pol furent tenus pour de crédules con- teurs de miracles et de fables , jusqu'à ce que des découvertes successives aient justifié leurs assertions. La critique doit néanmoins, sous Tempire d'un doute raisonnable, examiner les événements, et, quel que soit le nombre de ceux qui les attes- tent, rejeter ce qui répugne à la nature des choses, pénétrer Tartifice symbolique qui les rend obscurs et inadmissibles; adopter pour un moment les opinions de chaque temps et de chaque écrivain; faire la part de la peur, de Padulation, de Fesprit de parti, et balancer les détracteurs avec les panégyris- tes. Sans la critique, l'histoire est un aveugle qui en prend un autre pour guide. Les événements doivent être distribués par lieux et par temps, sans quoi ils n'ont ni signification ni valeur : attendu que chaque fait est modifié par ceux qui le précèdent et par la nature des honmies, des mœurs, du climat. C'est pour cela que la géogra- phie et la chronologie ^ni appelées les deux yeux de l'histoffe. Chaque nation a dès le principe une géographie fabuleuse, (1) Comme ceux des écrivains byzantins; Scriptores rerttm italicarum , par MuBATORi ; recueil des historiens des Gaules par D. Bouquet; puis d'autres recueils par Baluze, Mabilloiv, Mart€ne, Ruînard, Duchesnk, etc. irOTIONS PBBLIMINÀIBES. 93 dans laquelle elle dépose les idées par elle conçues sur la figure et sur la (U)nstitution de la terre y limitée au petit nombre de pays qu'elle ccmnait. Chez les anciens, la géographie observait de préférence les peuples; aujourd'hui elle a plus en vue les États. Elle est, en tous cas^ et frivole et puérile^ si elle ne fait que donner une sàrie de noms^ ou déterminer la position des pays^ sans y associer des notions géologiques^ agricoles et sta- tistiques. Des études sérieuses c»it été faites sur la géographie an^ cienne (1) : elle a fait d'immenses progrès dans les temps mo- dernes^ et tout le monde connaît les travaux de Mannert, de Malte-Brun^ de Dumont-DurviUe, de Ritter, et en particulier VExamen critique de la Géographie par de Humboldt (2). Quant à la chronologie, on acquiert la certitude des tempspar : i^ Le témoignage des chroniqueurs contemporains ou voi^ns des faits exposés; â» Par la coïncidence des phénomènes célestes , tels que : éclipses^ phases de la lune^ comètes ; 3** ParIesinscriptions^médailles^monnaies,dipIômes,etc.^etc. Maintes fois^ en effets nous ne saurions à quoi nous arrêter si l'astronomie ne venait à notre secours; elle nous fournit (chose admirable pour descorpsdémesurément éloignés) la certitude qui nous manque dans ce qui nous environne. Ptolémée a conservé (!) Ouvrages priucijiaux sur la géographie autique : D'ANviLLE, Atlas orbis antiqui; 12 feuilles grand atlas. Manuel de géographie ancienne^ par Humel, Bbuns, Stroth, Hbeaen, etc. Nuremberg, 1788-1802, en six partieo, in-S**, ouvrage fort judicieux (allemaud). Crut. Cellâru, Notitia orbis antiqtU, Leipzig, 1701-6 ; 2 vol. in^i*», avec les Observations de G. C. Scqwarz. K. MxntŒATf Géographie des Grecs et des Romains, Nuremberg, 1788-1802, en six parties; ouvrage fort judicieux. Fr. Acg. Ukert, Géographie des Grecs et des Romains jusqu'à Ptolémée, Weimar, 1816 (allemand). GossELiN, Géographie des Grecs analysée, V9x\^y\1^0'y in-4'*. Et Recher* ches sur la géographie des anciens. Paris, an vi. J. Rennel, Système géographique d'Hérodote, Londres, 1800; in- 4' (anglais). J. Lelewel, Recherches sur la géographie des anciens, Wilna, 18(8; arec atlas (polonais). (2) Voyez aussi ânsart, Précis de géographie historique du moyen dge. 1839. Burette, Dvruy, etc., Cahiers de Géographie historique. 1838. 91 NOTIONS PBiuUINAIKBS. dans VAlmageste\e souvenir de dWerses éclipses se rapportant à l'année du règne du prince alors sur le trôncé En suj^ulant le temps, eu égard à la différence du calendrier et du méridien^ nous trouvons en quelle année ce souverain a commencé à régner. Ainsi Thucydide raconte que^dans la premièreannée de là guerre ' du Péloponèse, le soleil s'éclipsa dans l'après-midi ; qu'il en fut de même dans la huitième année de cette guerre ; qu'autant en ad^^ vint dans le cours de la dix-huitième. Or, comme on a remarqué que cette guerre a commencé la première année de la LXXXYIP olympiade, c'est-à- leur plus ou moins grand degré d^authenticité; aussi plusieurs ouvrages ont-ils été composés uniquement ou princi- palement dans le but de vérifier les dates (i). La distribution du temps en plusieurs parties empruntées au mouvement des astres est peut-être aussi ancienne que la pa- (1) Le principal est Y Art de vérifier les dates f des bénédictins de Saint- Maur. On la continue à présent, pour Thistoire contemporaine, à Paris. C*est à quoi tendent aussi les importants travaux de César Sgaliger, Pétao, RlCGlOLI, SlHSON, PEZRON, NKWTON, FRÉRET, MARILLON, DU CANGE, LaBBE , USSERIUS, Blair, Calyisius, Chantreau, Seriets, Tovrneiiinb, Delimiers, Destignolles, etc. Le Tniit de toutes ces longues et fatigantes études a été mis à la portée de tout le monde dans d'autres ouvrages, tels que : J. PrcoT, Tablettes chronologiques de Vhistoire iiniverselle, sacrée et profane^ ecclésiastique et civile, depuis la création jusqu'à Vannée 1808 , ouvrage rédigé d'après celui de l'abbé Lenglet do Fresnot. Genève, 1808. J. C. Gatterer, Abrégé de chronologie. GœUingen, 1777 (allemand). Champollion-Figeag, Résumé de chronologie. Paris, 1835. G. HoERLER, Tablettes synchroniques pour les histoires des peuples t surtout d'après Vhistoire tmiverselle de Gatterer, 179U-1804. IDELER, Recherches historiques sur les observations astronomiques des ancien^. Berlin, 1806 (allemand). ScHOEL, Éléments de chronologie historique. Paris, 1612. Ah. Sedillot, Manuel de chronologie universelle, Paris, 1886. MOIIORS PfiiLIMINAlKBS. 95 rôle et Fécritupe. Une rotation de la terre sur elle-mAme cons- titue un jour y la première et la plus universelle mesure de temps; elle se divise en vingt-quatre heures de soixante minutes chacune. Une phase entière de la lune forme le mois lunaire, et une révolution de la terre autour du soleil Vannée, Cent ans composent un siècle, cinq années un lustre , quatre une olynt' piade, quinze une indiction. Telles sont les mesures de temps les plus usitées dans l'histoire. Mais la durée différente^ ainsi que la diversité dans le conmiencement des années et des ères, rendent plus compliquée qu'elle ne le paraît d'abord , l'étude de la chronologie ; de là la nécessité absolue pour le chronolo- giste de connaître parfaitement le calendrier des diverses na- tions et les changements qu^ils subirent à diverses époques. Plutarque rapporte souvent les faits sous des dates athéniennes; mais tantôt il revient à celles usitées de son temps, tantôt à celles des événements rarémes : d*oû résulte une extrême con- fusion. Les temps se calculaient très-anciennement par ^^Wra^ion^, comme nous le voyons dans Homère. La Bible compte dix gé- nérations avant le déluge, et dix depuis cette époque jusqu'à la vocation d'Abraham. Trois génération^ , selon Hérodote et se- lon le plus grand nombre des modernes eux-mêmes , font cent ans. Les ères s'introduisirent ensuite; mode de supputer les années en les rapportant à quelque événement historique ou astronomique. Chaque peuple a eu les siennes. La partie la plus éclairée du monde adopte deux ères principales , Vixae avant, l'autre après J. C, qui, selon les calculs, sinon les mieux établis, du moins les plus généralement reçus, naquit l'an 4004 après la création de Phomme. Les époques sont des divisions moins étendues, qui indiquent certains point d'arrêt dans la marche des temps, en les ratta- chant à des événements notables, que par ce motif on dit faire époque. Ces époques, par conséquent, varient non-seulement selon les peuples, mais aussi selon les auteurs. Les Européens adoptent généralement les divisions suivantes de l'histoh^e uni- verselle : temps obscurs ou fabuleux , antérieurs à toute his- toire humaine certaine; temps antiques , jusqu'à la chute de l'empire d'Occident; moyen âge , jusqu'à la chute de l'empire d'Orient et à la découverte de l'Amérique; temps modernes, jusqu'à la révolution française, où commence Phistoire con- temporaine. 96 NOTIONS nXLlMlNAIBKS. Nous avons déjà indiqué (i) à quelles époques nous avons fixé les repos de Fhistoire dont nous allons commencer Texpo^ sition. (1) Introduction, page 33 et ftuifafitM. HISTOIRE UNIVERSELLE LIVRE PREMIER. DE LA CRÉATION A LA DISPERSION DES HOMMES. SOMMAIRE* Genèse. — Age du monde d'après la géologie ; ^ d'après les œuvres humaines ; — d'après les histoires diverses. — Unité de la race humaine prouvée par la physiologie ; — par le langage ; — par l'accord des sentiments. — Des tradi- tions. — Des connaissances. — Des Américains et des Australiens. — Pre- miers pays liabités. — Premières sociétés. — Dispersion des peuples. CHAPITBE PREMIER. Au commencement Dieu créa le ciel et la terre et les choses otéàium. qui sont en eux , puis il mit Fordre dans la matière informe où tout était en lutte^ et sépara les eaux de la terre; il commanda à celle-ci de produire les plantes et les herbes, à celles-là les rep- tiles^ puis les volatiles^ les poissons et tout autre animal; et il vit que tout ce qu'il avait fait était bon. Il forma en dernier Thonune à son miage. en lui donnant Tétre^ rintelligence, Pamom* et la liberté^ en l'établissant comme son représentant pour dominer les autres créatures^ et en l'investissant du sacerdoce pour louer le Créateur. Il lui créa ensuite une compagne^ et fonda dès les premiers jours du monde la société domestique, base de toutes les autres. Mais les premiers êtres raisonnables ne se contentèrent pas de leur état. Ambitieux d'acquérir des connaissances plus élevées, ïs abusèrent des dons de Dieu; ouvrant ainsi dans le principe T. I. 7 98 .^SllUtBV l^FOftPI* les plmes dont rhumanité fut incessamment tommentée : de là nos inutiles efforts pour parvenir à une science qui nous échappe ou neu$ conmme pans Ihiit ; les 4aQg«|s 0e ja |ibert^j dfirA le nom 0st si dcpx, iHisage 4 ^^^^l^^ Yahns ^ an^r^ l'ins^tiabile désira franehir les bamère» que la loi morale knpose à la Ceii- blesse. Alors se* mirent en désaccord l'imagination et la raison^ reptendement et la volonté^ dont la lutte constitue précisément Phistoire, qui montre Thomme individuellement, et Tespèce en général, s'épuisant à rétablir Fharmonie entre le cœur, les sens et l'intelligence. L'homme, privé de la félicité primitive, vit la brute se révolter contre li;i| et fut contraint de guigner sa nouiTiturç à la sueur de son front : jeté sur une terre de fatigues, de traverses, d'exil, il dut y accomplir l'expiation et se rendre digne d'un destin plus sublime. Le châtiment m^me devenait ainsi le signe et le carac- tère de la dignité de l'homme qui devait, à travers les obstacles, avancer toujours, en faisant triompher l'esprit sur la matière, par la conquête successive des arts et des sciences, et par Pexer- cice, toi^ours plus libre, de sa volonté dirigée vers le bien. Première Adam et Eve conomencèrent donc à tirer profit de la terre; ils engendrèrent Gain et Abel; le premier, agriculteur; le se- cond, pasteur. Tous deux offraient leurs présents à Dieu ; mais Abel avec plus de foi, ce qui les rendait plus agréables au Sei- gneur. De là naquit entre eux l'inimitié, première manifestation dans la société de la désunion opérée déjà dans la conscience, Caîn, envieux, tua Abel, et le sang commença à souiller cette terae, qui devait en être si souvent ab^uvée par l'envie* Gain, loaudit et déchiré par les remc»?ds, s'enfuit au loin, eraigniuit que le mem-tre ne fût vengé piu* le meurtre ; mats Dieu le mar- qua afifi qu'il souffrit le tourment nouveau d'une vie d^efiBroi et d'exécration. Il eng^idra un jBils> et diereha le premier sa sécu-* rite enbàtissant une ville que, du nom de son fils, il appela Énoc}u Enoch engendra Irad: Irad, Maviael; Maviael, Mathusalem> et oriuî-ei Lamech. Li^mech épousa Ada et Sella, dosit la première lui «of^ndra Jabel, qui s^adonna à la garde des troupeaux et vécut sou» lea tentes^ et Jubal> qui enseigna à jouer dé la harpe et^ de l'orgue; la seconde mit au monde Tubalcaïn, qui travailla au manteau, et fût habile en toutes sortes d^ouvrages d'airain et de fër. Seth, un autre des ncMnbreux fils d'Adam, engo^dra Éik)s, qui introduisit les formes solennelles du culte; d'Énos sortit famtlle. C^li^ua, puis M qui fut père de Noé. L'existence de cha»> ciiQ d'eux était de plusieiura œntaines d'auuées. Les deseen- dants de Seth s'appelèrent fils de Dieu> parce qù'ib forent fidèlef il sa loi : ceux de Gain s'appelèrent fils des heounes. L'amour unit les fils de Dieu aux filles séduisantes des Gsinites, et 1^ race qu[i en naquit^ n'aymt fo qp;ie dans sa foree^ aU» tou- jours se corrompant. Pieu s'en irrita, et envoya un déluge qaV submergea tous les boaunes^ dont le nembre s'était beaucoup accru dans m temps où la vie était aussi longue. Noé seul échappa avec sa feinille et les diverses espèces d'animaux sau- vés avec lui^ dans Tiinmense vaisseau qu'il avait préparé d'après l'ordre de Dieu (4). Les seuls êtres vivants épargnés par la Providence flottèrent dans l'arche jusqu'à ce que^ les eaux décroissiint ^ elle s'arrêta sur une montagne de l'Arménie. Les animaux qui en sortirent se répandirent sur la terre et la repeuplèrent ^ les saisons se disposèrent comme elles le sont aujourd'hui (^)y l'ordre de la vé- gétation se rétablit^ et Dieu apaisé b^it les hommes en leur disant : « Croissez , multipliez et remplissez la terre; et domi* PiyinteM nez sur les animaux de la terre ^ sur les oiseaux , sur les pois- sons^ qui deviendront votre pâture à l'égal des végétaux. Mus celui qui rép^dra le sang de l'homme, son sang sera répioidu ; parce que l'homme est fait à l'image de Dieu. » Noé et ses trois fils, S&oky Cbam et Japhet^ nouveaux père» du g^re humain, se mirent à cultiver et à peupler la terre. Noé donna ses soins jt la vigne, et trouva le moyen d'en tirer le vin; vm&f f^te de connaître sa force, il s'enivra. Cham l'en (1) Selon TËcriture, Tarctie avait 300 coudées de longueur, 30 de hauteur, 50 de largeur. La coudée de Moïse devait être celle dont se serraient les Ëgyp- tioBs da 80B temps. M. de Ghszales ea trouva la masure scalptt^ sur use pyramide, correspondant à 20 pouces et 6 lignes du pied parisien. L*arclie était donc longue de 512 pieds 6 pouces, large de 85*3, haute de 51-3, et par conséquent était plus vaste que le démede HUau, ou Saint- Pierre de Rome, ou Sainte-Sophie de Constantinople. En supposant au bois Tépaisseur d'une coudée, sa capacité devait être de 1,781,377 pieds cubiques; et comme on exige 42 pieds cubiques par tonneau, il en létulte que sa cargaison pouvait s'élever à 42,413 tonneaux. (2) L'axe de la terre était peut-être d'abord perpendiculaire au zodiaque, et die pouvait jouir partout d'un équlnoxe parfait. Qu'on me permette ce doute, iftftme appès que Laplaee s'est avisé d'en démontrer limpossii^ilité. 7. préceptes. 100 PBEMtteB iPOQVE. railla; et pour cela Noé maudit Chanaan , fils de Cham^ en di- sant qu'il demeuperait infârieur à ses frères. S'étuit multipliés avec une promptitude miraculeuse^ les fils de Noé se virent contraints d'abandonner les plaines riantes de la Mésopotamie ; mais, avant de se répandre dans le monde^ ils voulurent laisser un monument de leurs forces réunies y en éle- vant une tour immense. Leur projet déplut au Seigneur^ qur^ descaidu au milieu d'eux^ fit naître la confusion des langues^ et quand auparavant chacun d^eux parlait le même langage^ ils ne s'entendirent plus en:tre eux. Ainsi leur ouvragé resta ina- chevé; et, cherchant de nouvelles patries, les trois races se dis- persèrent sur toute la terre en conservant cette variété et cette ressemblance que Ton rencontre d'ordinaire entre frères. Voilà à quoi se réduit le récit du plus antique des historiens, auquel, ne voulùton pas tenir compte de Finspiration divine, rendent témoignage les preuves puisées aux sources les plus disparates. Nous ne croyons pas devoir glisser sur cette pre- mière époque et laisser exclusivement à d'autres sciences le soin de ï'éclaircir. On y retrouve les origines de toutes les ins- titutions humaines ; sur elle reposent et la fraternité universelle de l'espèce humaine , et ses premières lois , et ses croyances communes : les vertus et les vices que lïous rencontrons dans une famille, nous allons les retrouver dans les nations. Pour- rions-nous poursuivre avec sécurité la construction de notre édifice avant d'en avoir solidement assis les fondements? Comme le botaniste donc qui, pour donner Thistoire d'une plante, commence par en examiner le germe, nous nous arrê- terons quelque peu sur les débuts de l'humanité, et nous cher- cherons à connaître et le théâtre où elle doit agir, et les acteurs qui ont à y jouer un rôle. ^— — ; CHAPITRE II. ANTIQUITÉ DO MONDE. La première questipn qui se présente est relative à l'antiquité du monde. Alors que le savoir s'arma contre Dieu, il fit appel à ÀJ^TIQlIlTi DU MONDE. ^01 la plus ancienne des sciences et à la plus nouvelle (i) pour dé- mentir le récit de Moïse : mais , interrogées avec une loyauté plus consciencieuse et de plus vastes connaissances > Gastrono- mie et la géologie déposèrent au contraire en sa faveur. Que les six jours de la création ne doivent pas s'entendre de jours comme les nôtres^ c'est une opinion qui s'accorde avec la théologie de même qu'avec la raison. Notre jour peut-il être (1) Poar laisser de côté tout ce qui est rê?e, Agricola le Saxon recueillit le premier, au seizième siècle, des observa tiens sur la formation des substances minérales, et dans le même temps Bernard de Palissy, simple potier, s'oecupaft des mêmes recherches. Fracastor de Vérone avait d^à remarqué les coquilles fossiles, et les traces des végétaux, des poissons et d'autres animaux que Ton voit souvent dans les minéraux, surtout sur le mont Bolca, près de sa patrie; et, par leur gisement, il s'était aperçu qu'ils n'y avaient pas été ensevelis tous à la même époque. Plus tard, Stenon avait prévu que ces pétrifications pour- raient on jour servir à déterminer l'âge relatif des masses où elles sont enfer- mées. Vers la moitié du dernier siècle, Tylas sut apporter de l'exactitude dans quelques descriptions minéralogiques, exemple qui fut suivi bientôt en Alle- magne et en Suède. Peu après, Bergmann, dans sa Géographie physiqtte, exposa plusieurs faits imiH)riants à l'égard des gisements des minéraux et des filons métalliques. PaHas, en attendant, explorait les Contrées les plus reculées de la Russie, et des animaux appar^nant k la zone torride sortirent de des- sous les glaces de la Sibérie. Cependant ces observations n'avaient pas encore de but arrêté ; elles n'étaient pas assez systématiquement dirigées pour former une science. Werner, tirant parti de son séjour dans un pays où se trouvent les mines lés plus anciennes (si tonlefots la priorité n'appartient pas à celles de l'Ile d'Elbe), enseigna la manière de reconnaître et detlistinguer les formations successives des terrains par la composition et la structure des masses miné- rales, par les circonstances de leur gisement, et par l'ordre de leur superposi* tion. Un si beau début fut imité. Saussure, par ses voyages sur les Alpes, Dolomieu, par ses études sur les productions volcaniques et sur les roclies magnétiques, Ermenegild Pino, Breislak et Brocehi, par leurs travapx sur l'Italie, le secondèrent dignement. Ce dernier, dans le discours qui précède sa Conchiologia fossile subapennina, a donné one si longue série d'auteurs italiens qui ont écrit sui^ les fossiles, qu'aucun autre pays ne peut en citer un plus grand nombre : on y trouve des noms fort connus, tels que Moro, YalHa* nieri, Generelli. Mais c'est au baron Covier que revient la gloire d'avoir non* seulement recueilli une grande quantité d'os fossiles, mais reconstruit avec ces fragments les êtres auxquels ils appartenaient, et formé une échelle des différentes espèces d'animaux qui ont disparu de la terre. Après lui, Bron- gniart, Haiiy, Buckland, Conybeare, Deshayes, ^ermssac, de Fischer, Mantell, Goldfoss, Jêger, Marcel de Serres, Ëlie de Beaumont... ont fait faire des pas gigantesques à la science. Quand Voltaire disait que les fossiles marins et les coquilles d'huîtres que l'on trouve sur les hauteurs de Montmartre pouvaient bien provenir d« quelque déjeuner que les l)ourgeois de Paris y avaient fait anciennement, il ne se doutait pas que de pareils faits, interrogés loyalement, répondraient en nous donnant une science qui ferait jiisUce de ses imprudentes' railleries. 102 P&BMIBBE ÉPOOliS. compté là OÙ jamais Tombi^ n'alterne avee la lumière? Peut-il être compté avant qu*il y ait des planètes pour le mesurer? et parmi les hommes même, Thabitant de Syène et celui des pôlels n'entendraient-ils pas différemment le matin et le soir? Il s'agit donc de six époques de la terre dont 11 n*est pas donné à l'homme de mesurer la durée , mais qui laissèrent des traces sur noite planète. La géologie, en déroulant les^ couches dont est enveloppée la terre, cet oignon symbolique des Égyptiens, contraignit les minéraux à fournir ITiistoire de leUr formation. Cuvier, qui fit faire à cette science plus de progrès que tout autre, après avoir réuni tout ce qu'il put connaître en fait d'os- sements fossiles , parvint à conclure de leur étude que notre terre fut bouleversée à plusieurs reprises, la mer envahissant les lieux peuplés par les animaux et détruisant les espèces alors existantes; et que le dernier événement de cette nature coïn- cide précisément avec l'époque du déluge de Moïse (1). Au premier jour, dans lequel la matière incandescente, obéissant aux lois de l'attraction mutuelle et aux forces centrifuge et cen- tripète , se façonnait en un immense sphéroMe ; ou, pour for- mer les roches de granit et de protogyne , s'aggloméraient le quartz, le feldspath, l'amphibole, le talc, le mica flottants sur la mer de feu d*où s'exhalaient des vapeurs épaisses et inacces- sibles à la lumière, succéda le second jour.: dans scm cours sor- tirent des eaux les îles et lés continents, couverts de lichenë, de mousses, d'algues, de fougères, tandk que dans les eaux na- geaient déjà les animaux invertébrés, polypes, madrépores, aoamonites, et la riche famille des trilobites. Les vertébrés ap^ paraissent à la troisième époque, en conunençant par les sau- roïdiens, les lépidoïdiens, les squales; la terre se pare d'une végétatioti gigantesque, fougères arborescentes, calamités im- menses, conune aujourd'hui sous les tropiques. Voilà qu'à la quatrième journée rampent les énormes reptiles aux formes monstrueuses, avec des membres étrangement assemblés, tels ^'ils excitent notre étonnement quand nous les extrayons du terrain secondaire, entre la fcH'mation du grès rouge et celle de la craiew Au cmqui^e jour les manunifères viennent se joindre (1) DièconnB Biir lés réTolotionft ite la surfoce du globe et les «hangements qu'elles OBt produits dans le règne animal, par M. le baron Cuvlef ; 6* édition, HtiBi 1830. B)ocKUin), Geolùgy and Mineralogy emHêtred tbith ttfèrence to natural Theology, AMflQUlTB DU MONDB. 103 aux poissons de la mer^ et dofiiiner la terre jusqu'à ce que l'Océan se »)ulëve en fureur et envahisse les parties restées à sec^ en y laissant les énormes blocs erratiques qui sont pouk* les savants un problème insoluble^ et en ensevelissant d'autres races vivantes ; puis se retire pour faire jrface à la plus wMe des créatures. En général^ plus les couches de notre globe sont andenne^, plus les animaux qu'elles renferment diffèrent des eqpèces ac- tiielles. On trouve de grands amas d'ossements dans quelques cavernes; dans le Yorkshire, on en a découvert une remplie d0 squelettes de hyènes du Cap et d'ossements de tigres /d'ours^ tl'éléphants^ de rhinocéros. Ciombieti de temps^ que de change- ments n'ar-t-il pâs fallu pbur que la liberté s'implantât là où leë hyènes erraient par troupeaux^ arrachaient à la terre et ramas*- saient ensemble les os des bêtes fauves qui maintenant rava^ gent l'extrémité de l'Afrique I Telle est la première réflexion dont est frappé Tesprit de celui qui aborde l'histoire des fossi^ les. On y voit pourtant que la succes^on qu'elle signale s'ao- corde avec Perdre de la création donné par Moïse : voulût-on même ne lui attribuer qu'uiie autorité purement humaine^ il au^ rait donc déjà su de son temps ce que les savants ont décou^ vert avec tant d'efforts trois mille ans plus tard? Cdui qui écrit l'histoire des hommes n'a pas à remonter au delà de leur création. D'ailleurs quelle garantie peut donner la science^ quund l'hcomne a pénétré si peu dans les entrailles et s*est élevé si peu au-dessus de cette planète^ où il né vit qu'un jour (4) ? Qu'il suffise dotoc de dire comment^ à présent^ se troiï- vent tout d^abord sur la surface de notre globe des banes à^ fange et tle sable argileux^ mêlés de cailloux roulés de Icnn ^ et pleins d'ossements d'animaux terrestres^ effrayants de forme et de volume^ dont la race a péri ou vit sous de tout autres cli- mats, il faut bien distinguer ces bancs des sédiments ordinaires dés fleuves et des torrents qui ne contiennent que des débris d'animaux du pays^ et attestent le dernier déluge (2). (1) Quand notre globe a 1719 milles de diamètre, c'est à petne si inm» solrnn^, dans qoelcjnes endi^ofts, descendus à^la profMidair d^tin dwni-Mille. Pour la hauteur» M. de Hamboldt est parvenu, sur le Chiraborazo, à 19^300 pieds; Gay-Lttssacy dans HA ballon, à 18,€00 pieds. (2) cela résvîte des obsehrations de BiiCKiAMn : Rêiiqn^ éiiuvkin»^ lx>n* dres, isis ; de BaoïtcniART : Dktionnùirê des Science naturHiu, art. kao ; BemipHén géfiogîjm âes entHrùm d$ Fari$ ^ ^t Ostim et bmmi^abt ^ 104 PBBUIÈBE EFOQDE. Entre ce premier terrain et la eraie s^altern^t les produits d'eau douce et d'eau salée qui indiquent l'irruption et la re- traite alternative de la mer : ils sont renfermés dans la chaux^ dans le plâtre^ la lignite et semblables substances; suit l'argile^ formation immense en profondeur et en étendue^ qui dut être déposée par une mer plus tranquille. Elle sépara les terrains appelés tertiaires^ des secondaires (1) qui sont le grès^ les schis- tes calcaires et leurs pareils^ mélangés aux ammonites, aux co- quilles et à quelques débris de végétaux. On arrive enfin aux marbres, aux schistes primitifs, aux gneiss et aux granits. Au milieu de tant de débris d^animaux découverts dans les diverses couches^ on n'en trouva aucun de Thomme^ sauf dans les plus récentes ; pas même une arme ^ un arc^ un instrument quelconque indiquant sa présence. Ce qui conduisit Guvier à conclure avec Deluc et Dolomieu, « que s'il est une chose bien avérée en géologie , c'est que la superficie du globe f^t boule- versée par une grande et ^soudaine révolution^ dont la date ne peut guère remonter au delà de cinq ou six mille ans; qu'elle submergea le pays habité d'abord par les hommes et parles espèces d'animaux les plus connues aujourd'hui, en mettant à sec lé fond de ce qui était mer^ et en forma le pays habité au- jourd'hui: qu'après une telle révolution, un petit nombre d'in- dividus qui lui étaient échappés se dispersèrent et se propagè- rent sur les terres laissées à sec; et que, depuis ce temps seulement^ nos sociétés commencèrent une marche progres- sive, firent des établissements, élevèrent des édifices, recueilli- rent les faits naturels, et combinèrent des systèmes scientifi- ques. » Une telle autorité est faite pour tranquilliser toutes les intel- ligences, et nous pourrions y ajouter Newton , Pascal, Kirvan, et autres grands noms; tous d'accord entre eux pour soutenir la concordance de la nature avec les traditions bibliques (2). oiijeeuom. D'autrcs furent d'un avis tout exposé, et tirèrent des consé- Paris, 1823; de Vebster, Comstant-Prétost, Hchbouit, de Bonnard, Cont* bbare; LabèÔbb, etc. (1) Dénominations' que la science doit abandonner comme trop systéma- tiques. (2) Autant en soutient encore Chaubard dans ses Éléments de géologie. Celui qui ne voudrait pas lire des ouvrages plus longs et plus graies peut cou* sulter FoRicBON : Examen des questions scientifiques de Vdge du monde^ dé la pluralité des espèces humaines, de l^organologie, du, matérialisme ANTIQUITÉ DU MONDE. 105 quences contraires aa récit de Moïse» Et d'abord ils tirent con- temporaines la création de Thomme et celle des animaux. Cal- culant alors combien de temps il fallait pour accumuler les immenses bancs de coquilles et pour les pétrifier au sein des rochers les plus durs^ ils affirmèrent que Thomme devait re- monter bien plus haut que quelques milliers d'années. Nous avons déjà répondu à ceux-là. Récemment un Italien , Tadini , considérant la progression dans laquelle la mer se retire^ cé- dant à peu près un mètre en trois mil)e ans^ et trouvant des vestiges marins sur les cimes les plus élevées ^ supposa autant de trentaines de ^ècles nécessaires pour que la mer en descen- dit^ qu'elles avaient de mètres d'élévation au-dessus de son ni- veau. Étrange légèreté d'observations et de raisonnem^nts. Si la mer se retira si pacifiquement ^ comment expliquez-vous ces amas de coquilles et d'autres matières^ roulés^ poussés à force^ et souvent fracassés au milieu de roches solides? Conmient ex- pliquez-vous ces autres bancs immenses de coquilles dont les plus fines et les plus délicates se sont conservées aussi intactes que si l^oa venait de les péicher? Comment les granits sont-ils superposés à la craie et non pas aux puddings? Comment les énormes blocs erratiques furent-ils âoulevés jusque sur les plus hautes cimes^ et à de si énormes distances des roches de même nature? D'où viennent les gisements bizarres des couches si di- versement inclinées^ quelques-unes horizontales^ quelques-unes même ondoyantes (i)? A toutes ces questions réfK)nd^ selon nous victorieusement , la théorie trouva ou éclaircie par Éiie de Beaumont {^), d'à- et autres, considérées par rapport aux croyances chrétiennes. Paris, 1837. Voy. aussi Wiseman : Twelve lectures on the connexion between science and reveled religion. Londres, 1835. 2 vol. in-8«. (t) L'explication la plus iogénieuse de ce phénomène avait été donnée par Greenougby en supposant que ces couches s'étaient formées sur place de la mâme manière que des inscrustaUons se forment dans l'intérieur d'un vase en y faisant bouillir de l'eau plâtreuse ; mais si, dans ces mêmes couches, on trouve des cailloux et des coquilles, comment croire qu'ils étaient là suspendus pour attendre les incrustations ? (2) Kircher,Playfer, Breislak, avaient déjà deviné que les montagnes s'étaient formées par des soulèvements; mais Ëlie de Beaumont a réduit cette conjec- ture ^ système complet, ainsi qu'on peut le voir dans les Annales des Scien- ces naturelles. Septembre 1829 et suite. On doit s'étonner de trouver la doe- trine des soulèvements dans la Bible : Psaume cm. Ascendunt montes $t descendunt campiin locum quem /undasti eis. De même la formation des il OIS PHEMiftâE it&^tlE. près kquellé les montagnes ne sont pas ia partie la pltfô an- cienne^ et 3 comme on le disait^ la charpâité du monde; elles ne se formèrent pas par Télétation des tertes ou par le sédi- ment des eaux^ mais elles furent poussées en haut et expulsées par une force intérieure. Ainsi donc , sous l^orcé Âd notre globe , à une profondeur qui n'est pas peut-être de plus de vingt-cinq mille mètres, il existe un vaste foyer, constamment embrasé, cause des tremblements de terre , dés volcans et des soulèvements (1). L'élasticité de cette écQTce la soumet à une ondulation, de manière que les marées se produisent non-seule- ment sur les eaux, mais encore sur la masse terrestre : si elles sont maintenant presque insensibles, il fut un temps où elles devaient avoir un flux et un reflux de cinq ou six mètres. Cette doctrine, en même temps qu'elle démontre combien sont sim- ples lés moyens par lesquels lé Créateur maintient Tordre uni- versel , donne de la formation des tei'rains divers une raison bien plus satisfaisante que les systèmes neptuniens si vantés, avec lesquels il fallait supposer que cinquante mille kilomètres de matières terreuses et métalliques eussent été, à une époque quelconque, dissous dans un kilomètre d'eau. L'expérience quotidienne confirme la théorie d*Élie de Beau- mont; car, si les soulèvements ont dîiniïiué; Ils n'ont ^as cessé. Debatha démontré qu'en Suède le terrain s'élève régulière- ment ; Robert Stevensohn a vérifié que , depuis tirois ^ècles , te fond de la mer du Nord et celui de la Manche se sont élevés tous deux (2); un grand nombre de voies t»omaines sur le litto- ral, d'Alexandrie à la Belgique , attestent que là Méditerranée n'a pas changé de niveau, et cependant beaucoup d'édifices sur se$ bords sont couverts par les eaux. En Italie, le temple de montagnes est distincte de celle de la terre dans le Psaume xci. Prvûsqnam fièrent montes, aut formaretur terra et orbis, (1) conDiER, Essai sur ta température de riHtérienr de la terre. Âcadé- iDié des sciences. Juillet 1827. Marcel de Serres, dans des cavertoé» récemment dëcoavértes près de Montpellier, a observé qu'au delà de ta profondeur de 30 mètres» où le soleil h*a plus aucune influence, la température augmente dans la proporUon d'un degré par 30 mètres. Le creusement du puits artésien de Grenelle, à Paris, a (bùrni ttn nouveaii moyen pour suivre pas à pas la pro- gression de la chaleur souterraine. (2) Toy. StGVEifsoBN, Obsermtions mr le/btid de lu mer du Nord et de lu Manche; FoKTis, Sur les côtés dé là mer ÀdHatique; et les recherches de KÊttHÀt, dans lé Bnlletifi de la Société géologique^ t. VII, 1S87, où il dé- nïtm\tt que ta pénlnsnle scâtadinate 8*accrott régnHèrement du côté die l'est. Arnri^tti Dti MOMbB. tôt 6érapis^ près Poufisole, mus dit ieotnment certaines plages peu- vent s^ver et s'affÉiôsep partiellement. Nous savons, de science historique, lo tempsoù naquirent le Monte Rosso en Sicile et le Monte Nuovo dans les champs phlégi^ens de Naples , et il y a peu d^années qu'on vit surgir des flots de la Méditerranée une île qui depuis disparut. Au moyen de cette théorie des soulë^ vemente, qui aujourdliui est généralement admise, M. de Beau- tnont put même déterminer Page relatif des montagnes de notre globe. Pttrnii celles qu'il a étudiées, les plus anciennes seraient celles de FEr2g*farge en Saxe, de la Côte-d*or en Bourgogne, et le tooht Pilâz dans le Forez. Les Pyrénées et les Apennins seraient moins vieux ; les Alpes occidentales , avec lé mottt Blanc, seraient encore de beaucoup plus récentes. Un qua* trième soulèvement aurait donné naissance aux Alpes du cen- tre> c'est-à-dire au Saint-Gothard, aux monts Venteux et Lebe- rOn près d'Avignon^ et, seloh toute appari^ce, à l'fiBmalaya de l'Asie, ainsi qu'à TAtlas d'Afrique. Il n'y a rien de bien certain encore sur l'âge de l'itnmense chaîne qui traverse l'Amérique , mais on est porté à la croire encore plus moderne. Dans l'une des dernières années (17 février 1837) , M. Lyell , président (de la iBociété géologique de Londres, traitant des soulèvémeiitis et affaissements de eette nature , fiaisait connàt- tre que dans le lôomté de Lancastre se trouvent des dépôts ma- rins de coquilles récentes jusqu'à une hauteur de cinq cént$ jrfeds au^essus du niveau de FOcéan : il déclarait que les der- niers tremblements de terre avaient soulevé là côte du Chili, qui même sans eux s'élève graduellement. La Scanie s'affaisse aU contraire, à telles enseignes, qu'une grosse pierre, marquée par Linné en 4749, se trouve, à l'heUré qu'il est, rapprochée de la mer de plus de càit pieds* Preuve en faveur de la théorie de Hutton, au sujet de MévàtioU du fond des mers, produite par la chaleur centrale. Des milliers de siècles ne sont pas non plus nécessaires pour (pie des êtres ot^anisés deviennent fossiles, puisque Pekpérience a réussi à les pétrifier en peu de temps au moyen de combinai- sons chimiques (1). (I) M. Gépptrl es BrttlM ofaCInl dés pétiifii»fioiM et[«iil«8 de timi géologues les plus eipérimentés. En mettant de la fougère daue des coùdlés i'viS^, qa'oB AM desséeiier in fini éa m ioMI> 6b en relire une plante fos- sile. En tenani des végétaux tobnieiiés dans te seliitM» desdlOite de fer jM^h 108 PAEMIÈBE ÉPOQUE* Une argainentaiion qui parut plus adroite et plus directe- ment opposée à répoque assignée à la création de l'homme^ fat celle qui mit en avant les changements arrivés sur la surface de la terre depuis les temps de la tradition^ et qui ne pouvaient s'être accomplis que dans le laps d^un grand nombre de siè- cles. Ceux qui en firent usage ne calculèrent pas assez les for- ces au moyen desquelles la nature opère encore de vastes chan* gements. Sans tenir compte des foudres et des tremblements de terre qui tout à coup^ Cuba et la Guadeloupe le savent^ chan- gent Taspect d'un pays^ nous indiquerons quatre causes prin- cipales de mutations insignes et continuelles sur la superficie' du globe : les pluies et les dégels^ qui^ pour ainsi dire^ déchar- nent les montagnes et entr^ent leurs dépouilles à leurs pieds; lés eaux courantes^ qui emportent ces débris pour les déposer là où leur cours^ se ralentit; la mer^ qui sape les hautes falai- ses^ tandis qu'elle /porte des montagnes de sable sur les riva- ges aplanis; enfin les volcans^ qui p^cent les couches solides du globe et répandent au l(Hn leurs éruptions. Les éboulements obstruent le cours des fleuves et les coq- vertissent en lacs^ effaçant des pl^dnes cultivées et de populeu- ses cités. Que celui qui a vu les torrents se précipiter des mon- tagnes y le Pô franchir ses digues ^ l'Océan dans la tourmente , dise quelle est la puissance des eaux. Mais encore sans cela ^ quand les fleuve, gros de limcm et de débris^ perdent leur ra- pidité en arrivant à la mer^ ils y déposent un sédiment qui s'ac- croît de plus en plus et forme des provinces entières qui^ mises en culture^ nourrissent des hommes là oii nageaient les mons- tres marins (1). Au contraire^ la mer dans son flux apporte toujours de nou- veaux amas de graviers vers les côtes basses : à chaque reflux , il en reste à sec une portion que le vent de mer chasse plus avant à l'intérieur; de sorte que si l'homme ne pense pas à les arrêter j ces dunes couvrent les chainps^ les contrées entières» et Faction de l'air, de Phumidité , du temps, les solidifie ainsi que les végétaux et les animaux qu'elles surprirent dans leur c6 qu'ils en soient bien pénétrés, et en les faisant ensniie brûler jusqu'à ce que toiite trace de matière organique disparaisse, i'onyde de fer qui en ré- sulte conserve la forme de la plante. Annales desSciewes naturelles» Ayril 1837. <1) On a calculé que le Gange apporte chaque jour à rocéan un Tolume de niatièreà égal à celui de la plus grande des pyramides de r£gypte« ANTIQmTlB SU MONDB. 109 inrasion. Aux endroits où la c6te est escarpée^ le flot, en vei- nant battre ; la mine ad pied, et d'en haat s'écroulent d'énor- mes masses; le mouvement des vagues les use ^ les brise, et produit une plage pli» déprimée. Ainsi les fleuves et les torrents entraînent au fond des lacs des matières qui peuvent même les combler, et la mer remplit de limon les ports et les baies. L'œuvre de ces seuls agents altéra l'aspect de beaucoup de pays, même depuis le dernier déluge, et des traces indubitfd)les en apparaissent, qui confirment l'histoire et la tradition (i). La mer Noire , postérieur^oQent aux temps historiques , s'est mise en communication avec le Bosphore de Thrace et la, mer Cas- pienne; celle-ci et le lac Aral communiquaient entre eux; et la mer du Nord s^avançmt dans le continent jusque dans leur voi- sinage. Les sables salés , si fréquents en Asie , en Afrique , et dans l'Europe orientale, prouvent que la Méditerranée occupait un Ht plus vaste , ou s'étendait ailleurs (â). Il est probable que les monts Ourals s'élevaient comme une grande lie (3) , tan- dis qu'au contraire les lies de l'Océanie s'attachaient aux con- trées méridionales de l'Asie qui, au nord, se reliait à l'Améri- que. Les Grecs conservaient la mémoire d'un continent appelé Lettonia, qui occupait une grande partie de la mer Egée. La séparation violente des rocs de Galpé et d' Abyla , qui fit péné- trer la Méditerranée où verdoyaient des plaines populeuses, est un évâi^sient symbolisé dans la fable d'Hercule. Pourquoi pen- ser que la grande lie Atlantide disparue ne fut qu'un rêve des {urètres égyptiens? Quels motifs avmeni-ils d'inventer un conte étranger au culte , à leurs idées, à leur intérêt (4)? Les tradi- (1) Voyez, sur les changements de la superficie du globe» connus parrhîstoire ou par la tradition^ et dus \)ar conséquent à des causes qui agissent encore de nos jours, les faits recueillis avec tant d'érudition (onscienciense par M. de Hof. GcBttinguen, 1S32-24, 3 Tol. in-8°. (3) Voyex Hi»B0u»T et Sgbubârdt. (3) L'afiaissement d'une si grande partie de TAsie, près les monts Garais f est une des particularités les plus singulières observées par les derniers géogra* phes. La mer Caspienne et le lac d'Aral se trouvent, le premier, à ôê toises ao-dessoos du niveau de rocéan,et leseeond,à 31 1oise8,8elon M. de Humboldt, qni évalue la superficie de cette vallée à 10,000 milles carrés allemands. Les provinces de Saratof sur le Volga, et d'Orenbourg au pied de l'Oural, quoique si éloignés de la mer Caspienne, sont à peine au niveau de TOcéan. (4) BoRT DB Saikt-Vincbnt, daus son Essai sur lès tlês Fortunées, prétend que l'Atlantide était composée parles lies Açores à son extrémité septen- tions nous tiqppeUeiH plssietin déhiges ea âfèce/dUFMii ië^ quds la Tbessalie devait offrir on vu^ lac qln a^écoiria par le Fénée; la Béotie^ aa eonlraire^ dot Mpe inoiMiée par \eê dégor^ gements du lac Copaï (i). S nous reveMOê à des Mm^wnirs plus précis^ o^esi-à-dire plus rai^iroehés^ au temps d'H<»iière^ on ifioovait naviguer de 1% du Phare au lac Maréotis, qui avait einquante milles d'étendue ; âtrabon^ qui vàDut neuf sièeles après le poèle^ ne lui en trouva phis que vingt; et^ dq[>uis^ les sables poussés pwr la mer et par lèvent formèrent la langue de terre sur laqueUe fulbfttie Alexan- drie, obstruèrent la bouche du Nil la plus voé^ne, et firent dis- paraître ee lae {S). Ce fut pour cela que les prêtres égyptiens dirent à Hérodote qu'ils regardfûent leur pays comme un don du Nil (S) y et que le Ddta était de formation récente. Dans Ho^ mère^ en effets il n^est pas foit mention de Memphts, mais seu- lement de Thèîies (à). Lés jMÎndpales bouebes du ^1 étaient là Pélusiaque et la Canopique ^ et la plage s'étendait en ligne di- recte de l'une à Pautre^ au temps oà Ptolémée traçait sa géo- grai^ie; plus tard^ le fleuve se jeta dans les bouches Bolbitine et Fatnitique ^ et la plage prit la forme d*un croissant. Rosette et Eiàpniette^ qui s'élevaient là sur la mer il y a mille ans^ en sont distantes aujourd'hui de deux lieues, ie sol des bords du Nil s^xhausse en même temps qu'il se prolonge ; ce qui foit que les monuments antiques g^eai en grande partie sous terre. Parmi les mille exemples que me fourniraient toutes les con- trées^ je tdboisis ceux offerts par des pays sur Phistoire desquels nous devons porter une ait^ion plus spédale. Lecf alluvions du Nil ébranlent l'antiquité indéfinie à laquelle prétmident les Égyptiens, M. de Girardin (5) démontre en effet que le terrain des pays niliaques s'élève de vibgt-six millimètres par an; or, trionalOy par celle de Madère et autres voitiiie» à soa extrémîlé orienteié, par les Iles Canaries au sud de Madère et par caUes du Cap-VMt à son extr^^ité méridioiiale. Cette ojpinion avait été produite par MenteH, maift attc moins de préeiaicuii. Voy . VSncyclofédiêy arl. JU AtkmHque, (t) Déluge d'Ogygès. (3) Voyez un Vénioire de nolomieu dans^ k JMimal d» phfslquê^ t. XLII, p. 40. SeloD^ lui, Félévation dans ie Ddta égyp^n parles iHovioa» e«t de deux pieds tous les cent vini^ ans. (3) HÉROooTB, i?«/erpe, â et 15. (4) L'obsenratimi est d'Anstoto, lit. i, «iiap. t4 des Météore»^ (§) Dissertation à l'Âcadëmie des seienccs, 1 SI S. ÀNT4dlitn w Mosn. ut ediui «ir lôQuel ThèbeB es^ h&tie éUuai d'une pffoftmdeuie dd six m^rea^ die ne peut aspirer à plus dé quoiante-oinq mèeleft d'anliquité. Ce qui arma du Delta égyptien se réalise également pour eelm du lUiône/ dont les emb^ichureS; «n diK-huit eents ans^ se acmt prolongées de neuf milles. Les plus belles eités de TÊo- Kde se voient oouveHes par les atterrissements } Élée^ Qimea, Pitane^ percent à peine au-Klessua des sables du CMque qui oQHi- Uèrent le poâct de Pltane et le golfe en avant d*Élée; THemius tardera peu à avoir fermé le golfe de âmyme; le Méandre a fait un lac de celui de Mitylène ; celui d'É|)iièse fut encombré par le Caïstre (i). Que de dian^^ments en peu de siècles ! Ainsi^ les dunes du g(dfe de Gaseagne enterrèrent beaucoup de villages mentionnés sur les cartes du moyen âge^ et m^sacent d'en re^ couvrir d'autres> n'avançant pas moins de soixante et douae pieds l'àn^ de scoie que dans vingt siècles elles at^ront gagné Boir^ deaux (â). M. de Lamartine (3) rnius montrait naguère les bancs de sable rouge qui, mal contenus par la forêt de Fracardin , poussait ea avant sur Beyrouth en Syrie« Denqn (4) énumère combien de villages et de cités en Egypte furent env^s par les sablesj, depuis que l'inertie musulmane cessa d'y porter remède ; tout ce qui s'étend entre la chaîne libyque et la mer en serait entièrement couyeH, si le vice^roi actuel n'avait fait plwater des arbres par miUiers dans les vaUées sablonneuses. Bassora , au eontrake^ n'aura pas à attendre longtemps les fik)ts qui ajoute^ ront au gcdfe Persique aes plaine& si florissantes dans un temps de magnifique civilisation. Mais pourquoi chercher si loin des exemples? N'avon»>nQus pas sous les yeux Venise conservant à grand'peine ses lagunes? et Ravenne, éloignée de trois milles de la mer sur laquelle elle était assise^ et Âdria^ à dix*-huit milles des flots auxquels elle a donné son nomt II y a dea géologues qui soutiennent que les monts Euganéens ont été des Iles. Le Vd, qui coule renfermé 4ans des digues^ a él^é s/m lit au^les^us des toîts des maisons 4e Ferrare (5) : menace terrUjie^ comme celle des fleuves de (1) Texier, Rapport su niateti^ de rioléneor. (2) Voir Mémoire d« M. Bréhoothier sur la fixatiou dea duuas. (3) Souvenirs (Tun vùffug^ m Orient. (4) Deseriptim de VÉgypte^ [i) PaoNY, inapectdiur général des pools et chaussées, nsembce de rinstttul îninçais» chargé, au temps du royaume d'Italie, d'étudier les remèdes à ap- 1 12 FABMlteB iPOQUEi Hollfflfide^ dont les eaux coulent jusqn^à trente pieds au-dessus de la plaine. A partir de 1604^ le Pô a prolongé son lit dans la n»er de six niille toises, et Ton ne pourra mettre obstacle à ses ravages qu'en lui ouvrant de nouveaux canaiJ^L dans les terrains qu'il a déposés. Dans la campagne de Rome^ la mer venait bai- gner les murs de Tarquinie; elle en est aujourd'hui distante d'une lieue : Trajan construisit à l'embouchure du Tibre un port qui est actuellemeiit à deux mille deux cents mètres du rivage; et une tour élevée sur la mer par Alexandre VII en est à cinq cent cinquante-quatre. Voilà une partie des changements apportés depuis les temps historiques par les seuls atterrissements et par les bancs de sable. Qm dira en outre l'effet de cinq cent cinquante-neuf volcans toujours embrasés (1) î La nature cependant ne travaille pas seulement à détruire^ elle forme encore à présent de nouvelles terres. Certaines eaux^ au moyen de Pacide carbonique dont elles sont saturées ^ dis- solvent les substances calcaires^ puis les laissent se cristdiiser en stalactites qui fournissent une digue aux terrains d'alluvion^ formant ainsi des levées naturelles; phénomène lent ailleurs^ mais très-actif dans les mers équatoriales^ où l'on dirait que^ de même que la civilisation n'y fait que de naître^ la nature n'a pas acquis encore le calme de nos climats. Des rameaux entrelacés de corail et d'autres zoophytes s'élancent de Tune à l^autre des montagnes sous-marines qui entourent les continents de VOcéa- nie, et forment des bancs ou des îles nouvelles. Autour de l'île de Peel^ et dans tout Pespace qui s'étend du pied de la Nouvelle- Zélande au nord des îles Sandiinch^ un œil exercé voit s'amon- celer de telles masses de polypes^ qu'elles rendent ces eatix très- dangereuses pour les gros vaisseaux. La mer, en s'y brisant^ y dépose un sable calcaire qui en fait bientôt un terrain solide où le vent et les oiseaux portent des semences y et l'on voit des prés verdoyants où naguère roulaient les flots en fureur. Celui qui observe cet accroissement rapide se reporte en imagination aux temps qui précédèrent l'existence de l'homme, et croit être porter aux dévastations du Pô» examina le déplacement do rivage de l'Adria- tique à l'emboucliure ^e ce fleuve. (i) ARAGo, dans VAtintuiire du bureau des longitudes, 1824, disait qu'il restait encore 163 volcans non éteints. Maintenant on en compte 22 en Europe, sans y comprendre Tlslande, 126 en Asie, 25 en Afrique, 204 en Amérique, el 282 dans rocéanie. ANTIQUITÉ DU MOTIDE. i 18 encore à ce jour de la création où Dieu séparait les eaux de la terre (1). n n'est pas besmn de dire quelle force productrice déploie la nature dans ces terrains nouveaux^ tant à Tégard de la végéta- tion vigoureuse dont ils se couvrent , que de la multiplication des animaux. Une de ces îles^ où quelques naufragés anglais abordèrent en 1589, fut trouvée, en 1667, par les Hollandais, peuplée de douze mille pei'sonnes descendues de quatre mères seulement (2). Cent ans après la découverte de la Nouvelle» Espagne, on y voyait paître des troupeaux de soixante et dix jusqu'à cent mille têtes de bétail, bien que les brebis n'y eus- sent été portées que par les Espagnols; les bétes à cornes avaient multiplié dans la même proportion (3). En Europe aussi, nous pouvons voir combien la végétation se montre vivace et luxuriante sur les laves récentes. Que devait-ce d même depuis que Vbomme y toi tranfH portées); depni» qu'ont cessé les vicdentes agitations qoif h Taube du grand jour de la création, bouleversaient la supêrâcie de notre planète, comme dles le font aaîourd'hui dans la hme, el qni sont indiquées Ustoriquement dans le déluge de Noé et dans le Chérubin à Fépée flandxiyante. Les arguments firmt aussi défaoiàceux qui citèrent certûnes œuvres bnmaines comme étant de beaucsoup fkm haute anti* quilé que ne le comportait la tradition de Moïse. Si qodqii'iiin a soulemi que ks mines de fer de File d*Elbe devûent avoir été exi^xtéas depuis quarante mille ans au miQin8^d'«iitoe&(4)éta- bfeent sur de mollets» fondements que cinq mille ans suffis saient pour les mettre dans Fétat actuel, en supposant que les anciens en tirassent à peine un quart du métal qu'on en extrait aujourd'hui; mais qui ne voit ce qu'il fallut de fer aux Romains pour vaincre et enchaîner le monde? Loffs de Fexpédition de Bonaparte en Egypte, le général De Mû^ poursuivant Farmée en déroute de Mourad-Bey^ aperçut tF^d>ord un zodiaque scnlplé en relief dans le temi^ ^ ^^^ (1) SaiTH, MémoUre sur la Sicile et ses des. L(HM^es, tSSh If a?sdt été lenvoyé exi^rer ees pay» fmr le gooTernemeDt anglais. Hamillcii» Trantati, phUos,, TOl. LXI, p. 7. (2) Mémoire sur les Itor Femes. Pari», t78S, p. 471* (3) Tnlii ergo Doufimts Dews Aomiaem, et posuH euM la pmwksù vo^ hiptatis, Geaèse, e. ir. (4) De Fortia D*URBAiify Histoire de la Chine avant le déluge d'Offgèêf t>. 33. . ANTIQUlTi on MONDE. IIS derah (Tentyris). On en trouva un autre à Esneh (Latopolis) avec les mêmes signes dont nous nous setvons aujourd'hui^ mais au- trement distribués. L'analyse^ tant vantée par les philosophes du dernier siècle^ supposa que cette cmlonnance iqpéciale ne re- traçait pas des combinaisons astrologi({ues ou une épocfue quel^ conque trës-âdfpiée^ mais véritablem^t Tétat du ciel au temps où furent élevés les édifices dans lesqnds se trouvent ces pla- niqfih^s : état qui d^>end de la piécesmon des équinoxes^ par laquelle les colures accomplissent le tour du lodiaque éû vb^« six mille $ao»é Partant de cette suppoétioa^ Burlhardt démontra que le temple de Denderahoomptait au moins quatre mille ans. Nouet 1^ fit remonter à deux mille deux ans avant JésuskChrist ; Jolk»s et Devilliers^ qui y consacrèrent des études plus approfondies, le reportèrent à deux mille six cmits dix ans; La treille^ à deux mffle deux cent dnqnante ans avant notre ère. La division des deux zodiaques étotit différente^ celui d'Ësneh devait avoir trois mille ans de plus (i)« Il est vrai que^ contemporaînemeDty d'autres astronomes et antiquaires^ panœ lesquels j'aime à compter d'illustres Italiens> plaçaient le premier de ces zodiaques ^tre la cent trente-bui- iièGoe et la douzième année avant Jésus-C3irist; mas, m l'on est surpris de voir avec combiai d'érudition et d'(^ifttreté les savants déjà cités> ami» qn'HamSton^ Hbode^ Sannie^^ Lelor- nûn> Kot^ Parsvey^ soutenaient des opimons si disparates^ on doit rétre bien davantage que Dupuis et ses disciples aient édi« ié SOT un point aus» controversé Imt Umr de Babel^ du haut de faiçiidle ils prétendaient frà« kl guerre au cidi. Survint cependant un savant qui sut lire les inscriptions gnt* liées sur ces monuments^ qui sut comparer les styles^ et il re- eoomtt que le temple de Denderab aivait été consacré à la santé de Tibère, et sur leur très-antique planisphère on lut le titre d'il i^tocrrafor^ se rapportant probâblementàNéron.ÂEsneh^ une colonne^ précisément du même style que le zodiaque^ laissa tire la date de la dixième année du règne d'Aiàtonin^ c^estràKUia de 141 iqpf es Jésus-Christ (S). (f) esfOBÊKt, Descriptim des Pyramides de Giié, psg. il7. — Volrey^ Meeker&hes nonveïles sur l'histoire ancienne, f . m, p. 328^336. (2) £. G. ViscoNTiy dans ta tntdaction ifHérodote par Larcher, fol. ii, p, 570. -*- nom Tbrta, Sur deux zodiaques récemment découverts en Egypte, Rome, 1S02, p. 34. 8. i 16 PAE&lIÈItK ^POQUJi. Ainsi, CliampoUion écrivait, en 1829, du temple d'Esueii .* « Je me suis convaincu par une étude spéciale quece monu- « ment , considéré, par suite de simples ccHijectures fondées c( tiur un système particulier d'interpréter le zodiaque de la a voCite comme le monument le plus ancien de TÉgypte, était « le plus moderne de tous... L'époque du pronàos^d'Ësneh de- « meure incontestablement fixée au règne de Claude. Ses sculp- « tures vont jusqu'à Caracalla, et de ce nombre est le fameux « zodiaque sur lequel on a tant discuté (1). » Mais vous ne vous fiez peut-être pas à la confrontation des styles, vous ne voulez pas vous en rapporter au système de ChampoUion. Eh bien, Caillaud, dans son voyage en Nubie, rapporta une caisse de momie dont l'inscription grecque indi- quait la dixHieuvième année du règne de Trajan, 116 après Jésus-Christ, et sur laquelle était peint un zodiaque distribué précisément comme celui de Denderah, qui ne saurait plus étire considéré que comme un thème astrologicfue. Vêtions a^ro- D'autrcs , déployant un appareil de savoir peu commun, et dès lors difficiles à prendre en défaut, entreprirent de démon- trer l'antiquité des hommes par les connaissances qu'ils pos- sédèrent en diverses sciences, et principalement en astronomie. Cette dernière branche des connaissances hummnes requiert un état de société tranquille et de longues études, un long cours d'observations. Si donc nous la trouvons déjà avancée chez quelque nation, nous sommes en droit de conclure que cette nation remonte à une très-grande antiquité.. Les Égyptiens avaient fait leur année de 365 jours précisé- ment; et, bien qu^ils s'aperçussent qu'elle ne correspondait pas exactement à l'année solaire, ils voulurent la conserver par certains motifs de superstition (2). Ayant besoin toutefois de connaître avec certitude la durée de l'année naturelle, afin de (1) Voy. aussi De GuiGNEfi, 5tul^iiseg anrtiant dénumtré IHire0]teat temporaire la coîDcideace du lever de cet astre avec la crue du NU^ et on $e serait appliqué à rechercher la période plus précise de la concordance de l'année saorée avec la tropicale, période qui se serait trouvée^ non de 1461 , mais de 1508 amées sacrées (1). Qu'on nous pardonne d'insister sur ce points quand las œu« vres de Bailly^ de Yolney^ de Dupuis^ sont dans les mains de tout le monde^ et tous les jours prônées par des gens qui man* quent précisément de connaissances pour les réfuter. Il est bien différent de dire que des peuples placés dans d'immenses plaines aient contemplé le ciel , admiré ses mouvements et en- registre des éclipses^ ou de prétendre que cette multitude d'ob- servations sans but , sans ensemble^ sans précision^ ait tendu à trouver les lois constantes du ciel, les rapports entre des phé- nomkies compliqués; car cela seul nécessite une étude longue et attentive, aidée du calcul et de la géométrie, d'instruments de physique, de mesures exactes du temps , enQn de tout le cortège d^une civilisation adulte. Ce premier pas a pu être fait par les Chaldéens, par les Égyptiens et par les Chinois ; mais la sdence progressive ne naquit que quand les Grecs surent Pan- racher du sanctuaire. Lorsqu'on se rappelle que parmi ceux-ci Pythagore trouva les propriétés du carré de Thypoténuse ; Tha- ïes, la mesure des angles et les lignes proportionnelles : lor»» qu'on a vu comment le grand Hipparque avança en tâtonnant dans ses découvertes^ et comnoent Soxigène, élevé dans toute la science d'Alexandrie, ne put suggérer, pour amener à la pré- cision voulue le calendrier Julien , que la correction d'une an- née bissextile sur quatre années ordinaires, on ne croira pas tant au savoir des maîtres de tels disciples ; on pourra faire alors la distinction requise entre l'admiration pour un spectacle su- blime au delà de toute expression, et le calcul précis de ces ré- volutions. Le fondement que Bailly (2) faisait sur les très-lon- gues éphémérides des Chaldéens et des Indiens ne résista pas à la critique, qui démontra leurs supputations rétrogrades et erronées. Les tables in(Uennes de Tirvalour, dont il faisait tant âge, — Rapport sar le Mémoire de M. Paravby sur la sphère, titre viii* de» lifouveUes annalêi des voyages, (1) Laplace, Système des mondes, 3«édit., p. 17. Annuaire àt iSîB» (2) Histoire, de l'Astronomie. La comparer avec celle plus récente et plus exacte de Delambre. ANTIQUITTÉ DIT MONDE. 119 de cas, ne dnfent pas femcmter an delà de iiSi après J. C.^ et qudques-uns soutinrent que le Souria-SiddaiHa^ cpie les Brab* mines prétendent révélé depuis M millions d'années, ouataient pas huit siècles d^existenoe (4 } . Les Brahmines possèdent pourtant d'étonnantes formules pour calculer les éclipses , formules qu'on ne sait à quelle épo- que de leur histoire assigner. Les Ghin(Ms connurent la position précise des solstices; la période luni-«olaire fut trèsmsitée chet des peuples de l'antiquité la plus reculée; mais ils unissaient à ces connaissances remarquables des erreurs si grossières ^ des pratiques si matérielles ^ une telle ignorance des principes gé* néraux (^) , qu'ils ressemblaient au sauvage à qui l'on aurait appris à monter une pendule sans qu'il en connût les ressorts et le mécanisme. Ces connaii^ances écartent donc, d'un côté, l'idée que Thomme ait eu à s'élever de la condition de la brute, puisque son enfance est remarquable par tant de savoir; d^autre part , elles nous conduisent à supposer une immense lumière di^ensée d'abord aux premiers humains, puis obscurcie plus ou moins par le laps des ans et par les erreurs qui s'y mêlèrent. De ce souvenir d'un âge meilleur naquit peut-être chex l'homme, singulier mélange d'éphémère et d'étemel, cette dis- position commune qui fait que, ne vivant qu'un jour, il cherche à rattacher son existence passagère à celle de ses aïeux dans la longue série des temps. De là ces milliers de siècles accumulés sur l'époque primitive par l'imagination orientale. A en croire tes Chaldéens , ils conservaient les observations astronomiques de 40,000 ans avant Alexandre , et ils comptaient avant le dé- luge dix générations de rois ayant duré cent vingt Sari de 3,600 ans chacune. Les Brahmines comptent 300,000,000 d*an- nées, les Japonais ^, 500,000 , quelque peu moins les Chinois, les Perses 100,000 ans, 34,000 les Ég^tiens, les Phéniciens 30,000, 12,000 les Étrusques. Mais des savants tixtt recommandables (3) ont démontré que (1) LApLACBy Exposé du système des mondes, p. 330. ^ nAvis, Sur les calculs astronomiques des Indiens, Mémoires de Calcutta, t. lî» p. 225 ; l viii, p. 195. — Bentley, Sur l'antiquité du Souria-Siddanta et sur les t^stèmes (utrûnomiques des Égyptiens. (2) Voy. au présent ouvrage le livre II, chap. xix, où nous parlons de la science des pins anciens peuples. (3) Legcntil, Voyage dans les Indes, t. I, p. 235. — BAiLLt/i4«^f. ind. f f. 110, 112. T-< mst. de rastrpn, ancienne, p. 76. -^ dupuis^ Origine des 120 PHBMIEAE EPOQUB. ces chiffres représentaient des cycles astronomiqaes multiples de 13, 19, 52, 60, 72, 360, 1440, et d'autres périodeis, au re- tour desquelles l'imagination associa Tidée d^un renouvellement de la matière, supposée indestructible, en attribuant à l'espace ce qui semble n'appartenir qu'au temps. Pour en citer un exemple , Syncelle donne une chronologie égyptienne de 36,525 ans depuis le règne du Soleil jusqu'à ce- lui de Nectanebo, 15 rns avant Alexandre le Grand. Or, une telle période n'est que celle du retour du point équinoxial au premier degré de la constellation d'Âriès. Des instruments exacts nous ont appris que celle-ci revient après 25,868 années; mais les Égyptiens divisaient le zodiaque en 365 degrés, et suppo- saient que Véquinoxe, rétrogradant d'un degré chaque siècle, accomplissait son entière révolution en 36,500 ans. Comme leur année était, en outre, d'un quart de jour plus courte que la véritable année solaire, ils ajoutèrent à ce chiffre le quart de 36,500 jours , c'est-à-dire 25 ans , qui complétèrent les 36,525 indiqués pour l'âge du monde« Des recherches ingénieuses du même genre rendent raison des milliers de siècles comptés par d'autres peuples. Joignez à cela que ces espaces de temps imaginaires ne sont remplis que de chimères : on y place le règne du Soleil, celui des planètes, des dieux; ce qui démontre qu^ils appartenaient aux songes de la mythologie ou aux figures du symbole , non pas à la réalité de l'histoire. Les Égyptiens font régner d*abord le dieu Phta, puis durant 30,000 ans le Soleil, et après lui Sa^ turiie et douze dieux, avant qu'apparaissent les demi-dieux et les hommes. Selon les Parsis, les anges de la lumière dominèrent sans en- nemis pendant 3,000 ans; autant s*écouIèrent avant que na- quit le taureau monstrueux qui engendra les diverses créatures, et, après elles. Métis et Métisse {homme et femme). Pour les Thibétain^, le règne des Lah {génies) remonte à l'infini; suit une ère de 80,Q00 ans, puis une de 40,000, une de 20,000, une de 10 ans à peine, à laquelle succéda un autre de 80,000; tou- tes peuplées d^étres allégoriques rappelant ce que fur^t chez d'autres nations les règnes de Laurus(/a lumière), d'Uranus {le ciel), de Gea {la terre), d'Hélios {le soleil). H faut donc y voir cultes f t Ul, p. 14^. — Herhann» Mithologie der Griechen, t. Il t P» 332, 17«H» ANTIQUITE DU MONDE. 131 les rêves d'imaginations exaltées et vaniteuses^ on biefi des pé- riodes astrononiiques. On trouvera au contraire Phistoire très-récente chez tous les peuples : les temps certains n'y commencent que postérieure- ment à Abraham. Jq ne citerai pas les Européens actuels^ dont les traditions ne sont que d'hier; mais les Grecs y malgré leur vanité, avouent avoir appris à écrire des Phéniciens il y a envi- ron 34 siècles. Avant Gyrus y l'histoire de l'Asie n'est qu'un tissu de fables. Hérodote^ le père de l'histoire, vécut au temps de Néhémie et de Malachie y derniers prophètes^ il y a mainte- nant 2^300 ans^ et il s'appuie du témoignage d'écrivains qui lui sont à peine antérieurs d'un siècle (i).Le poète classique le plus ancien florissait il y a environ 2^700 ans. Bérose écrivit sous Séleucus Nicanor; Hiéronyme sous Antiochus Soter; Ma- néthon sous Ptolémée Philadelphe , trois siècles avant J. C. Sanchoniathon ne fut connu que deux siècles avant notre ère^ et ses antiquités ne sont remplies que de fables et de théogo- nies. Klaproth a démontré que les historiens de l'Asie' appar- tiennent comparativement à une époque récrite (2). S'il en estainsi^ quelle foi mériteront-ils quand ils font défiler devant nous une interminable série de siècles? Ce qu^ y a de (1) Cadmiu, Phérécide, Aristée de Proconèse , Acusilaûs, Hëcafée de Milo, Cbaron de Lampsaqne, etc. -- Voy. Wolff, De Uistoria Grssc., l, et le IV* livre d'Hérodote. {i)Ss$ai sur VoMtorité des kêstarUns de rAsie.Jiàn& se» Mémoire» irelatifii à l'Asie, contenant des recherches historiques, géographiques et philosophiques sur les peuples de l'Orient (Paris, 1 826), il divise Thistoire ancienne en my tlio- logie, histoire incertaine et histoire véritable, et il prouTe que celle-ci com- mence: Pour les ChinolB, an IX* siècle avant I. C. Japonais, Vil Géorgiens, ni Arméniens, H Thibétams , i après }.C. Persans, m Arabes, V Indiens et Mongols , xu Turcs, XIV n faut cependant tenir compte da diseours dont L. C. F. Petit-Radel fait précéder son Examen analytique et tableau comparatif des synehronismes de Vhistoire des temps hér&iques de la Grèce (Paris, 1S27}. Il y défend l'ao* torité des premiers bistorleos grecs. 122 PUMIlftE ipOQfll, ^us fenMrquAbl6y o'est que toutes les tcaditioiu/daDft la va* riété infinie de leurs fictions y s'accordeat ea s'approcbant des époques indiquées par Moïse. U sortit d'Egypte vers 1500, et vers cette époque ont lieu les émigrations (k)nt la Grèce reçut sa population et sa culture (1) ; la Grèce , qui avoue que rien n'est plus ancien que Japhet. Les Indiens n'ont pas de chrono- logie; mais Aboumassar , qui vivait à la cour d'Alnuunoun de 813 à 833 après J. C, qui habita la Perse et Balk , et étudia particulièrement l'histoire de ces pays, dit qu'ils comptaient 3^7â5 ans de son temps au déluge , avec lequel conmienee le ^qlUoug, c'est-à-dire Tâge actuel du monde (2). Les empires cbaldéen^ chinois^égyptien, bien'.que divers en temps de choses^ s'accordent sur ces qua1a*e mille ans à partir du déluge. Les Chi- nàis, qui prétendent à une si haute antiquité^ se contentent de .conjectures jusqu'à Tan 722 avant J. C.^ et leurs écrivains les plus dignes de foi regardent comme des fictions allégoriques tout ce qui est antérieur à F(hhi. Le Schiv^King , le plus ancien de leurs livres canoniques, fut kouvé ou plutôt remis en lumière seulement 176 ans avant J. G. Il monti^ d'abord Yao régnant d'accord avec les monts de son empire , et donnant ainsi ses ordres à ses serviteurs Hi et Ho : « AUbs et observez les étoi- les; déterminez le cours du soleil; divisez l'année. » Il cons- truit des aqueducs, règle le culte et les hiérarchies sociales, in- vente la prenuère métaphysique de l'Y , c'est-à-dire cpounent 4 et 8 furent formés par 1 et 2 ; il appartient en somme aux êtres symboliques, et toutefois il n'est que de 4,170, ou, selon d'autres, de 2,357 ans plus ancien que nous (3). (1) Selon UssERros, Cécrops vint de l'Egypte à Athènes vers l'an 15S6 avant J. C; Deucalion s'établit sur le Parnasse verg l'aa 154S ; Gadmiia arriva de la Phénicie à Tlièbes vers Tan 149S ; Danaûs à Argos» vers l'an 1485; Dardanus dans l'Hellespont, vers Tan 1449; Inachns remonta à l'an 1856 ou 1823; Ogygès à l'an 1796. Varron plaee le déluge ^'Ogygite 400 ans avant Inachus, ce qui le confondrait avec le déluge de Noé. (2) Yoy. Bentley, Mémoires de Calcutta, voK YIII, p. 226. (3) Voy. le ScMU'King^ Paris, 1770, et la préface dQ Prémare sur les temps a ntériears à ceux dont il est question. UNITS DB L'WPiCI ITOMilNB. 133 ^mmitrmmii^mimr''^^immmtm A\ r,! ;■■ i:^ CHAPITRE III. imiTé HE L'BSPàCB bumaihe. La sincérité du récit de Moïse, qui ne donne à lliomme que î»îf«"o'»»«- de 7 à 8,000 ans, demeure donc confirmée par les progrès des ^^ i'e«p*ce. sciences^ Mais quelques-uns ne s'en élevèrent contre lui qu'a- vec plus de hardiesse , niant que Thomme ait été créé tel qu'il est, et supposant plus volontiers que toutes les choses visibles sortirent d'un germe unique qui alla se développant de plus en plus, en devenant, de matière brute qu'il était, matière or- ganique, puis matière animale. 11 se distingua par degrés en . espèces diverses; à chaque catastrophe de la terre il monta à un degré plus élevé, jusqu'à ce qu'il devînt homme dans son état présent; état dans lequel d'autres espèces le précédèrent, où d'autres, actuellement inférieures, se hâtent de le rejoindre et de le supplanter. Pour laisser de côté les déclamateurs, Lamark soutint, il n'y a - pas longtemps, avec un grand appareil scientifique, que l'homme dérivait du singe (1). 11 cherche à démontrer par l'anatomie et par la physiologie, en comparant l'animal avec les divers aspects du fœtus humain , le passage successif des degrés les \Aus bas aux plus élevés , jusqu'à ce que l'orang-outang d'Angola désapprît à ramper et marchât droit sur deux pattes : alors celles de derrière devinrent des pieds , et des mains celles de devant. Une fois qu'il n'éprouve plus le besoin de cueillir des fruits et de combattre , son museau se raccourcit , sa grimace devient sourire, et le voilà fait homme. Les prérogatives de l'esprit humain ne sont que l'extension des facultés de la brute^ diverses seulement dans la quantité et dépendantes de l'orga- nisation. Avec ce système, le point capital de la question n'est pas ré- solu , il n'est que tourné : car, si Dieu n'a pas créé l'homme, (1) J. B. Lamabk, PJMosùphie zoologique^ ou ExpoHtUm des considéra* tions relatives à l'histoire naturelle des animaux ^ Paris, 1830. U faut le comparer avec Stcphbrs, Anthropologief t. H, p. 6 ; et avec Lyell, Pnncipes, de géologie, qui le réfute, 124 PAKMÙAB SFOQUB. qui créa ce premier germe et le terrain sur lequel il leva , et les atomes dont il fut composé? Puis, comment expliquer le phénomène de la vie? Entre la matière la mieux façonnée et Panimal le plus grossier , n'y a-t-il pas un abime non moins immense qu'une nouvelle création? et le passage de la béte brute à l'être raisonnable peut-il s'effectuer jamais par des ré- volutions naturelles? Des siècles se sont écoulés depuis qu'on , étudie les espèces vivantes sur cette terre; les tombes d^Égyple sont des musées d'histoire naturelle qui nous conservent les squelettes de multitudes d'animaux^ qui depuis 4^000 ans n^ont varié en rien des crocodiles, des ibis^ des ichneumons d'aujour- d'hui. Que dire d'ailleurs de la perfectibilité intellectuelle et morale de l'homme^ qui seule suffit à le distinguer de tout le reste de la création? Unité de ta Que si ce germe se fût développé spontanément^ en raison de 'la prodigieuse fécondité de la nature pour les autres espèces, des variétés infinies et sensibles devraient se rencontrer parmi les hommes, comme il arrive dans les œuvres du hasard ; mais, au contraire, les choses qui semblent au premier abord les dif- férencier davantage, les caractères physiologiques et le lan- gage, en démontrent Punité. . On a parlé de beaucoup de monstres humains , de Tourang- kubub, de Tourang-guhu des bois de Bornéo et de Sumatra; mais, comme les honmies auxquels on attribuait une queue, ils se sont évanouis au flambeau de la critique (i). Il en a été de même des nains de Madagascar, des hermaphrodites des Flo- rides, et des autres fables sur les Albinos, les Dodoniens, les Patagons et les Hottentots. Le commerce entre l'homme et la femelle du singe, qu'on avait affirmé fécond, fut également re- connu un conte; tandis que, selon la physiologie naturelle elle-même , la fécondité de l'union entre toutes les espèces et toutes les couleurs humaines démontre que le Mongol , et le Malais, et le pauvre nègre, sont également nos frères. Ah ! nous ne rencontrerons que trop , en avançant dans l'histoire, des faits et des moments de la vie des peuples qui nous appren- dront jusqu'à quel point de dégradation peut descendre l'homme al)andonné à ses passions. C'est donc une dénomination impropre que celle de races humaines, qui semblerait indiquer une provenance diverse, (1) Blomenbach, de Geneiis humant varietate. LNIXB DB L^ESPJtCS RUMAINB. 126 quand rhomiue , Am% ses différentes espèces j n'a fait que se mettre en harmonie avec la nature. Le Mongol et le Kalmouk vivent avec le cheval et avec leurs troupeaux dans d'immenses plaines /sans un arbre ^ sans une source , et où la rosée seule vient raviver Therbe desséchée ; leurs formes aiguës et rudes s'adaptent bien à leurs landes et à leurs montagnes. Le Kal- mouk indolent reste encore assis des jours entiers^ lés yeux fixés sur un ciel toujours serein /et au moindre Inniit il tend Toreille vers Pespace où n^arrive pas son regard. Le Mongol, dans son pays, est ce qu'il était il y a des milliers d'années; expatrié^ il a changé à ne plus être reconnaissable. L'Arabe > libre^ sobre^ léger à la course, cavalier infatigable , archer ex« cellent, fidèle à sa parole, hôte généreux, est en harmonie avec son désert comme le Lapon avec ses glaces, lltalien et le Grec avec le sourire de leur climat. Quand on parle de climat, on n'y rattache généralement d'autre distinction que celle des zones ; celles-ci toutefois ne sont pas assez déterminées et ne produisent pas des effets égaux sur les deux hémisphères : de plus, les conditions varient aus^ entre des pays contigus et produisent des températures très-^ifférentes; les corps même y sont diversement aptes à recevoir ou à repousser la chaleur. Ajoutez à cela le magné- tisme et l'électricité, cette vie de la matière, dont les mystères paraissent près de se révéler; ajoutez-y l'évaporation des di- verses substances , les vents , les maladies endémiques , toutes choses qui modifient le physique de Thonmie, comme le modi- fient Taction mutuelle de la mer et de la terre , la qualité des aliments , le mode de culture. .Les Germains de Tacite , en se civilisant, cessèrent de constituer une race distincte, telle que la faisaient les anciens, et perdirent leur énorme stature , tan- dis que les Portugais, au centre des colonies du Cap, devinrent des géants. Quelle diversité d'aspect entre le Lapon et le Hon- grois ! et pourtant leur langage atteste qu'ils eurent une souche commune. Il se présente dans la race humaine des variétés individuelles et des monstruosités que chacun peut avoir vues , sans qu'il soit nécessaire d'en rappeler de plus bizarres encore dont on a conservé la mémoire. Celles-ci se [Mropagent assez souvent^ et, sans parler ici de certaines beautés ou imperfections hérédi- taires, on connaît des familles à six doigts, et l'Anglais porc- épic qui tr^Gismit cette difformité à sa descendance. Combien 196 FIIHIJnB BPOQDB. |riu8 ihàlemeni eette iransmiarion ne se {mdœraiVelte pas si les iumlles vivaient isolées 1 Toutes ces causes peuvent donc altérer les individus^ et Paltécalkm se perpétuer cbns leurs fiis« Cette sdence desraoas est cependant encore à peine créée^ n paraît qoe les andens distinguaient de la ûôtre l^thiëcd humaine. En pfenncar^ le gouverneur Pownal suggéra d'observer les conformations du crâne (i) ; ce qitô Camper réduiât en science {%)y en prenant pour critéritnn FaiH gle fadal# En envisageant le crftne de profil , on tire une l^ne de Fouverture dès yeux à la base des narines^ et une autre du point proéminent du front à Pex.trén^ de 1» mâdioire supè» tieore oà ks dent» sont implantées : Pouverture diverse de Kang^ qfm en résuitd distingue les races» H s'ouvre ebez le Bak boinn de m degrés^ de 70 environ éb^È^ le Nègne et le Kal^ tnouk^ d'à peu près 80 chez FËuropé^ (3>r cuMification liais Fétode la pktô diligente sisr la variété des htœ§ est "'Six"' àm> k nonenbach , qm ncmm une kifinité d« crâne», et fixa les classes d'après leur forme , d^qnrès la eoutesr des cheveux, de la peau et de Firis^ Il observe le crâne de haut en bm, oà k présente une forme ovale^ régulière à la nncfuei, ndMeuse t&t$ la partie antérieure, de laquelle s'avaneiml» I^ns ott moins safikmts^ le front» les os du nei^et les mè- choîres, en ofTranl pkis ou moiiss ouvert le stjigoma^ ou Farc^ innsi appelé, cpii }oasl les os de la joœ à ceux de te micfaoîre. Cet examen lui fait rainer te^ hommes en trois classes : la Cmeù^&me, centrale^ blaiK^; VÉihiopiqve, nobe ; la Mtm- foHquey jaxme. La Malaise , brune foncée^ n'^ ^une tmance entre le»s dMx première»?, aînst que VAmérimèiHfy eiâwée, en^ tf^ les deux dernières. A la première appartieimeni les E»n^ péens (excepté les Lapons^ les Finlandais et les Hongnsi»)^ FA« aie orientale, y conqf^ris F Ariiée et te Perse loâqt^ (2) fiBu» Caih», DisserMim pàtf^qnéiUf luêlffénneù réeUmqwt ^résenterU les tnùU du pisa^ft chei> les hommss dês d^férmts paifs, Utrecht, 1791. (3} Les Grecs s'étaient aperçus de cefle différence, ûanâ leurs statues, iTs f ovrraksit de 95 à lOO, pour indiquer le phir grand degfé étkkWîf^eaee: tJNiné Wt L^BSPÈCl HUMAIIfS. iS7 les mes lite la mer Catpieniie et du Gange, et l' Afrkftie aqilen- trionale. Le reste de rÂfricpie appartient à Ve^pèee nègre. A lia Mongolique , les autres hd)itants de PAsie , les trois peuples d'Europe exclus de la Caucasienne, et les Esquimaux de VA- mérique septentrionale. La Malaise comprend les natifs de Malacca, de TAustralie et de la Polynésie, dits tribus pi^ua- nes , l'Américaine et tous les indigènes du nouveau monde ^ moins les Esquimaux (1). (1) Voici le tableau des classifications les plus récentes* Selim BoRY ni SAUfT^-ViMcimT (Dkt^ ekuSé d'hUU naiur.y LVnLParis, 183S): t LmonuQtiBS» anuc cheveux Usses. * De l'ancien continent V espèce. «^ Japhétique. A. Gens togatay — portant toujours des babil» Iop0i> et devenant chauyes du front a. Race Caucasienne (occidentale). h. Race Pélasgienne (méridionale). B. Gens braccata , — dont toutes les rariélés adoj^èrtnt des vi^te- ments courts, etdeyiennent chauves. 4u sii«i|Nit. c. Race Celtique (occidentale). d. Race Germanique (septentrionale). V 1" variété. — Teutonique. 2« variété. — Esclavonne. Il* espèce. »• Arabique. a. RaceJUtoa/i^iie (oecideatale}. b. Race AdamXque (orientale). m* espèce Indienne. !¥• espèce. — Scythiqoe. Y« espèce. — Chinoise. ** Communes à l'ancien et au nouveau cantineBt. VI* espèce. — Hyperboréenne. YI1« espèce. — NKmjiOENmi^ a. Race 3fa/a»6 (orientale) . b. Race Océanique (occidentale). ; c. Race Japonaise (intermédiaire). TIII* espèce. — àustralasienne. *** Propres au xvtmve^ coatiaeat W espèce. -^ COLOHBrENNE. X* espèce. — Américaine. XI' espèce. — Patagoï^b* 138 PRSMIÈBB éPOQVM. Usas, phis la science va en avant y plus elle trouve la nature simple dans ses moyens : et de même que les récentes décou- tt ELLOTRfQCKS, ùux ckcveux crépus. XII* espèce. — Éthiopienne. Xtll* espèce. — Cafre. XI V« espèce Mélaniënhe. fff HOMHES HONSTRUEOX. 0. Crétins, b. Albinos. Selon Desmouliins {HisL tiat, des races hum,, 4826) ; ]'< espèce. — Scythiqce. a. Race Indo- Germaine, b. Race Finnoise. c. Race Turque. n* espèce. — Cavcasienne. ni* espèce. — Sémitique. a. RacSilra^. b. Race ÊtruscO'Pélasgienne. c. Race Celtique, IV* espèce. — âtlaittique. V* espèce. — Indienne. VI« espèce. — Mongoliqce. a. fiBice Indo-Chinoise. b. Race Mongole. c. Race Hyperboréenne. Vil* espèce. — Kouriliknne. y III* espèce. »• ËTHIOPIENNE. IX* espèce. — Euro* Africaine. — Nègres de Mozambique, Cafrcs, oie» X* espèce. ^— Austro-Africaine. a. Race Bottentote, b. Race Bosjemanne. XI* espèce. — Malaise ou Océanique. 1. Caroliniens. 2. Dajahi et Béadjous de Borné), et plusieurs Ara/oras et A{fou» TOUS des Moluques. 3. Javasiens, SumatrienSf Timoriens et Malais. 4. Polynésiens. 5. Ovis de Madagascar. Xir espèce. — Papouane. Xlir espèce. — Nécro-Océanique. 1 . Mois ou Moïées de la Cochinchine. 2. Samangs,Dajaks, etc., des montagnes de Malacca. 3. Peuples de la teire de JPiémen, de la Nouvelle-Calédonie et de Varchipel du Saint-Esprit. 4. Vinzirobaris des montagnes de Madagascar. UNITÉ 0K L£SPJSGe HtMAlîNE. 1^0 vertes de Humboldt, Bonpland, Pursh^ Brown, donnèrent à de Candolle matière suffisante pour une distribution géogra- phique des plantes, en les fais^mt dériver d'un centre commun ; de même s'accroît chaque jour le nombre dçs arguments qui prouvent que les variétés de l'espèce humaine, loin de prove- nir d^une diversité d'origine, sont des altérations causées par XIV* espèce. — âcstralasienne. XV* espèce — Colombienne. XVr espèce. — Ahébicaine. 1 . OinagnaSj Guaranis, Coroados, Puris,Allourés, Olomackis, eie, 2. Boiucadis et Gitaiaées, 3. Mbayas, Sciarrotias. 4. Araucatiiens, PouelsqueSj Teulettes ou Patagons» 5. Petscheres, indigènes de la Terre de Feu, Selon Lesson {Manuel de Mammalogie, 1827) : r* I^ace. — BLANcnE ou Caucasienne. l""* branciie : Aramée : Assyriens, Chaldéens, Arabes^ Phéniciens, Hébreux, Abyssiniens, etc. 2* branche: Indienne, Germaine, PéLASGiENNE : Celles^ Canlabres, Persans, etc. 3* branche : Scythiqde, Tartare : Scythes, Parthes, Turcs, Finlan- dais, Hongrois. f* variété, brandie Malaise. Il*' variété, branciie Océanique. II< Race. — Jaune ou Mongolique. !«■' branche : Mantchous, 2« branche : Sinique. 3« branche : Hyperboréenne ou Esquimale .* Lapons en partie, 5a- moyèdes^ Esquimaux du Labrador, habitants dès Kuriles et des Iles Aléotes. 4* brandie : Américaine. a. Péruvienne ou Mexicaine. b. Araucane. c. Patagone. 5* branche : Mongolo-Pélasgienne ou Carolinienne. 111* Mce. — I9È6RE ou MÉLANIENNE« X" branche : Éthiopienne. 2* branche : Cafre, Z* hrmche : Hottentote . 4* branche : Papouane, 6* branche : Transmanienne. 6' brandie : Alfouroits-Endamène. V branche : Al fourons- Australe. ; T. r. ' y JSO P&BUIÂBE ÉPOQUE. le climat, par la manière de vivre , et par suite de monstruosî* tés sporadiques devenues héréditaires. Les mêmes causes qui ont pu produire les lapins et les lièvres blancs, différencier le pourceau du sanglier, et affecter la bosse à la race du cha- meau, suffisent à expliquer les différences entre les hommes^ Ce qui prouve en effet que des nations entières ont passé d'une famille à une autre , c'egt que des hommes de couleur diverse parlent ou ont parlé le même langage; indice certain d'origine commune^ Les langues hongroise, finnoise, laponne, esthonienne , ont entre elles la même affinité que celles des Tchermesses, des Vothiaqaes, Ostiaques, Permiens et autres de la Sibérie orientale : cependant Lapons, Tchermesses, Vo- gules. Hongrois, ont les cheveux noirs et les yeux bruns, tandis que chez les Finnois; les Permiens, les Ostiaques, nous trou- vons des yeux bleus et des cheveux rouges. Les philologues les plus récents placent dans la même famille les langues tartare et mongole. Ces peuples formaient encore, dans le onzième siècle, une seule communauté, composée de quatre tribus dé- rivant, selon leurs traditions, de deux frères : aujourd'hui , les Tartares appartiennent à la race caucasienne (1). La parole atteste une origine commune entre les peuples de notre race : toutefois les habitants de la Péninsule indienne diffèrent de nous par la couleur et par les formes, au point de pouvoir être rangés dans une classe distincte. Il est difficile certainement d^expliquer le passage de la cou^ leur blanche à la noire (2) ; mais que ce soit le résultat du cli- mat, c'est ce qu'indiquent les nuances graduelles entre les pô- les et la ligne, marquées par les Danois, les Espagnols, les Ita- liens, les Maures et les Nègres. Chacun sait que l'enfant maure naît blanc, et qu'il noircit dans les dix jours suivants ; tandis que les Sarrasines, qui vivent dans une retraite absolue, se conservent blanches. Que ce changement de couleur se pro- duise et se perpétue, les Abyssiniens, race sémitique diverse, quant à la forme et quant à la structure du crâne, des nègres (1) Klaproth démontre qu'il existe beaucoup d'aftinité entre les noms des choses naturelles en usage ciiez les deux prétendues races caucasienne et mongolique. Il en donne une longue liste au vol. II des Mémoires relatifs à VAsie. (2) Le siège de la couleur chez le nègre est immédiatement sous la peau extérieure, dans le tissu qu'on appelle de Malpighi. Yoy. Aipm, De sede et cflwsa co/©rfs /^Mtqpww. Leiden, 1738. vmii DB l'espèce humaine. 131 dont ils ont la peau (1)^ en sont un vivant témoignage. On en af- finne autant de plusieurs populations d'Afrique , de nuances mixtes, devenues noires, tout en conservant les formes euro- péennes, une civilisation supérieure et quelques traces de nos traditions. C'est ainsi que nos voyageurs, une fois établis dans rinde, y prennent le teint des naturels, et que Ton trouve dans le Malabar des Hébreux nègres. Il y a plus, chez les colons eu- ropéens des Indes occidentales le crâne diffère du nôtre; et Ton assure que les nègres esclaves dans les cases de FAméri- que se modifient quant à la forme du nez et des lèvres, et changent en cheveux la laine qui couvre leur tête (21). Quel ne sera donc pas Pefiet des siècles ou des soudaines altérations de climat produites par les soulèvements , les éruptions volcani* ques, les incendies, les cataclysmes ? Puis, une fois imprimé, un caractère demeure presque indé- lébile, comme nous le voyons dans les variétés européennes ; cela est si vrai, qu'en Italie on distingue encore les types gau- lois et romain (3). Pourquoi cela? Pourquoi le nègre, même sous le pôle, ne blanchitrilpas? Pourquoi PAméricain garde-t-tl sa couleur cuivrée, et sur les lacs glacés du Canada, et dans les brûlantes Pampas (4)? Ce sont des mystères qui démontrent ( 1 ) Il est à remarquer qu'ils se nomment eu x-mémes Gheez (passage), et que rËcritare sainte appelle Ctts les habitants des deux bords de la mer Rouge. (3) Le docteur Wisemann a fourni nombre de preuves de tous ces faits dans la quatrième de ses conférences tenues à Rome. J'ai préféré m'appuyersarles auteurs non ecclésiastiques, dont le but était tout autre que celui de soutenir Moïse. La raison en est toute simple. (3) Voy. la lettre de W. F. Edwards à M. Âmédée Thierry, des Caractères physiologiques des races humaines, considérées dans leur rapport avec ¥ histoire, Paris, 1829, p. 129. Après avoir posé tes lois physiologiques seloR lesquelles il croit que se mêlent les races, il affirme avoir aperçu cliez les Français qui habitent la frontière de la Bourgogne un type différent de celui des habitants de la France septentrionale, type qu'on rencontre aussi dans le Lyonnais, dans le Dauphmé, dans la Savoie. Il a étudié le type italien antique dans les portraits des empereurs et des grands hommes, et il prétend le re- trouver chez les Florentins , les Bolonais, les Ferrerais ^ les Vénitiens et les habitants de Padoue. Il a appliqué les mêmes lois aux habitants des pays où prévalurent les Cimbres, et il assure que l'histoire et la philologie viennent à l'appui des résultats qu'il a obtenus. (4) Le capitaine Gabriel Lafond démontra que les Américains formaient une seule famille, modifiée par les climats et les pays différents en quatre variétés : la première, dans l'UnalalSka et sur la côte nord-ouest, ressemble aux habi- tants de la Terre de Feu ; la deuxième comprend les Mexicains, les iiabitants des plaines du Nord et du Chili, ainsi que les Indiens des Pampas ; la troisième^ 9. 132 PfitMIKttt EPOQUE. que les faits recueillis jusqu'ici suffisent à n-l'uler les objections, non pas à fonder une théorie absolue. Au surplus, il demeure certain que les diversités réelles en- tre Içs races se réduisent à la couleur de la peau et à la qua- lité des cheveux , sans s^étendre aux organes plus nobles de la vie. La science de Gall, que quelques-uns vwdurent aussi apporter en aide au matérialisme , prouve l'unité de notre es- pèce. Tout récemment, Tiedemann, par d'excellentes recher- ches sur le cerveau, prouvait que celui du nègre ne diffère du nôtre que légèrement, dans sa conformité extérieure, et nulle- ment dans sa structure interne, et qu*à part quelque disposition plus symétrique dans ses circonvolutions, il ne ressemble pas plus au cerveau de l'orang-outang que celui des Européens. Ce savant en déduit que notre prééminence sur le nègre ne tient à aucune supériorité congéniale de Tintclligence, mais à la seule éducation (1). Humboldt, ce grand naturaliste, qui, de ses propres yeux, a examiné toute la terre, insiste sur les analogies qu'offrent les Américains avec les Mongols et avec d^autres peuples de l'A- sie centrale ; il trouve que plus on étudie les racés, les langues, les traditions , Içs coutumes, plus il y a lieu de croire que les habitants du nouveau monde viennent de PAsie orientale ; que Quetz-Alcoatl, Bochica, Mango-Capac, personnages ou colonies qui civilisèrent ces régions, étaient partis de l'Asie orientale, et qu'ils furent en communication avec les Thibétains, les Tarta- res-Samanées, les Ainos-Barbos, des îles de Jesso et de Sacha- lin. Cet illustre voyageur assure que lorsqu'on aura mieux étu- dié les Maures d'Afrique et ces hordes qui habitent l'intérieur et le nord-est de FAsie, vaguement désignées par le nom de Tartares ou de Tchoux, les races caucasienne, mongole, amé- ricaine, malaise, nègre, paraîtront moins isolées, et que l'on apercevra dans cette grande famille du genre humain un les Péruviens; la quatrième, les nomades sauvages. A'^oy. Btillelin de la So- ciété de géographie^ mars 1830. (i) D'après ses recherches, insérées dans V Institut, n* 190, 1837, le cer- veau ordinaire d'un Européen adulte pèse de 3 livres 3 onces à 4 livres If onces (uram. 1212.54 — 1834.55) ; celui d'une femme, de 4 à 8 onces de moins (gr. 124.36 — 248.72).  la naissance de riiomme, soit blanc, soit noir, son cerveau |)èse le sixième de son corps; à deux ans, le quinzième; â (rois, Je dix-huiijôinc; à quinze* lo vingtrquatrième; entro les vingt el les soixaiilc-dix ans, d'nn Ircutc cinquième à im qtiataiitr-ciiiquiènie. UNITL DE l'espèce HUMVINB. IS3 seul type organique , modifié par des circonstances qu'il ne nous sera peut-être jamais donné de découvrir (i). Une autre série de preuves ^e Punité du genre humain se !•«»«»««• déduit du langage. Celui qui demanderait comment les images retracées dans Pœîl peuvent se représenter au moyen de sons, ayant en soi le pouvoir d'exprimer des idées et de les éveiller dans les autres, proposerait un problème d'une difficulté aussi insurmontable que le serait celui de substituer le son à la cou- leur, la pensée au son, un son pittoresque à la pensée. Eh bien, le langage, d'où proviennent tous les trésors de la tradition et du perfectionnement de l'homme, qui réunit le passé au présent, ce qui est près à ce qui est loin ; le langage sym- bolisé dans la lyre fondant la cité, dans les demi-dieux dictant les lois, satisfait à toutes ces conditions ; interprète des généra- tions éteintes, fondement de la dignité de Phomme et de sa haute destinée, puisqu'il renferme nécessairement la cons- cience et l'intelligence, il sert non-seulement à énoncer la pen- sée, mais encore à Tamour, à la réconciliation, au commande- ment , à la justice, à la création. Cet instrument, le plus merveilleux parmi les choses créées, qui l'a trouvé? Si je le demande aux saintes Écritures, elles me répondent que la parole était dès le commencement, et que la parole était Dieu: Dieu parla à l'homme, et, par son conunandement, l'homme imposa un nom à toutes choses. Dieu , d'ailleurs, ne créa-t-il pas l'homme parfait (21)? Comment aurait-41 pu se dire tel s'il lui avait manqué la parole, instrument par lequel il de- vient raisonnable? J^en conclus que le langage a été d'abord enseigné par Dieu, qui s^en servit pour communiquer à l'homme (1) Vues des Cordillères et monuments des peuples indigènes d^Améri" que, introduction. l\ y dit encore que Foo s'étonne de trouver à la fin du quin-v zième siècle, dans un monde que nous appelons nouveau , des iuslitutiong antiques, des idées religieuses, des formes d'édifices qui dans l'Asie paraissent remonter à l'aurore de la civilisalion; qu'il en est des traits caractéristiques de l'humanité comme de la structuie intérieure des végétaux répandus sur la face du globe; partout se manifeste un type primitif, malgré les différences produites par les climats et le sol, et par la réunion de beaucoup de causes accidentelles; et que la communication entre les deux mon<1es est prouvée d'une manière indubitable par les cosmogonies , les monumepis, les hiéroglyphes, par les institutions des peuples de l'Asie et de l'Amérique. (2) Ml vidit Deus quod esset bonum. Genèse. 184 FREMIfiBB BPOQDE. les plus importantes notions morales , scientifiques et reli- gieuses. Néanmoins toute intelligence ne s'en tient pas uniquement à la foi^ et demande des preuves à Tappui. Elles abondent ici^ comme il advient de toutes les vérités révélées. Quelques écrivains sup^ posent que les hommes^ après être éclos des germes matériels, vécurent, « jetés conune au hasard sur une terre confuse et sauvage , orphelins abandonnés par la main inconnue qui les avait produits (1), » et qu'obéissant à la seule loi du besoin , ils inventèrent d'abord certains cris conventionnels, qui furent les interjections, d'oii ils s'élevèrent pas à pas aux autres par- ties du discours. Mais, pour s'entendre sur le sens de cris arbitraires, n'esir-il pas besoin de parler déjà? Autrement le son formé par un homme pourra^-t-il jamais concorder dans l'esprit d'un autre avec une idée préconçue ? Les bêtes hurlent depuis des centai- nes de siècles; ont-elles jamais produit un langage qui allât au delà des cris inarticulés? Si l'homme n'avait jamais entendu parler, il serait demeuré privé de la parole, comme cela est évi- dent par l'exemple journalier des sourds-muets; que s'ils ap- prennent le langage des signes et acquièrent des idées, c'est qu'iU sont élevés au milieu d'une société dont la parole a fait Péducation. Comment les distinctions logiques, les finesses du langage , les gradations des temps, des modes, des personnes, auraient-elles pu être inventées par l'homme, dans l'ignorance supposée de ses jours primitifs? Je dis ()rimitifs, car, en quel- que Ueu qu'on nous montre l'homme , il parle déjà; et ni la tradi- tion ni la fable ne nous apprend que quelqu'un ait inventé la parole. Je dirai plus : tandis que nous voyons, dans la marche pro- gressive de la société, tous les arts se perfectionner, les langues n'ont fait aucun progrès depuis que nous les connaissons; il n'en est pas une seule qui, à ses propres éléments, en ait ajouté un essentiel. Les races sémitiques, bien que rapprochées des autres depuis des siècles, n'ont pas produit un temps présent , non plus que des temps et des modes condiiioi^pels ; elles n'ont pu inventer quelque nouvelle conjonction ou quelque particule pour dispenser le waou copulatif de devoir exprimer tout rap- port quelconque entre les parties d'un discours. Leurs alpha- (1) VoLNfcY, Rttines, UNITÉ OE L^JBSPÈGE HUMAINE. 185 bets manquent de voyelles^ et elles ne savent pas les y intro- duire (1), ÂUez^ à présent même y chez les Américains qui parlent le maya et le bétoï; vous y trouverez deux formes de verbe : une qui indique le temps^ l'autre simplement la relation entre Fat- tribut et le sujet. Comment ces sauvages grossiers ont-ils inventé luie combinaison aussi logique? Pourquoi ne nous la sommes* nous pas appropriée^ nous si fiers de notre civilisation? Pour- quoi toutes les innovations apportées de mémoire dliomme dans le langage se sont-elles réduites à importer un mot d'une autre langue^ à en rajeunir un suranné^ ou à le former d'élér ments déjà en usage? Combien d'efforts faits dans les académies l)Our trouver une langue universelle ! Tentative désastreuse du reste, si jamais la réussite en était possible; car elle reléguerait chez \m petit nombre de savants la science qui ne peut grandir qu'à la condition d'être accessible à tous. Mais rhoinmen'invente pas une langue; il apporte, au contraire , le plus grand soin à fixer celle qu'il parle, à la conserver, sinon dans ses accidents, du moins dans sa nature. Le respect pour les vieux mots est traditionnel chez les littérateurs et chez le peuple, conune si (1) Grifnm, étudiant les formes primitives de la grammaire allemaBde» trotiTa que sa langue ayait fait tout autre chose que se perfectionner. M. de Huniboldt écrivait à M. Abel Rémusat : « Je ne regarde pas les formes gram- « maticales comme les fruits du progrès qu'une nation fait dans l'analyse de « ta pensée, mais plutôt comme un résultat de la manière dont une nation ff considère et traite sa langue. » Lettre sur la nature des formes gram* matkales. Paris, 1827, p. 13. — Il ajoute : « Je suis pénétré de la convictioa « qu'il npr faut pas méconnaître cette force vraiment divine que révèlent les A facultés humaines, ce génie créateur des nations, surtout dans Tétat pri- « mitif, où toutes les idées et même les facultés de Tâme empruntent une « force plus vive de la nouveauté des impressions; où Thomme peut pressentir « des combinaisons auxquelles il ne serait pas arrivé *par la marche lente " et progressive de l'expérience. Ce génie créateur peut franchir les limites « qui semblent prescrites au reste des mortels ; et, s'il est impossible de re<^ « tracer sa marche, sa présence vivifiante n'en est pas moins manifeste. Plutôt « que de renoncer, dans l'origine des langues, à l'influence de cette cause M puissante et première, et de leur assigner à toutes une marche uniforme et « mécanique, qui les traînerait pas à pas depuis le commencement le plus « grossier jusqu'à leur perfectionnement, j'embrasserais l'opinion de ceux qui « rapportent l'origine des langues à une révélation immédiate de la Divinité. « Ils reconnaissent au moins l'étincelle divine qui luit à travers tous les -il pas qu'il ait été accordé aux hommes^ plus énergiques de sens et de sentiment, un langage proportionné pour exprimer l'enthousiasme d^une jeunesse hardie? Ces motifs et d'autres encore faisaient trouver raisonnable/ à l'exclusion de toutes les hypothèses^ nous ne dirons pas à des théologiens et à des théosophistes, mais à M. de Humboldt, Topinion d'un langage révélé. L'académie de Pétersbourg, à laquelle l'ethnographie a dû de précieuses recherches, affirmait que les langues sont toutes des dialectes d'un langage perdu, et qu'elles suffiraient à contredire ceux qui croient à une dériva- tion multiple du genre humain : Rousseau lui-même était en- traîné à croire le langage tm don de la Divinité. S'il était une invention des hommes, chaque couple, ou au" moins chaque famille, aurait composé le sien, et il n'y aurait aucun rapport de l'un à l'autre, comme il n'en existe pas entre les œuvres du caprice. Mais il en est tout autrement : et puisque le langage est une des bases de l'histoire de l'humanité, et que la variété des idiomes entre positivement dans l'histoire des races, il est bon de s'arrêter quelque peu sur ce point. Nous ne rechercherons pas quel fut le langage primitif; c'est une question de vanité chez d'anciens peuples, pour la solution de laquelle leâ données nous manquent. Peut être a-t-il péri; peut-être s'altéra-t-il quand Dieu se prit à regarder la tour de Babel, édifiée par les descendants de Noé, formant un seul peuple, parlant le même langage (2), et confondit tellement ce langage qu'ils ne s^entendirent plus les uns les autres. A cette époque commence l'histoire des langues, dont les variétés peu- vent être considérées comme une pyramide à trois étages. En premier, viennent celles de racines monosyllabiques, et de pa- roles primitives : elles n'ont point de grammaire, ou seulement quelques éléments grossiers d'une méthode très-simple et im- parfaite; elles sont, sans comparaison, les plus répandues sur la stœface du globe. Dans le nombre domine le chinois, qui s'est développé autant que sa nature pouvait le permettre, et toute- (0 Fe/era (verba) majestcbsquœdam^ et ui sic dixerim, religio comment dat, QciNTiL. (2) Ecce unus est poptUus et unum labium omnibus. Gen. XI. UNITÉ DE t^£SPÈC£ HUMAINE. 187 fois il ressemble encore ailx cris d'un enfant^ énergiques^ mais sans liaison^ bien que Part du style et raccroissement de la science Paient élevé de cette espèce d'enfance à un état de forme conventionnelle (1). La seconde tige porte trois rameaux différents, indo-persan, gréco-latin, gotho-germain, de racines bisyllabiques ; aussi sent-on dans ces langues une grande puissance de vie, beau* coup de fécondité et de luxe dans la granmiaire, et d'autant plus de richesse et de régularité qu'elles se rapprochent davan- tage de celle de l'Inde. Peu à pçu elles se développent en se transformant; on y trouve tout d'abord une grande abondance de poésie, et par suite une merveilleuse variété d^exposition et de formes ; enfin la plus exacte précision du langage scien- tifique. Au sommet de la pyramide sont les langues sémitiques, qui se répandirent dans la Palestine, la Syrie, la Mésopotamie, la Phénicie, PArabie, l'Ethiopie, et dont les branches principales sont Phébraïque, avec le phénicien et le chananéen; Para- méenne, subdivisée en syriaque et en chaldéen; Parabique . et Péthiopienne, d'où sont dérivés les idiomes de PAbyssinie : le pelvi de Pantique Médie lui appartenait aussi. Dans ces dernières la racine est constamment de trois syl- labes, puisque chacune des lettres dont elle est régulièrement composée compte et se prononce comme une syllabe; trinité et unité qui n^est pas sans mystère et qui se reproduit si souvent dans les œuvres de la nature. Selon les lois de la dérivation des mots hébraïques, le verbe est le principe duquel tout découle. Il n'est pas besoin de dire tout ce que ce mode donne à Pex- pression de vitaUté et de chaleur, bien que d'autre part la géné- ralité de cette loi impose des bornes au développement des constructions grammaticales. Les augments et le changement des voyelles soumettent le radical à des transformations infi- nies, et tandis que les formes pour les divers temps manquent (1) On peut avoir une idée de ce langage par celui des sourds-muets^ qui exprime les simples signes des idées sans qu'elles soient liées dans leur ordre naturel . Par exemple, le Pater nos ter s'exprime par les signes : 1 , notre ; 2, yère; 3, ciel; 4, dans (signe d'insertion) ; 5» désir (signe d'attirer à soi); fty votre vons trouvé les autres langages favorables à la conservation des traditions, nous de- vons reconnaître que ceux-ci sont aptes à les répandre et à les appuyer de preuves. Il semble qu^il faille rattacher à la seconde classe les langues slaves qui^ avec les autres du même ordre, forment une qua- trième ramification. Beaucoup tiennent le milieu entre la seconde et la troisième, nées qu'elles sont du mélange des races. Tels seraient aussi certains idiomes de TAmérique et ceux dont il UNITE DE l'sSPBGB HUMAINE. 139 existe encore des restes en Europe^ le celtique (i), le gallique^ le finnois^ anciens dialectes qui ne sont pas purement mono- syllabiques^ mais très-simples et d'une structure grammaticale imparfaite, ou du moins étrangement combinée. En Europe, depuis un temps très-reculé, les idiomes indo- européens ont prévalu; et il est surprenant que ses côtes méri- dionales, qui conservèrent tant de relations commerciales ou po- litiques avec les côtes de PAfrique, ne manifestent dans leurs langues aucune affinité d'origine avec celles des Africains, mais plutôt avec la finnoise, de source sémitique. Faut-il faire des- cendre les Péla,sges de cette dernière race ? Si nous avons fait une chose inusitée dans Pbistoire en nous arrêtant sur ce point, nous ne craignons pas qu'on nous en fasse un reproche, ou il faudrait méconnaître la dignité de la parole, sans laquelle Thoname n'acquiert point d'idées, parce qu'elle est l'idée exprimée comme l'idée est la parole pensée. Les langues sont le lien le plus solide des nations ; il résiste aux outrages des temps et à l'épée des conquérants. Leur étude n'est pas, comme ellePa été jusqu'ici, un objet de curiosité et de caprice ; mais, réduite en science de nos jours, elle a reculé les barrières de Thistoire, et, quand les monuments se taisaient, elle a retracé les migrations primitives des peuples. Cependant ceux qui veulent toujours voir dans la ressem- blance des langues une preuve de la filiation des peuples, courent le risque de tomber dans l'erreur. C'est ainsi que, Wilkins ayant dit que le persan était un composé de divers mots latins, grecs, germains (2), Walton partit de là pour assu- rer que la nation persane n'est qu'un mélange de Grecs, d'Ita- liens, d'Arabes et de Tartares, et que le persan est formé d'un remaniement de leurs idiomes (3). Denina, pour se rendre raison de la ressemblance qui existe entre le grec et le teuton, supposait que les Germains étaient originaires de TAsie Mi- (1) Les dialectes celtiques ont été rattachés à la famille iodo-earopéenne dans l'onvrage du docteur Pritch/ird, Origine orientale des nations cet' tiques, (2) Préface de VOralio dominica in diversis omnium fere gentium linguis t r'/\sa, de Chahberuyne, p. 7. Amsterdam, 1715. Les premières études com- patalivçs des langues se firent précisément sur les traductions polyglottes du Pater noster, La plus grande collection est celle que nous TeiK)n8 de citer. (3) Prolégom. ^vi, § 2. 140 PAEMIKBE ÉPOQUE. neure (i). Les langues d^une même famille conservent entre elles des rapports sans lesquels la conformité d^étymologie ne confirme aucune autre parenté que celle qui remonte aux sources primitives ; et plus Pétude avance, plus on trouve qu^il faut abandonner les qualifications de langues mères et filles, puisque toutes ne sont que des sœurs, entre lesquelles on ob- ser\'e à la fois et des ressemblances nombreuses et des diffé- rences notables (2). Séparé des autres par de^ longues distances, par des monts, des fleuves et des mers, chaque peuple élabora sa langue sous des influences opposées. Voilà pourquoi elle se fait entendre mélodieuse dans les pays tempérés, sourde et brève sous des cieux embrasés, âpre et forte au milieu des glaces du pôle. La vie contemplative du pasteur, la course haletante du chasseur, le cri menaçant du guerrier, y retentissent tour à tour; la con^ quête et la civilisation y apposent leur empreinte. Partout où les peuples tombèrent dans la barbarie, les idiomes, vagues, mobiles, bizarres, prouvent la rareté des communications et les guerres intestines; partout où ils s^élèvent à la civilisation, à la vie agricole et intellectuelle, les langues s'étendent uniformes et constantes. Ainsi, en Europe, elles ont pris une physionomie commune, tandis qu^elles varient à chaque hameau parmi les indigènes de 1 Amérique. (1) Sur les causes de la différence des langues. Berliu, 1783. (2) Voy. KLAPROTHy dans V Encyclopédie moderne, article Langues, et Tou- vrage de TiDj^énieur J. de Xilànder, imprimé dernièrement à Francfort-sur- Mein, sous le titre de Das sprachgeschichte der Titanes, etc., Histoire des langues titannes, ou Exposition comparative des aftinités primitives des langues tartares entre elles et avec l'hellénique, suivie de réilexions sur This- toire des langues et des peuples. — L'auteur commence par examiner la langue mantchdiie du côté de la grammaire et de la syntaxe; il compare avec autant de mots grecs 2,600 paroles mantchoues appartenant, partie aii style élevé, partie au style familier, et il en conclut que les principes élémentaires, les radicaux, les désinences^ sont les mêmes dans les deux langues; il va jusqu'à penser que le manichou est un dialecte primitif du grec. Étendant ensuite ses recherches sur les idiomes tonguses, qui, selon V Asie polyglotte, dépassent le nombre de deux cents, sur le mongol, te turc, le thibétain, le chinois, le hongrois, le finlandais, le samoyède, le jenisée, l*œnos, le kamtschadale, le corgak, le gincagire, le sciu-tscho coréen, le japonais, le birman, le siamois, Tanamèue, le pcgman, le malagais, le géorgien simitc, il se voit forcé do con- venir que toutes les langues parlées aujourd'hui en Europe, en Asie, dans le nord et au nord- est de TAfrique et dans le plus grand nombre des fies situées entre l'Asie et l'Amérique, ont entre elles un degré de parenté plus bu moins étroit, ainsi que le prouve encore la syntaxe du grec antique. VUllé DE L^ESPÈCB HUMAINE. 141 Du reste, on retrouve partout une unité primitive éparpillée en petits groupes qui n*ont pas perdu la ressemblance , même au milieu des altérations infinies causées par le cours des siècles^ par la variété de climat^ par les vicissitudes politiques, par le mélange des populations; si bien qu'on peut à bon droit en tirer cette conclusion : Les hommes parlent ; donc ils sont d'une seule race (1). Celte unité demeure victorieusement démontrée par la con- ^^"g^Jl* cordance des affections morales', si universellement avouée, n>o«««. que les philosophes de toute opinion fondent sur elle leurs sys- tèmes et croient pouvoir écrire l'histoire de Phomme d'après les sentiments communs à toute l'espèce. Nous ne dirons rien de l'amour filial et des liens domestiques qui, bien qu'à un de- gré différent , peuvent se rencontrer aussi chez la brute ; mais la notion d'un Dieu est si générale , que c'est à grand'peine si Ton a trouvé , encore le cas n'est-il pas bien avéré , quelques tribus sauvages à qui elle manque. Le respect pour la vieil- lesse, quoique parfois exprimé d'une façon étrange et môme criminelle, est aussi commun qu'il est particulier à l'homme , ainsi que la religion des tombeaux et de la pudeur. Aussi par- tout un culte, des sépultures, des mariages, annoncent l'aurore de la société. Les naturels de la Nouvelle-Hollande sont au rang le plus inférieur de l'espèce humaine, et cependant on re- trouve parmi eux les idées générales du bien et du mal, et des paroles pour les exprimer dans le sens physique et dans le sens moral; ils y ont ajouté la conception d'une cause générale, d'une justice appropriée à leurs mœurs, d'un sentiment d'hon- neur (2). Les dictons de l'antiquité obtiennent dans chaque pays un respect indépendant même de leur à-propos. C'est pour (1) L'idée que récritare est un art primiUf et une partie essentielle du lan- gage pris dans son acception la plus large, est soutenue par Frédéric Scblecel. On connaît la tentatire de Court de Gibelin pour prouTer ronité de tous les alphabets {Monde primitif, à la fin du ni* yoU) ; les comparaisons aussi ingénieuses qu^savantes de M. Paratey. {Essai sur Vorigine unique et hié* roglyphiqiie des chiffres et des lettres de tous les peuples. Paris, 1826.) Je rappellerai deux autres écrivains qui partagent cette opinion. Herder dit : « Les alphabets des peuples présentent une analogie encore plus frap- « pan te ; elle est telle, qu*à bien approfondir les choses, il n'y a propre- B t^lS^iCI HUHAINE. 148 différence entre la mort de la brute et celle de Thomme^ et qui s^exprime d'une manière si diverse chez l^yptien élevant des pyramides à des momies étemelles; chez le Kamtchadale pla- çant un chien près de la fosse ; chez Thabitant de la Nouvelle^ Hollande plongeant le cadavre dans la mer; chez le sauvage qui croit en mourant partir pour la terre des âmes^ pour le pays de ses pères; chez le magicien qui évoque les ombres^ et chez le superstitieux qu'épouvantent les revenants ? Demander à un homme de se rappeler l'instant de sa nais- dc^uiSSuSSÎ. sance et ses premiers jours serait folie; mais si des personnes élevées ensemble^ puis dispersées au loin , racontaient dans un âge avancé les événements de leur enfance, quelque altéré que pût être le souvenir de chacun parle caractère individuel et par des circonstances particulières, si tous concordaient sur cer- tains points , ce serait sans doute une grande preuve et de leur commune éducation dans le premier ftge, et de la vérité des faits rapportés par eux. C'est là précisément ce qui arrive des traditions, écho du monde primitif. Chez les peuples les plus éclairés, elles s'ac- cordent admirablement sur les faits qui précédèrent la disper- sion, tandis qu'à partir de là elles s'égarent dans les divagations les plus étranges. Si cette ressemblance n'apparaît pas toujours aussi évidente, c'est que trop souvent le perpétuel engouement pour le mer- veilleux, la répugnance constante à rapporter, sans les exagé- rer, même les circonstances les plus minimes; la vanité na- tionale qui, dans chaque pays, vint s^approprier des faits con- cernant tout le genre humain; ^imagination, d'autant plus puissante chez des hommes peu instruits, que le raisonnement est plus faible, Pont altérée ou confondue. Les Grecs surtout, avides du beau comme ils Pétaient , faussèrent la vérité pour renfermer les traditions primitives dans quelques groupes fan- tastiques et hétérogènes tenant plus du roman que de l'histoire. Celle-ci dut, pour plaire, se revêtir d'allégories, chaque allégorie se rattacher aux événements de chaque pays , à son climat , à ses habitudes. Si donc vous jetez les yeux sur les mythologies une à une , vous croyez au premier abord qu'elles renferment l'histoire partielle d'une nation ; mais si vous les rapprochez toutes, un vaste champ s'étend devant vous, et vous y rencon- trez des concordances telles, qu'il serait impossible qu'elles ne provinssent pas d'un fonds conunun de vérité. 144 PBBMIËAE ÉPOQUE. Néaiuiioiiis il ne faut pas y chercher la similitude dans les détailsyil n'en résulterait que confusion; mais attachez-vous aux masses , comme celui qui chemine de nuit à la clarté de la lune, et pour qui s'effacent ou s'altèrent lés traits particuliers des objets, tandis que les grands bois, les grands fleuves, les grandes montagnes se dessinent fortement à son regard. L'un des premiers faits de la Genèse après la chute de l'homme est la promesse d'un Rédempteur, dont le sacrifice sanglant eut pour symbole Tinmiolation, par le moyen du feu, des animaux premiers-nés, ordonnée par Dieu aux patriarches et aux Hébreux. Eh bieii , nous trouvons que tous les peuples crurent à la nécessité des expiations (i), ce qui suppose une apostasie primitive, et, chez tous, les sacrifices s'accomplissaient par le sang et par le feu. Les Chananéens faisaient passer leurs premiers-nés à travers les flammes; les Grecs d'Homère sacri- fiaient un agneau premier-né ; les anciens Goths, « ayant su par a tradition que l'effusion du sang apaisait la colère des dieux, « et que leur justice tournait contre les victimes les coups des- « tinés à l'homme, » allèrent jusqu^aux sacrifices humains (2), et tous les neuf mois ils brûlaient neuf victimes, du sang des- quelles on arrosait , comme il était ordonné aux fils de Lévi, les assistants, les arbres du bois sacré et les effigies des dieux (3). Nous ne trouvons pas seulement des exemples de sacrifices humains au milieu des forêts et des pierres levées des druides, mais jusque chez les paisibles Mexicains. Le Péruvien en dan- ger de mort immolait son fils à Viracosa, en le priant de se contenter de ce sang (4). Il en était de même à Tyr, à Carthage, dans la tranquille Egypte. Bien plus : la Grèce , si éclairée, chaque sixième jour du mois targelion sacrifiait un homme et une femme pour le salut des deux sexes; et Rome non-seule- ment croyait expier par le sang dans ses suovétaurilies et ses tauroboles les fautes du peuple]et des particuliers, mais lors des tumultes gaulois elle ensevelissait dans le Forum un homme et une fenmie de cette nation; l'édit de l'empereur Claude, qui voulut en vain interdire les sacrifices humains, montre combien était enracinée dans les esprits cette tradition du péché originel « (1) Voy. la (lisserlalioii sur les sacrifices, dans les Soirées de Sainl-Péters* bourg. (2) MULLER*8, ^'orth antiq.f vol. I, ch. vu. (3) Id. et Olai Magm, Hist,t lib. lU, cli. vu. (4) AcosTA, apud PuRCH, Pilog.yWh. IX, c. ii, p. 8Sâ. UNITÉ I>£ t'£&P£C£ HUMAIMB. 145 et de iVxpiatioD» jusqu'à ce qu'elle se fût consommée par Tac- complissement de la promesse faite aux premiers hommes. Si nous examinons les religions des différents peuples^ loin d*y trouver le progrès qui caractérise les inventions humaines^ nous voyons les idées religieuses s'obscurcir et se confondre en raison inverse de la marche de la civilisation. Leurs mys- . tères n'enseignent rien de nouveau, et ne font que conser- ver les traditions antiques 5 ils ont môme perdu Texplication de ces symboles mystiques qui expriment les dogmes par des re- présentations figurées. Les philosophes connaissent Tineffi- cacité de leurs croyances, mais ils ne savent pas leur en subs- tituer d'autres, et chez les plus sages d'entre eux vous ne trouverez pas un seul dogme meilleur que les anciens. Remon- tez, au contraire, et, dans les chants orphiques, dans les rites de ntalie primitive, comme dans ceux de l'Egypte, de Tlnde, de la Chine, vous retrouverez de sublimes idées de la Divinité. - L'honune ne parvint donc pas à inventer les religions en se dé- gageant successivement des langes dont son enfance fut en-^ travée et protégée, mais il les forma en obscurcissant les doc- trines qui lui avaient été primitivement révélées. En poursuivant cet examen, nous remarquerons continuelle- ment la correspondance entre les erreurs des diverses religions et la vérité d'une révélation primitive ; correspondance qui saute aux yeux des moins clairvoyants dans cette trinité, soit de dieux placés au ciel, soit de héros donnés pour chefs aux nations. K la grossièreté des fables nous rebute , nous serons étonnés lorsque, en écartant les rêves de la poésie et les hypo- thèses philosophiques, nous verrons la profondeur des symbo- les, la beauté des mythes, frères aînés de l'histoire, s'accorder pour prouver Torigine patriarcale. Notre tâche serait infinie si nous voulions parler de tous ; aussi nous contenterons-nous de glaner dans le champ où d*autres ont moissonné avant nous (i). Parmi les Chinois, nation très-ancienne, les plus savants re- gardent l'histoire primitive comme ime fiction allégorique. Ce^ pendant leurs patriarches ont un singulier rapport avec ceux des Hébreux; et sitôt qu'apparaissent les honunes, nous trou- vons Fo-hi, qui rappelle Noé, et le roi Yo, faisant à lui seul (1) BiANCHiNi, Histoire universelle prouvée par les monuments; Court DE GiBBuii, Mondé primitif; et, sans parler de tant d'autres» les très4)e]le8 Heures mosaïques de Fabre. T. I. iO 146 I^BBMlàftB ÉPOQUE» s'écoulet* les eaux qui , a s*étant élevées jusqu'au eiel^ bdigimiént « encore le pied des plus hautes montagnes^ couvraient ]es<;ol- « Unes et rendaient les plaines impraticables (i). b La doctrine de Zoroastre> système philosophique enté sur les dogmes de sectes antérieures^ met au centre de la terre la montagne Albordi^ d'où s'écoulent les quatre grands fleuves; sur sa cime est le |)aradis, jardin des eqprits bienheureux où jaillissent les eaux de vie. La lumière qui divise et dissipe les ténèbres et donne l'âme aux créatures est le premier prin-^ cipe phy^que sur lequel se fonde le culte des Parsis« Le Châldéen Xisuthre échappa à un déluge avec sa famille et les animaux les plus nécessaires à Fhomme. Bérose décrit ce déluge avec des circonstances identiques à celles de la Bible, sinon qn^'û le fait beaucoup plus ancien ; entre cet événement et Sénodramis, il met 350 siècles^ auxquels personne n'avmt pensé avant lui, et que personne n^a acceptés depuis. La tradition arménienne fait remonter le déluge à 5,000 ans. Quoique ses historiens soient trop récents, le souvenir de ce car tadysme est trè&-ancien dans le pays. Le Juif Josèphe cite une ville nommée lé lieu du débarquement; et, au pied du mont Ararat, les voyageurs rencontrent aujourd'hui Nascidscevan , qui a précisément cette signification (2). Les Phéniciens, selon Sanchoniathon, croyaient qu'il avait existé au conunencement un chaos , demeuré sans limites ni formes, jusqu'à ce que l'esprit se prît d'amour pour ses propres principes, et que de leur union sortissent les éléments de la création. Le Brahma indien forma Thomme de la fange , et se complut dans son œuvre : il le plaça dans le Schorschiamy pays de tout bien, où était un arbre dont le fruit, quand on le mangeait, donnait l'immortalité. Les dieux mineurs le découvrirent et en goûtèrent pour ne pas subir la mort. Le serpent SeheieUf gar- dien de cet arbre, en conçut un tel dépit qu'il répandit son venin sur la terre, la pervertit, et toute âme vivante eût péri, si (1) SciD-KiNG. Voy. H* J. SciiMiDT, Révélation primitive ^ ou les grandes doctrines du chrislianisme démontrées par les traditions et les écrits des peuples les plus anciens, et particulièrement par les livres canoniqties des Chinois. (Aliem.) Landsbut, 1834. (2) Mo«is CH0RENJBN8IS, Hist» Armentaca^ iib. I, c. i, et ia pré&ca des frères Whiston, p. 4. . UNITi DE L^SSPkSB HUMAINE. 14t le dieu Siva, ayant pris la forme humaine, n'eût absorbé ce venin tout entier. Le dieu destructeur résolut dç submerger la race humaine^ et Yichnou^ dieu conservateur^ ne pouvant l'en empêcher, mais instruit du temps précis^ apparaît à Satiavrati son confi- dent^ et Texhorte à construire un navire sur lequel il veut le sauver avec les germes de la création, au nombre de 840 mil- lions. Il est parlé ailleurs d'une incarnation de Vichnou^ sous la figure de Prassarama, au temps où Teau couvrait toute la terre, à l'exception des monts de Gâte: alors Yicbnou pria les dieux de faire reculer les flots aussi loin que sa flèche pourrait atteindre* Sa prière fut exaucée, et les eaux se retirèrent jusqu'à la côte de Malabar (i). Si Yoa trouve quelque ressemblance entre le nom de Brahma et celui d'Abraham, nous dirons de plus quMl avait pourfenune Saras Vadi(et vadi signifie dame) ; qu'il fut la souche de familles nombreuses descendues de douze frères; et que dans la fête annuelle au fameux temple de Tischirapali figurent encore ces douze chefs guidés par un vieillard. Un des parents de Krisna fut exposé enfant sur les eaux et recueilli |)ar une reine. Dieu demanda à un pénitent le sacrifice de son propre fils, biqi) qu'il se contentât ensuite de sa bonne volonté. Klaproth démontre que tous les peuples de l'Asie parlent d^un déluge qui généralement se rapporte à Pan 3044 avant J. C. (21). Dan3 le temple de lerapolis, en Syrie, on montrait la bouche souterraine de laquelle s'étaient élancées les eaux dévas- tatrices. Les Perses donnent au mont Ararat le nom de Koh-- Nuh, ou mont de Noé (3). On raconte, parmi les Tchoudes, que Gain s'était enrichi en extrayant les métaux et l'or; son jeune frère fut envieux de lui, le chassa et le contraignit de se réfu* gier vers FOrient (4). Toutes les annales de l'Asie parlent d]un paradis primitif, en le peuplant de merveilles selon leur goût particulier. Au Thibet, les Lah sont des génies primitifs dégradés par le vice. Le Groen- landais lui-même rapporte que Kallak fut d'abord créé, ^t que (1) Voy. le Sonnerai et le Bagavadam, et divers pçuranas. ' (2) Asie polyglotte. Paris, 1823. (3) Chardin, Journal d*un voyage en Perse, H, 191. (4) RnTER, Géographie^ 1. 1, p. ô4ft. 10. / HB I^REMIERB ÉPOQUE. de son pouce il fit sortir la première femme ; que le monde fut ensuite submergé, à rexception d^un seul homme (1). A Ccy- lan, on montre encore un lac salé formé par Eve pleurant Abel durant cent années (2). Dans la théogonie des Nègres, Atahent- sic fut chassée du ciel à cause de sa désobéissance ; et un autre lac, dans Tiritérieur de F Afrique, passe pour un reste du déluge. On croit retrouver chez les Américains eux-mêmes des souve- nirs d^un déluge dans quelques-uns de leurs grossiers hiéro- glyphes (3). Les Algonquins et d^autres tribus rapportent que Messou, ou Saketschiak, voyant la terre submergée, envoya un corbeau vers le fond de Tabîme pour lui rapporter un peu de terre; il ne put réussir. Mais un rat chargé de la même mission en rapporta une bouchée, avec laquelle Messou refit le monde que le rat repeupla (i). Les Mexicains de Meschioacan racontaient plus clairement que Tèzpi s'embarqua dans un grand acalli, avec sa femme, ses ejifants, les animaux et les semences ; quand le grand esprit Tezcâthpoca fit retirer les flots, Tezpi envoya au dehors un vautour qui, se repaissant de cadavres, ne revint pas : alors il expédia d'autres oiseaux jusqu'à ce que le colibri revînt avec un rameau verdoyant; assuré par là que le soleil ravivait la nature, il sortit du navire (5). Des accidents divers peuvent éveiller chez les hommes Tidée d^un déluge universel; mais le hasard peut-il la reproduire avec des circonstances identi- ques"? Si nous étudions les systèmes des peuples plus avancés en ci- vilisation, nous rencontrons des concordances plus frappantes encore , quoique , en général , pour ce qui touche l'origine des hommes, elles aient en vue ^élément matériel presque seul. Ceux qui songèrent à l'élément spirituel supposèrent qu'il avait été soustrait à la Divinité par force ou par ruse, et non pas con- cédé par amour. On peut retrouver Noé dans Saturne, qui eut pour symbole un vaisseau, cultiva la vigne, naquit de POcéan, et dévora ses fils, à l'exception de trois, entre lesquels il parta- gea le monde. A Jupiter pourrait correspondre Gham, plus voisin du soleil, puisqu'il peupla PAfrique; à Plùton, Sem, qui sut^ (1) Cranz^ Hist, des Grœnlandais, (2) CHEVREAty Histoire du monde, t. IV, p. 265. (3) HuMBOLDT, Sur les monuments mexicains» (4) Cbarletoix. (5) HoMBOLDT, Vue des Cordillères, t. Il, p. 177. UNITÉ DE l'sSPBCB HUMAINS. 149, extraire et travailler les métaux dans les riches pays d'Opbir^ d^vila^ des Sabéens ; à Neptune^ Japhet^ qui peupla les îles (1). Vous reconnaissez les constructeurs de la tour de Babel dans les Titans. Hésiode nous parle d'une race d'honunes qui étaient encore enfants à l'âge de cent ans (2); s'il n'a pas fait mention du déluge ^ ainsi qu'Homère et les trois plus grands historiens de l'antiquité , Pindare le chante (3) j il fait aborder sur le Par- nasse Deucalion^ qui se fixe dans la ville de Protogène ^ et la repeuple en jetant des pierres derrière lui. Platon aussi en parle dans son Timée comme d'un événement universel et unique , et part de cette antique tradition pour en venir à la catastrophe qui détruisit l'Atlantide. Aristote le considère comme particidier à la Thessalie (\). Mais il s'agrandit dans Apollodore (5), et dé- termine le passage de l'âge d'airain à notre âge de fer : Deuca- lion lui échappe dans une arche. Lucain ajoute qu'il y embar- qua avec lui des animaux de chaque espèce; Plutarque, qu'il fit scHlir des colombes pour recoimaitre la hauteur des eaux. Nous ignorons ce que Ton enseignait dans les mystères d'Eleu- sis, où il semble que se fussent conservées plus pures les vérités primitives. Mais Aristote n'hésite pas à dire que « c'est une tra- (i diticm antique chez tbus les honmies, tradition qu'ils tien- ce nent de leurs pères , que toutes les choses nous ont été cons- cf tituées par Dieu, et par le moyen de Dieu (6). » Il est bien à regretter, pour nous servir d'mie expression de Bacon (7), que le souftle de l'antiquité, en passant dans les flûtes harmonieuses de la Grèce, ait changé la pensée sublime et profonde en un simple jeu d'imagination. Toutefois un œil scrutateur sait y retrouver encore sa signification première. L'imagination grecque pouvait-elle revêtir la première faute, et la réparation qu'elle appelait, d'une figure plus poétique que (1) En grec , Neptune se dit Poséidon , d'une racine sanscrite ayant le sens de large, étendu, ce que signifie aussi Japhet, (2) 'A).X' ixaxôv ii£v izolIç Itea itapà piTiT^pt xi^v^ 'Etpéçet' àTtàXXuiv. TmÊOG« (3) Olymp., IX. (4) Météor,, 1, 14. (5) Bibliotheca, I, S 7. <6) Ou plutôt Tantique auteur du Traité du monde et du ciel^ que l'on trcknve dans les ouvrages d'Aristote !Apxato; pièv oOv >6yoc "mù nàrptô; tort tâg^iv &v9p{tf7i;oic ib; ôew ta iràvra, xal oià 6eov ^(iîv ov 'C tefois il ne faut sesendr de ces recherches systématiques qu'arec la plus grande réserve. (2) Il suffit de regarder Thistoire primitive de quelque peuple que ce soit pourvoir la bizarrerie des cosmogonies. Nous devrons en exposer plusieurs dans le cours de l'ouvrage. Aussi suffira-t-il dédire ici un mot de la cosmogonie grecque, selon Diodore de Sicilel « Nous disons que, pour ce qui concerne To- a rigine dea hommes, les philologues et les historiens les plus estimés sont par* a tagés en deux opinions différentes. Les uns, n'admettant pour le monde ni « commencement ni fin, affirment que le genre humain a existé de toute éternité « sans aucun princîiie de génération; les autres, qui pensent que le monde a été « créé et qu'il est sujet à la corruption, reconnaissent que l'homme a eu de même « son commencement, en naissant à une époque déterminée. On icroit donc que a dès le principe toutes choses, dans leur universalité, étant comprises en « elles-mêmes, le ciel et la terre, par le mélange de leurs natures, n'avaient « qu'une seule forme. Puis, les corps se dégageant les uns des autres, le monde <« se rangea dans l'ordre où notls le voyons. L'air contracta une agitation per- « pétuelle, et la partie ignée, poussée en haut par sa propre nature et par sa « légèreté, s'en alla vers les espaces élevés qu'elle occupe. C'est la raison pour ft laquelle le soleil et les autres étoiles se soulevèrent, tandis que la matière « fangeuse et trouble, qui dans sa pesanteur était tout imbibée d*huaiidité, se « concentra dans un lieu déterminé, où le mouvement de rotation continuelle « forma de la partie humide la mer, et de la partie solide la terre. Celle-ci, « bourbeuse et molle d'abord , prit peu à peu consistance sous les brûlants « rayons du soleil. Aussitôt qu'elle se fut mise en fermentation et que sa so- « perficie se gonfla, les endroits plus humides commencèrent à montrer des « tuméfactions, ensuite apparurent comme des pustuleson des bulles cx>uvertes « d'une très-mince enveloppe, semblables à celksque nous voyons actuelle- « ment se former dans les étangs et dans les marais, lorsque, la terre se trou- « vant refroidie, souffle tout à coup un vent embrasé qui change graduellement « sa température. Les choses humides rendues ainsi fécondes par la chaleur « qui le^ur servit con^me de senience génératrice, lears fœtus s'alimeutèrei^f L'NITÉ JDl L^B^Pàci HCJIUINE. 151 procèdent clmrs et naïfs les récits de ces temps reculés^ que leg autres nations remplissent de songes et de prodiges^ en conw ipençant toutes leur existence par deux suppositions différen- tes: les unes par un âge d'or qui dégénère; les autres par un état de barbarie qui s'améliore. Seule l'Histoire sainte aecorde ces deux opinions par le péché originel ; mystère , comme le dit Pascal, sans lequel toute l'humanité est elle-même un inex- tricable mystère. Nous ne pouvons non plus passer sous silence l'argument que Antiogie «et fournissent a 1 appui d une commune origine certames connais- cts. sances communes entre les divers peuples. Nous ne dirons rien des arts et des métiers auxquels une nécessité égale a pu don- ner un égal développement, mais nous parlerons des principes de sciences purement spéculatives qui supposent des observa- tions continues. Telles seraient les études astronomiques. Or, nous trouvons les signes du zodiaque semblables chez les peu- ples les plus éloignés; on y connaît de même la division tout à fait artificielle de la semaine; la période luni-solaire, et d'au- tres périodes dont on fit le fondement de traditions et d'épo-^ ques religieuses. On y connaît la circonférence de la terre (4), « de Tair nébuleux qui les environnait, et se consolidèrent par l'ardeur du (c soleil pendant le jour. Quand ils curent atteint leur maturité, leurs minces « en? cloppes desséchées vinrent k crever, et Ton vit éclore des formes d*ani- « maux de toute espèce. Ceux qui avaient en eux plus declialeur volèrent dans « les airs, ceux qui avaient pins de matière composèrent l'ordre des reptiles et « autres animaux terrestres, et ceux dont la nature at)ondait d'humirlité et « qu'on appelle nageurs^ s'en allèrent dans des lieux qui leur étaient propres, a La terre enfin, s'endurcissant de plus en plus par le feu du soleil et par les a Tenta, le moment arriva où elle ne put pins produire de grands animatix, et « ce fut alors que par le mélangp, mutuel commencèrent à être engendrés ceux « que nous voyons vivre aujourd'hui. » Euripide, disciple d'Anaxagore le physicien, ne paraît pas trop ^'éloigner de ces idées, quand, en parlant de la génération des choses, il dit^ dans son Menalippe : « Ainsi, la terre et le ciel n'eurent d'abord qu'un seul as|)ect. Puis, en se <* détachant, ils firent éclore toutes les choses, bètes, oiseaux, arbres et tout « ce qui vit sur la terre, y compris la race des mortels. « (1) Comme nous aurons à voir les divers systèmes que l'on a inventés pour mesurer la terre, et les divers résultats qu'ils ont donnés, je crois utile de rap* )H)rter ici tout ce qu'offre de plus avéré sur ce sujet la science moderne, pour qu'on puisse le comparer aux erreurs et aux opinions précédentes : La première mt'sure précise de la terre fut trouvée par Tabbé Picard, au sortir du xvii* siècle. Voici de quelle manière. Plus on s'avance vers le nprd, pl«s on voit §'élpver le pôle, s'augmentpr |a hauteur d^ étoiles septeptrip- 152 PBEMIEBB BPOQUE. et Ton en a tiré l'unité de mesure , la forme et l'étendue des temples et des édifices symboliques {\), nales, diminuer celle des étoiles du pâle opposé. Uélévatlon ou rabaissement des étoiles nous fait connaître Tangle qui résulte des verticales partant des extrémités de Taxe parcouru sur la terre. Cet angle est égal à la différence des hauteurs raéridiennes «l'une même étoile, en ne faisant aucun cas de la peti- tesse infinitésimale de la parallaxe de Tare. Si Ton mesure cet arc au moyen d'opérations bien exactes, on a la longueur d*un degré, qui, multipliée par 360, donne celle de toute la périphérie. Ainsi, l'abbé Picard ayant Térifié que l'arc compris entre les parallèles qui passent par Amiens et Malvoisine, était long de 78,850 toises, et que l'élévation d'une étoile deCassiopéecorrespon* dant à cet arc était de r22'5à", en conclut que le degré avait la longueur de 57,000 toises. En répétant cette opération Sur différentes latitudes, les petites variations qui en résultèrent indiquèrent que la terre n'était pas tout à fait sphérique. L'Académie des sciences pensant avec raison que, le fajt existant, on en aurait la plus grande preuve par la comparaison entre les degrés mesurés aux pôles et à réqiiateur, envoya MM. Bonques, la Condamine et Godin sous la ligne, MaHpertuis et quatre autres géomètres sous le cercle polaire. Les premiers reconnurent que la longueur d'un degré était de 56,735. Les seconds ne réus* sireiit pas ; mais plus tard des savants suédois la trouvèrent de 57,693. Des opérations multipliées donnèrent pour résultat que la figure de la terre est ellipsoïdale, quoique les observations les plus minutieuses témoignent de l'extrême difficulté que l'on rencontre à vérifier la différence exacte entre ses deux diamètres, laquelle d'abord avait été fixée à 1/312. La pesanteur des objets varie selon les latitudes; en s'approchant des pôles elle augmente en proportion du carré du centre de la latitude, et dans tout le quart du méridien s'accroît de 0,0054 sur la valeur équatoriale. On reconnut aussi par là que le globe terrestre n'est pas homogène. Des expériences fort ingénieuses ont fait voir que la densité moyenne de sa croûte est à celle de l'eau : : 5 : 2. La terre a deux mouvements, de rotation et de translation. Le premier , duquel dépend la durée du jour, de temps immémorial ne s*est point altéré, c« qui veut dire que l'axe n'a point changé. Voici les résultats des recherches : Rayons de l'équateur. .mètres , 6376851 Semi*axe 6355943 Différence ou affaissement 20908 Rayon à 45« de latitude 6366407 Superficie du globe myriamètres carrés , 5098857 Volume. myriamètres cubes , 1082634000 (t) Tous les stades antiques sont des parties aliquotes exactes d*unc circon- férence de la terre, et lui attribuent une extension qui diffère de bien peu de celte que Ton trouve aujourd'hui à l'aide de meilleures méthodes. Selon Rome de ruie, le stade d'Érathosthèue la donne de 57,066, ainsi que le stade nau- tique, l'olympique et l'égyptien; le stade philétérien 50,70. Seulement le pythiquc fait chaque degré de fbQ. Lechaldéen était calculé 1,111 1/9 par degré, de sorte qu'appliqué au degré terrestre, il ionne pour chaque de^ UNITS DE L'fiSPBGB HOMAINB. 153 SeraiUl possible que rbomme^ s'il était né sauvage^ se fût appliqué d'aussi bonne heure à ces profondes recherches^ quand plus tard et dans des temps déjà historiques^ il apprit à peine à satisfaire à d'urgents besoins? Serait-il possible qu'il fût par- venu par force d'intuition à découvrir ce que la science n'ob- tînt qu'au prix d'énwmes efforts, avec le secours d'observations longues et compliquées, de calculs très-subtils et d'instruments d^une extrême précision? Et pourquoi donc chez tous les peu- ples la contemplation des cieux , et l'art de supputer les jours, sont-ils considérés comme choses sacrées, gardées et réglées par les prêtres? Si nous observons que chez les nations les plus anciennes beaucoiq) de formules d'une haute science ont été conservées sans être comprises, souvent appliquées à faux, mêlées à des erreurs grossières, comme il arrive dans les mer- veilleux computs des Indiens et des Chinois (i), nous nous trou- vons conduits à reconnaître dans ces fragments en désaccord , non les éléments homogènes d'une étude progressive , mais le rayonnement d'un foyer unique, les réminiscences d'un âge où l'homme, ayant peu ou point de besoins, pouvait se livrer uni- quement à la contemplation, avec toute la vigueur d'une in- telligence vierge, éclairée par de sublimes révélations. Les hommes, en se dispersant, emportèrent avec eux ces connais- sances, ainsi que l'usage de solenniser l'époque des solstices et des équinoxes, la vénération du nombre douze et d'autres nom- bres calendaires. Leur propre génie et les circonstances y ap- portèrent par la suite diverses modifications. Bailly lui-même dot convenir de l'unique origine des sciences, bien qu'il la pla- çât chez on ne sait quel peuple du lac Baïkal, sous le 50*^ degré de latitude, d'où elles passèrent aux Âtlantides, habitant la partie submergée de FÂmérique et les côtes occidentales de l'Afrique; de là, elles seraient parvenues aux Éthiopiens, puis aux quatre nations les phis anciennes, les Indiens, les 57,00^ toisen pied 9 pouces 6 lignes. On sait que la mesure des académiciens de Paris donne 57,075 toises par degré, à la latitude du 50<*. (1) Voy.y pour les Chinois, Hermann, Joseph. Schiiidt, Uroffenbarung, oder die grossen Lehren der ChrUtums, etc., c'est à-dire la Révélation primi- tive, ou les grandes vérités du christianisme démontrées par les écrits et les documents des peuples les plus anciens, et particulièrement par les livres canoniques des Chinois, Landshut, 1834. Voy . aussi le présent ouvrage, liv, IV. cains. 154 PABMlàRK BPOQDB. Perses^ les Cbaldéens et les Égyptiens (1) : assertions gratuites. Les preuves de cette unité d'origine se trouvent accumulées dans la ressemblance des édifices consacrés au culte, des insti- tutions religieuses^ des cycles de la régénération^ des idées mystiques, et de la plus merveilleuse des inventions, récriture, dont les caractères, chez les peuples les plus éloignés, pour** raient passer pour les variations d'une même forme (2). Qui osera rechercher la cause de telles ressemblances dans le pro- fond mystère de la vie, et dans Tétemelle et secrète alliance de Tâme avec la nature? Us Am(Ti- Pour réfuter l'origine commune du genre humain, on ne manquait pas d'ordinaire de mettre en avant l'Amérique , et Pon soutenait qu'un continent aussi vaste, demeuré toujours inconnu au reste du monde et séparé de lui par tant de mers, ne pouvait avoir été peuplé que par des hommes nés sur le sol même. Nous aurons à nous étendre ailleurs sur ce point. Il est vrai qu'au premier abord, en retrouvant un peuple dans des iles écartées, on serait porté à le croire une production spontanée du sol; mais si , à Pexamen, on lui trouve un langage, des tra* s ditions, des coutumes conformes à celles d'autres nations, force est d'avouer qu'il y fut amené d'ailleurs, bien qu^on ignore corn* ment. Tel est le cas de l'Amérique. Nous avons déjà dit un mot des ressemblances de conformation et de langage entre ses in- digènes et les Asiatiques. Leurs traditions parlent de gens ve- nus du dehors : dans l'histoire mexicaine, les Toltèques, les Sept Tribus, les Scheschénèques , les Aztèques, sont indiqués tous conune étrangers au pays ; et les hiéroglyphes les représentent dans l'acte de traverser POcean. Les analogies entre les Péru- viens et les Mongols sont si nombreuses qu'un écrivain a sou- tenu , avec beaucoup d'esprit , que Mango-Kapac, fondateur de la dynastie et de la religion des Incas , était né d'un petit-fils de Gengis-Kan (3); tandis que d'autres, avec plus de raison, (1) Histoire de Vastronomie ei Lettres sur Vorigine des sciences, (2) DE Paràyby, Essai sur Vorigine unique et hiéroglyphique des chiffres et des lettres de tous les peuples. Il suppose que les ClâooU ont conservé les anciens livres de Bab>lone, de la Perse et de TÉgypte. Voyez aussi BcTTNER, Vergleichungs Tafeln der Schriflenverschiedener Vôlker, GoëUingen, 1771. (3) Ranktkg, Recherches historiques sur la conquête du Péroti ef dt^ UMTÉ OB L^BSPÀCfi HUMAINB. 136 le font venir du Thibet et de la Tartane. Les Hottentots d'A- frique y les Guaranos du Paraguay^ et les Californiens d'Amé- rique y en signe de douleur pour la perte d'un parent y se cou<^ pent le petit doigt (i). Croirons-nous qu'un usage si étrange soit né spontanément dans des pays si (listants Fun de l'autre? Les Pastous américains ne se nourrissant que de végétaux y les Tlascaltèques qui croient à la métempsycose, les Péruviens qui ont une idée de la Trimourii, nous font penser aux Indiens. La division du temps en petites et grandes périodes diffère bien peu dans les méthodes chinoise ^ kalmouque , mongole , mant- choue, et dans celles des ToUèques, Aztèques et autres; elle est identique entre les Mexicains et les Japonais. Le zodiaque des Thibétains^ Japonais et Mongols^ porte les mêmes noms que ceux attribués par les Mexicains aux jours du mois : et là où les signes manquent dans le zodiaque tartare, les Sastras in- diens y suppléent en plaçant les animaux célestes dans les po- sitions correspondantes (2). Les Aztèques, les Mittèques , les Tlascaltèques représentent^ dans d'innombrables peintures, le déluge et la dispersion des peuples; le Mexicain Tezpi ou Coxcok vogue sur les eaux avec sa famille , les animaux et les plantes : puis, quand les eaux se retirent, il envoie au dehors un vautour qui ne revient pas^ puis un second, puis un troisième, jusqu'à ce qu'un dernier lui rapporte un rameau vert dans son bec. Pour figurer la confu- sion des langues, ils ont représenté une colombe perchée $ur un arbre et donnant aux hommes, jusque-là muets, un langage pour chacun, ce qui fait que les quinze familles se dispersent au loin (3). Leurs hiéroglyphes exprimaient que a avant la grande inon- a dation, survenue 4008 anjdées q)rès la création du monde, le « pays d'Anahuac était habité par des géants (Tzoçu%llixèqne&) : c( ceux qui ne périrent pas furent transformés en poissons, moins a sept qui s'étaient réfugiés dans les cavernes. Les eaux une « fois apaisées, Xeloua, l'un 4^ ces géants, surnommé Tarchi- a tecte, s'en alla à Scioloulan, ou, en mémoire de la montagne u Tlaloc, sur laquelle il s'était sauvé, il éleva une colline artifi- a/cxiquey faite au %m'' siècle par les Mongols^ accompagnés d*éléphants, Londres, 1897. ( i) FoRSTEfi, Voyage autour du monde, vol. I, p. 485. (2) Voy. hvMnoimf Vue des Cordillères, t. il. (3) lîjefn. 156 PRBMIBRV JSFOQUB. « cîelle en forme de pyranûde. Il fit faire des briques dans la « province de Tlamanalco , au pied de la Sierra de Cocoti , et, « pour les transporter à Scioloulan, il disposa en file des hom- a mes qui se les passaient de main en main. Les dieux virent « avec courroux cet édifice, dont la cime devait aller toucher « les nues, et ils lancèrent le feu sur la pyramide; beaucoup « d'ouvriers périrent, et le travail resta inachevé (1). » Hum- boldt et Xoega remarquèrent une ressemblance évidente entre cette pyramide de Scioloulan et le temple de Bélus; elle est exactement orientée, et, comme celui-ci, elle ser\'ait aux prê- ,tres mexicains pour les observations astronomiques. Ajoutez à cela que les Mexicains, dès qu'il leur naissait un enfant, lui arrosaient le front avec de Veau , et parfois le fai- saient passer à travers la flamme. Ds peignaient Sinamati, mère du genre humain, dans le paradis terrestre, avec un serpent, et, derrière elle, deux fils se disputant entre eux ; ils faisaient de petites idoles dé pâte qui se distribuaient par petits mor- ceaux au peuple réuni dans le temple; ils confessaient leurs péchés ; ils avaient des couvents d'hommes et de femmes. Tant et de si singulières ressemblances ont fait soutenir dans un ou- vrage remarquable que l'Amérique avait été d'abord peuplée par des Hébreux, puis par des chrétiens (2). Cet ouvrage est la collection des monuments mexicains, publiée par lord Kingsbo- rough; monuments dans lesquels on voit représentés des per- sonnages d'un tout autre caractère que TAmériôain , i)ffrant tantôt les types de l'Inde, tantôt ceux de l'Egypte. Le buste d^iiie prêtresse aztèque porte sur la tête la calantique, comme ceux d'Isis. On y retrouve les pyramides à assises nombreuses, avec des sépultures à l'intérieur, et surtout des peintures hiéro- glyphiques. Ginq jours sont ajoutés à l'année mexicaine, comme les épagomènes à celle de Memphis. Dans les tombeaux des Incas on a découvert beaucoup de lampes et de vases peints qui ressemblent étonnamment à ceux des Égyptiens; quelques-uns ont des formes grecques; on en prendrait d'autres pour des amphores romaines (3). On est tellement surpris de semblables (1) MS. existant dans ]a biblioflièque du Vatican , copié par Pedro de los Rios, en 1666. (2) A. ÂGLio, les Antiquités du Mexique, toI. Vl, p. 232-420. On sait cependant que les boudhistes pratiquaient des rites pareils. (8) Elles sont possédées par M. Cooke de Barnes^ en Angleterre. M. Kampe UNITÉ DB l'bsFSCI HUMAINE. 157 confonDités, qu'on se demande comment cette paHie du monde a pu jamais se procurer de telles connaissances et de tels objets. Mais pouvons-nous espérer d^obtenir une réponse qui nous révélerait les temps les plus reculés , quand nous ne sa- vons pas encore expliquer comment, dans un tarif de Modène de 1306^ se lit/ porté au nombre des marchandises^ le nom Brésil; et comment, sur la carte géographique d'André Bianco, tracée en 1436 et conservée dans la bibliothèque de Saint-Mare à Venise, se trouve indiquée précisément sous le même nom de Brésil une île située dans l'Atlantique? Ce monde-là ne serait donc nouveau que pour nous qui ne le connaissions pas ! Il est certain que l^infortuné Montézuma, la première fois qu'il s'entretint avec Femand Gortez, lui dit : « Nous savons « par nos livres que les habitants de ce pays et moi nous ne ç( sommes pas indigènes, mais que nous venons de très-loin. « Nous savons encore que le chef qui guida nos aïeux retourna c( pour quelque temps dans son pays natal, et revint ensuite ce pour y ramener ceux qu'il avait laissés. Mais il les trouva « mariés avec des femmes de î*e pays, pères de nombreux en- « fants, et vivant dans des villes qu*ils avaient bâties; si bien « qu'ils ne voulurent pas obéir à leur ancien maître, qui s'en « alla seul. Nous avons toujours cru que ses descendants vien- c( (iraient un jour prendre possession de nos contrées; mainte- « nant, puisque vous venez du côté où se lève le soleil, et que vous a me dites nous connaître depuis longtemps, je ne puis douter « que le roi qui vous envoie ne soit notre maître naturel (1). » Nous sommes encore peu informés de ce qui concerne la Polynésie , dont on a plus songé à tirer sous le rapport com- i/»^ Aaatft- mercial que sous le rapport scientifique ; mais il est moins dif- ficile de s'expliquer conunent les Indiens s'y propagèrent d'île en île. Au fond d'une religion grossière outre mesure, on y re- trouve l'idée d'une trinité que dans les Carolines on appelle Alauelap^ Langueleug,OLisat, Parmi les Tdtiens, Tc^ne ou Te MaduGy père ou homme; Oro ou Mattin, dieu-fils ou sangui- naire; et Taroa ou Manou te ooa, oiseau ou esprit, offrent une pril le dessin de vingt-deux de ces objets, qiiMI creit y avoir été portés par les Phéniciens. Yoy. Soc. ofantiq, Londres, 1S3&. (1) Première lettre de Cortez, §§ nxi et xxix. Klaproth, dans VAsie polygloiiey soutient que les Tscltouktcbi viennent d'Amérique. Sans m'arréter à le réfuter, j'en fais mention comme un témoignage des correspondances entre le nord-ouest de rAroérique et Test de l'Asie. 168 PHBMtjkBB éPOQtl. ressemblance palpable avec la trinité mdienne. Les Nouveaux* Zélandais^ selon Lesson^ de même que les autres Polynésiens^ nonunent leurs dieux Açouas; ils croient que les âmes des justes sont les bons génies ^ et que , sous le nom de Tiis, celles des méchants poussent Thomme au péché. Qui ne voudra re- connaître là les Assouras , génies de l'Inde antique , et fes Dai-- tiasy ses démons? Les traditions brahmaniques se montrent davantage parmi certaines tribus des Daïas plus civilisées que les autres. Elles divisent le temps en iogas, semblables aux périodes fabuleuses des adorateurs de Brahma^ et dont les noms même se rappor- tent aux leurs; (car ils les nomment Chereta ioga, Diva Fera iogay et enfin Cale ioga y la période présentée Durant les éclip- ses , qu'ils appellent par un mot sanscrit graana y ils croient qu'un dragon nommé Raau (pande également sanscrite) dé- vore la lune, et, pour Teffrayer, ils font un fracas étourdis- sant, absolument comme en usent les Chinois. Nous avons rapporté tant de preuves de Tunique origine du genre humain^ que nous croyons pouvoir négliger les objec- tions partielles, en réfléchissant avec Bacon que Pharmonie des sciences , c'est-à-dire Tappui qu'elles se prêtent réciproque- ment, est la vraie et la plus prompte manière de renverser et d'écarter les obstacles de moindre importance ; tandis que si l'on met en avant les axiomes un à un, il en arrivera comme du faisceau de flèches : ils plieront et rompront à qui mieux mieux (4). * Mais qu'on ne nous reproche pas de nous être trop arrêté sur ce point; il nous paraît d'une importance capitale,, non-seule- ment dans l'ordre spirituel pour fournir la preuve du péché originel et, par suite, de la rédemption, mais encore dans Tor- dre historique, puisque de cette connaissance dépend le fait de savoir si l'espèce humaine, ce mélange de tant de misères et de tant de grandeur, est déchue d'un paradis ou s'est élevée de la condition du singe; si nous devons rechercher seulement le développement de la matière dont le perfectionnement aurait produit toute chose, ou bien célébrer Télévation successive de l'esprit, en croyant l'homme et Thumanité destinés à se rache- ter et à s'améliorer par le rétabUssement de Tharmonie dans la conscience; si enfin ceux qu'une politique §ans pitié appelle nos (t) De Atfpm. scient, lib. vu. tBBMlSBS ^ÀY8 HABITÉS. 169 ennemis naturels sont oii non nos frères. De là seulement nous pourrons déduire les règles de la justice qui doit être le fonde- ment de Phistoire. Combien les Jugements de Phistorien ne se- rontHls pas modifiés, si Molse^ Mahomet^ l'empereur Christo- phe^ Iturbide^ Tamerlan^ sont à ses yeux des êtres aussi étran- gers que le renne ou Péléphant ! Quelle impression différente produiront sur lui les institutions de Manès et les poèmes de Calidase ; les infortunes des Incas ou de Montézuma jetés au bûcher par les Espagnols; la triste condition des nègres dont les Anglais font trafic, s'il voit en eux des êtres d'une autre race que la nôtre! CHAPITRE IV. PREBIEK8 PATS HABITAS. Mais il ne suffit pas que les faits prouvent que l'homme n'est pas un germe développé spontanément sous certaines zones ; il faut les interroger encore pour savoir quel fut le lieu de son unique souche. Celui qui voudrait connaître où le Nil prend naissance, de- vrait remonter son cours , demander de pays en pays de quel côté on y parvient, et, continuant à suivre ses sinuosités à tra- vers les bois, les sables, les cataractes, s'approcher de sa source. Il faut en agir de même avec le courant des nations. Si Ton s'in- forme aux peuples de l^Europe de quelle partie du monde ils vien- nent, tous d'accord répondent, de l'Asie. Il en est beaucoup dont nous connaissons l'origine avec certitude : en étudiant les an- ciennes migrations et les débris des langues éteintes , non-seule- ment nous trouvons que lesCeltes, les Cimbres, lesËsclavons, les Gaulois, les Germains, les Lapons, les Finnois, viennent de l'A- sie, mais nous pouvons assigner à chacun la contrée qu'ils ha*- bitaient autrefois sur les bords de la mer Noire , dans la Tar'^ tarie, sur le Gange, partout où se rencontre encore un vestige de leur idiome. Si nous ne pouvons pas en dire autant des au^ très, nous les voyons néanmoins se reporter tous vers l'Orient* L'Afirique s'est tellement plongée dans la barbarie, l'Amé- rique resta si longtemps séparée du tronc principal , que l'on ^itrevcMt à pane sa ressemblance avec ces deux rameaux. Nous 160 PBEIIliiAV ÉeOQUB« en avons cependant déjà signalé quelques traces^ et le peu qui reste de leurs traditions indique une origine étrangère se repor- tant du côté de TAsie. Plus on observe d'ailleurs la gradation dans la couleur de la peau^ plus on se confirme dans Popinibn que les Africains sont issus de l'Asie méridionale^ de TAsie orientale les Américains. En Asie, au contraire , tout manifeste une extrême vétusté. Là nous apparaissent les langues les plus antiques, qui, sous des formes calmes et méthodiques, voilent la parole de Tombre mystérieuse de l'hiéroglyphe et du symbole. A ces langues, comme à leur noyau commun, se rattachent celles du reste du monde. Informez-vous d'où fut tiré le moyen de fixer la pa- role, et la Grèce s'avouera débitrice envers l'Asie de Talphabet qui engendra tous les autres. De là sont venus les chiffres nu- mériques; de là, les connaissances astronomiques; de là, les germes de culture cachés dans les cosmpgonies; de là, les doc- trines philosophiques et religieuses qui éclairèrent ou éblouirent Phumanité : aussi estr-ce là que, comme à la source, recou- raient toujours les anciens sages. Si de ces instruments de civilisation nous passons à la civi- lisation elle-même, nous la voyons d^abord apparaître en Asie, et de là se répandre sur le reste du monde;, son premier signe est l'empire sur les animaux. Eh bien, la plupart de ceux qui maintenant obéissent à Thomme se trouvent à l'état sauvage au cœur de l'Asie. Les montagnes qui la traversent sont le pays originaire du buffle, du taureau, du mufle dont dérive notre brebis, de l'onagre et, du bouquetin, du croisement desquels est issue notre chèvre. Le reime bondit sur les hautes cimes qui bornent à l'orient la Sibérie et sur la chaîne des monts Ou- rals; le chameau erre dans les vastes déserts qui s'étendent entre le Tibet et la Chine; le porc se nourrit des glands aue produisent les forêts de chênes dans la partie de l'Asie la plus tempérée ; le chat y vit sauvage , ainsi que le chacal qui a pro- duit notre chien. L^homme emmena avec lui ces serviteurs qui Paident à ga- gner son pain à la sueur de son front, ainsi qu'il y est con- damné. Nous les retrouvons plus nombreux à mesure que nous nous approchons de l'Asie ; ils diminuent à mesure que nous nous en éloignons. La Nouvelle-Guinée et la Nouvelle-Zélande ne possèdent que le chien et lé pourceau ; la CaUfomie n'a que le chien; l'Amérique, toute vaste qu^elle est, n'a à elle que le PBEMIEBS'PAVS HABITÉS. 161 guanaco et le lama; l'Europe elle-même ne possède en propre que quinze ou seize des espèces qui s'apprivoisent le plus avec rhomrae , en y comprenant le rat et quelques autres familles de rongeurs : elle a tiré toutes les autres de l'Asie. C'est en Asie que les mêmes espèces se montrent dans toute leur beauté ; il n'existe pas une contrée où le cheval s'élance aussi vigou- reux qu'en Arabie pour lutter de vitesse avec le vent , où le chameau prête à l'homme d'aussi patients et utiles services. C'est à Tâne sauvage, à l'onagre du désert, que les poètes asia- tiques comparent les héros; la brebis et la chèvre d'Angola, l'argali, le bouc des bois, n'ont pas leurs pareils sur d'autres contments; là enfin, depuis des siècles, l'éléphant est soumis à rhomme. Que l'on réfléchisse à ce que serait l'agriculture sans le bœuf et l'espèce chevaline, le désert sans le chameau, le Kamtcha- dale sans le chien, l'Arabe sans son coursier, quand c'est pré- cisément au manque de chevaux que quelques-uns attribuent l'infériorité de l'Américain; et l'on comprendra ce que vaut la conquête des animaux dans l'histoire de la race humaine. Il ne faut pas négliger de remarquer que, depuis les temps primitifs, l'homme n'est parvenu à apprivoiser aucun autre ani- mal, quelque effort qu'on ait employé dans le nouveau monde à l'égard de l'aï ou paresseux y du pouma, du schischi et du tapir. Pour laisser à l'écart l'Amérique, où les lianes , en s'enlre- laçant aux arbres séculaires , semblent opposer une barrière insurmontable à la civilisation et offrir un asile assuré au boa et à des monstres du même genre ; pour ne rien dire de l'A- frique, où l'ardeur incessante du soleil et les plaines de sable à chaque instant soulevées par le simoun se jouent des efforts de l'homme, l'Europe elle-même, après les temps historiques, était encore inculte et couverte de forêts ; les premières tradi- tions nous y montrent partout des marais, des bêtes fauves, des reptiles , des broussailles impénétrables , vaste arène pour les travaux des Hercule et des Thésée qui lui venaient de l'A- sie. Et puis combien sont en petit nombre les fruits que notre sol fournit naturellement! Tout y est artifice de greffe, de chaleur, d'engrais , tandis qu'en Asie le froment vient de lui même , d'elle-même s'y empourpre la grappe ; l'olivier, le fi- guier, le mûrier, le cerisier, le pêcher, la canne à sucre, le caféier, l'oranger}, le grenadier, le noyer, le châtaignier y T. I. il 162 PHEMIÈRE EPOQUE. offrent en abondance des fruits exquis, de ménie que la rose, la renoncule, les fleurs les plus riches et les plus variées, y font assaut d'éclat et de parfum. Les Européens peuvent encore indiquer Pépoque peu éloignée où ils firent Tacquisition de ces végétaux , en les tirant du môme sol auquel ils devaient déjà les dieux ou les symboles dont ils avaient peuplé le firmament^^ et la manière de diviser et de calculer le temps. Les pyramides d'Egypte ont cessé de nous paraître les mo- numents les plus antiques , depuis que Fattention de l'Europe s'est portée sur les ruines de Persépolis et les immenses hypo- gées de rinde, qui prouvent combien les arts et les sciences étaient cultivés de bonne heure dans ces contrées. Quels hom- mes devaient donc être ceux qui élevaient ou creusaient de sem- blables édifices! Quelles nations que celles où chantaient Da- vid , Viasa, Homère !• Quelle vigueur d'Intelligence pour inventer ces systèmes de philosophie où l'on retrouve le germe, soit appliqué aux faits , soit voilé par des fictions et des emblèmes, de toutes les brillantes hypothèses, subtilités métaphysique^ et théories ingénieuses que les savants et les hommes d'État ont pu imaginer dans la suite ! Pourrons-nous donc voir là les in- formes essais d'une génération qui vient de se dresser sur ses deux pieds, de dépouiller les habitudes du singe et d'abandon- ner les bois où elle naquit ? Le luxe oriental et son résultat, le despotisme oriental, re- montent à l'antiquité la plus reculée. La constitution millénaire de la Chine demeure si solide et si ferme, que ses vainqueurs eux-mêmes courbent sous son joug leur front farouche. Les cultes de l'Inde conservent encore les traces de l'organisation civile et religieuse qui , durant tant de siècles, régit le peuple le plus doux. La solidité et la durée qu'il cherchait dans ses monuments comme dans ses institutions ressemble à la con- fiance virginale de l'adolescent qui construit pour un long avenir. A peine l'histoire commence -t-elle à bégayer, que nous rencontrons sur le Tigre, sur l'Euphrate , dans les montagnes de la Médie ou sur les rives du Nil, des monarchies, ou pacifi- ques, ou guerrières : elles se mêlent ensuite aux vicissitudes des nations de l'Occident, et prolongent leur influence jusque sur la civilisation moderne. Sur les hauteurs même de la Tar- tarie , la liberté sans frein des hordes se combine avec le des- potisme des kans, qui est la forme de la féodalité la plus an- cienne. Enfin le gouvernement monarchique est implanté depuis PBEMUaS ]>AYS HABITES. 16} tant de siècles dans FAsie, Tidée en «si devenue si naturelle^ que le roi de Siam ne put s'empêcher de rire lorsqu'on lui dit que les Hollandais vivaient sans roi. On rencontre ce mode de gouvernement dans les autres pays h mesure qu'ils se rappro- chent de FAsie ; la tyrannie qui pèse sur les lieux où TAfrique confine avec elle va se perdant jusque dans le gouvernement patriarcal parmi les habitants de la Cafrerie. Il en est de même dans rOcéan méridional; le luxe^ les arts, les manufactures, la monarchie, s'y montrent d^autant plus qu'on avance davantage vers l'Asie. L'Amérique, à ses extrémités, ne eonnait pas 1q gouvernement d^un seul , tandis que le bras de l'étranger l'a« vait imposé au Mexique et au Pérou. Ni rÀmérique, avec ses volcans encore ardents, avec ses plaines encore marécageuses, ni l'Afrique, dont les déserts de sable furent bien^tard abandonnés par les eaux, ne peuvent pré- tendre avoir donné le premier asile au dernier produit de la nature, produit privilégié qui forme le sommet de l'immense pyramide de la création. CcMnme tel, Thoaune devait être placé au centre des pouvoirs organiques les plus efficaces; dans un pays où les œuvres de la nature fussent moins rares et plus parfaites; où s'étendit le plus vaste continent à Fentour des montagnes les plus élevées; en un mot, dans le cceur de FAsie. Que si nous consultons les Asiatiques eux-mêmes, ils repor- teront leur origine vers la contrée qu'enviroiment la mer Ga^ pienne, la Méditerranée, les golfes Persique et Arabique. Les Chinois placent leur origine dans la province de Schensi,Avx nord-ouest; les Indiens, au nord des monts Himalaya, c'est-à- dire dans la J5actriane, limitrophe à la Perse, qui confine avec le pays central. La Mésopotamie est la contrée la plus médi- terranée ; et les eaux du déluge durent en se retirant la laisser riche de principes nourriciers, d'où lui vint cette fertilité que de longs siècles ont ensuite épuisée. 11. 164 iPfiEMlkftfi ^POQUB. ae CHAPITRE V. PftfiMIÈRES SOaéTÉS. Diaprés ce que nous avons exposé jusqu'ici, Popinîon de ceux qui ont supposé que l'homme était né avec la seule sensa- tion, et que le hasard et la nécessité Font tiré de l'inertie stupide dans laquelle il sommeillait, ne saurait nullement se soutenir. L'honune, à Pétat de brute, n'aurait jamais inventé, sous l'ai- guillon des besoins renaissants^ que ce qui aurait importé à leur satisfaction. Comment donc, au contraire, trouvons-nous si communes chez lui les idées religieuses? La langue qui ex- prime celles-ci est chez tous les peuples la 'plus ancienne. C'est à un culte que se rapportent les informes ébauches de civilisa- tion que nous rencontrons parmi les barbares : ils accompa- gnent d'un hymne les danses et les chants de leur solennités^ hymne souvent incompris et fondé le plus généralement sur les souvenirs d'un monde primitif. Non, l'homme ne pouvait s'élever à la raison que par la pa- role, ni acquérir cette parole sans observer Tunité dans la mul- tiplicité, l'invisible dans le visible, l'effet dans la cause; c'eslrà- dire sans faire usage de la raison, cercle vicieux qui se présente chaque fois que l'on réfléchit sur les débuts de l'humanité. Il se reproduit dans l'idée d'un contrat social^ par suite duquel les hommes, partant d'une existence pareille à celle de la brute, seraient parvenus à vivre en communauté. S11 en avait été ainsi, pourquoi ne rencontrerait-on plus une seule nation sans langage, sans raison, sans morale? Tout au contraire, pas une histoire qui ne montre que l'homme les a toujours possé- dés, quoique plus ou moins développés ; nous devons donc croire qu'ils forment le fond et l'essence de sa nature, anté- rieurs à la raison spéculative, qui jamais n'aurait pu trouver un archétype pour les cas pratiques. Comment, en vérité , les liens du mariage et de la paternité pouvaient-ils devenir des devoirs avant que l'homme comprît le bien qui en dérive et les moyens d'y atteindre? Comment ce- lui qui ne les aurait jamais éprouvés concevrait-il les avantages de la société ? Pour que les hommes s'accordent entre eux et PBEMliaBS SOCIÉTÉS. 165 arrêtent un pacte social ^ force leur est de posséder un langage commun pour s'entendre^ et des formes de conventions^ d^as- semblées, de représentation; c'est-à-dire d'être déjà réunis en société. De quel droit ensuite cette poignée d'hommes aurait- elle pu obliger l'entière succession du genre humain ? Si tout n'était fondé que sur des emblèmes variables et de mobiles abstractions, quelle sanction donnaient-ils à leur pacte? S'ils le conclurent pour obtenir le bonheur, ne pourrions-nous, d'un droit égal , lorsqu'il vient à nous peser, nous en dégager et re- prendre notre liberté ? Mais l'homme est-il libre dans les forêts où il n^a pas de com- pagnie , où il ne peut dès lors exercer ses affections, ni même sa raison qui ne se développe que dans la société et par la so- ciété? Peut-il être libre quand tous ont droit sur tout, ce qui rend la guerre perpétuelle ? Peut-il être libre là où les forces de la nature qu'il n'a pas appris à dompter l'entravent à chaque pas? Que si les bois et les cavernes, les amours errants et la vie sauvage sont l'état naturel de l'homme, il faudra considérer comme un mal cette déviation nommée société et progrès : la science et l'art, au lieu de tendre à ennoblir l'existence et à rendre plus douce l'association civile, devraient s'appliquer à ramener lliomme à son état primitif, c'estr-à-dire à la nature et à la liberté ; conséquence tout à fait logique, dont l'absurdité suffirait pour démentir le principe, comme elle suffit à l'his- toire pour nier que l'homme ait inventé le langage, la reli- gicm, la morale. L'homme créé dans l'Éden eut pour tâche de le garder et de le cultiver : ainsi la lutte et le travail furent sa première desti- nation. A titre de châtiment, le travail et la lutte devinrent plus pénibles quand s'est introduit le péché : châtiment paternel toutefois, car le travail contribue à la santé et au bien-être; il perfectionne Thomme, lui donne la conscience de son être et de ses forces , en les concentrant pour se procurer un état meilleur, pour jouir de ce bonheur qui consiste dans un senti- ment calme , bien plus que dans de bruyantes conquêtes. Ce passage supposé de la vie pastorale à l'agriculture, et de là à Vindustrie, au commerce, ne s'accorde pas mieux avec l'his- ^ire, qui nous présente Thomme pasteur et agriculteur quand il vient à peine d'être contraint de vivre à la sueur de son front. ^ fratricide entraîna les Caïnites loin des tentes patriarcales , 166 ^BEÙIJ^BE é^OQt]E• ils miilttplièrent , ils bâtirent des villes où s'accrut llndus- Irle, au point que la sixième génération, depuis le meurtrier, cultivait les arts métallurgiques et connaissait les instruments de musique. Le genre humain ayant été ramené ensuite par le déluge à une seule famille, les arts primitifs se conservèrent chez elle. Noé fut cultivalipur et artisan. Mais, comme ses des- cendants se dispersèrent sur la surface de la terre, leur industrie varia selon les lieux, en subissant la loi de la nécessité, et en négligeant ce qui n'était pas immédiatement utile. C'est pour- quoi nous voyons le Nègre s'élancer sur les arbres les plus éle- vés ef gravir* les plus rudes rochers ; le Groenlandais harponner le poisson d'un coup inévitable; le Samoyède lutter avec l'ours l)lanc ; l'habitant des Canaries poursuivre le chamms de ravin en ravin ; laTliibétaine conduire l'étranger sur les plus hautes cimes ; tous enfin s'adapter à ce qu'exige le sol sur lequel ils se fixèrent. Ceux qui ne voient d'autre beauté que celle des ani- maux se tatouent le coips, se mettent une queue, des cornes , line crête; le chasseur se revêt de peaux; PAméricain se pare des plumes de ses oiseaux , auxquels la nature prodigua tant d'éclatantes couleurs en compensation du chant qu'elle leur refusait; Thabitant des lies Mariannes apprend à tisser Pécorce de$ arbres» Quelle différence, d'autre part, entre le commerce des Anglais et celui des Chinois, entre le Lapon faisant paître ses rennes, l'Arabe ses chameaux, le Péruvien ses lamas, et le Mongol ses cavales! Ainsi les diverses industries naquirent et s'accrurent en rai- son des lieux; mais l'agriculture fut celle qui introduisit les plus grands changements dans la constitution morale. L'homme, vou- lant, lorsqu'il â cultivé un champ, en suivre de Vcâ\ les espé- rances, se construit tout près une demeure; alors ce sentiment si impérieux que nous nommons l'amout de la patrie se fait jour, et la stabilité du foyer donne origine à l'association ci- vile. Goaverne- Lorsquc Adam, en voyant la compagne que Dieu lui avait ment pairiai^ f^Yvciée j s'écria l (t Voilà maintenant l'os de mes os et la chair et de ma chait* : celle-ci s'appellerad'un nom quimàrque l'homme, fe parce qu'elle a été ^rise de l'homme : c'est pourquoi Thomme « quittera son père et sa mère et s'attachera à sa femme, et ils (r seront deux dans Une seule chair, » alors fut posée la pre- mière pierre de l'édifice social qui se maintint à travers tous le§ siècles et toutes lès révolutions; la famille devînt la base de PâEttlknES àOCIBTKS. fG7 toutes les sociétés , de manière qu'elles durent prospérer ou languir selon que la famille était affermie ou dissoute. Une autorité établie au milieu de ces associations est un fait naturel encore plus qu'une nécessité. Le père gouverne sa nombreuse descendance sans magistrats ni bourreau, maïs de conscience, et par la force du respect, de la gratitude, de la conviction. Croyant en Dieu, tous le servent dans leur pro- chain; la fidélité de la femme produit les ineffables joies du mariage et les affections qui en dérivent; Tamour de la famille est vif, surtout chez les mères; et les atnitiés sont d^autant plus vives que les besoins sont plus urgents. A la famille se rattache la propriété, celle-ci au sol, et le sentiment domestique s'étend à la tribu. L^idée d^un pouvoir héréditaire, absolu, sur les biens et sur la vie, ne pouvait naître dans les esprits tant que dura le pou- voir patriarcal. Lors même qu'il cesse, quand l'association tient, soit à un pacte, soit à une fonction confiée à un seul ou à plusieurs, Fautorité héréditaire est inconnue. Une troupe de chasseurs se réunit pour 'une expédition; elle a besoin d'un chef; on choisit le plus adroit, auquel on obéit parce qu'on y trouve de l'avantage : de même dans les contestations on s'en rapporte au plus sage et au plus honnête. Peut-être laissera- t-on ^autorité à ce juge, à ce chef tant qu'il vivra, mais jamais le droit de la transmettre par héritage. La force des conquérants, les vices des vaincus, les passions, l'éducation, le droit divin, donnèrent des maîtres à Fespèce humaine dans les âges suc- cessifs; mais la Providence mit la félicité de l'homme au-des- sus de pareils accidents, le pauvre pouvant être heureux dans sa misère, l'esclave libre dans les fers, et chacun pouvant pour- suivre, dans quelque condition qu'il fût placé, le perfectionne- ment individuel et général. Alors l'autorité patriarcale se re- produisit dans l'autorité métropolitaine, qui donna à une cité la suprématie sur beaucoup d'autres cités, de même qu'un père était le chef de plusieurs familles. Quelques-uns ont cru que Dieu avait étabM la servitude lors- que Noé , maudissant Chanaan, lui dit : a Que tu sois l'esclave de Japet. » Mais ici est indiquée une dépendance par la domi- nation, non une infériorité de nature telle que les anciens l'en- tendaient dans l'esclavage. Cet horrible abus de la force ne put ïiattre que de la violence tyrannique des conquérants, qui, se faisant un droit de la victoire, se crurent autorisés à extérmi* 168 PBEMlÈaE ÉIPOQUE* ner les vaincu^^ ou à les conserver (servare) pour leur propre utilité. Les principes politiques d'après lesquels se régissait la société humaine, encore réunie dans les plaines de Sennaar, étaient donc fort simples. A la suite d'une multiplication rapide, elle pensa à construire une centralité sociale, qui réunit dans un but commun les efforts des tribus : mais Tégoïsme prévalut, la tour de Punion devint celle de la confusion , les peuples se di-r visèi^nt, et Dieu mit entre eux une nouvelle distinction par la diversité des langues. Les descendants industrieux de Cham peuplèrent la Syrie , l'Arabie^ quelques contrées entre FEuphrate et le Tigre, et par risthme de Suez ils pénétrèrent en Afrique. Ils possédaient la science, ils connaissaient les arts; mais une très-grande dépra- vation morale et intellectuelle les fit déchoir rapidement. La race de Sem demeura en Asie, entre TEuphrate et l'O- céan indien, d'où elle s'étendit sur une partie de PAssyrie et de l'Arabie, à l'occident de ce fleuve; p\us tard, elle pénétra dans l'Amérique par la même voie que prennent chaque année les Kiouskis pour porter la guerre contre les Américains de la côte nord-ouest .(1). Les Sémites, dès les temps les plus reculés, se montrèrent plus éclairés, et conservèrent les tradi- tions des patriarches, tant par rapport à la science humaine que pour les dogmes religieux. Plus grossière, mais moins corrompue, la descendance de Japet, qui put participer aux avantages des peuples parvenus à une civilisation plus rapide, se dirigea vers le Nord, occupant les îles de la Méditerranée, puis l'Europe. Mais, de même qu'au conmiencement la matière luttait et se mélangeait avant d'acquérir l'ordre actuel, ainsi les hommes ]^assaient de contrée en contrée avant de trouver une demeure stable : dans ces trajets il^ se mêlèrent de telle sorte que l'histoire ne réussit pas toujours à les distinguer; elle y parviendra mieux à mesure que s'éclaircira pour elle l'Asie antique , immense hiéroglyphe dont si peu de traits nous^ont été jusqu'ici révélés. Si nous voulons néanmoins appliquer à l'histoire les recher- dies linguistiques dont il a été parlé précédemment, nous ver- rons, de la Mésopotamie et des chaînes de PHimalaya, des (i) HuMBOLDTi Essai politique sur la Nouvelle'Mspagne^ vol. II, p. 502, in-8*. PBEMlàaSS BOCliTÉS. 169 monts Altaï et Ourals^ descendre par les deux versants GpfO^ ses, la race blanche vers l'occident^ la race jaune vers le levant^ et celle-ci se subdiviser dans les régions ^u sud-ouest ^ de l'ouest et du nord-ouest; Vautre dans les régions de Fest, du nord-est et du sud-est. Les blancs de la région sud-ouest furent appelés Indo-Eubo- pÉENs; lignée immense s'étendant de la mer des Indes à TAt- lantique, de Ceylan à Tlrlande. Une portion de celle-ci peupla rinde, et de cette portion sont descendus les Bengaliens mo- dernes, les Scheiks, les Marattes, les habitants du Malabar, de Tamoul, les Télingiens, les Mongols, les Indo-Turcs, les Zingris, les Cingalais, les habitants des Maldives; tandis qu'une autre portion habita la Perse et produisit les Parsis et les Parthes antiques, les Guèbres modernes, les Persans, les Curdes, les Buckarésiens, les Afghans et les Belusques, sur les confins de PInde, ainsi que les Ossètes du Caucase (1). A l'occident de l'Asie , entre l'Euphrate et la mer Rouge , le golfe Persique et la Méditerranée, s'était fixée la race sémiti- que ou chddéenne, déjà partagée en quatre rameaux : celui des Assyriens, auquel appartenaient les pasteurs de la Ghal- dée , les guerriers de Babylone et de Ninive, les Mèdes et les Syriens; celui des Hébreux, qui comprenait les Chananéens, les Phéniciens et les Carthaginois; enfin ceux des Arabes et des Abyssiniens. Des monts Altaï au Caucase se répandirent plusieurs races qu'on pourrait nommer caucasiennes, parmi lesquelles la race turque est la plus puissante; V arménienne s'établit entre l'Eu- phrate et la mer Caspienne; entre celle-ci et la mer Noire, la géorgienne. Sur le versant opposé de l'Himalaya, en tête de toute la race jaune ou des Indo-Chinois, se trouve la population de la Chine, autour de laquelle se groupent les Thibétains, les Birmans, les Péguans, les Siamois, les Anamites; sur les rives de la mer Jaune, les Coréens et les industrieux Japonais. A l'orient de l'Asie errent les Tabtabes, divisés en deux fa- milles, celle des Mongols^ effroi de PAsie et de l'Europe, et celle des Tonguses; les uns nomades, même aujourd'hui sous (1) AMSLONGy MUridates. — Bauu, Ailas ethnographique. — Klaproth, Asie polyglotte, p. 42. — Eichopf, Parallèle des langues de VBwrope et de ^Inde, Paris, 1836. 170 PàEMIÈBÉ ÉPOQUE. la domination de la Russie, les autres maîtres de la Chine sous le nom de Mantchoux. Au milieu des glaces du nord-est s'est établi le groupe sibr- BiBw, dans lequel se distinguent les Samoyèdes sur les bords de la mer Glaciale, les tribus des Gorièques, des Génisséens , des Kamstchadales et desCouriliens àPextrémlté orientale du globe. L'Europe est la terre destinée par la prédilection de la Pro- vidence au développement des germes de la civilisation que lui a apportés l'Asie. Les Ibères, nation différant de l'indienne et tenant de la sémitique, occupèrent à une époque très-reculée la péninsule la plus occidentale, où ils arrivèrent par mer, ve- nant peut-être de l'Italie , où ils auraient précédé les Celtes et les Pélasges. D'eux sortirent les Turdetans, les Lusitaniens , les Cantabres d'Espagne, les Aquitains de la Gaule, les Ligu- riens d'Italie, et les Basques, qui seuls en conservent le lan- gage. Avant la famille indienne, les Celtes pénétrèrent en Europe, en traversant la forêt Hercynienne, et, sous le nom de Gaulois et de Cimbres, s'arrêtèrent dans la Gaule : les premiers y donnè- rent origine auxÈques, aux Séquaniens, aux Avernes, et se ré- pandirent ensuite en Italie sous le nom d'Ombriens , et dans la Grande-Bretagne sous celui de Gallois : les seconds , prenant les noms de Boïens, de Belges, d'Armoriques, de Bretons, re- poussèrent vers le nord les habitants primitifs , jusqu'à ce que, subjugués à la fin, il n'en resta que des débris chez les Gallois d'Ecosse et d'Irlande, et chez les Bretons du pays de Galles et de la Bretagne française. Dans l'Europe méridionale, entre les Alpes et TEms, la Mé- diterranée et la mer Noire, et sur le littoral de l'Asie Mineure, une nation indiienne désignée sous le nom de thrace Pélasgi- que ou Romane établit sa demeure. Franchissant le Taurus, une partie de cette nation occupa dans l'Asie Mineure la Phry- gie, la Lydie, la Troade, et, après avoir passé le Bosphore, s'ar- rêta en Thrace , tandis que l'autre partie plus ancienne , en traversant la TTiessalie , venait se fixer dans la Grèce et dans le Péloponèse sous le nom de Pélasges et d'Hellènes , puis sous ceux d'Éoliens , d'toniens , de Doriens et d'Achéens ; elle s'é- tendait ensuite dans les îles et sur le continent de l'Italie, où déjà d'autres membres de la même famille avaient porté la ci- ▼iÛsation boub le nom d'Osques, de Toscans, de Latins, tous réunis enfin sous les étendards et le nom de Rome. PBEMlàEES SOCIÉTÉS. 171 Les Indo-Persans^ qui vinrent en Europe à la suite des Cel- tes, y arrivèrent par le Caucase : une partie, en remontant te cours du Danube, s'établit au centre de la Germanie , et forma les tribus guerrières des Teutons, des Suèves, des Francs, de$ Allemands; l'autre partie, côtoyant T^be, produisit celle des Saxons, des Frisons, des Lombards et des Anglais; la troi- sième partie donna origine aux Scandinaves et aux Goths, le long de roder, La famille slave était aussi d'origine indienne; il parait qu'elle entra en Europe peu après les Indo-Persans , qui com- posèrent la famille germanique, et qu'elle occupa au fur et à mesure les territoires que celle-ci abandonnait, jusqu'à vjd qu'elle se déployât dans les vastes plaines qui s'étendent des monts Krapaths aux Poïa et de la Baltique à la mer Noire. Vaincue ensuite et repoussée, elle se replia vers Torient avec les tribus des Sarmates, des Rossolans, des Tzèques, des Venè- des, des Pruczes. Elle est réduite aujourd'hui à trois branches principales, qui sont : les Russes et les Illyriens, les Polonais, Bohémiens et Vendes, les Lettons et Lithuaniens. La race ouralienne, étrangère à l'Inde et parente des peuples du nord-ouest de l'Asie, refoulée par les populations slaves vers le nord, déboucha au moyen âge sous les noms de Huns et de Hugres. On la distingue aujourd'hui en quatre branches : Finnoise dans l'Esthonie et la Laponie ; Magiaire ou Hongroise à l'extrémité de l'Allemagne ; Tchermisse sur les rives du Volga^ et Permienne près les monts Ourals. La civilisation des anciens Égyptiens, qui survivent aujour- d'hui dans les Cophtes, est analogue à celle des Indiens et des Çhaldéens : les Abyssiniens ont adopté un dialecte arabe; et la famille Berbère recueille les débris des anciens Maures, Nu- mides, Cyrénéens et Carthaginois. L'Afrique centrale est encore si peu connue qu'il n'est pas possible d'en déterminer les fa- milles et de suivre leur marche. Dans la partie orientale, tout le long de la mer Indienne, des sources du Nil au cap Sofala, nous connaissons deux familles : celle des Gallas , qui domi- nent à cette heure en Abyssinie ; et celle des Motapas , sur les côtes du Zanguebar, de Mozambique et de Monomotapa. La partie méridionale comprend aussi deux familles, les Cafres et les Uottentots. Deux races distinctes occupent l'Océanie : la noircy ressem- blant à l'africaine; et la brune, plus rapprochée de l'Asie, ap- 172 nSMIEBK BPOQDB. partenant à la grande famille qui s'étendit d^un p61e à l'autre. Les Indo-Européens dominent aussi sur le grand continent de l'Amérique, exterminant de plus en plus les indigènes et y transplantant les Nègres , plaie honteuse et peut-être incurable dans ces contrées. Telle est la filiation des peuples dont nous àwoas entrepris de retracer et de suivre la marche progressive dans les voies de la Providence. Nous avons expliqué les raisons qui nous ont fait un devoir d'insister sur les commencements que d'ordinaire X les historiens esquissent rapidement, et nous avons aussi dé- duit nos preuves pour confirmer humainement des dogmes d'un ordre plus élevé. Mais, s'il est des esprits auxquels nos rai- sons et nos preuves ne paraissent pas assez convaincantes, nous leur rappellerons que , suivant les anciens livres des Par- sis, quand le sage Zoroastre interrogea la Divinité sur l'origine et sur la fin des.choses, la Divinité lui répondit : fais lk bien, ET ACQUIERS L'iMMOaTALIT^. • l'asib. 173 LIVRE II. DE LA DISPERSION DES PEUPLES AUX OLYMPIADES. SOMMAIRE. De l'Asie en général. — Premières monarchies. «^ Hébbeux. — - Leur histoire — • leur législation — leur littérature. — Inue. — Institutions. — Opinions. — Sciences.. — Egypte. — Son histoire — ses coutumes.— Sciences et beaux- arts en général. — Phéniciens. -- Commerce des aDciens.— GaEcs. «—Leurs temps héroïques. — Des religions. — Lycurgue* CHAPITRE PREMIER. l'asie. L'Asie^ berceau du genre humain et de la civilisation^ est la pesiuon. partie du monde la plus étendue et la plus favorisée de la na- ture : elle occupe une superficie de 933,350 myriamètres car- rés (2,100,000 lieues) entre le SA'* et le 172« de longitude, entre réquateur et le 17® de latitude boréale. Elle est un peu plus , grande que TAmérique, dont le détroit de Baring la sépare au nord-est; d*un quart plus vaste que l'Afrique, à laquelle la réunit l'isthme de Suez; et quatre fois plus grande que TEu- rope, dont elle est divisée par la Méditerranée, la mer Nou'e, l'Archipel et les monts Ourals. Elle a, au sud, les nombreuses iles de la Polynésie; d'autres lies volcaniques lui font face a l'orient et dans la mer des Indes , variant de nature selon les eaux qui les environnent et selon leur position. D'amples bassins s'ouvrent à son centre, quelques-uns d'eau Eanx. salée, comme la mer Caspienne, tfautres bitumineux , comme Je lac Asphaltite. De grands fleuves la sillonnent, des golfes profonds s'enfoncent dans les terres , et la découpure variée des côtes rompt la monotonie des plaines en facilitant les com- munications. On compte parmi ses fleuves Tlrtich , le Jéniséï, la Lena , qui traversent la Sibérie pour se Jeter dans la mer Glaciale, et qui étaient inconnus aux anciens. Mais le Tigre, 174 PBBMlÈfiB BLOQUE. TEuphrate, PIndus et le Gange, qui du Taurus se dirigent vers le golfe Persique et vers la mer des Indes ^ étuent célèbres dans l'antiquité : le Volga (Bha), POxus (Gihon), et l'Iassarte * (Sir Darja)y qui ont leur embouchure dans la mer Caspienne; THo-Hang, le Hiang-se-fclang, qui, de la Chine descendant à Tocéan Pacifique, traçaient les .limites des anciennes nations et les voies de leur commerce. Montagnes. Deux grandes chaînes de montagnes, dans le sens de Téqua- teur, divisent FAsie en trois bdims. La première est celle des monts Altaï, qui, au-dessus de la mer Caspienne, longent la Si- bérie jusqu'à rOcéan , et auxquels nous rattachons les nionts Durais; bien que de récentes découvertes aient démontré qu'ils en sont tout à fait indépendants (i). Plus au midi se dresse le Taurus, qui part de FAsie Mineure, et, atteignant en Arménie sa plus grande élévation, se ramifie dans la région du Caucase, puis traverse les pays à l'orient de la mer Caspienne , la Perse septentrionale, THyrcanie, le territoire des Parthes, la Bactriane jusqu^aux confins de la Sogdiane, ou ^ eonmie on l'appelle au- jourd'hui, la Grande-Bucharie : là, se partageant en deux et embrassant le plus vaste plateau de la terre , c^est-à-dire le désert de Chamo ou de Cobi, il prend au nord le nom d'Imaiis ou de Belurdag, et coupe le pays d'Eygur, la Mongolie, la Son- garie jusqu'aux confins de la Sibérie , tandis qu'au sud-est il côtoie llnde septentrionale , traverse le grand et le petit Thi- bet, et se perd en Chine dans la mer Pacifique, après avoir porté les noms de Muttag , de Candahar ou Paropamise, et d'Himalaya, qui rappellent les plus hautes cimes du globe. Dwisioo. Des trois zones que nous avons dit formées en Asie par ses montagnes , celle du nord ou la Sibérie, entre les monts Altaï et la mer Glaciale, peut se dire inconnue aux anciens, bien que plus peuplée alors qu'elle ne l'est aujourd'hui. La deuxième est la région qui se trouve entre les monts Altaï et le Taurqs , ré- gion la plus élevée du globe, et parallèle à la nôtre, mais 'en majeure partie aride et stérile, dénuée de forêts, n'offrant guère que des pâturages au Mongol, au Kalmouk, auSongar, dont les hordes errantes conduisent leurs troupeaux là où la * verdure, les eaux ou leur caprice les attirent. Entre ces peuples nomades encore et ceux des contrées plus (1) HUMfiQLQT , JPmgtmnU de géologie e< de cUmahlogie asiaiifues» Paris, 1831. l'a SIS. 17$ méridionales, qui étaient civilisés dès les premiers siècles, une division est tracée par le W parallèle qui sépare le Caucase de l'Arménie, la Grande-Bucharie de la Bactriane, la Chine de la Tartarie chinoise. Dans cette troisième zone, qui s'étend jus- qu'au tropique, d'où les deux grandes Péninsules indienne et arabique se prolongent vers l'équateur, se trouve la contrée la plus privilégiée de la nature. Là, les exhalaisons d'une mer tranquille, l'abri des montagnes , Pabondance des eaux cou- rantes, le retour régulier des vents, produisent la température la plus douce. Les arbres et les végétaux les plus précieux y prospèrent; les oiseaux et les insectes y étalent le luxe d'une beauté resplendissante; le cotonnier et le ver à soie y prodi- guent leurs tributs à l'homme pour ses vêtements, comme les mines et les rochers, Tor, les perles, les pierreries et les dia- mants pour sa parure. L^lndus divise l'Asie méridionale en deux parties. Tune des- cendant vers l'Océan, l'autre vers la Méditerranée; cette der- nière, sur laquelle l'histoire fixe ses premiers regards, peut être de nouveau subdivisée selon qu'elle s'étend en deçà de l'Eu- phrate, ou entre l'Euphrate et le Tigre, ou entre le Tigre ei l'Indus. En deçà de l'Euphrate, nous rencontrons la péninsule de l'Asie Mineure (Natolie), avec les îles de la côte, la Syrie, la Phénicie, la Palestine, l'Arabie. Entre l'Euphrate et le Tigre s'étendent la Mésopotamie , l'Arménie, la Babylonie ; entre le Ti- gre et l'Indus, l'Assyrie, la Susiane, la Perse, la Caramanie ; le long du golfe Persique et de la mer des Indes, la Gédrosie, la Médie, l'Arie, FAracosie, la Parthie, la Bactriane, la Sogdiane. A l'occident de l'Indus , ce qu'on appelle proprement l'Inde comprend, en deçà du Gange, la région située entre ces deux fleuves, la péninsule du Malabar, l'île deTaprobane ou Ceylan; et, au delà du Gange , le pays des Seris, le plus lointain dont les anciens eussent connaissance ; car nous démontrerons que la Chine était entièrement ignorée d'eux. En ajoutant à ces pays l'Egypte, si conforme à l'Asie par sa nature, nous aurons tracé le terrain sur lequel se passe l'his- toire des siècles les plus reculés. L'Asie est soumise, par sa vaste étendue, à la plus grande cumat. Variété de climats. La partie orientale est généralement hu- mide, sous un ciel orageux et souvent chargé de brouillards, au milieu de montagnes alpestres, de plaines marécageuses et 176 PREMIERE EPOQUE. de fleuves d^un cours très-long, La partie occidentale est, au contraire, sèche et presque aride ; son atmosphère est d'une sé- rénité constante, les vents y sont très-réguliers, les plateaux pres- que aussi élevés que les montagnes auxquelles ils s'appuient, les rivières peu nombreuses, les lacs multipliés. Le voisinage de rAfrique la rend plus chaude, tandis que la partie orientale, en se rapprochant du nord , devient extrêmement froide , à cause des monts, des mers, des brouillards et des vents qui soufflent du pôle sans rencontrer aucun obstacle. Il semble donc que Tlnde, jardin de délices, la Sibérie gla- cée, les steppes élevées de la Mongolie, la froide Tartarie chi- noise, les pâturages de TAssyrie, les forêts sauvages de la Par- thie, les immenses prairies entre l'Euphrate et le Tigre, aient reçu de leur propre nature la propriété de renfermer l'histoire de leurs habitants dans un cercle défini; de même que le Chi- nois paraît prédestiné à voguer sur ses innombrables canaux , rindien à employer Féléphant à la guerre et dans ses travaux , l'Arabe à se ser\ ir du chameau dans ses courses aventureuses à travers le désert. L'immobiUté de la nature physique , raltemative régulière des saisons et des vents, la culture uniforme , la monotonie du genre de vie, s^impriment sur le caractère moral, en reprodui- sant toujours les mêmes sensations, les mêmes idées. C'est pour cela que le Mongol et le Tartare sont nomades et vagabonds de temps immémorial, que le Maratte est indomptable , l'Indien heureux de sa paresse, comme le Chinois de son industrie ; et tous si opiniâtrement attachés à leurs usages, que dans leur manière d'être actuelle on peut lire leurs institutions vieilles de trois mille ans. Dans l'Asie centrale surtout, l'espèce humaine est dans toute la fleur de sa beauté, comme un fleuve coule plus pur près de sa source. Les naturels des deux rives de la mer Caspienne, proportionnés dans leur stature, et bien constitués, offrent d'ad- mirables formes , qui ont même modifié celle des peuples en- vahisseurs. Ainsi les Turcs, de contrefaits qu'ils étaient, y de- vinrent beaux ; ainsi les femmes circassiepnes, aux irrésistibles attraits, aux sourcils bien marqués, aux yeux noirs, aux petites bouches, au front uni, au menton arrondi, améliorèrent la race difforme des Perses. Dans le voisinage de la Méditerranée, à la pureté des formes se joint encore la plus fine intelligence : aussi, en même temps l'asie. 177 que de douces brises répandent sur leur existence la joie et le bonheur, les hommes y exécutent des travaux d^art plus par- faits qu'en aucun lieu du monde. Différentes langues sont aujourd'hui parlées en Asie, celles unguet. de la plaine usitées dans de vastes contrées , celles des monta- gnes renfermées dans un territoire étroit ; mais les langues an- ciennes pouvaient se réduire à trois groupes : Tun , de la Médi- terranée au Halys; Fautre, de ce fleuve au Tigre; le troisième^ du Tigre à Hndus et à POxus (1). (1) Les langues de l'Asie se divisent en sept familles : r Les sémitiques, dont les principales sont l'Iiébrcu, le syriaque, le peUIvi, Tarabe, le gliéez, Tambarique. 2« Les caucasiennes. Les principales sont l'arménienne, la géorgienne, la circassienne, Tabbasse, Taware, etc. 3" Les persanes. Les principales sont le zend, le parsis, le persan, le kurde, Tafligan, etc. 4** Les indiennes, qui comprennent le sanskrit et une foule de dialectes ; rhindoustani, le bengali, le malais, le cingalais, etc. 5** Celles de la région au delà du Gange, dont les principales sont la chinoise, la thibétaine, la coréaime, la japonaise. 6" Les langues tartares , dont les principales sont le mantcliou , le mongol , le turc. V Les langues de la région sibérienne, qui comprennent différents idiomes peu connus, parlés dans le nord-ouest de TAsie. La famille sémitique peut se diviser en cinq branches : X"* -Langue héhraïque, parlée et écrite par les Israélites jusqu'à la cap- tivité de Babylone, puis langue savante ; c'est dans cet idiome que sont écrits tous les livres saints, jusqu'au prophète Malachie. W est probable que l'alphabet dont se servent aujourd'hui les Samaritains fut celui des Juifs durant cette période; mais actuellement ceux-ci emploient des caractères qu'ils rapportèrent de leur servitude et qu'on devrait appeler chaldéens. lis se lisent de droite à gauche, comme toutes les écritures sémitiques. Le samaritain et le rabbinique peuvent être considérés comme des dialectes de ridiome hébraïque. Le premier tient pourtant du chaldéen et du syrien ; il semble s'être formé dans le vu* siècle avant J. C, du mélange des Hébreux qui habitaient le royaume d'Israël avec les colonies assyriennes envoyées pour remplacer ceux <|ui avaient été emmenés captifs à Babylone. Il existe encore des Samaritains dans différentes villes de VAsie, mais Naplouse, en Palestine, peut être cousidérée comme leur patrie ; leur langue usuelle est l'arabe vul- gaire. Les savants hébreux du xii* siècle fondèrent le langage rabbinique, ^ mélange de clialdéen et d'hébreu antique. Il y entra depuis une foule de mots étranger;:, espagnols, italiens , allemands , hollandais , polonais, de tous les pays enfin où les Hébreux se trouvent dispert^és. Le rabbinique s'écrit avec les mêmes caractères que l'hébreu antique (chaldéen-hébraïque), sinon que, comme écriture courante, il prend des formes moins stables. Le phénicien était parlé dans toute la Syrie, et différait peu de l'hébreu. Il T* 1. 12 176 PilEMlËUE ÉPOQUE. Près de la Méditerranée, les Phrygiens, considérés comme le peuple le plus ancien de l'Asie Mineure, se rapprochaient de« fut très-répandu par le commerce et par les colonies pliéniciennes sur tontes ies côtes et dans toutes les tles de la Méditerranée. Los médailles sur lesquelles oa a pu observer ses caractères, et quelques insct ipiions semblent déipootrer que son alphabet ressemblait à celui de l'ancien hébreu, tel que Tout conservé les Samaritains. La langue des Carthaginois, si ce n'était pas précisément te phénicien, en était du moins un dialecte peu altéré; elle fôt parlée, durant la |>ifissance de Carthage, en Afrique, en Espagne, en Sicile, en Sardaigne, à Malte , etc. Quelques inscriptions, peu de médailles, seize veis Insérés dans le Pœnulus de Plaute, sont tout ce qu'il en reste. Elle n'est plus parlée, à moins qu'il ne «'en retrouve quelqdes traces dans la langue des Berbères, et peut-être dans celle des Maltais. (Michel-Antoine Yassuli, qui, en 1791, avait publié son Mylsen Phœnico-Punicum, sive grammatica Melitensis, où il faisait dériver le maltais de la langue punique, abandonna cette opinion dans sa Grammaire de la langue maltaise^ publiée en 1827, où il dit que ce langage est un dia- lecte de rarabe. ) V Syriaque ou araméenne. Elle comprend deux langues, la syriaque et la chaldéenne, toutes deux subdivisées en plusieurs dialectes. On l'appelle aussi araméenne, du pays où elle est usitée, la Syrie, la Mésopotamie, la Clialdée et FAssyrie étant appelées Aram par les auteurs bibliques. Le syriaque fut répandu autrefois de la Méditerranée et de la Judée jusqu'à la Médie, à la Suziane et au golfe Persiquc, dans toutes les colonies établies sur le Tigre et TEuphrate. La littérature syriaque fleurit dans les v" et vi' siècles de notre ère ; mais la langue, telle qu'elle nous est transmise dans les livres, renferme beaucoup de mots grecs introduits durant la domination des successeurs d'Alexandre. Quelques Pères de TËglise ont écrit dans cette langue, qui possède aussi des œuvres historiques. C'est encore la langue ecclésiastique et littéraire des Jaco- bites,des Nestoriens, des Maronites; elle fut jadis répandue dans toute la Perse, et même jusqu'à la Tartarie, où la firent connaître les marchands nestoriens. Il y a quatre alphabets syriaques : l" Vestranghel, le plus ancien et qui ne se trouve que dans les monuments antiques ; 2* le nestorien, qui semble tiré du précédent; 3" le syriaque ordinaire, dit aussi marowi^c, dans lequel sont imprimés en Europe les livres syriaques; 4° celui dit des chrétiens de Saint-Thomas f parce qu'il est employé par des chrétiens de ce nom dans les Indes. Les principaux dialectes du syriaque sont le palmyrien, parlé ancienoe- inent à Palrayre (Tadmor); il en reste des inscriptions expliquées par M. de Saint-Martin; le nabat^ qui est le langage des habitants de Wasit, entre Bagdad et Bassora; le sabéen, encore en usage chez les sectaires que les Arabes appellent de ce nom, et qui se désignent eux-mêmes sous celui de Mendaùes, nazaréens ou Chaldéens ; il est parlé aussi par une autre secte appelée chré- tiens de Saint-Jean, qui habite aux environs de Bassora, et dans quelques parties occidentales de la Perse. , Le chaldéen, parlé autrefois dans la ChaUiée, dans les cours de Kinive et de Babytone, appris par les Hébreux durant la captivité, donna pai^sauce au l'asie. 179 Arméniens par le langage : mais sur lé littoral on entendait souvent Tidiome grec , comme on entend aujourd'hui ritalien dialecte dans lequel sont écrits divers commentaires sur les livres saints et quelques parties des livres de Daniel et d'Esdras. Les caractères hébraïque^ actuels étaient Talphabet clialdéen; cette langue diffère peu du syriaque. 3« La mède est la langue pehlvi, parlée jadis dans l'antique Médie et dans toute la Perse occidentale. On a dans cet idiome une traduction des livres de Zoroastre, peut-être contemporaine de l'original. D'autres livres moins anciens» conune le Sund-dehesch, le Éoman-iescht, etc., sont écrits dans le même idiome, mêlé de beaucoup de mots persans. Les médailles et les inscr^tions des Sassanides sont aussi en pelilvi. Cette langue, qui emprunta beaucoup (le mots au syriaque, est tout à fait persane quant à la grammaire; dans beaucoup de ses formes, elle tient de la langue zende. Son alphabet en est aussi dérivé, et présente beaucoup d'analogies avec le^ anciennes lettres syriaques. 4*^ Arabt' On la divise en langue antique, littérale et vulgajre. L'arabe antérieure Mahomet paraît se diviser en deux principaux dialectes» appelés himyar et coreisch. Le himyar, qui était parlé dans la partie orientale de l'Arabie, a été dans ces derniers temps l'ohjet de travaux intéressants de la part de quelques orientalistes, et entre autres de M. Fresnel. Il s'écrivait au moyen d'un alphabet nommé mxirnady qui, après avoir été regardé comnM perdu pendant bien des siècles, a été retrouvé dans des inscriptions de l'Arabie méridionale, d'abord par MM. Wellsteo et Crvttenden, puis surtout par un Français, M. Arnaud, qui, en 1843, alla au péril de sa vie déchiffrer dans l'antique Mareb des monuments en langue himyarite échappés à la faux du temps; en 1345, par suite de cette heureuse découverte, on gravait à l'im- primerie royale de Paris une série de caractères destinés à reproduire les inscriptions de M. Arnaud, qui furent publiées la même année dans le journal de la Société asiatique. Le coreisch était parlé dans la partie occidentale, et' particulièrement dans les alentours de la Mecque, par la tribu des Co- reischiles, à laquelle appartenait Mahomet. Ce dialecte , poli et perfectionné par lui et par ses successeurs, devint la langue arabe liUérale, commune à toute la nation arabe ; elle est aujourd'hui encore la langue écrite et savante de toutes les nations musulmanes. C'est dans cet idiome qu'est écrit le Koran. Du IX* au XIV* siècle, là littérature arabe eut une grande vogue en Orieni et en Occident; elle ne servit pas seulement à former la littérature persane et turque, elle devint aussi la base de la littérature latine et nationale des Ëspa* gnols, avant Ferdinand le Calholique. La langue arabe est l'une des plus riches et des plus énergiques que Ton connaisse ; son dictionnaire contient plus de 60,000 mots, son alphabet vingt-huit lettres et quatre points qui serveut de Toyelles. Elle a trois genres principaux d'écritures : le coufique^ ainsi nommé de Coufa, ville sur l'Euphrate ; c'est le plus ancien, et il ressemble à l'estr^nghel; le neskhi, inventé ou plus probablement mis en usage avec quelques modifi- cationa par le vizir Ebn-Mocklor, dans la première moitié du x" siècle, est à présent employé par tous les Arabes, et avec certaines variétés par tous les peuples musulmans. Le genre d'écriture des Arabes d'Afrique, qu'ils appellent al-moghrebif est celui qui s'en éloigne le plus. Beaucoup de Persans et de Turcs écrivent encore en celte langue. L'arabe vulgaire n'est que le littéral, prive des désinences grammaticales et réduit à un très-petit nombre de racines, avec d'autres légères différeuceîi. i2. 180 PBBMIÈRB ÉPOQUE. sur les côtes d'Afrique. Le carien y était aussi très-répandu; le thrace se parlait dans la partie septentrionale, et des dialectes trè«-divers dans la contrée montagneuse du midi. c'est atijoerd'hui la langue usuelle de l'Arabie, de la Syrie, du Fais, de quel- ques parties de rinde, de TËgypte et de la Nubie; elle est parlée dans tous les États barbaresques, à Tunis, Tripoli, Alger, Maroc, dans une grande partie de l'Afrique intérieure, dans les diftérents États de la côte du Zanguebar, dans nie de Socotora, le long des rivages de Madagascar, et, à ce qu'il paraU, dans Tarchipel des Laquedives et dans la mer des Indes. ô*> Vabyssinien. Les pays où sont en usage les langues qui composent cette brandie ne font pas partie de la division géographique de l'Asie ; mais ces langues, par leur ressemblance avec l'arabe et les antres langues sémitiques, aitestent que les peuples qui les parlent ont une origine commune, ou du moins ont eu beaucoup de relations avec les peuples sémitiques. L'abyssinien se subdivise en deux branches principales, Yaxumite et Va- mharique, Vaœumite comprend le ghéez antique et moderne. Le premier était parlé autrefois dans le royaume d'Axum et en Laba,' danslTémen. Le ghéez moderne ou tigré, qui se parle dans le royaume de Tigré, démembré de Tempire d'A- byssinie, est pour le ghéez antique ce que l'arabe vulgaire est pour le littéraire. Vamhariqtte est parlé dans la plus grande partie de l'Abyssinie, dans les royaumes d'Amhara, d'Ankofra, d'Angote, etc., et par une colonie appelée les Gattas, qui a embrassé l'islamisme. Après avoir indiqué chaque langue sémitique en usage dans la partie la plus occidentale de l'Asie, passons en revue les principales langues des six autres familles qui occupent le reste de cette partie du globe. Dans la branche des langues caucasiennes, c'est-à-dire dans la région com- prise entre la mer Caspienne, la mer Noire, le nord de la Perse et les provinces méridionales de l'empire russe, nous ne mentionnerons que les deux langues arménienne et géorgienne. I^ première est connue en Europe par les travaux des pères lazaristes de Venise; la seconde est l'objet des travaux de quelques savants, et l'on peut espérer retrouver dans sa littérature des traductions d'un grand nombre de monuments précieux de l'antiquité. Elles se divisent l'tine et l'autre en langue ancienne et moderne. Le persan moderne peut être compté comme un des idiomes qui composent la famille persane. Il est en effet dérivé du zend, et plus immédiatement du parsis, qui peuvent se considérer comme deux langues mortes. D'autre part, le kurde, parlé par diverses tribus errantes, le pucie, par d'immenses tribus d'Afghans, sont pour ainsi dire des dialectes persans. Le persan s'écrit avec les mêmes caractères que Tarabe. Il est parlé dans toute la Perse et dans une grande partie de l'Inde. Comme l'arabe, il est cultivé par tous les littérateurs de l'Orient. Dans les langues de l'Inde, il faut distinguer les mortes et les vivantes. Parmi les premières, ie sanskrit et le pâli sont deux langues sœurs qui sem- blent avoir régné ensemble dansâtes vastes régions, l'une au delà, l'autre en deçà du Gange. Le sanskrit semble être la souche de la plupart des autres langues. On lui trouve une grande analogie avec le slave, le zend , le persan, le grec, le latin et tous les dialectes germaniques. Le sanskrit est resté la langue l'asib. 181 Au delà du Halys, en entrant dans la Cappadoce, on trouvait des langages sémitiques, comme le cappadocien à Toccident de savante et religieuse de Tlnde. Il 8*écrit de gauche à droite, au moyen d'un caractère nommé dewanagari. Le pâli est demeuré la langue liturgique des lies de Ceyian, de Java, etc., et de toute rindo-clilne, excepté la péninsule de Malacca ; il se divise en l>caiicoup de dialectes. Parmi les langues vivantes de l'Inde (appelées quelqqefuis langues pracritcs), et qui sont en très-grand nombre, nous distinguerons seulement les iirincipalei et les plus connues : 1° LMûndoustani, qui est, pour ainsi dire, Tidiome commune toute Tlnde; c'est un mélange de sanskrit, d'arabe et de persan ; il emploie tantôt le carac- tère dewanagari, tantôt le caractère arabe. 2" Le malabar, langue de la plus grande partie du Malabar. S'' Le cingalais, que l'on parle dans l'Ile de Ceyian. 4*> Le tamoul, dans les contrées de Coromandel. &** Le telingne, dans le Decan, le Nizam, etc. 6** Le carnatare, dans le Mysore. 7° Le bengali, dans le Bengale. 8° Le maratfe, idiome de la république militaire qui porte ce nom. Toutes ces langues, et beaucoup d'autres qu'il serait ti-op long d'indiquer , ont leur alphabet particulier. Quelques-unes, et notamment le telingue, Thin- doustani, le bengali, le tamoul, possèdent une riche littérature. Les Anglais ont fait traduire beaucoup d'ouvrages en bengali et en hindoustani, et presque toutes ces langues ont des traductions plus ou moins fidèles de la Bible. Dans la vaste région au delà du Gange, nous trouvons un système gramma- tical tout différent et qui n'a aucune analogie avec les autres langues. Le chinois, auquel se rapportent plus ou moins les langues écrites de ce groupe, abonde en monosyllabes ; il y a dans certains cas une construction exacte- ment inverse de celle qui serait naturelle. Les mots sont invariables dans leurs formes, et les rapports de connexion et de dépendance, comme les modifica- tions de temps, de personnes, etc., se déduisent seulement de la position des mots, ou s'indiquent par des mots séparés, avant ou après le thème du nom ou du verbe. Les Chinois n'ont pas de lettres proprement dites, mais des signes qui expriment des idées; ils ont 214 radicales ou clefs principales, sur lesquelles ils disposent leur 40,000 mots ou caractères. Leurs lignes sont ver- ticales et se lisent de droite à gauche. Cette langue se divise en ancienne iku-wen) et en moàerne (kuari'kaa), La première est la langue des king ou livres classiques, morte depuis longtemps; l'autre est celle que l'on parle et que l'on écrit aujourd'hui. La Uiibétaine est l'idiome des Ëtats régis par les trois pontifes Dalaï-Lama^ JBogdo-Lama et Darma-Lama ; elle est écrite avec un caractère formé sur le dewanagaH. La japonaise et la coréanne emploient des signes syllabiques fabriqués avec les débris des caractères chinois. L'idiome japonais diffère du chinois, mais il en a adopté beaucoup de mots. Appartiennent encore à cette famille les langues de i'Indo-Chine, qui se divisent en i)olies écrites, et en incultes non écrites. Les principales de la première classe sont le birman, le siamois, l'anamite, suffisamment désignés 182 PBKMIÈRE EPOQUE. ce fleuve, le syriaque entre la Méditerrannée et TEuphrÉ^te, i'assyrîen dans le Curdistan, le chaldéen à Babylone, Thébreu par leur nom. Ces idiomes doivent avoir emprunté beaucoup du pali^ qui est la langue morte des contrées où ils florissent maintenant; presque tous ont des alpliabets particuliers. Les contrées où sont pariées les langues comprises sous le nom de tartares peuvent être très-bien déterminées par les plateaux qui s'étendent de l'embou- clnire de l'Amour, dans le golfe de Tartarie, à l'est; de la ville de Nerym, sur l'Obi, au nord; de la mer Caspienne, à l'ouest; du centre du Thibet, au midi. On les divise en trois branches différentes : le tonguse ou mantchou, le tartare ou mongol, et le turc. Chacune de ces branches se sulnlivise en une infinité de dialectes ayant entré eux quelque chose de commun : leurs différences proviennent de l'état errant des tribus qui les parlent. Ainsi, danâ Tidiome turc, nous voyons que l'osmanli, ou turc occidental, tire une foule de mots de l'arabe ou du persan, tandis que les tribus errantes dans les steppes de la Russie asiatique ont reçu, par suite du voisinage des colonies de race finnoise, beaucoup de mots appartenant aux langues de cette famille. Le mantchou est important à cause du grand nombre de traductions qu'il possède des livres chinois, sanskrits et mongols. Il est parlé dans l'empire chinois par les tribus tonguses qui y ont établi leur domination, et dans la partie la plus orientale de l'Asie, connue sous le nom de Mandsciairie. Le mongol est parlé par les tribus qui occupent la Mongolie ; sa littérature est riche, et l'on peut espérer y retrouver des indices relatifs à l'histoire obscure de tontes ces hordes qui ont eu tant d'Influence sur les révolutions dé l'Europe par leurs invasions successives. L'aljshabet des Moitgols est presque le même que celui des Mantchoux. Il s'écrit en colonnes verticales, de gauche à droite. Le kalmouk, langue de famille mongole, a un alphabet particulier, mais également imité du syriaque. La famille turque se divise en une infinité de dialectes dont les différences dépendent des émigrations et des positions respectives des tribus qui les parlent. Voici les principales : L'otit^otir, qui est le plus ancien dialecte turc fixé par l'écriture; il est parlé dans le Turkestan oriental. Vosmanli ou turc proprement dit est Fidtome commun de l'empire otto- man, la langue politique et commerciale de toute l'Asie occidentale. L&sciagateanê est parlée parles Turcs du Karisim et du Manarannahaf {l'ancienne Transoxiane), et, avec quelques difféiehces, par les Usbecks. Pour indiquer toutes les autres variétés, il faudrait nommer toutes les tribus éparses dans l'immense Carré que nous avons tracé en commençant à parler des langues tartares, en y unissant la Perse et l'Asie Mineure. Ceux de ces peuples <|ui font usage de l'écriture se servent maintenant de l'alphabet arabe, avec quelques légères additions et altérations. La littérature turque est connue parmi nous ; ses livres originaux sont des ouvrages de géographie et d'histoire ; elle possède beaucoup d'imitations et de traductions de l'arabe ou du persan. Il existe des traductions de la Bible dans la plupart des dialectes tartares; Les langues de la famille sibérienne sont parlées par les malheureux pépies habitant ce climat glacé, et qui confinent, h l'ouest, avec la Dwina; an nord , L*ASIF. 183 dans la Palestine, le phénicien dans les villes niaritunes et dans les colonies , l'arabe dans la péninsule et dans les landes de la Mésopotamie; ce qui indiquait une seule souche pouf cette nombreuse famille qui varia ses occupations selon les contrées : nomade dans TArabie, agricole en Syrie, stationnaire à Baby- lone, commerçante à Tyr. Au delà du Tigre apparaissent des langues d\me autre classe, reconnues à peine de nos jours par la découverte du zend et du sanskrit : maïs les anciens ne nous ont laissé aucuns renseigne- ments sur leur compte, si ce n'est Hérodote, qui raconte (i) que les marchands grecs, pour passer de la mer Noire à la mer Cas- pienne et à la Bucharie, emmenaient avec eux sept interprètes; et Strabon, qui, en parlant des pays du Caucase, dit que dans la ville grecque de Dioscurie on entendait plus de soixante-dix dialectes. Après le déluge universel, les peuples descendus du Caucase, Prcgteni^ht- dont TArarat forme la cime la plus élevée , occupèrent les pays au fur et à mesure qu'ils restaient à sec, que les exhalaisons chaudes et insalubres cessaient , et que le terrain , entraîné par les pluies dans les vallées, élargissait les plaines. Le grand pla- teau de PAsie centrale, entre TEuphrate et le Tigre, avec les montagnes d'un côté et le désert de l'autre , où se trouvent la Mésopotamie aux gras pâturages, la montagneuse Arménie, la fertile Babylonie , fut la première résidence des hommes. C'est le pays où le climat est le plus doux, les saisons les plus régu- lières; la terre, arrosée par des sources qui ne tarissent jamais, s'y revôt d'une végétation magnifique et produit les fruits les plus savoureux. Ne renfermant aucune bête féroce, aucun ani- mal venimeux , elle peut nourrir d'innombrables troupeaux : les pasteurs s'arrêtaient volontiers dans des lieux aussi heureuse- ment situés , où brebis et génisses n^avaient jamais besoin de avec l'océan Glacial arctique ; à Test, avec la mer de Behring et d*Ochotsk, et au midi y avec le plateau dont nous avons parlé, et qui partirait de la ville de Kerym sur l'Obi. Aucun de ces dialectes n'est encore fixé par l'écriture; on y aperçoit néan- , moins certaines origines communes avec d'autres idiomes de i'àsie centrale et occidentale. Certaines tribus saraoyèdes ont une espèce d'écriture qui consiste en signes gravés sur des morceaux de bois. Toutes ces langues ont été divisées en cinq ramifications principales : la famille samoyède^ la famille jenissa, les familles koriekque, kamtcliadale et kuriUaise. {Extrait de KhKVROjn,hxhRi, etc.) (t) liv. IV, p. 24. Yoy. aussi HeereiN et Herder. 184 PBEMIÈRE ÉPOQUE. rentrer au bercail. S'étant dans la suite accrus en nombre , ils imitèrent la race de Cham, et se bâtirent des villes qui devaient être des hordes retranchées, des camps de nomades, aussi étendus que le réclamait leur origine, et entrecoupés de champs et de rivières. C'est ainsi que nous devons nous représenter Fimmense Babylone et Ninive ayant onze journées de circuit, et où les populations accouraient, comme dans tous les temps, autour du pouvoir arbitraire, pour profiter de ses largesses et de ses erreurs. De même que les peaux et les tentes offraient un abri à l'ha- bitant du nord , les roseaux , les palmes et les toiles suffisaient là aux édifices, construits plutôt par luxe et pour la commodité, que comme un abri contre un climat aussi tempéré. L'argile et le bitume offraient des matériaux en abondance pour les palais et pour les tours j les palmiers étaient Télégant modèle de ces constructions aériennes et ouvertes , des fûts élancés de leurs colonnes. C'est ainsi que les villes s^élevaient rapidement comme le campement d'une armée ou d'une tribu de Bédouins, et dis- paraissaient sans presque laisser trace de leur existence. Le sol que l'insouciant Musulman laisse maintenant en friche encourageait au travail par sa fertilité sans cesse reconnais- sante; la Mésopotamie s'était changée en un paradis depuis que, par une infinité de canaux, on y avait amené les eaux des fleuves éloignés , en les élevant au moyen de pompes et de roues, invention des Babyloniens, qui paraient ainsi d'une éter- nelle verdure leurs jardins suspendus. Placés dans des plaines sans bornes, sous un ciel toujours se- rein, les habitants de la Babylonie observèrent les astres pour se diriger, d'après leur position, dans leurs courses vagabondes, et pour régler les troupeaux, selon les saisons, dont leur lever annonçait le retour. Les signes du zodiaque et les noms des constellations attestent encore Forigine pastorale de l'astrono- mie. Ils continuèrent à la cultiver après s'être établis dans les villes, où les scheikhs, siégeant le soir sur les terrasses des maisons, avertissaient des variations du ciel, tandis que les prê- tres tenaient note des moindres observations faites du haut de la grande tour édifiée avant la dispersion. Ceux-rci conservaient dans leur pureté les traditions de la science et de la religion patriar- cale, qui allaient se corrompant chez les autres peuples, et en devenaient les instituteurs plus ou moins sincères, en étendant leur influence sur les siècles et sur les pays les plus reculés. L*ASIE. 185 De la famille naît la société ; et comme les liens domestiques ^^JJ™*" sont d'autant plus forts chez un peuple qu'il est plus simple dans ses mœurs, beaucoup de familles vivent ensemble de la même manière, en composant la tribu; première forme sociale qui , de même que dans les traditions hébraïques, se retrouve parmi les sauvages de l'Amérique et de TOcéanie, dans les dé- serts de l'Afrique et de l'Arabie. Les tribus voyagent ensemble, se défendent mutuellement, et chacune prend pour chef le vieillard le plus capable, le berger le plus expert, le plus ha- bile observateur des astres. Ce chef, comme le plus sage, rend aussi les jugements ; comme le plus expérimenté, il possède la doctrine; comme le plus âgé, il rend un culte solennel à la Divinité. Il est tout à la fois roi , juge, sage, pontife. Le gouvernement patriarcal, peu convenable pour une civi- lisation adulte, puisque le bien-être de tous ne dépend que des qualités personnelles d'un seul , se diversifie au point que dans certaines tribus il n'impose pas de limites à la liberté indivi- duelle, tandis que dans d'autres il va jusqu'à la tyrannie la plus absolue. Plusieurs nations en sont restées à ce premier degré de civi- lisation, où les maintiendra longtemps encore, peutrêtre même toujours, la nature de leur pays et le genre de vie qui en est la conséquence : telle est la condition des pasteurs et des chas- seurs; car c^est par l'agriculture seule que l'homme s'établît dans un pays et qu'il s'y attache par tous les sentiments qui lendent sacré le nom de patrie. Les peuples agricoles, lors- qu'ils ont une fois des demeures fixes, acquièrent des idées plus claires de la propriété; ils ont besoin de garanties pour la con- server, de force régularisée pour la défendre, de jugements pour la revendiquer, de règles pour la transmettre, de cet en- semble d^institutions enfin dont se compose un gouvernement civil. De la même manière que plusieurs familles constituèrent une tribu, plusieurs tribus s^associèrent pour former les bour- gades et les villes. Les différents scheikhs ne renoncèrent pas à leur suprématie, et, pour délibérer sur les intérêts communs, ils se réunirent en assemblées , tandis que les membres de di- verses tribus, en se rapprochant les uns des autres, donnaient naissance à des manières de vivre et à des professions diffé- rentes. Dès lors Pégalité innée des droits produisit elle-même Tinégahté des fortunes ; car Phomme le plus adroit ou le plus |8Ç PRKMIÈBE BPOQUE. industrieux gagne davaqtagei, il s'enrichit, et tr^nsn>et son avoir à ses fils. C'est ainsi que conimencent à se former les familles illustres qui tendent à attirer à elles les dignités et le pouvoir; c^est ainsi, pour peu que l'histoire soit véridique, q^e naquirent d'abord les fomiies républicaines ; d'abord un patri- eiat qui administre les affaires publiques, puis des distinctions entre nobles et plébéiens, une variété infinie daps le nonibre des sénateurs, dans leurs attributions, dans les magistrats, dans les relations de chaque cité avec s;on territoire, ainsi que dans les relations entre les cités elles-mêmes qui, en se confédérant, constituent des États^ et, sans changer de forme, peuvent ac- quérir une vaste extension et une grande puissance, conqaéies. AiUcurs Cependant les peuplades diverses et vagabondes, se rencontrant sur le même terrain, au passage d^un fleuve, pour occuper les mêmes pâturages, se querellent entre elles : par- fois ce sont des larcins, des rivalités d'an^our, des jalousies de prédominance, qui engendrent leurs inimitiés. De là les guerres et leur conséquence, le despotisme. Quelque scheikh, vain- queur de la tribu ennemie, après avoir savouré les douceurs du commandement, aspire à Pétendre sur un plus grand nom- bre. Il y est stimulé d'abord par sa force personnelle; il y est aidé par ceux qui, se sentant robustes aussi , désirent exercer leur propre vigueur, ou par les lâches qui cherchent à se met- tre à l'ombre de sa puissance ; bientôt il règne au loin sur les peuples subjugués. Tel fut Nembrod , que rÉcriture nous cite coninie un grand chasseur. Il domina sur la contrée où grandirent depuis Baby- iQUe, Édesse, Nisibe, Ctésiphon, et fonda dans les plaines de 1* Assyrie un vaste empire, ce qv^'û n'aurait pu faire dans les ippntagnes. La force fut donc le premier instrument de la tyrannie, em- ployée par des nomades qui dévastent, saccagent, puis dictent aux vaincus leur volonté pour loi, et la scellent avec l'épée. Le mot dynastie indique lui-même l'origine d'une telle puis- sance (1). En vain chercherions-nous, dans ces empires , des monarchies tepipérées et des citoyens comme en Europe; un chef seul réunit en lui le pouvoir de faire les lois, de les mettre à exécution et de rendre la justice. Le conquérant devient le maître du territoire, et, pour s'en assurer la possession, ou il Monarchie. (^ |)e $uya((u$, force^ puissance. L*A8IB. 187 extermine la population^ Ou il la réduit en servitude : c*est de cette domination suprême qu'il tire le droit de punir (i). Si nous cherchons la raison pour laquelle l'Asie vit se perpé- tuer le despotisme, nous la trouverons dans ses mœurs; car la liberté poKtique et la liberté morale vont de concert : point d^espoir de s*ëlever aux franchises civiles pour les peuples qui n'ont point commencé par réformer leurs mœurs. Patrie et famille sont des idées associées en Europe, où le meilleur ci- toyen est le meilleur père. Il i^'en est pas ainsi partout où est établie la polygamie. Myfiinie, Les femmes naissent très-belles en Asie: leyr développement est précoce; mais elles perdent de bonne heure et leurs char- mes et leur fécondité. L'homme, porté par sa corruption na^ turelle et par le climat à la volupté, songea à se former un jardin de ces fleurs passagères, et en choisit un certain nom- bre parmi les plus belles. Mais toutes jeunes encore, et n^étant propres qu'ati plaisir, elles avaient besoin d'un frein qui répri- mât la violente agitation de leurs passions, leurs rivalités, leurs jalousies. En effet, leur orgueil et leurs affections se trouvaient blessés par la polygamie, qui tourmente les sens par les pri- vations et le cœur par les préférences. L'époux ne pouvait pas compter sur Pamour, la plus forte garantie de la fidélité. Il lui fallait donc les dominer par une indomptable sévérité^ les ren- fermer avec les précautions les plus rigoureuses, préposer à leur garde des hommes rendus incapables d'exciter ni les dé- sirs des jeunes captives ni la jalousie du maître (2). Ainsi le climat qui , dans la Germanie, en retardait le déve- loppHBinent et le mariage, contribua à faire des fenmies les com- pagnes et les conseillères de l'homme, concourut en Asie à les rendre ses esclaves. Il en résulta que l'amour n'y fut jamais moral; les liens de famille y furent relâchés, les assassinats domestiques et les parricides fréquents; et la nature vengea par là tyrannie le mépris qu'on faisait d'elle. Partout où h femme n^est pas la douce compagne de l'homme, chaque foyer est soumis à une monarchie despotique, et cette association de tyrans obéit à un chef ^ maître brutal et absolu dans la cité^ comme le particulier dans la famille. (1) Chex les Hongolsj ri quelqu'un prend un autre indîTidn par les cheveux, il est puni, non pour lui avoir fait du mal, mais parce que les cheveux appar- tiennent au roi. Pallas, 11 V. I, p. 194. (1) On attribue aux Mèdes Tinvention de la castration. 188 PREUIEBB lÊPOQUB. La force et la défense ne suffisent pas toutefois à maintenir les peuples unis, soit dans la monarchie^ soit dans la républi- que. Ce ne fut pas le besoin seul qui les associa dans leur vie errante, mais aussi la communauté de rites et de croyances, qui, plus ou moins altérés, se rattachaient toujours aux tradi- tions primitives des patriarches. La religion assume un carac- tère national, et Tidée commune d'une divinité tutélaire est pour un peuple un lien très-puissant, car il est formé par le sentiment. Des fêtes sont instituées, auxquelles la nation en- tière prend part, et les sanctuaires deviennent la capitale de VÉtat et le centre du commerce. Les cités les plus antiques, en effet, furent saintes, conune l'indiquent les noms de Jérusa- lem, Hiérapolis, Hiéracome, Hiérabole, Hiérapétra, Hiérager- ma, Diospolis (1) : Babylone signifie cité de Dieu; Phir, dans la Syrie, siège des oracles. On disait Ihon bâtie par Neptune, et il ne pouvait être détruit tant qu'y resterait le Palladium. Toutes les cités primitives eurent même un nom sacré qui de- meurait un mystère, si bien qu'on n'a jamais su avec certitude celui de Rome. J'ai dit un mystère, et, en effet, les mystères s'introduisirent bientôt dans les religions. Ils furent confiés à une classe spé- ciale d'individus qui seuls pouvaient offrir les sacrifices, con- sulter les dieux , manifester leur volonté, conununiquer une partie de la doctrine au peuple, dont , par ce moyen , ils diri- geaient à leur gré les aveugles caprices. Peut-être avaient-ils été les chefs des tribus patriarcales dont nous avons vu que le droit de sacrifier était le précieux privilège. Il est probable qu'une fois qu^ils eurent des établissements fixes , ils constituè- rent la classe des prêtres. Gardiens de la majeure partie des anciennes traditions, dirigés par l'instinct naturel qui fait sentir à l'homme supérieur k nécessité oîi sont les inférieurs de se soumettre aux autres et d'en recevoir l'éducation, ils se ser^ valent de leur science comme d'un instrument de pouvoir. De là, chez les anciens, l'origine des gouvernements théocratiques, admirablement adaptés à des peuples grossiers, pour lesquels l'ordre de la Divinité tient lieu de la raison qui explique les combinaisons politiques. Ils furent communs en Asie, et la Grèce seule sépara peu à peu le sacerdoce du gouvernement. (1) 'repo;, sacré ; Aie;, dieu, JOTÎs. L*AS1K. 189 Les théocraties se liaient à l'histoire du passé; aussi se fai- Myihoiog^c. saient-elles une étude de transporter dans leur propre pays les anciens événements , de fabriquer des mythologies et des cos- mogonies bien adaptées^ et surtout nationales, dont le but étaiV de tracer un cercle infranchissable autour des peuples réunis par répée ; aussi la patrie y était-elle représentée comme centre, royaume du milieu (1), région de la lumière et de la félicité, en dehors de laquelle s'épaississaient les ténèbres à mesure qu'on s'en éloignait. De là le mépris pour les étrangers, réputés cen- taures, satyres, faunes, mirmidons, toutes races malheu- reuses en comparaison de ceux qui seuls étaient de véritables lommes (2). Les religions produisaient de plus un avantage réel, en oppo- sant au droit brutal de la force les législations qui s'appuyaient SI une volonté supérieure. La classe des prêtres s'élevait ainsi en face du roi, lui imposant pour limites soit les règles de jia Justice, soit les cérémonies religieuses ou les décrets des dieux. Il est vrai que les prêtres ne représentaient pas le peuple et ne pensaient nullement à ses droits; mais ils modéraient la vio- lence, refrénaient les vices, répandaient les idées d'équité et de t. moralité; puis, à marcher ainsi réunies, les législations et la religion pouvaient résister plus énergiquement aux révolutions intérieures et aux chocs du dehors. inTaston». Les États furent ainsi constitués ; mais les luttes commencées entre les tribus se continuèrent, et la nature de l'Asie contribua aux bouleversements que nous voyons s'y renouveler si rapide- ment. La grande élévation de ses montagnes et la puissance des vents font que les climats les plus divers s'y touchent : l'homme endurci à la rigueur des saisons se trouve ainsi le voisin de c^lui qu'a énervé la molle douceur de la température. Comme la Hollande est menacée par l'Océan, les nations civilisées de l'A- sie le sont par les Tartares, les Afghans, les Mongols, les Mant- choux, peuples que les anciens confondirent sous le nom de Scythes, les modernes sous celui de Tartares. Les Parthes et les (0 c'est ainsi que rappellent les Cliinois; les Indiens, midhiama; les Scandinaves, midgardf etc., tous noms de même significalion. ^ (2) iies Égyptiens appelaient VYiomme, piromis , mot qui, selon Hérodote, ^eut dire xaXoç xàyaOo;, bel et bon ; mais ce nom n'était donné qu'à ceux de leur propre nation. Jablonski le fait dériver du cophie pi-re-omi, /aciens jusaaam. 190 PRBHIÈHE EPOQUE. Perses exerçaient leur prouesse dans les montagnes, tandis que les Arabes et les Mongols acquéraient par leurs courses et leurs brigandages une bravoure naturelle, à laquelle le défaut de •^calcul n'ôtait rien de son impétuosité. Ceux-ci débouchaient de temps en temps des steppes du nord et des déserts du midi; ceux-là des défilés des montagnes : les uns et les autres sui- vaient le cours des grands Oeuves, qui, s'ils étaient une source de richesse pour le pays, y dirigeaient aussi les incursions hos- tiles, et, dans une fougue irrésistible , subjuguaient les nations civilisées. Si Ton fait attention à Pimmense espace sur lequel s'étendirent leurs hruptions ; sa l'on voit Tempire 4es Arabes s'étendre des Pyrénées jusqu'à l'Inde ; les Mongols , guidés par les successeurs de Gengis-Khan, combattre sur le Danube et sous la muraille de la Chine , on ne s'étonnera pas que, dans leur ignorance, ils se proposassent quelquefois de subjuguer la terre entière. Ce serait à tort néanraroins qu^ori attribuerait uniquement à ses grandes plaines les immenses conquêtes dont l'Asie fut le théâtre; car les Druses, les Curdes, les Marattes, conservèrent toujours leur indépendance ; et dans les montagnes de TAssy- rie, les Parthes, aisément vaincus par Alexandre, opposèrent une résistance invincible aux légions romaines. Une autre cause de conquête fut la trop vaste étendue des empires qui embras- saient une infinité de tribus sans les réunir. Aussi le patriotisme ne réunissait- il jamais leurs efforts contre les envahisseurs , et ne troxive-t-on pas, dans l'histoire asiatique, ces généreuses bar- rières opposées par les Européens aux Thermopyles et dans les Asturies. Le despote confiait le plus souvent la défense du royaume à la cavalerie, bonne pour l'attaque, inhabile à la ré- sistance ; cet usage, et le manque de places fortes, faisaient que les as^illants s'emparaient facilement de la capitale; celle-ci prise, les tribus, réduites par la force seule à une mensongère unité, se résignaient au servage; et le plus souvent, errantes dans les steppes, sans patrie, elles s'apercevaient à peine du changement de joug. Les conquérants d^ailleurs n'apportaient pas de leur pays une constitution toute prête à imposer aux vaincus. La con- quête finie, ils distribuaient le royaume entre divers chefs ar- més, afin qu'ils perçussent le plus de tributs possible, et tinssent en bride les populations éparses : quelquefois un capitaine ou Satrape occupait une portion du pays, et, en payant un tribut déterminé, il en faisait du reste à sa votonlé. Les nouveaux dominateurs adoptèrent, ainsi qu'on le voit souvent dans Thistoire, les mœurs des vaincus dans ce qu^elles avaient de plus corrompu ; ils profitaient de leur civilisation , non pour la morale, mais pour le luxe; et, plus la transition était rapide, plus ils voulaient jouir des délices sensuels. Les institutions du pays n'en prévalurent que plus aisément, sur- tout si elles étaient confiées à des corps bien unis, et puissants par la religion. La corruption des conquérants aplanit ainsi la route à d'autres conquérants qui, à leur tour, devaient être corrompus et vaincus. Le gouvernement se conformait à cette origine. Les rois, en dominant sur tant de peuples divers, ne savaient préparer ces constitutions dont la bonté se fonde sur les mœurs et sur la nature spéciale de chaque nation. Loin de là, la seule loi c'é- tait la volonté du monarque qui avait dans sa main , non le sceptre, mais le glaive. Il devait, par nécessité, confier ses conquêtes à des satrapes , d^autant plus puissants qu^ils étaient plus éloignés. Ceux-ci tyrannisaient et dépouillaient le peuple à rimîtation du monarque, dont parfois la faiblesse et la dé- mence encourageaient des désordres plus graves, et augmen- taient la nécessité d'un gouvernement dur et sans pitié. Dans rexercice de leur pouvoir, les satrapes acquéraient la connais- sance de leurs propres forces, et étaient facilement entraînés à en abuser ; de là les fréquentes rébellions, causes de discor- des intérieures qui aidèrent aussi les invasions du dehors. Il en est qui louent ces conquérants pour leur douceur et leiu* clémence, parce qu'ils ont laissé aux vaincus leurs lois et leurs usages. Mais cela ne prouve de leur part qu'ignorance et inca- pacité, car ils n'avaient su pourvoir à rien de ce qui pouvait soulager les vaincus, les garantir de la tyrannie des satrapes et de la cupidité des exacteurs. Un pays, une fois conquis, qu'il obéisse et qull paye : voilà une législation toute simple. Pour atteindre ce but, on employait certains moyens que ne permet plus la civilisation présente, ou qu'elle veut au moins que Pon déguise. L'un était de transplanter ailleurs des popu- ûtions entières, conune il arriva des Hébreux emmenés à Baby- kme et en Assyrie; des Égyptiens transportés par Nabuohono- sor dans la Golchide, et par Cambyse à Suse; des Grecs et des Insulaires transférés au centre de l'Asie. Quelquefois une ar- 'i' 192 PBENIBRB BPOQUE. mée cernait le p^ys, et. chassait devant elle tout ce qui portait figure humaine : il était ainsi dépeuplé d^un coup (i). L'autre moyen était d'énerver les vaincus par une éducation efféminée, comme il advint aux Lydiens, obligés de renoncer aux armes et de se façonner à l'élégance et à la mollesse; comme' fit Xerxès aux Babyloniens en leur enlevant leurs armes, et en introduisant chez eux des maisons de plaisir et de débauche. Castes. La conquête n'était pourtant pas toujours faite par des bar- bares, et ne détruisait pas toujours la civilisation. Dans ces fré- quentes migrations de peuples qui n'avaient pas encore Tamour du foyer, se rencontraient des tribus distinctes des autres, par leurs occupations , leurs richesses , la culture de leur esprit et leur religion. Quelquefois elles s'alliaient entre elles , et le pre- mier pacte de leur association était Padoption réciproque de leur dieu , ce qui tendait à multiplier les divinités, et à former cette confusion qui nous apparaîtra plus ou moins dans tous les cultes. Mais, quoique rapprochées, ces tribus demeuraient dis- tinctes, aussi bien de race que d^emploi. Le plus souvent, elles en venaient à des rixes ; celle qui remportait dominait celle qui avait été vaincue, et appuyait sur la force l'inégalité des droits. Orgueilleuse, puissante, elle repoussait tout contact avec l'autre, lui refusait des lois, des dieux, le mariage légitime ; l'obligeait à des services pénibles, comme plèbe et populace sans nom (2). Parfois survenait une tribu qui avait un peu mieux conservé la tradition primitive de la vérité, et qui se faisait l'institutrice des autres, enseignant, avec la religion , les éléments des arts et de la science, de manière à apprivoiser les tribus plus grossiè- res, sans mettre en danger la suprématie que lui donnaient ses connaissances et le monopole du culte. C'est ainsi que se for- mèrent les castes, distribution sévère que nous trouverons dans presque toute l'Asie, et qui, dans certaines contrées, survécut a mille changements, à la perte même de Findépendance. Ces faits, qui prédominent dans les vicissitudes de l'Asie, nous en retracent l'iiistoire; ils rendent raison de la grande uni- (i) Hérodote, iv, 31. Les Grecs appelaient cette manœuvre aaYrjvevetv, c*c8i'h-ô'ire pécher mifllet, (2) Dans Xénoplion , Cyriis dit aux siens : « Nous n*admet(ons Jamais à « Texercicedes armes ceux que nous destinons à labourer la terre et à nous « payer tribut : elles deviendraient dans leurs mains des instruments de liberté- « Les leur aTons^nous enlevées, nous ne restons jamais désarmés nousHuèmes.'» Cyropédie, vm. L^ASIE. 19% formité de ses révolutions et de leur différence avec celles de l'Europe* Des empires se formant , non pas peu à peu , comme cbe:^ nous^ mais soudain^ par une irrésistible inondation de barbares, pour qui la seule mesure du fait est la puissance, - embrassent dans leur vaste étendue la tyrannie la plus absolue, la féodalité, les fédérations, jusqu'aux républiques, selon les différentes formes d'après lesquelles se gouvernaient d'abord les vaincus; mais sur toutes pèse le despotisme, devenu néces- saire par la violation des lois de la nature, en s'étendant sur une foule de peuples qui, divers de langage, de mœurs, de croyance, ne peuvent se réunir que sous une volonté arbitraire. Des constitutions que leur union trop intime avec la religion et la différence des castes empêchent de vivre ; des gouverne- ments de satrapes, dure nécessité de la conquête ; des intrigues de sérail, et de temps en temps des incursions de nouveaux barbares, tel sera le spectacle offert en général par les royau- mes de PAsie, tant anciens que modernes. Nous les rapproche- rons souvent les uns des autres ; car l'histoire de PAsie, dans Tuniformité de son développement, reproduit à de lointains in- tervalles les mêmes faits et les mêmes idées. Au milieu de ces convulsions, le commerce, autre instrument commerce, de civilisation, suivait la voie qui lui était tracée. Dirigé de bonne heure vers les pays les plus riches en denrées, et surtout vers rinde, il les répandait par tout le monde; ses stations devinrent des cités importantes , et les peuples envahisseurs eux-mêmes s^empressaient de rétablir la sûreté des chemins, afin de trou- ver dans les caravanes un tribut pour le trésor, des richesses pour le pays, et un aliment pour le luxe ou les plaisirs (1) . La religion le protégeait de son ombre , offrant autour des temples un asile sûr aux marchands, et dans ses solennités une occasion de se réunir, et de négocier avec les pèlerins qui y ac- couraient. C'est de cette manière que s'était accrue la Mecque avant Mahomet ; et aujourd'hui encore à Tenta sur le Delta égyptien, près de la tombe du saint musulman Seid-Acmad, une foule de pèlerins de l'Egypte , de FAbyssinie, de l'Arabie, (i) La ville de Singapour est u» exemple permanent de la rapidité avec la- quelle le conimerce peat donner la vie à un pays. Elle est située à Textréniité de la presqu'île dç Malacca , entre la chine et Tlnde, et elle était encore dé- serte en 1814. Aujourd'hui , c'est une des plus peuplées, et les vaisseaux y vont et viennent sans cesse, depuis que les Anglais en ont fait Tenlrepôt du com- merce iudien. T. r. 13 |94 PBËMlàftB ÉrOQUfi; du Darfour, iiennent une foire des plus animées , où les pro- ductions de ta haute Égy{^^ des côtes de Barbarie et de tout l'Orient, s'échangent contre les troupeaux et les lins du pays (I ). Les marchés et les foires qui continuent d'exister dans nos con- trées eurent au moyen âge une origine semblable. Toutes ces causes ayant contribué à la formation de divers États^ ils conservèrent le caractère du peuple ou de la caste qui d'abord les oi^anisa : guerriers dans l'Assyrie^ sacerdotaux dans rinde^ commerçants dans la Phénicie. Ces considérations générales édaireront pour nous les ténè- bres de Tantiquité^ et nous aideront à y saisir mieux le sens des histoires particulières. CHAPITRE II. PEEHIÈRES HONARCaiEg. La terre de Sennaar^ avec sa tour et sa mcmarchie la plus an* cienne de toutes, est le premier théâtre où les réunions d'hom- mes prirent un caractère politique. Les histoires les plus di- verses s'accordent pour retrouver là un grand empire; mais elles offî*ent tant de dissemblance dans les détails, qu^aucun ef- fort d'érudition n'e^ parvenu jusqu'ici à les concilier, ^^urces La Bible ne mentionne, au sujet de cette contrée^ que ce qui a trait au peuple hébreu. Hérodote, se réservant d^écrire un li- vre à part sur les Assyriens (2)^ n'en parle qu'incidemm^t dans son histoire (3). Cté^s cte Gnide^ médecin du jeune Cy- rus, suivi pas à pas par Dtodore^ jugé menteur et ignorant par Aristote> mais paraissant à l'examen plus digne de foi qu'on ne l'a supposé pendant longt^3^[)S; remplit l'époque la plus andenne de-fables à l'orientale, Syncelle^ Ëusèbe^ Ptolémée^ sont si ré- cents, qu'ils ne peuvent que dcmner un &ible appui à une asseï^ (1 ) Mémoires sur l'Egypte, t. III, p. 357. (î) I» 184. (3) n iwmine Kmus, fondateur de cette monarchie (1, 178), q^ comraeaça à régner en 1217 , puis il ne cite aucuii autre roi jusqu'à Saiïiérib pelaient collectivem^ les Ëriens, c'est-à-dire les preux. Selon les écritures zendes, ils se séparèrent des Brahmines quand ceux-ci descendirent par les montagnes du Thibet dans la péninsi^e de l'Indostaa. Ce qui prouve leur fraternité avec Les Indiens, c*est que le zend et le pehlvi, parlés par les Ëriens, sont des dialectes du sans- (1) Fréret et Sevin , dans les Mémoires de i*Âcadémie des inscriptions , ont chercbé à mettre d'accord ces anciens auteurs dans leurs innombrables dissi- dences. YoLisEY a jeté beaucoup de lumière sur la chronologie d'Hérodote, dans Ses Recherches nouvelles sur Vhistoire ancienne. (2) berosi, Chaldasorum historiée quae supersunL^, lUchter, Leipzig, 1825. Voyez aussi Muenter, Religion der Bahilonier. Copenhagen, 18^7. (3) De terra illa egressus est Assur et œdificavit Ninivcm. Ainsi dit \% V«l«aie; mais il vaut mieux Wm egressus est in Assur, c'est-à-dire en As«6y- li^ ; échange lacite dans une langue dépourvue de prépositions. 13. t9i PBEMIÈBE BPOQUE* cril; c'est quHls possèdent les veidas ou livres sacrés, comme les Brahmines, et qu'ils sont aussi divisés en quatre castes. Mais le culte des Ériens était plus voisin de la religion primitive, car ils ne croyaient qu'à un dieu, auteur du bien , et à un autre dieu, auteur du mal. La division des castes était chez eux poli- tique, non religieuse ; la théocratie n'y avait pas empiété sur rautorité royale, et le pouvoir monarchique était patriarcal ; ce qui prouve quMls se séparèrent desBrahmines avant que ceux- ci occupassent Plnde. Leur pays, appelé Ériène (1), s'étendait de la droite du Sind (i) Air'an. Eriene Veedjo , pays des Preux, dans le Zend-Avesta; Slraboa dit Arianis. On le retrouve dans le nom d*/ran donné à la Perse. Les Ériens étaient connus même des Grecs, et Ton rattachait à cette famille les Mages et toutes les tribus des Mèdcs. (Mâyoi $6 xat tô toû ApeCou yévo;. Dûmasc, ap, Wol/Anccd, Grœc, m, p. 259.) D'après Hérodote, VII., 61, Vi, 98, il paraî- trait que les Perses appelaient ^Âpraioi leurs héros. Hellenicus ap. Steph. Byzant. *ApTaia. Artaxerce se décompose en aria schatria, ce qui, en sanskrit, ireut dire grand guerrier. C'est la racine des noms ''Apric , Mars, héros , héros. Dans les livres sanskrits , on trouve aryosy aria ver ta , les illustres, la terre des héros. Mous reviendrons sur cetle partie de l'hisloire déduite des Orien- taux, dans le livre III. En attendant , on peut consulter RuonE, Die hâlige sage tmd das gesammie Religions-Sislem der Zendvolks ; Francfort, 1720 ; De flAMMER, Heidelberq lahrbuch» 1823, p. 81 ; W. Ouseley, Travels, II , 305; Freo. ScHLEGEL, Wien /aAr^ticA, VlIT, p. 458;Goerres, Mytenges^ chichte, I, 213, et l'introduction au Schah'namèh, Selon Goerres, Mèdes, Assyriens , Perses, descendirent du Caucase, parlant la même langue, formant une seule race, et une grande monarchie de l'Iran , du Caucase à THimalaya. Il rapproche les noms à' Iran , Aria^ Axuria ^ Assyria, Assur. Sem serait le naèrae que Schem , Schemschihl. Rhode fait, d'une race commune et primitive de l'Iran , les Bactriens, les Mèdes , les Perses , qui parlent le zend et ses dialectes , et proviennent de i'Êriène Veedjo et du mont All)ordj , vers les sources de l'Oxus et les mon- tagnes septentrionales de l'Inde. Ils auraient ensuite transporté les noms de leur patrie au Caucase et dans l'Arménie. Son opinion s'appuie sur les livres zeiids , particulièrement sur le Vendidad , au commencement duquel est ra- contée la création, c'est-à-dire, ainsi qu'il l'entend, Thabitation successive de différents pays, parmi lesquels il trouve nommés, après Ëriène Veedjo, Sogdo (Sogdiane), Moore (Merou), Bagdi (Balk), ISez(Nisa}, Haro-iou (Hérat). Il pense donc que dans ces pays a eu lieu, à plusieurs reprises, une migration guidée par Schemschihd, ou bien par la race sémitique, jusqu'à Ver ou Var, délicieuse contrée où elle fixa sa demeure, et où son chef bâtit un palais et une ville, Var-Schemgherd. Ce seraient les anciens Pars et Perst'polis. Le savant de Uammer adopte ceUe opinion , mais il ne croit pas que Ver et Var-Schemgherd fussent le Pars ou Phars et Persépolis , mais un pays plus au nord , où sont maintenant Damagen et Kapoin , et jadis Hécatompilos, véri- table ville de Schemsclnhd. L'autre célèbre orientaliste Ouseley , sans cou- PABMitBBS MONABCHIBS. 197 (Tbidus) au Caucase ^ du fleuve Oxus à la mer des Indes ^ au golfe Persique et à Tembouchure de TEuphrate. Les tribus^ ayant chacune ses mages ou sages , ses guerriers ^ ses agricul- teurs^ ses marchands^ erraient dans les vastes plaines de FAsie. La première qui s^établit à demeure fut celle des Bactriens ou Pahlavi , qui dominèrent sur toute TAsie , entre PInde et PEu- {^rate. Baik^ capitale des Bactriens , fut fondée par Caïumart^ premier roi de TÉriène, dans le lieu où il' rencontra un frère qu'il n'avait pas vu depuis longtemps : cela veut dire que deux tribus^ s^étant rapprochées dans le désert, y bâtirent d'accord une ville , ou mieux un camp fixe , dans un site éminemment favorable , sur les frontières de l'Inde et du Thibet. Les vicissitudes des rois successifs sont la représentation sym- bolique des aventures de cette population, autant du moins qu'on peut l'apercevoir par des récits où tout procède par grou- pes, et flotte entre l'imagination et la réalité, entre les faits de Phomme et ceux de la nature , la religion et l'histoire. Les Orientaux poursuivent donc, en racontant comment Mardo- kente, à la tête de beaucoup de tribus arabes, enleva Babylone à Chînzir, septième successeur de Nembrod , et y domina 250 ans. Ardjasp, chef des Assur, autre tribu des Éri^s, assaillit et prit Balk, avec l'aide d'Adossa {fletir de myrte), femme d'un de '*»*^'[J;J»*y* ses officiers, qui lui facilita la conquête de cette ville en éle- vant certains signaux ; ce qui lui valut le nom de Schem-Rami, signe élevé, lorsqu'il l'épousa. Il est facile de reconnaître dans Ardjasp> Ninus, qui, à la tète d'un million de guerriers, exécuta les merveilleuses expéditions raccHitées par les historiens classiques y et qu'il poussa jusqu'à l'Egypte et dans l'Inde. Si ces expéditions sont vraies, elles ne doivent pas être considérées comme des conquêtes, mais comme des courses semblables à celles des Arabes et des Gurdes. II augmenta Ninive sur le Tigre en l'entourant d'une muraille de cent pieds d'élévation, couronnée de mille cinq cents tours, du double de hauteur. L'enceinte entière était de quatre cents stades, ou, comme on le lit dans le livre du prophète Jonas, de t.rois journées de marche. Sémiramis, sa femme, lui succéda, et, pour ne pas demeurer fondre Var et Pars, incline à croire que dans le Zend-Avesta on parle de Perse* I^Us et défies édifiées. 198 PUBMIÈAB BPOQUB. au-desêous de son époux ^ elle rebâtit Babylone^ enlevée aux successeurs de Mardokente. On raconte «Qêsi que Sémiramis construisit l)eaucoup d'autres villes ; elle fit tailler le mont Bagistan^ en Médie, de manière à former un groupe , où elle fut représentée entourée d'une cen- taine de gardes. Elle se dirigea ensuite contre le roi des Indes avec trois millions de fantassins, cinq cent mille cavaliers et cent mille chars. Se trouvant néanmoins trop faible en éléphants^ elle fit tuer trois cent mille bœufs^ et revêtir de leurs peaux au- tant de chameaux ; afin cpie leur apparence abusât l'ennemi. Cette ruse grossière fut inutile^ et la conquérante éphoua contre la valeur de ceux qui défendaient leur pays. De retour dans ses Ëtats^ déshonorée par ses débauches^ elle fut tuée par Ninias^ son fils^ qu'dle avait tenu jusqpe-là sous une tutelle rigoureuse. Après ces créations de l'imagination orientale se trouve une lacune de huit siècles^ durant lesquels se seront succédé diverses dynasties dans l'empire de la Bactro-Assyrie , jusqu'à Sardan- PhuL La Bible est seule à parler des Assyriens comme d'un peuple célèbre , étendant sa domination jusqu'à la Syrie et à la Phénicie. Pful envallit précisément la Syrie en 753 j Tiglat-Pi- leser^ en 726 » abat le royaume de Damas; en 71 8> Salmanazar détruit celui de Samarie^ et en transfère les habitants dans kf cœur de l'Asie ; vers 707, Sennachérib porte la guerre chez les Juifs; son armée est exterminée, et peu après luinméme est tué par ses fils. Le dernier dont elle fasse mention est Assara- done ou Sardanapale (1). Le nom de ce prince indique proverbialement un homme adonné à tout genre de vices, et son impiété voluptueuse est ré- sumée dans cette épitaphe : « Passant^ écoute le conseil de a Sardanapale, fondateur de cités : mange, bois, jouis; tout le « reste n'est rien* » A cette époque, Arbace, satrape de la Médie, et Bélésis, sa- trape des Babyloniens, se révoltèrent contre lui; assiégé par eux dans ^a capitale et ne voulant pas avoir à endurer la honte de la défaite , il se jeta dans les flammes avec ses ridiesses et avec les femmes de son harem. Ce fut ainsi que devint domina- Médo-Bactria. trice la racc médo-bactrienne, qui avait Ëcbatane pour capitale. ne. (1) AssarHaddan-Pal , c'est-à-dire Assur Seigneur, dU de Pal. INSTITUTIONS BABYIiONIENNEs/ 190 Selon Hérodote , la monarchie assyrienne avait duré 590 ans. A cette race médo-bactrienne succéda plus tard celle des Ca- ànm ou Chaldéens; ^fin i Koresc (Cyrus) fit prévaloir la tribu «w-tit. des Pasargadi. Ces révolutions et ces changements de capitale dans le grand empire asiatique sont considérés généralement conune autant de successions différentes des empires assyrien^ babyl(»)ien^ mède et persan, CHAPITRE III. INSTITUTIONS BABYM>N)ENNE8. La Babylonie est située entre l'Ëuphrate et le Tigre> qui^ ve- nant d'Armmie^ coulent du nord au midi vers le golfe Persique. L^uphrate , dont le Ut est peu profond et les rives plates comme celles du Nil^ déborde à la fonte des neiges. Le premier soin des habitants dut être dès lors de créer et d'assainir le ter- rain. En effet , le pays offrait un réseau continuel de canaux mis en communication par les deux fleuves ^ et servant à Pirri- gation des campagnes, en même temps qu'ils étaient un obsta- cle aux coursçs des nomades. Le canal royal pouvait même porter de gros bâtiments. Certains lacs artificiels avaient jusqu'à vingt lieues de tour> et la terre qu'on en tira servit à élever les digues de l'Ëuphrate ^ que l'on pouvait dire partout renfermé entre un double mur^ et qui^ au besoin^ se jetait dans ces grands réservoirs. , Le terrain^ arrosé de cette manière^ produisait deux cents et jusqu'à trois cents pour un de fromont^ qùi^ de même que le panis et le sésame j, y atteignaient une hauteur incroyable. Les dattiers et les palmiers y étalaien t tout le luxe de leur végétation^ à défaut de Polivier, de la vigne et du figuier, dont il y avait di- sette comme de toute espèce d'arbres à haute tige, à Fexception du cyprès- Bâtie à peu de distance de l'Indus , de la Méditerranée , du Bibyiooê. golfe Persique, sur les rives de deux grands fleuves, au milieu de plaines fécondes , Babylone était dans la position la plus fa- vorable pour devenir la capitale d'un grand empire. Aussi se releva-t-elle de destructions multipliées, et, quand elle sue- 2aO PBEMIÈRB Î^.POQUBi comba, ce fut pour faire place à Séleucié, sur la rive du Tigre. Celle-ci, adoptée par les Arsacides, se voit remplacée à son tour par Ctésiphon, fondé par les Sassanides; et quand Gtésiphon est abattu , les débris des trois villes servent à construire Ormuz et Bagdad^ toujours dans le même voisinage. On rapporte que Sémiramis fit enceindre Babylone d'une muraille si large que six chars pouvaient y courir de front : elle éleva tout le long de PEuphrate des digues magnifiques, et sus- pendit sur les terrasses des maisons, des jardins, où les eaux amenées du fleuve éternisaient la verdure des fleurs et des ar- bres qui purifiaient et embaumaient l'air. Elle éleva un temple magnifique à Bélus, et y plaça la statue du dieu, haute de qua- rante pieds. Elle édifia pour elle deux palais sur Tune et l'autre rive de TEuphrate, et, pour les réunir, elle détourna lé fleuve de son lit , et fit construire au-dessous une route avec des bri- ques d^un ciment bitumineux, longues d'un pied environ.. Cet antique tunnel avait douze pieds de haut et cinq de large , le plafond sept pieds, et les murs latéraux vingt briques d'épais- seur; des portes de bronze en fermaient l'entrée : le tout fut achevé en deux cent soixante jours. La ville formait un grand carré de cent vingt stades sur chaque face , autrement quinze milles ; elle était partagée par PEuphrate , sur lequel était un pont dont le tablier, en se relevant la nuit, rendait le passage impossible d'un bord à Tautre. Les rives du fleuve étaient soute- nues par une muraille en briques; ses rues tirées au cordeau; les maisons avaient quatre étages, et les portes de la ville étaient de bronze. On raconte de singulières merveilles du temple de Bélus, d'une circonférence de deux stades, du milieu duquel se dressait une tour à huit étages, dont le premier avait un stade carré, et dont le dernier soutenait un trône d'or, sans statue. Il était entouré d'un large fossé plein d'eau, revêtu en briques, et la terre qu'on en avait extraite avait été employée à faire des briques pour former une digue haute de deux cents coudées. Ktcndnedcs Avaut dc rejeter ces récits comme des contes, il est néces- saire de se reporter à des temps et dans des pays tout autres que les nôtres. L'étendue démesurée des cités primitives s'ex- plique, si on les prend pour de vastes enceintes de défense, comme les murailles que , dans des temps postérieurs, Trajan opposa aux barbares du Nord, et la Chine aux Mongols. Le pa- villon du vainqueur devenait le centre autour duquel se ran- geaient ceux des autres chefs de tribus et ceux des vaincus. villes. INSTITUTIONS BABYL0NT1BNNBS. SOI H était facile à des conquérants, dont un signe décidait du sort de populations entières, de commander aux vaincus d'éle- ver des palais sur remplacement qu'occupaient leurs tentes, et de les construire avec ime régularité uniforme. Le nomade, voulant conserver autant que possible, dans ces campements fixes, les agréments de la vie errante, y renfermait des fleuves, de vastes jardins et des campagnes entières, qui s'étendaient entre les habitations. C'est pourquoi encore le pont de Baby- lone était levé durant la nuit, comme on le ferait entre deux camps ennemis, afin que l'un ne vînt pas piller l'autre. Marc Pol nous dit que la ville de Taïdu, bâtie par Cublaï-Khan, succes- seur de Gengis-Rhan, embrassait dix lieues de terrain, chacun des côtés étant d^me dimension égale; une muraille de dix pas de largeur Tenvironnait ; les rues étaient parfaitement alignées, les maisons quadrangulaires, les palais vastes, avec des cours et des jardins; à lentour, d^immenses faubourgs, de spacieux caravansérails, et jusqu'à vingt-cinq mille femmes publiques. L'Asie est dans les temps modernes ce qu'elle fut dans les temps antiques ; et Pékin, Nankin, Dehli, les pyramides d'E- gypte, les hypogées d'Éléphantine, la muraille chinoise, sub- sistent encore pour confondre le scepticisme qui nie tout ce qui lui paraît merveilleux. Le terrain offrait les matériaux propres à la construction , dans Faillie, que l'on faisait sécher au soleil ou que l'on cui- sait au four, et dans le bitume qui servait de ciment (i ) ; construc- tions moins solides que celles de granit, mais que les historiens affirment à tort avoir entièrement péri : les ruines de Ninive I^srâissent avoir été récemment retrouvées par. MM. Botta et I-ayard (2) ; et si on n'aperçoit que peu de vestiges d'Ecba- (I) On trouTe dans les grands édifices de Pacaiilambo, an Pérou, Tasphalte C^^lon) employé pour ciment Voy. Cieca, Chronique du Pérou, Anvers , ^S64, p. 284. <2) En 1843, M. BoUa, consul de France à Mossoul, fit faire des fouilles <^^ns le massif des collines sur lesquelles étaient situés les villages de Ni- ^^iGuah et de Kliorsabad, à cinq heures de caravane, dans le nord-est de Mossoul. Il ne farda pas à trouver, à Kliorsabad, un palais assyrien rempli de ^cttilpiures, dont les nombreux fragments apportés en France à grands frais arment le musée assyrien du Louvre , tandis que l'ensemble de la découverte éiait publié sous ce iiire : Monumenô de Pfinive, découvert et décrit "^par ^- Botta, mesuré et dessiné par M. Flandin; ouvrage publié par ordre du gOAivernement. Paris, ô vol. in-fol. M. Layard a tenté aussi, au profit du ^usée britannique, ^es fouilles non moins productives sur le sol de randeime 20t PBBMlàlB BPOQOS. tane et de Suze^ le cadavre de Babylone occupe encore le vaste espace de dix-huit lieues^ et Ton peut y retrouver les traces de la tour et du temple de Bélus^ des jardins suspendus ^ et de la demeure royale, de tolSiîne. ^" Sortant de Bagdad et en côtoyant le Tigre, on entre dans la plaine de Babylone (1); désert au milieu de deux déserts, on n'y voit que des briques, dont les Arabes s'emparent depuis des siècles pour élever leurs maisons ou leurs mosquées. Leur amoncellement et les excavations forment de larges vallées et de grandes montagnes au milieu de ta plaine, dans laquelle serpentent encore les canaux de Nabuchonosor, à demi obs- trués. La haute muraille que, dans sa colère, Darius fit abaisser à cent cinquante {^eds, et qui était toute crénelée, comme il apparaît par les médailles portant le Uon qui abat le taureau , et Teffigie du Jupiter de Tarse, c'estrà-dire Bélus, est encore indiquée par des monceaux de briques vitrifiées par l'ardeur dû soleil > comme si elles eussent été exposées à un feu violent. A droite de l'Euphrate on aperçoit encore les huit digues qui arrêtaient les débordements, et on peut indiquer la trace du pont de Sémiramis, long de deux cent vingt mètres, ainsi que celle de ses piles également en briques. On appelle Birs-Nem- brod, ou bourg de Nembrod, le plus ancien monument de Ba^ bylone; c'est une grande colline de décombres, ayant plus de deux mille pieds de circonférence , et couronnée par une tour haute de trente-cinq pieds seulement, de forme pyramidale, en briques cuites : on y trouve encore partout des vases vernissés et émaillés, principalement de couleurs jaune et bleue. Ce devait être le temple de Bélus , auquel Strabon donne précisément de:Ux mille soixante-deux pieds de tour. Rich fit fouiller à l'en- droit où les gens du pays disaient qu'était située l'idole, et dé- gagea un lion de granit, symbole de la puissance assyrienne. NinWé, dans le Koyundjtik et à Bab}ioDe. On peut toir Thistoire de l'état actuel de ces découyertes dans PouTrage intitulé ; Niniveh and Persepolis, by vr.s. w. Vaux, troisiènne édition. Londres, 1851. (Note de la deuxième édition française.) (1)' Niehuhr commença à t>arler des ruines de Babylone ; mais rAnglai»Ker Porter est plus exact. Rich , consul à Bagdad , les décrivit avec une précision minuUetise ; son ouvrage fut, dans ia traduction française, reyu par Raymond, ancien consul lui-même à Bassora, en 1818. On doit beaucoup de renseigne- ments an missionnaire Beauchamps. En lSi7» Mignan entreprit exprès le voyage de Ctitldée pour décrire les ruines de Babylone. INSTITUTieilA BABYlXMliNNBS. * SOS Mignon^ lorsqu'il y retourna^ irouta brisé ce monument de l'art primitif; mais il découvrit à peu de distance une statue colossale en granit doré* Les jardins de Sémiramis s que les naturels ^)pellent encore le palais, les musulmans, qui ne détruisent pas^ mais qui ne cens* truisent ni ne plantent^ cmi laissé subsister un arbre pour y attacher les chevaux; unique trace de végétation parmi les cen- dres et les décombres^ comme un vieillard survivant à la des* truction de toute sa famille. C'est un arbre étranger à ces cli- mats et indigène de l'Inde : la tradition veut qu'il soit un débris des jardins suspendus dont Sémiramis avait embelli Babylone* Que l'imagination reconstruise avec ces ruines une immense cité aux larges rues régulières^ aux maisons émaillées de fleurs^ étincelantes au soleil ^ couronnées du gracieux panache des palmiers toujours verts et des plantes les plus belles et les plus vigom^euses des tropiques; que l'on se représente les mille barques glissant sur les canaux et les nombreuses caravanes ac- courant de toutes parts avec les troupeaux de chameaux^ de cavales^ de brebis; les astronomes observant le ciel du haut des tours^ tandis que l'air est parfumé par d'épais nuages d'en- cens... quel spectacle! Et maintenant des hiboux^ des scor- pions et les insectes les plus dégoûtants s'y abritent en sûreté ; le chacal tratne dans quelque salle du palais des Abbassides la carcasse des chevaux expirés de fatigue dans le désert^ et le lion repose fier et tranquille , comme en son royaume , là où Sémiramis et Sardanapale accumulaient richesses et délices. En aucun autre lieu les extrêmes de la magnificence et de la déso- lation ne «ont si rapprochés, et nulle part n* apparaît plus ma* nifeste la malédiction de Dieu, qui, au temps où Babylone flo* rissait dans tout son orgueil , disait par la voix du prophète Isaïe : a Le Seigneur et les instruments de sa colère viennent de « loin; ils viennent des extrémités du monde pour te détruire. 204 ^ PlEMIÈaS lâPOQGE. a Gémissez^ car le jour du Seigneur approche : Babylone, la a gloire des royaumes^ Toi^ueil de la Chaldée^ sera comme « Sodome et Gomorrhe. Elle ne se relèvera plus ; en aucun c( temps elle ne sera habitée; les Arabes même n'y planteront a pas leurs tentes, et les pasteurs n'y parqueront pas leurs bre- « bis. Mais les bêtes fauves du désert en feront leur repmre; ses « habitations se rempliront de grands serpents; la huppe y c( fera son nid, et" l'autruche sautera sur les temples de la vo- ce lupté (1). » Les historiens ont tort de considérer les Assyriens unique- ment comme guerriers; car Babylone régna non moins par iQdustiie. rindustrie et par la science que par la conquête : notre Occi- dent a éprouvé son influence et s'en ressent encore. Ses habi- tants tiraient du Kerman, de l'Arabie et de la Syrie le coton dont ils tissaient leurs amples vêtements et leurs précieux ta- pis; ils excellaient dans l'art de distiller les eaux odorantes, et il n'y a pas longtemps que l'on a découvert les cylindres baby- loniens, pierres dures, naturelles ou artificielles, d'une lon- gueur qui varie d'un à trois pouces, percées de part en part, et, quel qu'en fût Fusage , portant des caractères et de pe- tites figures mystérieuses à la manière des scarabées égyptiens. La nature de leurs constructions et de leurs matériaux ex- cluait les colonnes, le plus beau des ornements architectoniques. Les substructions feraient supposer qu'ils connaissaient les voû- tes ; mais aucun vestige ne s'en retrouve parmi les ruines. La sculpture ne pouvait y fleurir, puisqu'on n'y trouvait ni le mar- bre ni la pierre, et les bas-reliefs que cite Diodore, en parlant du palais de Sémiramis , étaient probablement en terre cuite , comme ceux que nous voyons en Italie, surtout dans Tarchi- teclure du Bramante. Ges briques étaient de plus couvertes d'inscriptions, la plupart du côté intérieur; ce qui fait que les édifices sont des archives publiques et privées, comme en Egypte : peut-être nous révéleroni-ils la civilisation la plus an- tique, lorsque Tinterprétation des caractères cunéiformes , en- core à l'état d'enfance, aura fait plus de progrès. Il estdifficile de distingueras institutions propres desBabylo- niens de celles qu'y mêlèrent les Ghaldéens et ensuite desPerses. Quant à ces derniers, leur culte plus pur s'éloigne assez de celui des Babyloniens pour qu'on ne puisse les confondre, et nous au- (i) Chap. xiir. Qu'on lise le cbap. xit d^fsaie^ INSTITUTIONS BABYLOKIENNES. 205 pons à en parler dans le livre suivant, quand nous arriverons au grand Zoroastre. Pour les Chaldéens , nous inclinons à les croire une nation grossière qui adopta les institutions des Ba- byloniens et usurpa leur nom.. Une preuve extrinsèque de cette assertion paraît résulter de ce que les écrivains bibliques anté- rieurs à Nrf)uchodonosor, etceiïx qui vinrent après, nous les re- présentent dans le môme état de civilisation. Quoi qu^il en soit, malgré l'incertitude où nous laisse la disette de documents, je- tons un coup d'œil sur leurs croyances (1). Les Babyloniens avaient deux ordres de dieux, les héros di- . dic«x. vinisés et les astres. Le culte des astres semble le premier qui égara les hommes; il est peut-être excusable dans cette con- trée où les étoiles brillent d'une si pure clarté à travers un ciel constamment serein. Le vulgaire adorait ces corps lumineux dans leur forme extérieure, les prêtres adressaient leurs prières aux génies qui les animaient. Ils accouplaient aux idées astro- nomiques une idée cosmogonique que nous trouverons très- répandue dans rOrient, et qui représentait la puissance créa- trice comme divisée en deux principes, Vun mâle, l'autre fe- melle ; Tun fécondant, l'autre fécondé. C'est sous cet aspect qu'ils considéraient Bel et Militta, le soleil et la lune (2). Tous deux présidaient à la vie : le premier donnait l'animation, la seconde Faccroissement. Bel-Adad a pour cortège une série de Belim , parmi lesquels Bel-Jupiter et Bel-Vénus, astres propices; Bel-Saturne et Bel- Mars, malfaisants; Bel-Mercure, tantôt propice, tantôt nuisi- ple, selon ses aspects, et tous androgynes, unissant la force ac- tive qui féconde à la passive qui enfante. Trente astres secon- daires étaient regardés comme des dieux conseillers (3), moitié présidant aux lieux souterrains, moitié aux lieux supérieurs; les Babyloniens y ajoutaient douze seigneurs des dieux (4), auxquels étaient attribués les signes du zodiaque, et vingt- quatre constellations appelées y m^c5 des choses universelles (5). (i) Friedrich Muenter , Religion der Babilonicr. Copcnliagon, 1827. GoERREs, Mytengeschichte der Asiatischen WcU. (2) Noms reproduits diversement par ceux de Baal, BaaI-Adad , Alagabaio, Molock...., NebOy^ranie, Dercete, Astarté, Alergat.... Ce culte s'étendit dans les colonies, où l'on trouve fiaal-Bey-rut, Baal-Uammon, Baal Zebub (3) BouXaîou; Oeouç. — DioooRE. (4) Kupîov; TÛv Oecov. _ Id. (5) Aixourcàç T(ii»v&Xft>v. 206 I^RBMlàRB ÉrOQUS. U pamtt qu'ils adoraient aussi les éléments , et le Tigre > et TEuphrate, et certaines divinités nationales, comme Nisroch^ Anameluch^ Thammuz ou Adonij. L'Éariture dit expressément qu'ils divinisèrent les héros ^ et en particulier Nembrod; ils avaient en outre certains génies protecteurs qu'ils représen- taient sous Taspect de colombes^ de poissons^ de dragons^ en lutte avec de mauvais génies auxquels ils donnaient des figures monstrueuses. Méuphysiqae. Quaut à la cosmogonie et à la métaphysique^ d'après le peu que nous ont transmis confusément les étremgers et le Ghaldéen Bérose^ nous voyons qu'ils s'adonnèrent spédaleinent à étudier le côté matérid de la créatioti^ à la différence des Brahmines^ occupés presque exdusivement de l'idée* Au commencement existait, selon eux^ un chaos de ténèbres et de matière hmmde contenant des animaux monstrueux : Bel ou Dieu appariât ; et, divisant le corps de la £einme primitive^ Omorca (emblème de la nature)^ de l'une des moitiés il forme le del , de l'autre la terre; il produit la lumière qui donne la mort aux nuHistres^ fils du Chaos, et fait succéder Fordre à la confusion qu'ils ont enfantée* Enfin , avec son propre sang et avec celui des dieux inférieurs mêlé à la terre, il crée les âmes des hommes et des bêtes^ qui sont toutes d'origine divine, tandis que les cc^ps cé- lestes et terrestres sont faits avec la substance d^Omorea, au- trement avec la matière. Des événements terrildes font périr Téspèce humaine , et il en naît une nouvelle du sang d'un Dieu qui se sacrifie volon- tmrement. ÂIcm's parait Oannès , poisson-homme, qui, sortant chaque jour de la mer Rouge , vient prêcher aux Babyloniens la loi et la sagesse. Telles s(Hit ces altérations mal digérées de la tradition primi- tive : les Chaldéens les combinèrent avec des foits astronomi-* ques , dans la supposition que les événements d^id-bas àèp&or daient des mouvements du ciel. Au c(mtraire d«is liages et de» Brahmines, ils faisaient donc prévaloir la matière sur l'esprit; et, tandis que les Indiens considéraient l'univers comme ua immense spectacle que Dieu s'était donné à lui-même, les Perses comme une lutte continuelle entre le bien et le mal, Tastrono- mie religieuse des Chaldéens y apercevait une inaltérable har^ monie. D'après leur vénération pour les deux principes générateurs^ on ne s'étonnera pas qu'ils promenassent en pompe dans leurs INSTITUTIONS BABYLOMBffNBS. 207 sdeimités les symboles obscènes du Phallus et du Ctéis. Ils sa- crifiaient à teursdîeux des victimes^ peut-être même des victimes humaines. Unissant l'immoralité à la barbarie, diaque femme était obligée de se prostituer une fois dans le temple de Militta^ à un étranger^ qui lui payait le prix de l'opprobre en lui disant : Je prie la déeue Militta de fétre propice (1). Des faits qui répugnent autant à nos mœurs ne sauraient être niés comme im- possibles. On sait combien le commerce a partout altéré les notionsde la pudeur^ et combien d'exemples de coutumes sembla- bles se sont offerts aux voyageurs (2). La raison humaine aban- donnée à elle-même tombe dans un tel délire^ que dans cette maciliqiie, ^i^/. brit., t. XVIII.) Ne doit-on pas dès lors être moins incrédule «"elativeaient à oe qu'Hérodote rapfiorte des Agatireis et des Messagèles? Tant laLèumèreffiaiiti^ s'hait obscurcie sur ce point! (3) Voy.y d^ns l'Écriture, les banquets de Balthazar. Q. Curge, iib. V, ^ HOè PREMIÈBB ÉPOQUE* Les personnes instruites et les magistrats formaient la classe des Mages (1), dont les fonctions et les droits étaient hérédi- taires; mais on pouvait y être admis par adoption, comme le fut THébreu Daniel. La doctrine conservée parmi eux était d'une bien autre pureté que celle enseignée au peuple. Us croyaient à Timmorlalité de Pâme, considérée coname une émanation de la pure lumière incréée; à une Providence ré- glant toute chose, mais dirigeant tout en vue de l'homme : de là les erreurs de l'astrologie. Cette classe sacerdotale, rendue vénérable par le mystère qui Tentourait, jouissait de grands honneurs, et était très-esti- mée pour son profond savoir, surtout en fait d'astronomie. On dit qu'ils divisaient dès lors le zodiaque en 30 degrés, et chaque degré en 30 minutes; qu'ils calculaient Tannée de 365 jours et un peu moins de 6 heures, et qu'ils savaient que les étoiles étaient excentriques à la terre. La fameuse tour qui, par sa hau- teur, favorisait leurs observations, offrait à sa base et dans son élévation la mesure du stade chaldéen, qui est de ytiq de degré ou de 5,702 toises 1 pied 9 pouces et 6 lignes. Il eût donc dif- féré de 63 toises à peine de la mesure de la terre vérifiée par les académiciens français. Achille Tatius (quoique son témoi- gnage soit Wen postérieur) affirme qu'ils avaient calculé qu'un homme en courant d'un bon pas pourrait suivre le soleil dans son cours autour du globe , et arriverait en même temps que lui au point équinoxial. Il semble aussi qu'ils aient connu le gnomon solaire (2). Mais mallieureusement ils faisaient servir Fastronomie à Pimposture , et prétendaient deviner Pavenir par l'aspect des Libéras conjugesqtte cum hospUihus stupro coire , modo pretium flagitii detur, parentes marilique patixintur Feminarum.convivia ineunlium, in prinàpUi modestus est habitus ; dein summa quxque amicula exuunt, paulatimque pudmem profanant, ad ultimum {honos aurxbus sit) ima corporum velamenta projiciunt. Nec meretricum hoc dedecus est, sed ma- tronarum virgmumque apud quas comitas hàbetur vulgati cùrporis vilitas, (I) Ou croit généralement ce mot persan, et on voudrait le faire dériver de mige-gusch, oreilles coupées, nous le trouvons cependant dans Jérémie, avant que les Perses occupassent Babylonc, lorsqu'il compte un archimage parmi les principaux membres de la cour de Kabuchodonosor. ( 2) Beaucoup révoquent en doute cette science astronomique. Voy. les Actes de TÂcad^mie de Berlin, 1814, 1815; Ioeler, Ueber die Siernkunde de Chaldder. INSTITUTIONS BABYLONIENNES. 209 constellations. Leurs disciples devaient soumettre aveuglément leur raison à Tautorité qu'ils voulaient exercer. La magnificence du temple de Bélus nous permet de juger de la splendeur de leur culte : des statues d*or et d'argent, pa- rées de vêtements précieux et de pierreries, étaient portées en procession , et des mets délicats leur étaient offerts. Près de leurs divers temples habitaient des personnes employées à des offices ou à des arts divers. Près de ceux de Saturne, les agri- culteurs, les mathématiciens, les astrologues; près de ceux de Vénus, les femmes, les poètes, les peintres, les musiciens, les sculpteurs; près de ceux de Jupiter, les savants, les musiciens, les magistrats. On a conservé le souvenir de deux de leurs fêtes principales : Tune en Thonneur de Bélus, dans laquelle, selon Hérodote, il se brûlait bien pour mille talents d'encens ; Tautre ressemblant aux saturnales , dans laquelle les esclaves jouaient le rôle de maîtres. Ce rite, si Ton nous permet une conjecture, se ratta- chait à une croyance populaire chez les nations adoratrices de la nature : selon cette croyance, il était possible de retarder le soleil dans son cours en enchaînant ses images; de Taccélérer en les déliant. On représentait ainsi l'alternative de faiblesse et de vigueur que les Grecs symbolisèrent dans Hercule, tantôt vainqueur des lions et des géants, tantôt elBPéminé aux pieds d'Iole. Les Phéniciens et les anciens habitants de Tltalie tenaient la plupart du temps enchaînés Melcarte et Saturne. Quand ils les déliaient, aux jours où Pannée semble s'écouler avec plus de lenteur, ils célébraient la liberté en rendant moins lourd le poids de la servitude pour leurs esclaves. A Cidonie, en Crète, les citoyens abandonnaient la ville , où les esclaves, maîtres de la cité, pouvaient même battre les hommes libres (1). En Egypte, Hercule affranchissait tout esclave qvi se réfugiait dans son temple de Canope (2). (1) EcsTATH. , Ad Odyss., XX, lOô. (2) HÉRODOTE , II. T. I. i^ 210 PABlllBBE ÉPOQUB. (0. CHAPITRE IV. LES HÉBUEUX nomades. Indépendamment de la foi, Hiistorien doit une attention par- ticulièria à un peuple remarquable , qpi à la mission religieuse (1) Les sources les plus pures de ri|i$toire liébraïqi;ie sont les livres sain^. \\ sera bon de consulter, en outre : Flavien Josèphe, Archéologie. Berruter, Histoire du peuple de Dieu y depuis son origine jusqu'à la naissance de /. C, KELHiipi , Antiquilates sacrœ Hebraeorum. MoLiTOR, Philosophie der Tradition, Francfort, 1827; ouvrage fort inté- ressant, et traduit en français par Quris, 1837. Beke , Origines biblicœ; or Researches in primeval history. Londres , 1836. J. JosT» Àllgemeine Geschichte der Jsraelitischen Volhes. ferlin, 1832. G. S. BASEti , Manuel de V histoire des Hébreux, depuis leur établisse- ment jusqu^à leur chute. Nuremberg, 1800; avec une excellente introduction critique, soit pour l'histoire, soit pour l'antiquité (allemand). Calhbt, Histoire de V Ancien et du Nouveau Testament et des Juifs. Paris, 1737. Pastoret, Moïse considéré comme législateur et comme moraliste, paris, 1788. Il fut précédé de quelques années parle Moscs legislatoTy de Pierre Reg^s. Turin. J. J. Hess, Histoire de Moïse , de Josué, des rois de Juda et d'Israël (allemand). Il l'envisage spécialement du point de vue théocratique ; Salvador lait le contraire dans son Histoire des institutions de Moïse et du peuple hébreu. J. D. Michaelis , Droit m^osaïque et observations sur la traduction de l'Ancien Testament, Utile surtout pour les derniers temps. Goeltiugue, 6 vol. J. D. EiCHHORM, Introduction à V Ancien Testament (allemand). D. Elena, Geschichte der Mosaïschen Institutionen, Hambourg, 1836. 2 voK Pour les temps postérieurs, on pourra consulter : Basnage, Histoire et religion des Juifs, depuis /. C. jusqu*à présent, La Haye, 1716, 15 vol. LES HÉBUBUX OlpHADES. 8(1 unit la mission politique de ccmserver le passé , et de préparer^ par les croyanci^s issues de son sein^ la civilisation du nionde; à un peuple qui rattache l'antiquité la plus reculée à Tavenir le plus éloigné. Ses annales^ dépôt des traditions du genre h\x* main^ sont antérieures pour le moins à la division des Hébreux en deux fanûlles : conservées dans leur intégrité par une na- tion douée du triste privilège d^ Tinunortalité, adoptées coinjue régie de foi par les pays les plus cultivés ^ elles ont été pom* montées et (discutées de mille manières et dans tous les teipps : la critique la plus hostile n'a pu cependant mécoonaitre en elljBg tant de simplicité qu'elles ne peuvent être l'œuvre d'un injposr teur^ tant de savoir qu'on ne saurait les attribuer à un honune abusé. C^est diaprés elles que nous avon$ observé les prenûers pas du genre humain jusqu'à l'instant où il se dispersa sur )a sur* face de la terre. Moïse nous indique même les souches des dif- férents peuples et le lieu de leur établissement; ipais^ ne desti- nant pas son livre à satisfaire la curiosité^ n* ayant en vue que la religion et la nationaUté^ il se borne à noter clairement )'o- rigine de son peuple^ et celle de quelques tribus de Phéniciens eoneons ou d'Arabe§ alliés. Prencbe donc la Genèse pour fon- dement ethnographique ne serait pas plus raisonnable que d& considérer l'hébreu comme la source de toutes les langues. Panni les descendants de Sem^ il distingue Héber^ dont sont issus les Eébreux; puis Tharès, qui engendra Nacbor, Haran et Abraham. Au milieu des peuples égarés hors de la voie de vérité^ Dieu voulut en choisir un pour le diriger avec une pro- vidence spéciale^ et le constituer dépositaire des ti'aditions et des promesses : ce fut le peuple hébreu, à la tête duquel il mit Abraham. Abraham^ suivi d'une tribu populeuse et d'innombra- Abrahan. Mes troupeaux^ à la manière des Bédouins de nos jours^ passa l'Ëuphi'ate^ et s^en vint dans la terre de Ghanaan. Dieu lui pré- dit qu'il serait le père d'une grande nation^ et que tous les peù- Prideaux, Histoire des Juifs et des peuples voisins, depuis la décadence des royaumes d'Israël et de Juda jusqu'à la mort de J. C Amsterdam , 1822. La trj^ductiou frauçoise a sur l*origiual anglais l'avantage d'étie mieux ordonnée. TheOld^nd New Testaments connected in thfhistory of Jésus andtheir neighbouring nations. Londres, 1814. J. Remond, Histoire de l'agrandissement de l'État des Juifs, depuis Cyrus jusqu*à son entière destruction. Leipug, 1789 (allemand). 14. âl2 PBBMIBBB ÉPOQUE. pies de la terre seraient bénis en lui. Par la promesse du Ré- dempteur qui devait naître de cette nation^ le lien de la commune origine s'unit à celui de Tespoir commun , et la re- ligion dite de la nature se développa en religion de la loi. Possesseur de grandes richesses^ Abraham distingua sa tribu des autres par la circoncision; il creusa des puits^ fut honoré par les autres scheikhs ; et, le roi Ghodorlamor ayant emmené esclave son neveu Loth, il arma trois cent eunuque du Pharaon; puis près du Pharaon lui-même, qui le nomma son premier ministre, le chargeant de remédier à une disette qu'il lui avait prédite.  cet effet, il tira son anneau de son doigt et le donna au fils de Jacob, le fit revêtir d'une robe de fin lin, lui passa au cou un collier d^or, et, l'ayant fait monter sur un char élevé, il fit crier par un héraut que tout le monde eût à fléchir le genou devant lui et à lui obéir en toute chose. Joseph accomplit alors, en Egypte, une révolution des plus importantes; car, profitant de l'occasion de cette disette, il réunit dans la main du Pharaon le domaine de toutes les terres, faisant des propriétaires autant de fermiers. Oubliant Pinjure qu^il avait reçue, Joseph appela ses frères en Egypte, et leur assigna pour résidence les vastes campagnes de Gessen, où, continuant leur genre de vie pastorale, ils multiplièrent outre mesure. Joseph une fois mort, les Égyptiens, ne se rappelant plus les bienfaits qu'ils lui avaient dus, regardèrent ces étran- gers avec envie. La simplicité de leurs mœurs patriarcales con- * trastait trop avec les habitudes du pays ; le mépris qu'ils mon- traient pour tout autre dieu que le leur blessait les habitants dans leurs superstitions; on prenait ombrage à les voir mul- tiplier au point de pouvoir un jour l'emporter sur les natio- naux. Cependant les Hébreux, s'apercevant qu'ils étaient vus de mauvais œil, auraient volontiers emmené leurs caravanes hors de l'Egypte; mais le Pharaon ne voulait pas y con- sentir, car il tirait d^eux le cinquième du tribut payé par le pays. Il cherchait donc à les forcer de s^établir dans les villes; 214 PHIJtlÈRB lâPO(]f(TE* mais; comme ils ne voulaient pas, il leur imposait des travaux énormes, afin de réduire leur noiïîbre/et il alla jusqu^à ordon- ner aux femmes qiii présidaient aux accouchements de tuer tous les mâles c(ui ndtraient. Ces femmes, craignant plus Dieu que le roi, désobéirent, et Dieu les bénit. ^^- L'oppression approche de sa fin quand elle touche à Texcè^. Moïse, à qui Dieu destinait la gloire la plus grande, celle de libé- tateur et de législateur de son peuple, fut exposé enfant sur le Nil, recueilli par la fille du roi qui était descendue au fleuve pour se baigner, et élevé à la cour dans toute la science égyp- tienne. Il n'oublia pas pour cela son origine, et, revenu parmi ses frères, il gémit en voyant les mauvais traitements qu'ils éprouvaient des Égyptiens. Il prit plusieurs foiç leur défense, jusqu'à ce que Dieu lui inst)ira le dessein d'arracher sori peuple à sa longue servitude (1), et de le reconduire dans la terre pro- mise à Abraham , Isaac et Jacob. Dieu multipha les prodiges pour favoriser le peuple élu, et pour confondre le Hiaraon, qui, malgré ses engagements réitérés, ne consentait pas ati départ des Israélites, et les avait même dispersés dans le pays. Enfin Moïse, ayant convoqué les vieillards d^Israël, leur rappela le Dieu unique, dans lequel ils ne formaient qu'une seule nation; le Dieu qui promettait de les délivrer par son bras puissant et de faire d*eut son peuple : il les exhorta alors à sortir avec lui d'Egypte, à quitter un peuple barbare, et à emmener non-seu- lement leurs troupeau^ et leurs biens, mais à emporter encore tout ce qu'ils pourraient tirer des Égyptiens. Ce fut ainsi qu'ils quittèrent cette terre ingrate. D'abord, pour cacher leur mar- che, ils suivirent les bords de l'Erythrée, puis ils campèrent à Aieroth(2). (1) On ignore quelle en fut la durée ; la t)1upart disent 250 années. Roselum et C. Samuelli, dans VEssai de critique biblique, récemment publié à Rome, soutiennent qu'eUe fut du double. (2) Ce fut là que, 3,600 ans plus tard, Bonaparte courut risque de se noyefi alors qu'ayant découvert dans le désert de Suez le canal qui mettait la mer àonge en communication avec la Méditerranée , il s*égarà et fut surpris par la marée. EnRENBEiiG, dans un voyage fajt en 1815 , s*as5ura que la couleur de la mer Rojuge est due à une espèce d*oscillaires ^ êtres microscopiques intermédiaires entre Fanimal et le végétal , d'une famille appartenant aux astrées de Bory de Saint-Vincent. De Candolle reconnut, en 1 825, qu'un amas de cette espèce &oscillàires donnait la nuance du sang aux eaux diilac de Morat. p«!nt-ètre la teinte des eaux de la mer de Californie n'à-t-elle d'autre cause que celle-ci. LES HéBBlDX NOMADBS. S 15 Le Pharaon de ce temps, se repentant d'avoir permis le dé- part des Israélites, fit atteler ses chevaux, prendre les armes à la caste des guerriers, et les poursuivit plein de fureur. Mais Israël, parvenu à la mer Houge, la passai à plfed sec; et le Pha- raon, (|ui avait osé marcher sur ses traces> vit tous ses guer- riers submergés.  ce moment Moïse chantait, debout sur le rivage : a Gloire au Seigneur qui s^fest glorifié lui-même, qui a pré- ^•J}^* a cipité dans la mer le cheval et le cavalier (1). « Ma force et ma gloire sont dans le Seigneur qui fut mon « salut; il est mon Dieu, et je le glorifierai; il est le Dieu de « mon âme, et je Texalterai. « Le Seigneur s'est fait voir comme un guerrier invincible; a son nom est le Tout-Puissant. (( Il a précipité dans la mer les chars et Tarmée de Pharaon; « les plus grands d^entre ses princes ont été submergés dans « la mer Rouge, « Les abîmes les couvrent; ils sont tombés comme une « pierre au fond des eaux* a Ta droite, Ô Seigneur, s'est signalée par sa force; ta « droite, ô Seigneur, a frappé Tennèmi, « Et tu as anéanti tes adversaires dans Pimmensité de ta « gloire; tu as envoyé le feu de ta colère, qui les à dévorés a comme une paille. (f ) Equum et as'cehsoreth dejèdt in mare. t:*est là beritiod de câ^aliei'a la plus antique. V Iliade n'en parle jamais. Le passage miraculeux de ia mer Kouge a été nié par plusieurs écrivains, Justin raconte que les Égyptiens, regrettant d*avoir laissé partir les Hébreux , les poursuiyirent et fîjrent repousses par une tempête. D'après Diodore , les Béiiotophages des bords de la même mier auraient conservé la tradition qu'une fois les eaux s'étaient séparées en laissant entre etles un ample cbémin. Mane- THON rapporte que le roi Améno|)hi8, étant sorti pour donner la chasse à une foule d'Arabes, n'en revint plus. D'autres entreprirent de l'expliquer par des causes naturelles, en disant que Mo'isé saisit le moment de la marée basse et traversa l'isthme. Mais, quand mértie sori peuple aurait ighoré ce phénomène , six lieili^ auraient-elles suffi pour faire passer tant de monde? Les Égyptiens, de leur côté, ne l'auraient-ib pas connu ? On ne sait pas bien l'endroit où le passage s'effectua. Charles Tilstone Be&e, dans ses Origines biblices, or Researches in primeval history (Londres, 1^34), prétend que les Hébreux ne venaient pas de l'Egypte, et que la mer traversée ne fut pas la mer RoUge. Ses raisonnements sont plus ingétiieux et subtils que convaincants. 216 PHBMlèBB iPOQUB. a Les eaux se sont amoncelées sous le souffle de ta fureur; a Teau qui coule s^est arrêtée; les abîmes se sont aplanis au « milieu de la mer. « L'ennemi a dit : Je les poursniwai, je les atteindrai, je « partagerai leurs dépouilles , et mon âme sera satisfaite; je « tirerai le glaive, et ma main les exterminera. « Ton esprit a soufflé^ et la mer les a couverts : ils ont été « submergés comme le plomb dans les eaux profondes. c( Qui t'égale en force, ô Seigneur? qui est semblable à toi, a grand dans ta sainteté, terrible et admirable dans tes pro- (( diges? « Tu as étendu la main, et la terre les a dévorés. Dans ta « bonté, tu as servi de guide au peuple que tu as délivré, et tu (( l'as porté par ta puissance jusqu'au lieu de ta demeure c( sainte. « Les peuples se sont levés dans leur colère; les Philistins « ont été saisis de douleur ; les princes d'Édom ont été trou- « blés; répouvante a surpris les forts de Moab; les habitants a de Chanaan ont séché de crainte. a Que répouvante et l'effroi de ton bras vigoureux les enva- se hissent, ô Seigneur; qu'ils deviennent immobiles comme une c( pierre jusqu'à ce que ton peuple soit passé ; ce peuple que a tu as fait le tien. a Tu le conduiras, tu l'établiras sur la montagne de ton hé- « ritage, dans la solide demeure que tu t'y es construite, ô Sei- « gneur; dans ton sanctuaire, ô Seigneur, que tes mains y ont a fondé. « Le Seigneur régnera dans Pétemité et au delà de tous les a siècles. « Le Pharaon entra dans la mer avec ses chars et ses che- « vaux , et le Seigneur a fait retourner sur eux les eaux de c( la mer; mais les fils d'Israël ont passé à sec au milieu des « eaux. » Ainsi chantait Moïse, et, après lui , un peuple innombrable répétait en chœur : « Chantons le Seigneur qui s'est glorifié « lui-même; qui a précipité dans la mer le cheval et le cava- « lier. » A cette sublime poésie, Israël , à peine racheté , prenait son essor ; une aussi haute idée de la Divinité était présentée à une nation sortie naguère d'un pays où Pabjection' allait jusqu'à l'adoration des créatures. LIS HBBAEUX ITOMADSS. 217 Moïse conduisait six cent mille hommes pouvant porter les armes (1), ce qui donnait environ deux millions d'individus^ et les dirigeait vers la Palestine; pays parfaitement choisi^ car ils n'auraient pas été de force à lutter contre les peuples de l'Eu- phrate ni contre la puissance des Phéniciens. L^Yémen était trop éloigné^ tandis que les petites nations de la Palestine pou- vaient être facilement domptées. Le voyage à faire pouvait être de trois cents milles ; mais Moïse voulut retenir son peuple dans le désert le temps nécessaire pour qu'il i)erdît entiè- rement les idées profanes contractées durant un long séjour parmi les étrangers et dans les habitudes avilissantes de la ser- vitude; afin que^ reprenant la tradition nationale d'Abraham et de son alliance avec Jéhovah , il apprît à mettre toute sa con- fiance dans son Dieu, qui se manifestais par de continuels pro- diges (2), et s'accoutumât à la loi nouvelle. Comme cette^première doctrine que Dieu dispensa à l'homme en même temps que la parole, et que les patriarches avaient transmise, s'était obscurcie, il plut au Seigneur de révéler de nouveau sa volonté ; et des cimes du Sinaï il donna à Moïse le Décalogue, dans lequel est résumé tout ce qui forme la morale de rhomme et la civilisation des peuples. L'unité de Dieu proclamée en tête de la loi emporte l'unité de l'espèce, et dès lors l'égalité parmi les hommes : la défense même des mau- (I ) Selon Wallace {Dissertation sur les populations des premiers temps, Amsterdam, 1769), un seule couple, en treize pério^les, c*est-à dire en 433 ans 1/3, produit 24,576 individus. En supposant que les soixante^sept personnes entrées en Egypte ayec Jacob y fussent restées 430 ans, on aurait 1,646,592 individus. Otez la moitié de femmes, ôtez encore un quart d'enfants et de vieillards incapables de porter les armes, et vous aurez 617,472 combattants. La Bible en donne 600,000. (2) (t On m'assura, à Basra, que la manne, appelée tarands jubin, se récol- tait en grande quantité dans le pays d*Ispalian, sur un buisson épineux que je me fis montrer. Elle consistait dans de petites graines jaunes et avait la même forme que celle des Israélites. On voit, dans le désert du Sinaï , beaucoup dé l)roassaillcs épineuses , presque à la même hauteur qu*Ispaban. C'est là peut- être la manne dont les Hébreux se nourrirent pendant leur voyage. Mais si les iits d'Israël en eurent durant toute Tannée, excepté le jour du Sabbath, cela ne put se faire que par miracle, car le tarands jubin ne se trouve que dan» certains mois. Je ne sais si l'on cultive la canne à sucre ailleurs que dans l'Yémen; mais, quand même les Hébreux n'auraient eu dans le désert que le tarands jubin , ils devaient le trouver fort agréable. Dans le Kurdistan, à Itfosoui, Merdin, Diarbekir, ispahan, et très-vraisemblablement dans d'antres ailles, on emploie la manne au lieu de sucre pour la p&tisserie et pour l'assai- sonnement des mets. » — Kiebuhr, Description de l* Arabie, p. 129. 2t8 PBcmiXÉ ÉfHtfQtB.: vâises pensées sanctionne rindividualité) et fait qiiô chaciih se croit et se reconnaît un être digne de respect. Moïse eût à lutter contre l'entêterticht d'un peuple rude et grossier qui , tandis que son prophète lui préparadt en dix li- giïes les règles de la vie, sacritiait au bœuf Apis et* répondait aux bienfaits pdr des miirmitres. Le patriarche moiirUt avant d'avoir pu le conduire jusque dang )a terre promise^ à Tâge dé cent vingt ans , et il ne s'éleva plus dans Israël utl prophète semblable à lui, qui vit Jéhovah face à face (4). -'^ ' - -■ ■ - - ■■ ■ ■ '^ CHAPITRÉ V. INSTITUTIONS MOSAÏQUES. Moïse fut en effet le plus grand homme que connaisse l'his- toire. Il fut tout ensemble poëte et prophète , le premier des historiens, législateur, profond politique, Ubérateur. Comnient se fait-il qu'il ait exposé, il y a tant de siècles, des doctrines que la physique et la géologie n'ont vérifiées que d'hier? S^il était un imposteur, pourquoi se contenter de rap- peler simplement des faits dont l'intelligence n'était pas prépa- rée? Ne dirait-on pas qu'il ne fit qu'écrire sous la dictée et sans que lui-même comprît parfaitement son œuvrç ? Ses lois elles-mêmes supposent une science tellement antici- pée^ qu'elle en ferait un miracle. Sans ambition , il ne recher- cha le pouvoir m pour lui ni pour son frère; mais il voulut, de l'état de hordes errantes, élever son peuple au degré de na- tion stable, en la constituant dans les trois grandes unités de Jéhovah, d'Israël, du Thora, c'est-à-dire un Dieu, un peuple, line loi. Les codes modernes se bornent presque à protéger la posses- sion et la transmission de la propriété , et à empêcher le mal, en oubliant la famille et les citoyens. Les anciens législateurs (1) Beaucoup ont voulu reconnaître Moïse dans Bacchus, qui natt de deux mères, en Egypte, est sauvé des eaux, et pour cela est appelé Misa. Élevé sur le mont Nisaï, métastase de Sinaï, il punit Persée^ roi de Thessalie, parce qu'il empêchait de sacrifier aux dieux ; il va à là conquête des Indes ; il est re- présenté les cornes au front , «te. INSTITUTIONS XCftSAÏQUSS. S19 presc^itaient de pliis h bien, et descendaient aux plus petits dé- tails du culte, de la police et de la salubrité. Ainsi le code mo^ saïque embrassa depuis les plus hautes combinaisons de la po- litique jusqu^aux habitudes domestiques^ en ayant toujours en vue l'affermissement du caractère ilational et de la moralité. La religion, d^une morale sévère, pleine de confiance dans la caite. Providence, n^est pas une doctrine secrète; mais elle établit une église nationale , Une théocratie régulatrice de la yie : ce n'est pas un ingénieux tissu d'idées métaphysiques , sans influence sur les actions, mais un vif et assidu contact avec Dieu, entre la terreur et Tamour. Les sacrifices étaieht la partie principale du culte. Ils se divi- saient en holocaustes et en expiatoires , selon que la victime était brûlée en tout ou en partie. Mais ils n'étaient pas le but , comme chez les gentils , ils étaient seulement le moyen. Aussi un de leurs prophètes et de leurs juges disait-il : a Est-ce que « le Seigneur veut des holocaustes et des victimes, et non pas - « plutôt obéissance à sa voix (1) ? » Dieu s'écrie par la bouche d'un autre : «Que me fait l'abondance des victimes? Croyez- « vous que je me rassasie de leur sang et de leurs holocaustes? « J'ai en abomination vos hymnes, vos fêtes et vos prières. Pu- a rifiez vos cœurs; ôtez de mes regards l'iniquité de vos pen- «sées; cessez les œuvres perverses; apprenez à bien faire; a cherchez à acquérir le jugement; secourez Topprimé; rendez a justice à Porphelin; défendez celui qu'on persécute (2). » Les pompes religieuses, principal luxe d^Israël, rappelaient 4es fastes de la nation. Ain^lors de la solennité de Pâques, si l'enfant en demandait le motif à son père, celui-ci lui répondait : C'est en méfnoire du jour où le Seigneur nous délivra de Vop- jpression étrangère (3). Et quant aux azymes, ils mangeaient pendant sept jours du pain non levé : ils se rappelaient Fesclar vage durant lequel ils avaient éprouvé combien est amer le pain de Texil (4). Aux temps fixés, ils se rassemblaient tous autour du tabernacle qui avait voyagé avec eux : ils se souvenaient de Dieu et de la gloire de leur nation ; ils recevaient la parole Mainte de la I)ouche du pontife ; et dans la paisible joie du ban- (1) Samuel. (2) ISAÎE, ch. t. (3) Exode; Xll. (4) Deutéronmnef xvi. 220 PEBKIÈEE iPOQUB. quet religieux ^ ils ravivaient le sentiment de la fraternité et de l'iinité nationale, constitaiioii. Moïse avait appris en Egypte à détester la monarchie et Fin- humaine distinction des castes. Israël, au désert, se retrouva un dans la descendance d^Abraham comme dans Tespoir du Ré- dempteur 3 et égal y puisque d'esclaves des Pharaons, tous s^é- taient élevés à une liberté qui n^avait été ni octroyée ni con- quise par une classe pouvant en tirer un droit de supériorité. C^est pour cela que la constitution donnée par Moïse n'est ni monarchique, ni aristocratique, nj démocratique. Son premier article dit : Je suis Jéhovah ton Dieu, qui fai délivré de VÉ- gypie. Dieu est donc le Seigneur spécial des Hébreux : de là dérive la seule souveraineté légitime et Pégalité de tous, aux yeux de Dieu , ou du chef donné par lui , comme récompense ou comme châtiment. Moïse ne voulut donc pas être roi ; il ne voulut pas transmettre à sa famille le commandement. Aussi ses fils restèrent-ils confondus parmi les lévites ; et pour accom- plir rheure de la délivrance, on choisit le plus digne : ce fut Josué. Les législations des autres peuples ne surent pas ainsi com- biner entre elles Tautorité qui conserve et celle qui perfec- tionne, de manière à obtenir le progrès dans Tordre. Nous le voyons ici se faire jour dans les rapports entre le pouvoir légis- latif sacerdotal et le pouvoir exécutif laïque. Ils ont pour mé- diateur un troisième pouvoir spirituel , véritable centre de la hiérarchie, parce qu^il veille sur la doctrine de même que sur Fobservance de la loi, et sur la conservation des institutions civiles et ecclésiastiques. Cette autorité suprême réside dans soixante anciens, élus parmi les plus sages des douze tribus. Ils appliquent la loi aux cas particuliers, selon le sens déclaré par les prêtres, et ont pour chef le prophète, qui, siégeant ainsi à la tête du pouvoir spirituel, prépare le développement moral, en ayant toujours lé regard fixé sur Tavenir. Sous les juges, la puissance civile executive et Fautorité spirituelle se trouvaient confiées à un seul. Le sacerdoce est héréditaire dans la tribu de Lévi, le pouvoir conservateur devant se lier au passé par Thérédité. Le souve- rain pontife, assisté par les princes des prêtres , résout tous les doutes qui peuvent s'élever sur l'interprétation de la loi. Le gouvernement est néanmoins tout autre que sacerdotal , et les prêtres ne constituent pas, comme chez les Orientaux, une INSTITUTION MOSAÏQUES. 221 caste^ gardienne privilégiée du savoir et du culte. La tribu de Lévi n^a point de m^ystères et de fraudes à se transmettre; elle est^ au contraire ; obligée de faire connaître à tous les livres sacrés dont elle est dépositaire. Elle n'a pas même une action directe dans le gouvernement : û elle retire des dîmes une existence aisée, elle n'a aucune province en propriété. Elle est dispersée dans le pays partagé entre les autres tribus^ et on évite ainsi les abus que produit ailleurs l'étroite réunion des prêtres entre eux. Quand parfois les prophètes se mettaient à la tête des affaires^ ils le faisaient au nom de Dieu; et lorsque Israël voulut avoir un roi, ils se réservèrent le droit d'opposition lé- gale^ comme il apparsdt spécialement dans l'histoire d'Élie. Dans tous les temps ^ nous retrouvons le peuple^ ou ses rc- prés^itants^ convoqué pour statuer sur les plus graves ques- tions (1). Quoique d'abord ils n^eussent pas de roi, le principe monarchique n^était pas exclu. Seulement il leur était com- mandé de ne pas choisir un prince de nation étrangère, mais d'élire celui que Dieu indiquerait parmi leurs frères ; et de ne pas lui laisser avoir un sérail de femmes, ou d'immenses tré- sors, ou trop de chevaux, afin qu'il ne les réduisît pas en es- clavage (2). Quant à la sûreté intérieure, la loi disait : Ne so^/ez point ho- Lois pénales. micide; celui qui tue mourra, La peine capitale y revient fréquemment; moins souvent celle des coups de verges, mais jamais au delà de quarante, afin que l'homme ne demeure pas difforme. Aucune distinction entre le riche et le pauvre, entre l'ignorant et le savant. Un témoin ne suffit pas pour attester la vérité, il en faut deux ou trois. Celui qui fait un faux témoi- gnage encourt la même peine qu'il a voulu faire infliger à Pm- nocent. Les fils ne sont pas punis pour les pères , ni ceux-ci (1) Jétbro dit à Moïse: « Choisissez d'entre tout le peuple des hommes « Termes et courageux , qui craignent Dieu, qui aimeut la Yérité et qui soient « ennemis de ravarice» et faites qu*ils rendent justice au peuple, et qu'ils vous « rapportent toutes les affaires les plus difficiles. » Exod » XVIII, 21 , 29. Les chefs se rassemblaient dans Sichem pour élire le roi. Ils disent à Roboam : « Diminuez Textrôme dureté du gouvernement de votre père et de ce joug très- « pesaut qu'il avait imi)osé sur nous, et nous vous obéirons. » Plus fard , ils nomment roi Jéroboam. llI,Reg. xii, 1, 4, 20. David tient conseiUvec les tribuns, les centeuiers et tous les principaux du pays, et il leur dit : « Si vous « êtes de l'avis que je vais vous proposer, etc. n Véritable gouvernement cons- titutionnel. (2) Deuiéron-t xvn. .... : ' 222 PBRM1BRB jiPOQUB. pour leufô enfants; chacun l'est pour son propre méfait; et aucun coupable ne se rachète à prix d^argent. Les anciens de chaque tribu jugeaient aux portes de la ville, au nombre de trois, ou de sept, ou de vingt et un , selon Fim- portance de la cause. S'ils ne se trouvaient pas assez informés, ils devaient la renvoyer à des juges supérieurs^ et, s'il en était de même de ceux-ci , les prêtres prononçaient en dernier res- sort. Les rabbins nous apprennent que dans le$ affaires capitales il était procédé avec le calme examen que mérite Une décision ir- réparable. Les témoins entendus, la cause était remise au len- demain, et les juges, retirés chez eux, prenaient peu de nourri- ture et point de vin. Puis, au point du jour, ils se réunissaient, deux par deux, pour discuter à leur aise. C^elui qui avait opinp pour Tabsolution ne pouvait revenir sur son premier avis; de même celui qui s'était prononcé pour la condamnation. La sentence rendue, Taccusé était conduit au lieu du supplice, hors de la ville. On proclamait son nom, son crime, l'accusa- teur, les noms des témoins, en invitant à comparaître quicon- que saurait comment le disculper; et deux juges se tenaient constamment à ses côtés, pour le cas où lui-même aurait quel- que chose à alléguer. Il pouvait être reconduit jusqu'à cinq fois devant la cour pour se défendre; mais, s^il était reconnu cou- pable, on Penivrait de vin, dans lequel était mélangé de Ten- cens, de la myrrhe et autres épices, pour lui ravir le sentiment de la douleur. Les supplices étaient atroces : ou le condamné était lapidé, ou on lui coulait du plomb dans la bouche, ou il était flagellé jusqu^à la mort, Ou on lui arrachait les yeux, ou on le faisait bouillir; parfois même on le sciait en deux. L'idée de la justice, innée chez Phomme, s^était convertie en celle de vengeance ; et les parents d'un homme tué se croyaient en devoir de lui donner satisfaction par l'extermination de l'ho- micide. De là les excès trop faciles dans la colère , qui ne sait pas discerner l'assassin de celui qui a causé la mort par accident ou par suite de provocation. Les asiles venaient en aide aux coupables : Moïse avait désigné six villes où les meurtriers pourraient se réfugier en sûreté contre les effets de la vendetta. Cependant les tribunaux étaient saisis du cas sur l'instance des offensés : quand Paccusé ne paraissait pas coupable et n'avait, eu aucun motif de haine contre celui qu'il avait tué, il demeu— INSTITUTIONS |ip}»AÏQyBS. 2%i rait protégé par la loi; et souvent il i^estait dans la ville prpteo- ^fice^ soi^ là surveillance du granjd prêtre^ jusqu'à ce que la haine se fût apaisée et que l,e temps eût fariné la blessure. Quant à ^assassinat préii^édité^ les ^tels n^éu^es n'aura^e^t pas donné de sauvegarde à son autepr. Israël ayant à conquérir ses foyers, il importait que sa milice Am^es. fut bien organisée. Chacun, au besoin, était soldat. Avant d'at- taquer une ville, op devait lui offrir la paix, et, lorsqu'elle se rendait, épargner ses citoyens. Le butin se partageait entre les combattants (1). Il est écrit : «Tu feras les machines avec de9 ^ arbres inutiles , non avec ceux qui portent des fruits. Les ar- abres sont-ils tes euneoûs? Pourquoi donc les déracine^tut (f. Ne plonge pas Tépée dans le corps de Tennemi désarmé et «suppliant. » Au moment d'engager la bataille, le prêtre exhortait les combatta^its à répudier toute crainte , en disant que pieu ne comptait pas ses adversaires : puis les capitaines adressaient ces mots à chaqup bataillon : « Ëst-il quelqu'un qui «ait bâti une n^aison, et ne Tait pas habitée encore? qui ait fj planté une vigne, et n'en ait pas recueilli le fruit? qui ait pro- « mis d'épouser une jeune fille, et ne Tait pas fait ? Qu^il retourne 8 au logis? Ëst-il quelqu^un qui ait peur If Qu'il retourne au lo- i^ gis, et n'ôte pas le courage à ses frères. » La conquête de la terre promise une fois achevée, Tagricul- Économie pâ- ture, ce puissant mobile de rattachement au sol, devait contri- buer à l'établissement des Hébreux. Moïse distribua le territoire aux tribus et aux familles, et fit en sorte que le partage demeu- rai autant que possible inaltérable. Les biens se transmettaient aux fils par Thérédité ; Faîne prenait double part.  défaut de Qiâles, les filles héritaient 5 mais elles étaient obligées de se ma- rier dans leur propre tribu. Les préceptes de la charité, l'amour de la famille et de la tribu rivé au cœur de tant de manières <ïu'il ne s'est jamais éteint dans les déj^ris dispersés de cette na- tion , faisait qu^un Israélite pouvait difficilement tomber dans la ûiisère, eu égard surtout à la vie simple d^alors. Si l'un d^eux ''Outefois était obligé de vendre ou d'hypothéquer ^héritage de ^s aïeux, au retour du jubilé, tous les 50 ans, il rentrait en libre Possession du fonds paternel; de plus, tous les 7 ans, l'Israélite ^^venu esclave recouvrait sa hberté. Aussi, un homme était-il plongé dans la dernière indigence, les familles n'en subsistaient (i) Deutéronome, XX, 324 PKEUIÈBB ÉPOQUE. pas ittoins; et c'est précisément sur les familles que doit se por- ter ^attention du législateur. La mendicité restait inconnue où les richesses ne pouvaient s^c>cumuler longtenïps. Chacun cultivait son propre champ, gardait ses propres trou- peaux ; aussi bien Naboth , propriétaire d'une petite vigne , que Booz , l'aïeul de David. Chaque septième année les champs devaient se reposer; le peuple trouvait sa subsistance dans les magasins publics où Fon gardait ea réserve Papprovisionnement de trois années.. Les fruits spontanés de la terre étaient abandonnés aux étrangers ^ aux esclaves , aux servantes, aux mercenaires. La défense de récolter les fruits d'un arbre avant cinq ans , et de semer trois fois de suite un champ avec le même grain , montre combien le législateur connaissait profondément l'agriculture pratique. On a observé que les premiers-nés des animaux sont d'ordinaire débiles, ce qui fait que les éleveurs ne les choisissent jamais pour la reproduction. Telle est peut-être la cause qui porta Moïse à prescrire aux Hébreux de sacrifier les premiers-nés des troupeaux. Il empêcha ainsi l'abâtardissement des races, et exclut des sacrifices les bêtes monstrueuses ou mutilées. Il fit preuve d'un esprit non moins pénétrant lorsqu'il défendit les al- liances avec des étrangers, et qu'il voulut que les fenmie^ fus- sent respectées dans leurs jours critiques (1). popuiauon. Aucune autre nation n'accompht mieux que les Hébreux le précepte : Croissez et multipliez; car le respect professé pour la paternité et la subdivision de la propriété contribuèrent effica- cement à augmenter la population. La bénédiction la plus sou- haitée était un grand nombre d'enfants, croissant autour de la table, comme les rejetons de l'olivier. Ajoutez-y l'espoir, pour risraélite, que de sa propre descendance pouvait naître l'Em- manuel; d'où venait le soin attentif avec lequel on conservait les généalogies. Aussi le jour du mariage était-il une solennité / pour la tribu, de même que celui de la circoncision; aussi le nouvel époux était-il , durant une année , dispensé du service militaire et de toute oUigation personnelle. Comparaison Taudis Quc la religiou ccKnmandait aux Chananéens, aux 8V6C d'autres a v» y légisutions. Moabitcs, aux Anunonites, d'inamoler à la Divinité leurs pro- (l) Le docteur Kahn, dans le Traité de police médicale sur les lois sani- taires de Moïsef prouve combien il y était entendu. — Augsbourg, 1B33 (al- lemand). INSTITUTIONS MOSÀÏQtBS. 225 près enfants; que la jalousie^ la débauche^ la superstition en- seignaient aux peuples orientaux la castration^ Moïse la défen- dait rigoureusement^ et il excluait les eunuques de tout droit civil. Chez les peuples voisins^ un despote héréditaire imposait pour loi sa volonté : ici, le gouvernement représentatif et un code de lois substituent à Parbitraire la règle écrite et le bon sens du plus grand nombre. Ailleurs, une caste sacerdotale est la dépositaire mystérieuse du savoir et des traditions : ici, tout Israël lit, étudie, sait par cœur le livre du dogme et de la doc- trine. Ailleurs , la magie et la divination épouvantent et obs- curcissent les esprits : ici, il est interdit de consulter les devins et les mages, et, s'il s'élève un faux prophète disant avoir eu des songes, qu'il soit lapidé. Uétranget*, chez les autres nations, était regardé comme profane; Moïse, au contraire, recom- mande les égards envers eux : « N'attristez pas l'étranger et ne « le blâmez pas ; aimez-le comme V\m de vous ; rappelez-vous qui en fait un précepte, XXIX, 7. Philon dit que le grand prêtre des Hébreux priait pour les nations étrangères. Autour du temple de Jérusalem se trouvait uu portique où les étrangers venaient prier librement. T. I. ib FunlUe. Défauts ( de te loL 816 FBB1USRB BPOQUB* de Tobie^ ofirent une pureté d'amour qui fait déjà pressentir la sainte dignité du mariage chrétien. , Le gouvernement patriarcal est la base des règlements doh mestiques de Moïse ; mais le père n'a plus le droit de vie et de mort y qui continue chez les autres nations: il pouvait bien vendre son propre fils^ mais aux seuls Hébreux^ et non pas ir- révoca])lement. Que si le fils s'obstinait dans le md, le père le remettait aux magistrats pour qu'il en fût fait justice publique La polygamie fut tolérée; mais des lois prudentes et l'exem- ple des patriarches la modéraient. Le mari ne pouvait chasser la fenunè de son logis ni la répudier; ou^ s'il en avait de justes motifs^ il devait en former la demande avec Tintervention d'un lévite^ qui d'abord essayait de ramener la concorde; s'il n'y réussissait pas^ Pacte de divorce était remis à la fenune en at- testation de sa liberté et de son droit à contracter un nouveau mariage. Il faut néanmoins^ pour cette législation comme pour toutes les autres ; se transporter au temps où elle fut donnée , consi- dérer le peuple auquel elle était destinée^ peuple dont le natu- rel opiniâtre ne lui peimit jamais d'avoir son entier accomplis- sement; il faut y voir en outre beaucoup de figures et de symboles. De même que tous les codes antiques^ indépendam- ment des règlements du culte^ celui des Hébreux descend à des particularités tout à fait inusitées dans les nôtres. Il prononce la peine de mort contre quicoàque bâtit sa maison avec peu de scdidité et sans balustrade aux terrasses^ contre quiconque laisse en liberté un bœuf furieux; il règle l'étoffe et la forme des vêtements^ défend de raser la barbe et les cheveux. D'au- tres prescriptions encore sont dictées par le soin qu'apportaient les anciens législateurs à maintenir la distinction des races et à conserver à chacune son caractère propre, mnsi que le rang qui lui était échu. De là cette attention à former les mœurs par l'é- ducation, et à fonder la force des empires, non pas comme au- jourd'hui sur un peu plus ou un peu moins d'argent et sur cer^ taines combinaisons presque mécaniques, mais sur une manière générale de penser, adoptée par la nation dès son origine. Voilà pourquoi Moïse, chef d'un peuple entouré d'idolâtres et porté à l'idolâtrie, fut contraint de proscrire toute effigie quelconque, et d'interdire ainsi le progrès des beaux-arts. De là encore sa recommandation continuelle de repousser les mœurs étrangères : « Je suis le Seigneur ton Dieu. Tu n'agiras INSTITpTlOlfS MOSAÏQUES. 227 ff pas selon les cautumes du pays d'Egypte où tu as demeuré; a tu ne te conduiras point selon les mœurs du pays de Cbanaan^ c où je te ferai entrer; tu ne suivras point leurs lois; tu exé- c cuteras mes ordonnances; tu observeras mes préceptes^ et tu « marcheras selon ce qu'ils te prescrivent (1) . » C'est à quoi ten- dait la circoncision^ de même que la distinction des mets en purs et en impurs. Indépendanmient d'un but de santé dans l'exercice de ces mortifications qui ont aussi tant de part à l'é- ducation morale, ce dernier précepte empêchait le peuple de âe familiariser avec les étrangers ^ aux tables desquels il ne pou- vait s'asseoir. Nous croyons encore devoir attribuer à cela le silence gardé sur une vie future. Ceux qui de ce silence ont déduit que les Hébreux n'avaient aucune notion de l'immorta- lité de l'âme^ sont démentis par l'ensemble de toutes leurs ins- titutions et par leurs cantiques perpétuellement animés de la pensée d'une seconde vie; ils sont démentis par la secte des saducéens^ tenue pour hérétique parce qu'elle la niait. Mais les Hébreux sortsdent de l'Egypte, où les morts étaient plutôt l'ob- jet d*un culte que d*un souvenir respectueux , et où l'inégalité sociale était fondée sur la diversité de l'origine des âmes; ils étaient voidns des Phéniciens , qui portaient le deuil d'Adonis. II fallait donc écarter tout ce qui pouvait entraîner des esprits vulgaires à des superstitions de cette nature. C'est ainsi que la barbarie du temps justifiait le fréquent usage de la peine de mort^ et que l'état du peuple explique ces {H'ejBcripticais si éloignées de la morale évangélique. C'est en- core parce que le genre humain n'était pas alors susceptible d'une éducation plus élevée, ou parce que le législateur n'osa pas toucher à une institution sur laquelle reposait toute l'éco- Qomie politique des anciens, qu'il conserva l'esclavage. Il est e«î1«v«. Vrai qu'il chercha à l'adoucir : la femme prisonnière, après une année employée à pleurer son mari et ses parents, pourra être épousée : elle ne sera renvoyée que libre ; peine de mort à celui qui vend ses frères libres; l'Hébreu ne demeurera esclave que six années, la septième il partira affranchi avec sa femme. La loi ajoute : a Donne4ui le pain et le vin pour son voyage ; et de « plus, ne l'oublie pas ensuite : rappelle-toi qu'il t'a servi fidè- « lement pendant six ans, et que toi-même tu fus esclave. Tu ne « remettras pas à son maître l'esclave qui se réfugie chez toi; (l) Lévitique,%ym. 15. 22d t>ftBMI£BE iPOQVt. «mais qu'il habite dans ta ville et ne soit nullement contrist& 0 par toi. N'opprime pas comme des mercenaires et des colons « les Hébreux réduits en esclavage, parce qu'ils sont miens e-^ « que je les ai tirés de la terre d^Égypte (1). » Ailleurs nou,s trouvons maudit le trafic des esclaves (2). Le serviteur s'asseyait à table avec son maître (3) : quiconque le tuait était puni de moil^ à moins que ce n'eût été l'effet d^un accident 5 si on lui cassait une dent, il était affranchi sur-le-champ. Le repos légal du septième jour et de la septième année était encore une halte pour la fatigue de Pesclave; premier soulagement apporté par la religion à ses souffrances. Sa position était ensuite adoucie par la charité, à laquelle Moïse avait déjà donné Pimpulsion. Beaucoup de ses préceptes respirent une bienveillance digne d'avoir devancé le précepte nouveau du Christ : a Qu^il n'y ait « parmi vous ni indigents ni mendiants. Si quelqu'un de tes « frères ou de tes concitoyens est dans le besoin, ne ferme pas a l'oreille, ne serre pas la main, mais prête-lui du tien. Ne re- « cherche pas la vengeance, et ne te rappelle pas les injures de « tes frères. Ne te présente pas en jugement contre ton propre a sang. Ne méprise pas le pauvre, et n'aie pas égard au riche (( en rendant la justice. Ne diffère pas jusqu^au matin le salaire « de Pouvrier. — Ne fais tort ni à la veuve, ni à l'orphelin, st- « non ils crieront contre toi , et je les écouterai. Ne dis pas « d'injures à ton père, et ne mets pas d'entraves sous les pieds « de l'aveugle, si tu crains le Seigneur. N'opprime pas par Tu- « sure celui qui est dans le besoin ; donne-lui le moyen de vivre, « et ne lui demande rien pour le surplus qu'il a récolté; et ne « prends pas en gage le vêtement de la veuve. Alors que tu ré- a clames une dette de ton prochain, n'entre pas dans sa maison « pour lui prendre un gage; mais reste dehors, et il te donnera « ce qu'il aura. S'il est pauvre, que son gage ne passe pas la c< nuit près de toi; mais rends^le-lui avant le soir, afin que, do^ « mant dans sa couverture, il te bénisse et que tu trouves jus- a tice près du Seigneur. — Lève-toi à l'approche d'ime tête « blanchie, et honore la personne du vieillard. — Quand tu c( moissonnes , ne scie pas le blé près de terre, et ne ramasse a pas les épis tombés. Ne reviens pas dans la vigne pour cueillir (1) Levitique» XXV. (2) Deutéromme, XVI, 11, 14. (3) Joël, IV, 1, 8; Isaïe, XXUI, 1 ; Âmos, 1, 9. BEPUBLIQUB PKOBAAT|VB. â29 « les grappes oubliées; mais laissa glaner et grapiller les pau- a vres et les passants. Fais-en de même des olives; ne reviens « point sur tes pas pour les chercher, mais que Tétranger, la a veuve et l'orphelin les cueillent. Si tu trouves un nid et que -a tu y prennes les petits sa^s plumes^ laisse au moins ta mère, a Ne lie pas la bouche du bœuf lorsqu^il bat le grain sur toil « aire. Si tu vois errer^ perdus, le bœuf ou la brebis de ton a frère ^ ramène-les-lui, bien qu'il soit éloigné et que tu ne le a connaisses pas. Agis de même pour son àne^ de même pour a son vêtement. Si la jument de ton frère tombe en chemin, a relève-la. » CHAPITRE VI. RÉPOBUQUES FÉD^iTIVES. Après que Moïse eut amené le peuple de Dieu jusqu'à l'en- trée de la terre promise^ il le bénit ^ lui rappela les prodiges opérés par Dieu en sa faveur, et mourut. Alors Josué, s'étant mis à la télé d'Israël , traversa le Jourdain, prit Jéricho et sou- mit le pays de Ghanaan (1) , qu'il partagea entre les tribus. Mais, pressées de se procurer des demeures stables et de se distribuer les terres, les tribus les plus puissantes s'emparè- rent des territoires les plus vastes;, les autres se choisirent un asile comme elles purent; la tribu de Dan dut même s^établir à gauche de Ja Judée proprement dite. Ce fut ce qui les empêcha d'exterminer entièrement les habitants de la Palestine, et les petites populations, demeurées dans le pays, furent les éternelles ennemies de ceux qui l'avaient eïh vahi. Les Arabes errants, les Ëdomites et les Philistins, peuple qui , sorti de TÉgypte^ avait d'abord habité Chypre et donné ensuite son nom au pays, troublèrent incessanunent et la na- tion et son culte. Les tribus n'étaient pas soumises l^une à Tau- ( 1 ) Procope, dans V Histoire des Vandales^ liv. Il» dit qu'il existait chez eux une certaine iuscription portant : « Itous fuyons de la face de Josuë , fils de « Ka?e » Us s'arrêtèrent entre Ascalon el le port de Gaza; et de là, en cOloyant la mer Méditerranée,' ils arrivèrent près de Gibraltar, pays très-fertile, qu'ils uoniDièrentJan/tT» d*liespétie fti oii ils b&Urenl Tigis, qui » eo syriaque, signifie négocier. ire ; ehaoune se régissait Jiar ses propres scheikht^ c'esi-à^te les primats et les anciens ^ constituant ainsi une répuUique fédérative» L'union politique et religieuse était maintenue par le sacerdoce^ héréditaire dans la descendance d'Aaron^ et par la tribu de Lévi> qui^ n'ayant pas de territoire en propre^ res- tait distribuée dans quarante-huit villes, et fournissait les scri- bes aux magistrats particuliers de chaque tribu. Juges, MM. La conquête était presque terminée lorsque Josué se sentant près de mourir^ convoqua les vieillards et tous les magistrats dlsraêl ^ et leur dit : « Vous voyez ce que le Seigneur a fait « aux nations environnantes^ et comme il a combattu pour vous ce et vous a distribué la terre à Porient du] Jourdain jusqu'à la a mer. Beaucoup de nations restent encore ; mais le Seigneur les a dispersera, pourvu que vous soyez fidèles à la loi donnée par « Moïse; que vous ne vous mêliez pas avec les étrangers; que « vous ne juriez point par leurs dieux^ mais que vous demeuriez a unis au Dieu véritable.» Malheureusement ces conseils ne fu- rent pas écoutés, et avec le lien religieux se relâcha aussi le lien politique. Un chef militaire n^étant plus à la tête de toute la na- tion ^ les jalousies des petites tribus contre les autres venaient à s'éveiller; les ennemis profitaient de Toccasion pour menacer Pexîsteiice de la nation ; mais il s'élevait de temps en temps des hommes aimés de Dieu^ qui, se mettant à la tête du peu- ple, le rachetaient de la servitude et des tribus. Cusan, roi de Mésopotamie, tint, durant huit années^ Israël dans l'esclavage, jusqu'à ce qu'il fût délivré par Othoniel. Puis Éphraîm et Benjamin tombèrent sous le joug d'Églon, roi des Moabites; mais, dix-huit ans après, Aod, valeureux champion, fut envoyé vers Églon pour lui porter le tribut : cette mission remplie, il retourna seul près du roi, le prit à l'écart, le tua et délivrâtes deux tribus. Dan, Juda et Siméon eurent les Phi- listins pour maîtres jusqu'à ce qu'ils fussent rachetés par Samr «««. gard, qui tua six cents ennemis avec le contre d'une charrue. Zabin, roi d'Ason domina ensuite sur eux; mais son armée fut mise en déroute, et Sisara , son général, nus à mort par Jahel. Alors la prophétesse Débora, qui rendait la justice sous un ,caiitii|iie palmier du mont d'Ëphraïm, entonna ce cantique: «Vous a qui vous êtes signalés parmi les enfants d'Israël en exposant « volontairement votre vie, bénissez le Seigneur. Écoutez, 6 « roi ! princes, prêtez l'oreille i c'çst moi, c'est moi qui chan- a terai un cantique au Seigneur, Dieu d'Israël. Seigneur, quand liM-liDM. UÈ$, et Débora. BÉPCBUQOB FioimATITE. 381 « tu partis de Séir et t'avanças par le pays d^Édom , la terre a trembla, les cieux se fondirent en eau^ les monts s'écrou- « lèrent à Taspect du Seigneur. Aux jours de Jahel les routes « n'étaient plus battues^ et les voyageurs allaient par des s^- a tiers inaccoutumés : les forts d'Israël Icmguirent jusqu'à ce « qu^il se fût élevé une Débora^ une mère dans Israël. •• 0 vous « que chérit mon cœur^ vous qui volontairement vous expo- « sales au périls bénisses le Seigneur..» Que là ou Ton voit ces « débris de chariots renversés^ où Pon voit le carnage de Tarmée « ennemie^ que là même on publie la justice du Seigneur et sa « clémence env^^ les braves d'Israël , quand le peuple se ras- « sembla aux portes et reconquit sa souveraineté. Lève-toi^ ô a Débora ! lève-toi, et entonne le cantique. Lève-toi, Barach, « et saisis tes prisonniers; les restes du peuple sont sauvés; le «Seigneur a combattu dans les vaillants... Le ciel même Uvra a bataille aux ennemis; le torrent entrahia leurs cadavres. 0 « mon àme, foule aux pieds les corps de ces braves. Maudites a soient les terres qui ne vinrent pas en aide aux guerriers du et Seigneur ! Et toi ^ bénie sois-tu entre les femmes, 6 Jahel ! a bénie dans ta tente. Elle donna du lait à Sisara qui lui de- a mandait de Peau, et lui offrit de la crème dans la coupe « des princes. Elle étendit la main gauche vers le clou> la « droHe vers le marteau, et transperça avec vigueur les tempes «I de Sisara. Il roula à ses pieds en rendant l'esprit, et il de- « meura étendu mort sur la terre, le misérable. Cependant sa « mère gémissait en regardant par la fenêtre, et elle criait: et parce qu^il craignait que^ grâce à la faveur des lévites et de l'armée^ il n'empécbàt son fils de succéder à la couronne. Plusieurs fois donc il lui tendit des embûches ^ ce qui Tobligea à se réfugier chez les Arabes du désert et parmi les pasteurs. Saûl^ alors ^ constant dans son projet d'exterminer le sacerdoce et d'effacer la distinction entre le pouvoir ecclésiastique et Tautorité civile^ fit massacrer^ dansNob, Atrimdech et quatre-vingt-cinq prêtres avec leurs familles. S'étant ainsi aliéné ses sujets > il fut vaincu par les Philistins^ et périt sur les collines de Gelboé , avec Jonathas et ses deux fils. '^^** David le pleura^ et il chanta : o Géînis, Israël^ pour ceux qui a sont tombés sous le fer de l'ennemi; les héros d^Israêl ont été a tués sur les montagnes. Hélas 1 comment les preux sont-ils a tombés? 8 l^lence I n'annoncez pas dans Geth et sur les places d'Ës^ ci calon la funeste nouvelle > afin que les filles des Hiilistins ne « s'en glorifient pas^ que les fenmies des incirconcis n'en tres- « saillent pas de joie. « Montagnes de Gelboé , que la rosée et la pluie ne tombent a jamais sur vous; que dans vos coteaux ne viennent point de « prémices, puisque là fut abattu le bouclier des forts, le bou- « cher de Satil, conune s'il n'eût pas été l'oint du Seigneur. a La lance de Jonathas s'abreuva toujours du sang des enne- ct mis, de la graisse des forts , et le glaive dé Saûl ne fut jamais ^ tiré en vain. « Saûl et Jonathas, si aimables et si pleins de majesté dans la « vie, n'ont pas été séparés dans la mort ) eux, plus rapides que « l'aigle, plus robustes que le lion. « Jeunes filles d'Israël, pleurez sur Saûl, qui vous revêtait de a splendide écarlate, qui vous parait d'ornenients d'or. « Oh! comment les preux tombèrent*ils dans la bataille? « comment Jonathas fut-il tué sur les montagnes? « Je te pleure, Jonathas, mon frère , le plus beau de tous, (( plus aimable que la plus aimable jeune fille; je t'aimais aux avis des prêtres. Il régna trente->neuf ans et fut le plus grand roi d'Israël. Ses conquêtes augmentèrent beaucoiq) le territoire, car il soumit la Syrie et ildumée , de sorte qu'il dominait de TEuphrate à la Méditerranée, et de la Phénicie au golfe d'Arabie. Il s'occupa des finances, fit le recensement de son peuple; et, en enlevant aux Iduméens les ports d'Élat et d'Asîongaber où finissait le golfe Élanitique, en occupant de plus Âïlab sur la mer Rouge et Tapsak sur PEuphrate, il pré- para Faccroiss^nent du commerce. Afin dWermir Tunité de sa nation^ il proscrivit avec le plus grand soin tout autre culte que celui de Jéhovah. Il établit sa ré- sidence à Jérusalem , en y faisant élever un palais en bois de cèdre, que bâtirent des charpentiers et des maçons envoyés vers lui par Iram, roi de Tyr. Ce fut là quMl déposa Tarche d'alliance, sanctuaire de la nation. Il accumula des trésors pour la construction du temple adievépar son successeur. Il est vrai que son gouvernement finit par devenir pesant : les différentes femmes qu'il épousa suscitaient des intrigues de sérail : aussi ses derniers jours furent41s troublés par les ré- bellions de ses propres fils. Il vécut quatre-vingt-dix ans, et laissa dans le trésor plus de cent millions de sequins (1). Pour complaire àBethsabée, qu'il aimait entre toutes ses fem- ^toawMw. mes, et qu'il avait enlevée à son mari, David désigna pour son successeur Salomon, qu'il avait eu d'elle, et qu'avait élevé le prophète Nathan, intrépide censeur des égarements du roi. La Judée dut à ce prince l'époque de sa plus grande splendeur : il (1) S'il Tant en croire Michaâis, le musée d'antiquités de la Bibliothèque Impériale de Paris possède la copie en plâtre d'un bas-relief très-ancien trouyé sur la montagne des Oliviers. On croit qu'il représente David avec le costume de son temps. Sa longue robe et son berret très-haut et d'une fbrme étrange seraient couverts de carMère» qiii ne soht t»lut IWbles. 9f86 MBiiiiiB iPOQOB. surpassa en science les Orientaux et les Égyptiens (i) : il corn- posa trois mille nouvelles, cinq mille cantiques; il écrivit sur toutes les productions de la nature^ depuis le cèdre du Liban jusqu'à l'hysope. Ken différent du roi berger qui avait été élevé au trône par son épée et par sa vertu, Salomon y monta par succession^ et introduisit dans Jérusalem le faste d^une cour orientale. Il s'y fit construire un palais^ et sur le mont Liban une maison de plaisance. Le commerce Tenrichit immensément. Les princes étrangers accouraient pour Padmirer. Il contracta une alliance avec Iram, roi de Tyr, à Taidé duquelles ports conquis par Da- vid prirent part au trafic des pays méridionaux^ tîôidis que sa flotte lui rapportait d'Ophir (2) les bois rares et les gommes précieuses. Les vaisseaux de Salomon faisaient aussi , tous les trois ans, le voyage des Indes ^ et en rapportaient de l'or/de l'argent , de Fivoîre, des singes, des paons. Il prévint Alexandre le Grand dans le vaste projet de réunir les peuples de l'Asie par le lien pacifique des arts et du commerce. Il voulait faire de sa capitale l'entrepôt des caravanes ; c'est dans ce but quil bâtit Balbek et Pahnyre (3), la cité au nom poétique s*élevant conune un palmier dans le désert de Sam, sur la routexle^Ba- bylone. Pour suffire à un luxe dont on raconte d'incroyaWes 'mer- veilles, il modifia l'administration du royaume, et eut douze préfets qui, chaque mois, lui envoyaient le montant des impôts. Ses revenus montaient à six cent soixante-six talents d'or (46 millions de francs), outre les trUmts payés par les scheikhs ara- bes et les droits de douane. Des Arabes et des percepteurs des gabelles, il recevait par an six cent soixante-six talents d'or (fr. 46,000,000). Le temple. Le monumcut le plus célèbi'e de sa magnificence fut le tem- ple. Il s'élevait sur une colline enceinte de murailles, au som- met de laquelle on arrivait par de larges escaliers. Là s'ouvrait (1) « Et la sagesse de Salomon surpassait celle de tons les Orientaux et des « égyptiens; il était plus savant que quiconque fut jamais ; plus qu'Élhan- « Ezcachite, et qu'Heman , et que Calcol , et que Dordah fils de Machoi. » Rois,iy,A,30. (2) Selon Bruce, Voyage aux sources du Nil , voL II, ch. iy, Ophir serait Sofala ; Tarsis^, Melinde. (3) Baalak veut dire temple du soleil, et Balbeck^ vallée du soleil. Le« Arabes donnent encore le nom de raM»or & Palmyre. HONÂBCHtB. iti au peuple un vaste portique et un autre moins grand où les prêtres faisaient les offrandes^ séparé du premier par une ba- lustrade qui laissait voir la fumée des sacrifices. D'un côté de ce portique était le sanctuaire^ précédé de deux colonnes de bronze, avec sa porte resplendissante d^or, où ne devait pénétrer aucun profane. Dix lampes en éclairaient la mystérieuse obscurité^ et de là sortait la voix des prêtres à laquelle le peuple répon- dait en chœur. L^arche d'alliance était placée dans la partie la plus sainte, entourée d'une précieuse draperie que franchissait seulement le grand prêtre une fois par an. C'est ainsi que le temple réunissait les trois unités, dans lesquelles nous avons dit que se résumait le peuple hébreu : Dieu qu'on y adorait, la loi qui y était gardée, le peuple qui, de toutes parts, s'y assem- blait pour fraterniser aux solennités annuelles. Aussi demeura- t-il le symbole de la vie nationale, même quand les derniers Hébreux en eurent perdu l'entière signification. Bien plus, il survécut dans la mémoire lorsquMl n'en resta plus pierre sur pierre ; il excita les dirétiens aux croisades, et il réunit encore en un seul vœu tous les soupirs des Juifs épars aux quatre vents. Salomon choisit dans tout Israël trente mille ouvriers pour la construction du temple; dix mille pour les envoyer, chaque mois, sur le Liban, abattre des cèdres et des sapins; soixante et dix mille pour porter les fardeaux, quatre-vingt mille pour pré- parer les pierres, sans compter trois mille surveillants et trois cents chefs (i). Quand Pédifice fut terminé, on en célébra la consécration par des fêtes magnifiques; on tua vingt-deux mille bœufs et cent mille moutons. Ce fut à cette occasion que le roi poëte composa ce cantique : (1) Les sociétés de francs-maçons ont youIu rattacher leurs traditions an temple de Salomon. Ils disent donc qae le roi de Tyr ayant envoyé à Salomon, comme chef des autres architectes , Iram , issu par sa mère de la tribu de Kephtali, il distribua les ouvriers en trois classes , d'apprentis , de compa- gnons et de maîtres, chacune avec un mot d'ordre pour se reconnaître entre eux. Trois ambitieux, désirant obtenir le mot d'ordre des maîtres, en Tah- sence des ouvriers, vinrent un Jour assaillir Iram , et, sur son refus, ils le tuè- rent en le frappant de trois coups, et rensevelirent. Salomon le fit chercher par neuf maîtres expérimentés, qui, se dirigeant trois par la porte occidentale, trois par Torientale, trois par celle du nord, parvinrent à découvrir son cada- irre. De là, les trois grades chez les francs-maçons et tous leurs symboles, le triangle, le marteau, le ciseau, le compas, la règle, les tenailles, Téquerre, etc.; de là, les funérailles d'Iram dans leur initiation, et les trois coups dont on frappe le candidat. V 9t9 PJIBXfàâB iMQCI. et Je t'm bftti datte maiaon^ ô SeigneiHP^ afin que tu rbatûtes^ a et que ton trône y soit établi pour l'éternité. « Béni soit le Seigneur qui de sa propre bouche parla à Da« Qc vidj mon père^ et qui, par sa puissance^ a réalisé sa parole* fit U lui dit ; Depuis que j'ai tiré Israël d'%ypte» je n'ai point c encore choisi une ville parmi les tribus d'Israël pour être a consacrée spécialement à mon nom* a Et voilà que j^ai bâti la maison au nom du Pieu d'Israël > « et j'y ai réservé une place à Parcbe^ où est le pacte du Sei- a gneur. a 0 Seigneur^ nul ne t'égale dans le ciel ni sur la terre ; tu « maintiens Talliance et la miséricorde à tes serviteurs qui a marchent en ta présence. c Et croirai-je que tu habites vraiment sur terre? Si le$ deux «r des cieux ne peuvent te ccmtenir^ combien moins la maison « que je t'ai bâtie I a Mais regarde ton serviteur^ écoute l'hynme et la prière,, a et que tes yeux soient fixé^ sur la maison de laquelle tu as a dit : Lk sbra mon nom. a Quand quelqu'un aura péché contre le prochain, et qu^l a viendra prêter serment ici^ dans ta maison , tu l'entendras « du ciel; et tii feras justice à tes serviteurs ^ en condamnant a l'impie, en faisant retomber son iniquité sur sa tête, et ^m a justifiant le juste. c(Si ton peuple fuit devant ses ennemis parce qu'il aura « péché, et que, repentant et confessant ton nom , il vienne « prier dans ta maison, écoute-le, pardonne4ui, et ramène*le (x dans la ten'e que tu donnas à ses pères. « Si le ciel par châtiment refuse la pluie, et que, tout contrits, « ils viennent t*împlorer, écoute-les, apaise-toi, et éloigne a d'eux la famine, la peste, tout fléau mérité par leurs égare- a ments. « L'étranger aussi, quand il viendra d'une contrée lointaine « pour invoquer ton nom, tu l'exauceras, pour que tous les a peuples apprennent à craindre ton nom. a Quand le peuple sortira pour la guerre, sur quelque route 0 que tu l'envoies, il t'invoquera en regardant vers la ville que « tu t'es choisie, et toi en l'écoutant tu lui rendras justice, et «tu le préserveras de l'esclavage des étrangers; car il est a ton peuple, que tu as séparé de tous les autres pour en faire u ton héritage et lui accorder enfin le repos. x> UMAMOmM. 919 C'est ainsi que Tédifice et les rites consolidaient la nationa- lité par la religion. Mais malheureusement Salomon lui-même donna l'exemple funeste de briser un pareil lien. Lui qui avait chanté : a Qui donc mania au ciel et en descendit ? Qui tint les vents entre ses mains ? Qui ramassa les eaux comme un manteau? Qui suscita l'étendue de la terre? Quel est son nom (1)? » il tomba dans Pidolâtrie. Enorgueilli par ses ri- chesses, il adoptâtes coutumes des Orientaux^ et^ oubliant pour elles les mœurs de sa patrie, il peupla son harem de femmes choisies parmi les plus belles; c'est du fond de ce harem cju^il gouvernait son peuple^ c'est pour plaire à ces femmes qu'il tra- hit sa religion en introduisant à Jérusalem les dieux étran- gers^ dt en confondant ainsi de nouveau les Hébreux avec les gentils. Il en éprouva les déplorables conséquences dans plusieurs révoltes^ et principalement dans C/CUe de Razon^ qui détacha la Syrie de son obéissance^ et fonda à Damas un royaume, per- pétuel ennemi de celui d'Israël. Jéroboam tenta aussi de sou- lever les tribus; mais il fut obligé de s'enfuir chez les Égyp- tiens^ qui peut-être favorisaient souS main ces mouvements séditieux. Le peuple ne tirait aucun avantage du commerce^ qm se faisait au seul profit du roi ; et tandis que la capitale prospérait^ les provinces souffraient d'autant plus qu'elles en étaient plus éloignées. Le mécontentement éclata quand Salomon mourut > à Tftge de soixante-Kieux ans^ après un règne de quarante. Alors les états j rassemblés à Sichem, dirent à Roboam> son fils : Si tu re- nonces à la rigueur patemellèy nous té nommerons notre roi; et léroboam^ fils de Nabath^ de retour d'Egypte^ lui intima, à la tête du peuple^ d'alléger le faix des impôts. Mais le nouveau roi re- fusa d'écouter la voix du peuple^ et dix tribus se détachèrent. Celles de Juda et de Benjamin restèrent seules avec Roboam. W Proverbes, XXX, A. ] 340 PRBHIJmi ÉPOQUE. CHAPITRE VIII. LE ROYÀCME PARTAGÉ. Ici commencent les deux royaumes distincts dlsraël et de Juda : le premier plus populeux^ le second plus important et plus riche^ possédant la ville capitale et le temple^ centre de Punité nationale. Pour la détruire. Jéroboam, devenu roi dls- raël, défendit aux siens de se rendre au temple; il mêla de nouveaux rites à ceux de Moïse, confia le sacerdoce à d'autres qu^à la descendance de Lévi ; puis, déviant des eaux de Siloé pour se tourner vers Rasin(i), il fit élever des idoles et un veau d'or dans Béthel et Dan. Les croyances qui faisaient la force morale de la nation étant ainsi sapées, elle flotta entre le culte de Jéhovah et celui de Moloch ou de Baal; les uns se réunis- saient à Béthel, les autres à Galgala, au Carmel, au Thabor, à Malpba, à Sichem. Jéroboam laissait faire, ne voyant dans la religion qu'une affaire de politique, et on ne vit plus paraître un législateur comme Moïse, capable de recomposer l'unité. Les scribes et la classe éclairée se pervertissaient sous des rois efféminés et idolâtres : il ne restait plus au zélateur du bien public que la puissance de la parole ; aussi les prophètes allaient par les chemins de la Judée annonçant les châtiments du Sei- gneur. La théocratie pure instituée par Moïse était en lutte c(mi- tinuelle avec la monarchie théocratique organisée à la manière = des Orientaux ; la constitution donnée dans le désert comme loi de liberté politique se résolvait en loi de servitude; et Judaj et Israël, opposés dans la paix comme dans la guerre, recher- chaient les périlleuses aUiances de l'Egypte et de Damas. Auj milieu de tous ces maux, le désir d'un meilleur état de chosesa faisait attendre avec plus d'impatience la venue d^un rédemp- teur. Rois d'Israël. Après Jéroboam, Nadab son fils fut roi dlsraël, dont la capi— **** taie était Sichem; mais le Seigneur le livra aux mains des enne— M». mis, et il fut assassiné par Baasa, capitaine des gardes. Celui-ci_ dont le règne fut encore plus déplorable, fit égorger le pro— (1) Isaïe, vni. LB HOVAUMK PABTA&é. 241 phète Jehu, et, s'étant ligué avec Damas, réduisit Juda aux plus cruelles extrémités. D'autres mauvais princes lui succédé* •!•. rent, et firent repentir le peuple d'avoir demandé le gouverne- ment d'un Foi. Ëla fut tué par son général Zambri, auquel le 9ia. peuple opposa Amri, qui agit avec plus de perversité que tous aes prédécesseurs (1) , et bâtit Samarie pour en faire sa capitale. Âchab, son fils, déserta tout à fait la religion de ses pères , et, m7. s'étant allié au roi de Sidon en épousant sa fille Jézabel, il in- troduisit dans Israël le culte phénicien de Baal. La nouvelle reine lui consacra quatre cents faux prêtres, et autant aux ido- les élevées dans les bois, tandis qu'elle cherchait à exterminer les véritables prophètes. Mais ni flatteries ni menaces ne purent imposer àÉlie, qui tonnait contre les turpitudes des gouvernants et contre Timpiété barbare du culte de Baal. Le peuple finit par se soulever, et massacra les prêtres profanateurs. La justice était foulée aux pieds. Achab, voulant agrandir les jardins royaux, demanda à Naboth de lui vendre sa petite vigne qui leur était contiguë; Naboth refusa d^aliéner Théritage de ses pères, et, Jézabel ayant suborné les juges, ils le condam- nèrent comme blasphémateur. Élie fit entendre ces mots à la reine : A cette place où les chiens léchèrent le sang de Naboth , ils lécheront aussi le tien. La prophétie s^accomplit, et Achab, bien qu'il eût fait alliance avec le roi de Juda, fut tué dans une •"• guerre entreprise contre Damas. Ochozias suivit les traces paternelles. Joram, son frère, tout m. en conservant les veaux d'or, supprima le culte de Baal , per- mit les assemblées des prêtres, respecta le prophète Elysée, et se maintint dans l'amitié du roi de Juda. Il fut ensuite tué par •?«. Jehu, qui jeta son cadavre dans la vigne de Naboth, et exter- mina la race d'Achab en faisant massacrer ses soixante fils. Jehu proscrivit le culte de Baal ; il en réunit les prêtres sous le prétexte d'un sacrifice, les fit égorger, et démolit leur tem- ple ; mais il épargna aussi les veaux d'or, et il se vit enlever par le roi de Damas tout le pays au delà du Jourdain. Après la mort de Jehu, son fils Josias continua la guerre contre Damas, sans cesser d^éprouver des revers. Joas, qui lui •«• succéda, fut vainqueur des rois de Juda et de Syrie , et tint en •»• grand honneur le prophète Elysée, quoiqu'il laissât continuer le culte des idoles et des hauteurs consacrées aux faux dieux. (I) I, Rois, XVl, 25. T. l. 16 \ 242 PfiEMiÈRE iPOQUE. •»'• Jéroboam irmarcha sur sa trace. Heureux daqs les ccmibats, il rendit au royaume d'Israël ses anciennes limites. w«. De longs désordres suivirent sa mort, jusqu^à ce que son fils »«• Zacharie monta sur le trône ; mais, Tannée suivante, celui-ci fut défait, et avec lui finit la race de Jehu, ainsi que toute la prospérité d'Israël. Politique, religion, usages , tout s'en al- lait à la fois. «Les Israélites, se livrant au culte des faux dieux, « suivirent les voies des nations que Dieu avait exterminées a sous leurs yeux : ils consacrèrent dans tout le pays des lieux « élevésy depuis les hameaux des bergers jusqu'à la cité forti- « fiée; ils érigèrent des autels et des statues sur toutes les col- « Unes et dans tous les bois touffus. » Le Seigneur les avertis- sait bien par la voix des prophètes , mais ils ne les écoutaient pas; et, méprisant le pacte fait avec lui, ils s'adonnèrent aux vanités du monde, se fabriquèrent deux veaux d'or, s'inclinè- rent devant une foule de divinités, prêtèrent foi aux impostures des devins, et consacrèrent leurs enfants à Baal par le moyen du feu. Dès lors le Seigneur les abandonna aux discordes intestines et à l'oppression étrangère. Sellum, qui avait tué Zacharie, fut défait un mois après par Manahem, qui régna jusqu'en 754. Les Assyriens voyaient de mauvais œil les Hébreux, de même que les Tyriens, parce qu'ils détournaient par le désert et par la mer Rouge le commerce qu'ils étaient jaloux de concentrer à Babylone. Ils envahirent donc le royaume d'Israël sous la conduite de Pful, et se contentèrent la première fois de lui im- poser un tribut; mais quand Phaceïa, fils de Manahem, fut tué »»• par Phacée qui lui succéda, Theglath-Phalasar, roi des Assy^ riens, revint à la charge , détruisit Damas, et soumit les Israé- »««. lites à un nouveau tribut. Osée, ayant tué son prédécesseur, oc- cupa le trône après huit ans d'anarchie ; il s'allia avec l'Égypta serrimde. et chcrchaà s'affranchir du tribut de l'Assyrie. Mais Salmanasar* '"' irrité lui déclare la guerre; il fond sur Samarie qu'il prend, et met fin au royaume d'Israël en transportant ses habitants ati cœur de l'Asie. Des colons envoyés des diverses provinces as^ syriennes firent établis au miUeu des ruines de Samarie. Mêlés avec les restes des naturels, ils leur apportèrent de nouveaux^ éléments d'idolâtrie, et c'est de leur union que se forma le peu- ple auquel on donna le nom de Samaritain, dcîufi.* Durant ce ^^temps, vingt princes de la descendance de David avaient régné de père en fils sur la Judée. Là étaient la cité LB BOYÂUMB PABTAG^. 248 sainte^ le temple de Jéhovah^ les pontifes descendants d^Âaron^ qui veillaient à maintenir le peuple dans la bonne voie; là étaient accourus ceux des Israélites qui souffraient impatiem- ment la révolte et ^apostasie. Mais Roboam^ craignant peut- être que les deux tribus qui lui étaient restées ISdèles ne l'a- bandonnassent aussi^ accorda la liberté religieuse^ et toléra des autels profanes, élevés à des divinités obscènes^ au fond des bois ou sur le haut des collines. Il fut assailli par Sisak ^ roi d^Égypte, qui saccagea Jérusalem. Abias, son successeur, l'imita; mais Asa abattit les idoles, ^i^WIH* purgea le culte des abominations qui le souillaient, dissuada sa mère d'assister aux honteuses cérémonies de Priape, sans dé- fendre pourtant les pèlerinages superstitieux sur les hauts lieux. Il vainquit Zarach, roi d'Ethiopie , qui était venu l'atta- quer ; mais il aurait résisté difficilement aux rois d'Israël et de Damas ligués contre lui, s'il n^était parvenu à les diviser. Josaphat restaura le culte de Jéhovah, combattit avec bon- JoMpbti. heur les Moabites, Ammonites, Édomites, et tenta, quoique en vain, de ranimer la navigation sur la mer Rouge , vers le pays d'Ophir. Son alliance avec le roi d'Israël fut consolidée par le nouveau roi Joram qui épousa Athalie, sœur de Jézabel : mais Joram, m. celle-ci l'entraina à adorer les idoles des Phéniciens; il massa- cra ses propres frères; il vit Tldumée se rendre indépendante. Soumis aveuglément aux conseils maternels et fidèle à l'exem- ple de son père, Ochozias fut enveloppé dans les iniquités •"• comme dans le châtiment de la famille d'Achab; car Jehu le tua le même jour que Joram roi d'Israël. Athalie alors , par Pextermination de la maison royale, se Athaiie, w. ^aya la route au trône et affermit le culte des faux dieux. Mais *m. Joas, fils d'Ochozias, avait échappé au massacre : élevé en se- cret par les prêtres, il fut, au botit de sept ans, porté par eux pp le trône, et Athalie mise à mort. Le grand prêtre Joïada, "^ tuveur de Joas , gouverna l'État pendant une partie de son t^e, renouvelant la constitution entre le roi , le peuple et ^eu, renversant les idoles et rendant au temple sa splendeur. sa mort, Joas prévariqua et fit lapider Zacharie, fils du pon- e, qui le menaçait de la colère du Seigneur. Et le Seigneur inarcher contre Juda et Jérusalem Azaël, roi de Syrie, qui t imposa un tribut. foas ayant été tué par ses officiers , Amasias défit les Idn- A"»***"* •**• ms, mais rendit un culte aux idoles des vaincus, et en fut 10. •os. Ozias. 71». 711. Kzéchias 783. â44 ^HEMIEBË BPÛQtJfi. puni par Joas, roi d^Israël, qui saccagea Jérusalem et le fit prisonnier. Ozias ou Azarias lui succéda, et voulut usurper les fonctions sacerdotales en offrant Tencens; usurpation dont il fut puni en étant atteint de la lèpre. Joatham agit selon le Seigneur, et fit la guerre contre Damas. Afin de s'opposer à Palliance d'Israël avec ce royaume, son successeur Achaz appela Theglath-Pha- lasar, roi d^Assyrie , qui détruisit le royaume de Damas : triste secours acheté par la ruine de ses voisins et par For du temple ! Opiniâtre, insupportable aux hommes, odieux au Seigneur, il ressuscita le culte de Baal et de Moloch, auquel il consacra son fils en le faisant passer par le feu; il introduisit de plus des in- novations dans les rites de Jérusalem. Ézéchias répara les désordres paternels : il rouvrit le temple, rétablit les sacrifices, purifia la maison de Dieu, et invita à prendre part aux solennités les Israélites échappés à la sei^i- tude de Salmanasar. Sous lui fleurirent Isaïe, Osée, Amos, avec lesquels commença une nouvelle série de prophètes qui ne fut plus ânterrompue durant trois cents ans. Ils lui inspirèrent du courage quand Jérusalem fut assaillie par Sennacherib, roi d^Assyrie, dont l'armée fut détruite par l'ange du Seigneur. Ce roi, étant retourné dans son pays, se vengea de la honte qu^il avait endurée, en faisant égorger grand nombre des Hé- breux qui s'y trouvaient esclaves. Ce fut alors que Tobie exerça sa charité en donnant des consolations aux vivants et la sépul- ture aux morts. Dieu Pen récompensa par la meilleure des bé- nédictions, un bon fils et une belle-fille digne de ce fils. Bien différent d'Ézéchias, Manassès propagea le culte phéni- cien, et plaça une idole dans le temple de Jéhovah ; profanation qu'il pleura lorsqu'il fut traîné en esclavage par les Assyriens. Durant sa captivité, Judith délivra Béthulie en tuant Holo- pherne, général babylonien, qui l'assiégeait. Lors de son retour à Jérusalem, Manassès, corrigé par Tinfortune, rétablit le culte véritable, bien qu'il n'interdît pas aux Juifs d'offrir des sacrifi- ces sur les collines. Ammon, son fils et son successeur, l'imita dans ses égarements, non dans son repentir, et périt bientôt de mort violente, josias,»». Josias s'occupa d'effacer les traces de tant d'impiétés. Pen-- dant qu'on reconstruisait le temple, on trouva un exemplaires des lois de Moïse échappé à la destruction ordonnée par Manas- sès. Le pieux roi, comme il en entendait la lecture, se prit £= 707. ManaRsès. 694. •40. LB BOVAUME PARTAGÉ. 245 pleurer sur les énormes violations des préceptes du Seigneur : il entreprit de les faire exécuter rigoureusement. Temples, bos- quets, hauts lieux dédiés aux dieux étrangers, furent détruits par ses ordres, et la pâquc fut célébrée avec une solennité telle qu'il n'y en avait pas eu d*exemple depuis Samuel. De son temps, Nabuchodonosor, roi des Chaldéens, et Astyage, roi des Mèdes, s'emparèrent de Ninive : alors Néchao, roi d'Egypte, afin de s'opposer à leiu's progrès, s'avança vers PEuphrate avec une puissante armée , en traversant la Palestine. Josias voulut •«•• lui défendre le passage ; mais il périt dans le combat. Néchao déposséda Joachaz son fils, dont il mit le frère Joachim sur le trône, comme prince tributaire. Mais quand la bataille de Cire- Joachim. m sium eut dépouillé Néchao de ses conquêtes en Asie , Joachim devint tributaire de Nabuchodonosor. Plus malheureux que lui, son fils Joachin, ou Jéchonias, ayant refusé le tribut, fut, après ou^jïchiSia» trois mois de règne , transporté par Nabuchodonosor au centre **'• de l'Asie, avec la majeure partie de sa nation (1). (1) Plusieurs «ciivains ont pensé que les Géorgiens sont issas de cette émi- gration jui?e. Il existe parmi les Juifs d'Espagne une tradition qui veut que Nabuchodonosor ait fait transporter dans la Péninsule ibérique les principales familles de la tribu de Juda, de laquelle ils prétendent descendre, sans s'être Jamais mêlés avec les autres Juifs. Aujourd'hui encore, bien que dispersés en divers Ëtats, les Juifs espagnols forment un corps distinct du reste de la nation, avec SCS usages propres, ses synagogues distinctes et ses mariages à part. Moïse de Corène rapporte ce passage d'Abidène : e« Le puissant Nabuchodonosor alla « avec son armée contre les Veriatsi , en triompha par force, et en conduisit « nne partie sur la droite de TEuxit), où il leur assigna leur demeure. Le pays m des Veri est à Textrémité occidentale de la terre. » (Page 128 de l'édition d'Amsterdam.) Cf s Veri ou Viri seraient les Hébreux. Les Arméniens appellent encore Vir les habitants de la Géorgie ou de l'antique ibérie, que les Grecs nomment Iviria. Les Iraditions mêmes dn pays rapportent que les Curopalates Ibériens se croyaient issus de David et de l'épouse d'Urie. Le roi de GiSorgie s'intitule Daviihian Salomonian. Voir l'introduction à VArl libéral, ou , Grammaire géorgienne , par Brosset jeune. Paris, 1834. La Géorgie s'appelait anciennement Ibérie comme l'Espagne : la tradition aurait-elle confondu une contrée avec l'autre? Bernard Dova publia, en 1829, une traduction anglaise de l'histoire des Afghans , tirée da persan (Hislory of the Afgham , tramlaied from tke Persian of Neamet- Allah), dans laquelle il est dit que ceux-ci sont dèsceo* dants des Israélites captifs de Nabuchodonosor. Selon Ni met-Allah, Nabucho- donosor transporta ses prisonniers dans les pays montagneux de Ghor, Gaznin, Candahar , KohFirnz et autres , entre le cinquième et le sixième climat. « Là, « dit-il, les descendants d'Asifetd'Afghana fixèrent leur demeure; ils multi- « plièrent , et ne cessèrent jamais de faire la guerre aux nations infidèles , « jusqu'au temps du sultan Mahmoud-Gazi. » D'autres errèrent dans l'Arabie , 246 PBKUIÈRE BPOQUE. Sédécîas, fils de Josias, lui fiit substitué par le roi chaldéen ; mais ce roi de Juda s^étant allié avec TÉgypte pour recouvrer son indépendance, Nabuchodonosor revint pour la troisième fois, prit et détruisit Jérusalem, fit arracher les yeux à Sédécias, après que ses fils eurent été massacrés en sa présence , et l'em- mena à Babylone avec le reste de sa nation, emportant les dé- pouilles et les vases sacrés du temple. Tous ces malheurs avaient été prédits par Isaïe , Michée , Jé- rémie, Sophonie, Ézéchiel et autres prophètes, lorsqu'ils rappe- laient rois et peuples à cette religion qui les avait réunis par le triomphe et par la prospérité. Ils ne les écoutèrent pas, et Dieu les frappa. Ils n'avaient plus de patrie : mais une nation ne périt pas par la servitude ; ses droits ne se prescrivent pas par la longueur de la tyrannie, et Theure enfin arrive où elle se re- lève. Durant la captivité, les prophètes s'appliquèrent à amé- liorer le peuple par les leçons du malheur : les poètes mainte- naient vivante Tardeur nationale, et, au lieu de chants d'amour, on entendait les Juifs répéter tristement en chœur ; « Près des fleuves de Babylone, nous nous sommes assis et a nous avons pleuré en pensant à toi, ô Sion. Au milieu de la « terre d*exil nous avons suspendu nos cithares aux saules, a Ceux qui nous ont emmenés en esclavage nous demandaient « de chanter; ceux qui nous faisaient jeter des cris de douleur, « exigeaient de nous des chants d'allégresse. Eh! chantez- « no W5, disaient-ils, les cantiques de Sion. — Gomment chan- (i ter dans un pays étranger? Si jamais je t'oublie, ô Jérusa- « lem, que ma cboite soit oubUée; que ma langue se sèche si « je ne me souviens de toi, si je ne mets pas Jérusalem au- a dessus de toutes mes joies. 0 Seigneur, rappelle-toi les fils a d'Édom qui, dans le deuil de Jérusalem, disaient : Renver- « seZf renv^sez jusqu'aux fondements. — 0 fille de Babylonie, a et toi aussi tu seras détruite. Béni celui qui te payera le mal (( que tu nous as fait; qui brisera tes enfants contre la pierre ! » (Psaume cxxxvi.) Les Babyloniens n^avaient pas néanmoins ^levé tous droits aux Hébreux; ils les laissèrent même juges de leurs nationaux, et, ne poayant plus visiter le temple de Salomon, ils visitèrent celui qu'âeva Abraham à la Mecque, ils établirent leur demeure à Tentour, et furent dé- signés par les Arabes sous le nom tantôt d'Israélites , tantôt de fils cPAf- ghana* LE fidYAUMt; PÀRtAOB. ^47 comme le prouve Taventure de Suzanne, qui fut conduite de- vant les anciens de son peuple et absoute par eux. Ils pouvaient aussi acheter des terres et être admis aux emplois. Tobie fut pourvoyeur du roi (i), qui le laissa maître d'aller où il voudrait ; ce dont profitait cet homme pieux pour secourir ses frères dans le besoin. Sa descendance demeura vertueuse et fidèle à Dieu. Les enfants des principales familles étaient élevés à la cour et instruits dans toutes les sciences aux frais du tréôor royal. Da^ niel, qui garda Tabstinence au milieu des délices et resta fidèle au milieu de Tidolâtrie, se fit remarquer parmi eux. Aussi Na- buchodonosor en fit-il l'objet particulier de sa faveur; il obtint de lui Pexplication de songes inintelligibles à ses mages chai- déens, et le mit à la tête des savants de Babylone. Mais Daniel ne flattait pas pour cela les injustes prétentions et Torgueil de Nabuchodonosor; il conservait la foi de ses pères et un vif désir de revoir sa patrie. Se mettant trois fois par jour au balcon de sa chambre, il soupirait, tourné vers Jérusalem, il gémissait de- vant Dieu et le suppliait de lui rendre sa patrie et sa nation. Jérémie, demeuré dans le pays avec les Juifs les plus pauvres, pleurait sur les ruines de la cité sainte, et disait : « Oh ! comme elle gît solitaire et désolée, la cité naguère si ^!^fSréuAe* « populeuse ! La reine des nations est maintenant veuve et tri- ce butaire, et ceux qui lui sont chers ne sont plus là pour la <( consoler. Tous ses amis l'ont délaissée et se sont faits ses ad- « versaires. Les rues de Sion pleurent, et nul ne vient à ses so- c< lennités depuis que le Seigneur Ta punie de ses iniquités. Les c( étrangers ont pénétré dans son temple. — Mes jeunes filles et c< mes jeunes garçons sont allés en esclavage. — Le Seigneur, c( devenu notre ennemi, a opprimé Israël, abattu ses remparts, c< comblé d'humiliations la famille de Juda, livré à l'oubli ses « fêtes et ses jours de sabbat; il n'y a plus de loi, plus de pro- c< phètes qui reçoivent la vision de Dieu. Les jeunes filles et les c< vieillards de Sion se sont assis sur la terre, ils se sont couverts « de cendres et ont ceint leurs reins de ciliées : Tenfant à la Q mamelle a péri sur les chemins. Ils disaient à leurs mères : « Où est le pain et le vin? — et ils expiraient dans les bras de « leurs mères. A qui te comparerai-je, ô fille de Jérusalem, et a quelle douleur est pareille à la tienne ? Tes prophètes ont vu (1) Ainsi, dans le texte grec. Il paraîtrait que le li?re de Tobie aarait été d*abord écrit en cbaldéen et traduit très-aDciennement en grec. 248 PBEHIÂBB ÉPOQUE. a à faux, ils se sont tus sur tes iniquités et ne t'ont pas exhor- « tée à la pénitence. Maintenant le passant secoue la tète sur « toi, et te raille en disant : Est-ce là cette ville d^une beauté si « parfaite, la joie de l'univers? — Et les ennemis ont dit : Nous « avons désiré ce jour : maintenant nous la dévorerons. — 0 ce Seigneur, vois ma désolation, vois comme ils m'ont vendan- 0 gée. — Le prêtre et le prophète sont égorgés dans le sanc- « tuaire, le vieillard et Fenfant gisent morts sur la terre : les « braves sont tombés sous le fer : tu as invité comme à ime a solennité ceux qui devaient la dévaster. Nous tendîmes la « main à TÉgyptien et à l'Assyrien pour être rassasiés : les a mères ont fait cuire et mangé leurs enfants. 0 Seigneur, nous « oublieras-tu? Il est bon d'espérer en toi et d'attendre en si- ce lence la rédemption du Seigneur. U est bon que Thomme « porte le joug dès sa jeunesse; il siégera solitaire et il se taira, « en s'élevant au-dessus de lui-même ; il courbera son front « dans la poussière, épiant quelque lueur d^espérance, et à qui « le frappe il tendra la joue. Nos œuvres ont été iniques, et tu a as déchaîné contre nous ta colère. Ne détourne pas Foreille « de nos gémissements. Tu rendras la pareille à nos ennemis. « La coupe t'arrivera aussi, fille d'Édom, et lu en deviendras a ivre, tu en seras mise à nu. » CHAPITRE IX. ARTS ET INSTRUCTION CHEZ LES HÉBREUX. Nous trouvons mentionnés dans rÉcriture sainte, à une épo- que très-reculée', des arts qui supposent une civilisation avan- cée. Sans parler de la construction de la tour de Babel, et des caravanes rencontrées par les frères de Joseph, il y est fait mention d'arçent monnayé dès le temps d'Abraham: Éléazar offre à Bébecca des pendants d'oreilles de la valeur de deux si- cles, et des bracelets de dix. Abimelech donne à Abraham mille sicles pour acheter un voile à Sara ; le patriarche acquiert aussi au prix de mille sicles la sépulture de sa famille. Joseph avait une tunique nuancée de plusieurs couleurs, qui excita l'envie de ses frères, et Job compare la rapidité de la vie à celle de la navette du tisserand. LITTiBA.TUBB BBS HBBBBUX. 249 Les Hébreux purent^ avec une activité infatigable et une grande constance de volonté^ soutenir sans succomber des dé- sastres qui suffisent pour rayer d'autres peuples de la surface de la terre. A Tappel de la patrie, ils montrèrent une haute va- leur^ soit lors de la conquête sous Josué^ soit lorsque sous les juges ils combattirent pour leur affranchissement. La terre promise subvenait abondanunent à leurs besoins : des eaux vi- ves s*écoulaient des montagnes^ et de fréquentes rosées, jointes aux pluies de printemps et d*automne^ la fécondaient; Gaza^ Ascalon^ Sarepta produisaient des vins recherchés des étran- gers (i); les abeilles y préparaient un miel exquis; un baume précieux se distillait dans les plaines de Jéricho^ fameuses pour les roses ; le Jourdain et le lac de Génésareth fournissaient du poisson; le lac Asphaltite du sel^et les prairies nourrissaient de nombreux troupeaux. La contrée est tout autre aujourd'hui , depuis que la main de Phomme a cessé d'y seconder la nature. Mais les Hébreux y avaient, pour ainsi dire, édifié le sol, en rélevant par des terrasses ai'tificielles jusqu'au sommet de leurs montagnes escarpées. Aussi alimentèrent-ils, sur un es- pace aussi resserré, une population que n^atteignit jamais au- cun peuple sur un territoire égal en étendue (2). Partout des arbres fruitiers, noyers, dattiers, figuiers, pistachiers, grena- diers, donnaient, avec leurs fruits, Fombre si désirée sous cet ardent climat. Les Hébreux, en revanche, s'appliquèrent peu aux arts méca- niques, et abandonnèrent Pindustrie à des mains serviles. Élevés j>our la vie nomade, ils se plurent toujours à se mêler aux au- tres peuples, quelque eflbrt que Moïse eût fait pour les en dé- tourner. Quoiqu'ils possédassent plusieurs ports, ils avaient peu cie goût pour le commerce maritime, livré presque exclusive^ rnent aux Ëdômites. Salomon employa à la construction du (1) « Les vignes d'Ëbron, Bethléem, Sorel et Jérusalem, portent ordinairement Oeâ grappes pesant sept livres. En 1639, dans la vallée de Sorel, et eu trouva iine qui pesait vingt-cinq libres et demie. » — Eugène Kogeb, Voyage de la Terre sainte. (2) Le dénombrement de David constata 800,000 hommes capables de porter les armes parmi les Israélites : la moitié de ce nombre en Judée. Dans le liv. I Oes Paralipomènes , ch. xxxi, 5,6, nous trouvons 1,570,000 guerriers, sans les tribus de Lévi et de Benjamin ; ce qui suppose environ sept millions d'ha- bitants. Le pays de Chanaan n'avait pas plus de 50 lieues de longueur sur 25 de largeur. Fanérailles. Richesses. 250 PBEMIÈBE léPOQUI!. temple des artistes phéniciens; nous trouvons cités cependant Béselehel, de la tribu de Juda, et Ooliab, de celle de Dan, qui savaient travailler Tor^Pargent, le bronze, le marbre, les pierres fines^ le bois, et qui préparèrent dans le désert le tabernacle et les vases sacrés (i). Les Hébreux, comme les Égyptiens, embaumaient le corps des principaux personnages de TÉtat ; ils enterraient simple- ment tous ceux qui appartenaient aux classes inférieures. Des femmes à gages pleuraient sur le mort, près duquel on récitait des prières funèbres et Pon entonnait des chants, comme ceux de David pour la mort de Saûl, et de Jérémie sur celle du roi Josias. Le cadavre une fois déposé dans le sépulcre, ceux qui avaient assisté aux funérailles étaient considérés comme souil- lés et devaient se purifier. Le deuil était accompagné de jeûne; on ne mangeait qu'après le coucher du soleil, et seulement du pain, des légumes et de Peau ; on restait enfermé au logis, as- sis sur la cendre, dans un sombre silence qu'interrompaient seuls des gémissements profonds et la psalmodie des morts : cela durait sept jours. A Pextrémité de la plaine qui s'étend au nord de Jérusalem, on voit encore les tombeaux des premières familles dans des grottes souterraines, sans ornements exté- rieurs, comme pour rappeler que là finissent toutes les vanités des vanités. Le fond de la vallée de Josaphat est parsemé de pierres blanches ; elles indiquent le lieu où dorment les mil- liers d^Hébreux qui , dans tous les temps, de tous les pays re- venaient vers Sion pour exhaler leur dernier souffle sur une terre après laquelle ils soupirèrent toujours, où est encore leur espoir, et qui, au milieu de la réprobation universelle, les unit dans le lien mystérieux d^une foi que n^ont pu éteindre tant de siècles et tant d^infortunes. Leurs monarques amoncelèrent des richesses immenses qu% déposaient dans des coffres-forts, suivant Pusage encore suivi en Orient (2). David avait amassé, tant par les produits de la guerre que par les tributs, le commerce et les économies, Pénorme valeur de 1,248,100,000 livres pour la construction du temple. Les rois hébreux tiraient de grandes sommes du revenu de leurs (1) Exode, XXXI, 2. ' (2) On a toujours parlé des richesses ifnmenses accumulées dans le sérail de Constanlinople. Le dey d*Âlger, à Fépoque où la France le déposséda, avait dans son trésor cent millions en or et en argent. LITT^AàTUBR DES RIIbBEIIX. 25 1 propres terres et de Pîmpôt qu'ils percevaient sur les autres. Salomon recevait annuellement quarante -six millions^ sans compter les fermes et les péages, non plus que les droits sur les marchandises , et les dons des rois arabes et des gouverneurs de provinces. Aussi TÉcriture dit-elle que sous son règne on tenait peu de compte de l'argent, tant il était devenu commun. Une si grande richesse ne profitait ni à la moralité ni à Téco- noniie d^un peuple pasteur et agricole; mais les images qui abondent dans sa poésie nous prouvent qu'il ne perdit pas tout à fait son caractère , dont la naïveté se conserva dans les campagnes, même après la corruption de la cité. On peut s'en faire une idée en lisant Tidylle attribuée à Salomon, et intitulée, à la manière hébraïque. Cantique des cantiques. « Ne considérez pas que je suis brune, dit la bergère, car le defSïtlquet a soleil m^a ôté ma couleur : les enfants de ma mère se sont « élevés contre moi ; ils m'ont mise dans les vignes pour les (( garder, et je n^ai pas gardé ma propre vigne. 0 bien-aimé de « mon âme, dis-moi, où fais-tu paître ton troupeau? où re- cf poses-tu à midi? Tu es pour moi une grappe de raisin de Chy- « pre cueillie dans les vignes d'Engaddi. Que tu es beau , mon « Lien-aimé ! Notre lit est couvert de fleurs, les solives de nos, « maisons sont de cèdre, les lambris sont de cyprès. Tel qu^un «r pommier fécond entre les arbres stériles des forêts , tel est <^ mon bien-aimé entre les hommes; je me suis reposée sous « l'ombre de celui que j'avais tant désiré , et son fruit a rafraî- ^ cîhi ma bouche. Oh! couvrez-moi de fleurs, car je languis ^ d'amour ! Sa main gauche soulève ma tête, et sa droite me ^ <3aresse. J'entends sa voix : voilà qu'il vient , franchissant les ^ ommes étaient belles, si la vigne avait fleuri, si les grenadiers ^ bourgeonnaient. 253 PBBMIÈBB 1^.P0QUB. « Oh ! viens, mon bien-aimé; sortons dans les champs, demeu« et rons dans les villages , courons de bon matin dans les vignes « pour voir si des fleurs naissent les fruits. Là, je t'offrirai ce que a j'ai de plus doux... Je t'ai gai'dé les pommes nouvelles et les « anciennes... Oh î fusses-tu mon frère, eusses-tu sucé le lait de « ma mère ! en te trouvant dehors, je te baiserais, et personne a ne m^en blâmerait. Je te prendrai et je te mènerai dans la « maison maternelle; là, tu m^instruiras, et je te verserai du « vin et du suc de mes pommes de grenade. Salomon a une « vigne entourée de peupliers, il la donne à garder , et on lui « rend mille pièces d^argent pour le fruit qu'on en retire. Qu'il a ait la vigne et les mille pièces d'argent, et deux cents ceux (( qui la gardent; c'est toi qui es ma vigne. » Et son bien-aimé dit : a Filles de Sion, je vous conjure par les « chevreuils et par les cerfs de la campagne, ne troublez pas le « sommeil de ma bien-aimée. Ses yeux sont comme les yeux « des colombes ; elle est entre les jeunes filles comme le lis au « miheu des épines. Lève-toi, viens mon amie, ma beauté. Les a fleurs se sont écloses dans notre terre , dans notre terre on « entend la voix de la tourterelle : le figuier porte ses fruits, et « la vigne fleurie répand son parfum. Oh ! prenez les petits du « renard qui dévastent la vigne... « Qui est cette femme qui monte du désert, comme la fumée « des encensoirs? Oh ! tu es belle , mon amie ! tes cheveux sont « comme les chèvres qui broutent sur les monts de Galaad; tes « dents comme une rangée d^agneaux nouveau-tondus ; ta « taille est comme celle du palmier ; tes joues sont des tran- « ches de grenade ; tes deux seins ressemblent à deux petits « chevreuils paissant parmi les lis. Viens du Liban, ma sœur, « mon épouse , viens et tu seras couronnée. Tu es un jardin (( clos, une source scellée. Je suis dans mon jardin; viens, ma « sœur, mon épouse. J'ai déjà recueilli ma myrrhe avec mes « aromates, j^ai goûté le rayon avec mon miel, j'ai bu mon vin a avec mon lait. Oh! mangez, mes amis, buvez, enivrez-vous, « mes chers amis. « Le roi a soixante reines et quatre-vingts concubines, et des . « jeunes filles sans nombre : une seule est ma colombe , mon j « amie parfaite : les reines et les concubines l'ont vue , et l'onU « appelée bienheureuse. » Ailleurs la fiancée raconte ce qui lui est arrivé la nuit : « Je dors, mais nion cœur veille. Et voici la voix de mow^^ L1TT£RÀTL*AR DES HEBREUX. 253 « bien-aimé qui appelle : Ouvre , ma sœur, mon amie, ma co- « tombe , mon immaculée, car ma tête est chargée de rosée, et « mes cheveux sont baignés des gouttes de la nuit. — J'ai dé- « pouillé ma tunique, faut-il m'en revêtir? Pai lavé mes pieds, « faut-il les salir de nouveau? Tandis que jTiésitai, mon bien- (( aimé passa la main par l'ouverture de la porte, et mes en- « trailles tressaillirent; je me lève pour lui ouvrir, et mes « mains distillent la myrrhe; mais quand j'eus tiré le verrou, il c( s'en était allé. Mon âme s'était fondue au son de sa voix ; je (r le cherchai, et ne le trouvai pas; je Pappelai, et il ne répon- « dit pas. Ceux qui font la ronde me rencontrèrent et me frap- « pèrent, et ceux qui gardent les murailles m^enlevèrent mon (( manteau. « 0 filles de Jérusalem, si vous trouvez mon bien-aimé, je « vous conjure , dites-lui que je languis d'amour. Mon bien- « aimé, si vous ne lé connaissez pas, est blanc et rosé; on le « distingue entre mille. Sa tête est un or de choix : ses che- « veux sont noirs comme le corbeau et se replient comme les « pahnes. Ses yeux sont comme ceux des plus blanches co- « lombes, ses joues comme de petits parterres de plantes aro- a matiques , ses lèvres comme des lis exhalant leur premier «parfum. Il est beau comme le Liban, distingué comme le « cèdre. Tel est celui que je chéris, et il m'aime, ô filles de c< Jérusalem ! » Aucun idiome ne possède une idylle aussi tendre, et les ob- jets dont les images sont tirées révèlent mieux qu'un long dis- cours les habitudes du peuple chez lequel elle était chantée. L'histoire de Ruth en donne aussi une idée exacte. Par un temps de disette, le juge Élimelech partit de Beth- ruih. léem pour le pays de Moab, avec sa femme Noémi et deux fils. Là s'étant étabU, ses fils prirent deux femmes moabites, dont une se nommait Ruth. Les maris étant morts, Noémi retourna à Bethléem; mais Ruth ne voulut pas l'abandonner, et quitta sa patrie pour la suivre. Elles arrivèrent à l'époque de la moisson des orges; et Ruth dit à sa belle-mère: «Si tu veux, j'irai « glaner aux champs. » Le champ où elle alla était c^elui de Booz, homme puissant et parent d'Élimelech. Celui-ci, ayant appris qui elle était , lui dit : « Sois tranquille , personne ne te « molestera; si même tu as soif, va aux seaux et bois, et à « l'heure du repas, viens ici et mange du pain, et trempe le « dans le vinaigre. » Ainsi fit-elle, et elle s'assit parmi les mois- 2^54 PBEMIERE ÉPOQUB. sonneurs, prit de la bouillie, puis retourna glaner. Et B002 or- donna aux moissonneurs de laisser exprès derrière eux quel- ques épis, afin qu'elle pût les ramasser sans rougir. Ainsi elle lia ce qu'elle avait recueilli et le porta à sa belle-mère, avec le reste du dîner 3 puis elle retourna à la moisson avec les filles de Booz, jusqu'à ce que l'orge et le froment fussent rentrés. Lors- que enfin on battit sur Paire, Ruth, par le conseil de Noémi, se rendit doucement, la nuit, près du lit où Booz donïiait, au mi- lieu des gerbes de blé, et lui ayant découvert les pieds, elle se coucha là. S'étant réveillé, il lui demanda qui elle était, et il apprit d^elle la parenté qu^il y avait entre eux. Le lendemain il obtint d'un parent plus proche qu'il lui cédât son droit sur elle, et il Fépousa. Nous sommes ainsi amenés naturellement à parler de la poé- sie hébraïque : car si la vraie poésie est cette voie du senti- ment que féconde l'amour de Inhumanité et celui de Dieu , qui prie, qui gémit sur les maux, et console les infortunés en éle- vant leurs regards vers le ciel, dans aucun lieu elle n^a mieux accompli sa tâche que chez les Hébreux, Toute la littérature hébraïque est contenue dans la Bible (1), livre qui, ainsi que le disait Fillustre orientaliste Jones, « con- tient plus d'éloquence, plus de vérités historiques, plus de mo- ralité, plus de richesses poétiques, en un mot, plus de beautés en tout genre, que Ton ne pourrait en trouver dans tous les autres livres ensemble, en quelque siècle et en quelque langue qu'ils aient été composés. » Les traditions rabbiniques vou- Langue. draicut que la langue hébraïque (2) fût le langage primitif en- (1) Les Hébreux divisent leurs livres en thorah, on doctrine par excellence, et tels sont les cinq livres de Moïse; nebunit les prophètes ; en ketubim, ou écrits en général, e'est-à-dire tout autre livre. Le Talmud appelle dibré caballah , c'est-à-dire paroles de la tradition , tout ce qui n'est pas thorah» Les rabbins disent que le seul thorah est une véritable nouveauté en Israël ; tout le reste n'étant que des développements partiels de l'hiéroglyphe primitif voilé sous celui-là. Les Hébreux ne désignait les cinq livres du Pentateuque que par les pre- miers mots de chacun d'eux. Les noms grecs que nous leur donnons commu- nément leur furent assignés par les Septante, lors de leur version. (2) La dénomination de langue hébraïque fui introduite, à ce qu'il paraît, par les Grecs ; celle de langue de Chanaan ou phénicienne semble la plus an- cienne et la plus naturelle. On l'appela généralement judaïque, après la séfta- Fatiou des deux royaumes de Juda et d'Israël. Le nom d'assyrienne passa de l'écriture moderne hébraïque à la langue eHe*mêrae, qui s'écrit avec l'alphabet LITTBflÀTUBB 0B8 HÉBBBUX. 2ÔÔ seigné par Dieu même à Thomme, conservé dans la descen- dance de Sem, et plus pur chez les fils d*Héber. Quoi qu'il en soit, parmi les langues sémitiques, celle-ci l'emporte en briè- veté et en simplicité, et se distingue par un spiritualisme qui assyrien. L'hébreu appartient à la famille des langues sémitiques, ou mieux, trilittérales, qui sont : 1° Varaméenne^ embrassant le chaldéen targuraiqne et Je chaldéen biblique, la langue syriaque, le dialecte samarilain, celui des Zabiens et le talmudiqae ; 2° V hébraïque ancienne, c'est-à-dire la biblique, la tardive ou des temps inférieurs, et la rabbiniqoe, qui comprend aussi la pbénicienne et la punique ; 3" Yarabe ancien et moderne, et la langue mal- taise, dont la parenté n'est niée par personne ; 4° Vélhiopienne. Ces langues ont en commun les propriétés suivantes : V la plupart de leurs mots ont une racine iriiittérale ; 2** elles emploient presque toujours des consonnes seules pour exprimer l'idée fondamentale, qui est modifiée, mais rarement substituée par le changement de voyelles; 3** elles font un grand usage des sons guttu- raux (entre la voyelle et la consonne, sans être ni Tune ni Tautre), à différents degrés d'aspiration; 4° à proprement parler, elles n*ont pas de cas; b° elles forment le génitif et l'accusatif des pronoms personnels avec des lettres ajou- tées à la fin des mots ; 6° elles s'écrivent de droite à gaucbe (excepté Téthio- pienne) ; 7° elles n'ont pas de voyelles, y suppléant {lar des points ou des tirets au-dessus ou au-dessous des lettres. Elles tirent leur origine d'une langue commune, aujourd'hui perdue, qui semble avoir été en grande partie bilitté- rale et monosyllabi(]ue, toute naturelle et onomatopéique. Après que la société des descendants de Koé se fut dissoute, cette langue, (a première de toutes, et qui probablement ne fut jamais écrite, aura donné naissance aux idiomes ci-dessus indiqués, selon les divers climats et les caractères différents des na- tions. Ainsi rbébreu, avant d'être écrit, était identique avec l'araméen, comme l'arabe, dans les temps antiques, l'était avec l'hébreu, et, à une époque plus . reculée encore, avec l'araméen. La famille d'Abraham , en adoptant le langage des Chananéens, dut néces^ saireroent conserver des formes et des tournures qui s'effacèrent peu à peu lorsque les Hébreux furent en contact continuel avec les indigènes. Les locu- tions araméennes devinrent enfm surannées. Cette langue eut des formes stables sous Moïse, et se conserva durant neuf siècles sans altération notable; mais alors que le peuple juif dut céder à la puissance babylonienne, l'hébreu fit place au chaldéen. Ce n'est pas qu'à leur retour dans leur patrie les Juifs en eussent perdu la connaissance , car durant kur captivité il se conserva chez une partie de la nation; mais avant comme après cette époque il s'y était introduit beaucoup de mots non bibliques, des tournures et des termes non seulement araméens , mais aussi grecs et latins. U Misna est écrite dans cet idiome des temps inférieurs, de même qu'un i^ombre inûni de sentences et de narrations des docteurs talmudiques de la Palestine, etc. Il faut en outre distinguer de ces deux langages la langue ^abbinique proprement dite, qui ne fut jamais celle du peuple, mais exclusive- 'nent celle des rabbins et des gens instruits. On peut donc considérer dans ^'iiébreu trois époques: l'âge d'or, qui embrasse les livres saints avant la Iranslation à Babylone, ou l'âge du pur hébraïsme biblique; l'âge d'argent, Qui comprend les livres écrits postérieurement à la migration, ou celui de l'hé- 256 IPBBMI^BE IBPOQUË. lui est propre. To|iit langage se compose de trois éléments : les voyelles, les consonnes et les aspirations (i); à ces dernières se rapportent les consonnes, qui peuvent être rudes ou douces, comme G et GH, G et GH, D et T, B et P, V et F. Les vraies consonnes forment, pour ainsi dire, la charpente de la langue; les voyelles, la partie musicale; mais Taspiration, élément ca- ché, correspond au souffle supérieur. La consonne domine dans le grec, dans le persan, dans Tallemand; la voyelle dans l'ita- lien; l'aspiration dans Thébreu, plus que dans tout autre idiome. Il correspond mieux ainsi au but d^exprimer la révéla- tion sacrée, S'il n'est pas aussi riche ni aussi parfait que le sanskrit, il n'y a pas de langage plus abondant en images et en tropes, en un mot plus poétique. Il possède une foule de verbes expressifs et pittoresques dont la racine renferme pres- que toujours ridée du temps, tandis que la disette d'adjectifs met obstacle à la redondance des épithètes, défaut des Grecs, et donne au style une allure vive, entraînante, énergique. Au- cune langue n'exprime, en outre, avec autant d'accord Timage et la sensation. Les verbes hébraïques n'ont réellement que deux temps indéterminés, flottant entre le passé, le présent et le futur; condition favorable à une poésie d'inspiration, où le présent se marie àTidée prophétique de l'avenir, et tous deux se confondent dans Téternité. Ces deux temps alternent très- souvent, de sorte que le second hémistiche d'un vers exprime au futur ce que le premier a raconté au passé. La différence entre la poésie et la prose n'est pas aussi grande en hébreu que dans les autres langues; et l'écrivain, dans la môme œuvre, passe de la prose la plus humble à la poésie la plus sublime. Les Hébreux conservèrent cet idiome durant la servitude d'Egypte; puis, dans le pays de Chanaan, jusqu'à Manassès : alors s'introduisirent des mœurs et des rites nouveaux, et avec eux l'usage du chaldéen. Pendant la captivité de Babylone, l'hébreu se mêla à l'idiome des vainqueurs, et, cessant d'être parlé, il demeura uniquement le langage des livres de liturgie. brttïsme biblique tardif; Tâge d*airain ou de Tiiébraïsme tardif non bibliqa^i dit communément langage rabi)iuique. Le docteur Le[)sius» dans sa Paléographie, montre des ressemblances 1res* ingénieuses entre Tbébreu et le sanskrit, bien que de familles diiïéreules. (1) ScHLEGEL, Histoire de la UUérature^ leçon iv. — Herdeb, Bsprilde la poésie hébraïque (allemand). ' LITTBBATURB DES HBBRBUX. 257 Depuis longtemps ce n'est plus qu'une langue morte dont on pourrait difficilement juger Tharmonie. Cependant la quantité des aspirations et des lettres gutturales laisse deviner combien Taccent devait en être puissant et passionné. La littérature hébraïque se fonde tout à fait sur la religion ; aussi la différence essentielle qui existait entre cette religion et celle des Grecs ou des Romains les empêcha-t-elle de com- prendre cette littérature, comme ils ne comprirent pas le genre de vie de la nation juive : ce qui fit quMls ignorèrent si long- temps jusqu'à l'existence des livres saints. Seulement, lorsque PtoléméeÈvergète les eut fait traduire, quelqu*un d'entre eux, conune le rhéteur Longin, en reconnut la sublimité; d'autres les crurent le produit d'idées platoniques. Celui qui prétendrait, même aujourd'hui, y retrouver les formes scolastiques (1), nos épopées, nos drames, ressemblerait à un homme voulant me- surer au compas de Vitruve le temple de Salomon avec ses proportions colossales, sa mer de bronze, soutenue par douze taureaux, et ses chérubins couvrant l'arche sainte de leurs ailes étendues, et le sanctuaire redoutable au fond duquel Jéhovah reposait dans une mystérieuse obscurité. On y passe soudain d'une généalogie à Tessor lyrique le plus sublime, d'un simple récit à une fervente prière, d'un règlement minutieux à une inspiration prophétique. Les beautés y jailHssent des choses mêmes et d'une force de volonté créatrice ; et l'on n'y trouve- rait peut-être pas un passage où le beau prédomine seulement en tant que beau; tandis qu'on y entend toujours les paroles de vie, dans lesquelles la simplicité et la clarté la plus grande s'associent à une profondeur qu'on ne saurait atteindre. L'histoire elle-même y revêt des formes tout autres que les formes classiques; et tandis que la curiosité nationale y re- trouvait les généalogies auxquelles ce peuple tenait tant, Thu- manité en recevait une réponse aux problèmes les plus ardus que le vulgaire et les savants puissent proposer : Comment na- quit le monde? Pourquoi le mal existe-t-il sous un Dieu-bon? IMoïse ne s'arrête pas, comme les autres écrivains de cosmogo- Oavrages. Histoire. (1) Le docteur Lonvlh aécril sur la poésie hébraïque cinq traités : le pre- xiaier sur la mesure des vers ; le deuxième, sur le style et sur les figures, les allégories, les similitudes, les prosopopées ; le troisième, sur les compositions divisées en élégies, odes, idylles, etc. C'est ainsi que Ton peut rapetisser le ^«])et le plus grandiose ; c*est ainsi qu*une grande érudition et la meilleure in- 'tc^nlîon du monde peuvent devenir mesquines par des préjugés d*écoIe. T. I. il $S6 PfiBMlÈAB ÉPOQUE* mes> à des <)omn%BQtaires^ à des explications jetées en appât à la curiosité et à .Foi*gueil : il passe rapidement sur les pre- miers patriarches; mais, par des paroles précises et intelligi- bles à tous, il pose le dogme essentiel d*un^eu unique, libre créateur, et de la descendance d'un seul homme. Le narrateur est ieUemeat abs(Hi)é dans la grandeur de ce Dieu, qiiMl ne montre pas un très-grand étminement de ses oeuvres ; de là le sublime de ces expressions : Dieu dit : Que la lumière soit^ ^ la lumière fut; Dieu vit que la lumière était bonne, et il se- pmra la lumière des ténèbres. Huit chapitres conduisent d'Adam à Abraham; époque que les autres nations peuplent d'une foule de divinités. €eux qui pensent que Moïse, lorsqu'il les écrivit, tira parti de documents intérieurs dont il aurait pris, nmi-^euiement le fond, mais en- core la forme, argumentent de certains mots qui ne se trouvent pas ailleurs, de certains versets d'un rhythme poétique, res- «»!^»blant à des citations (i). Ne voulût-on voir que à^ fables dans les quinze livres d'Enoch, dans les colonnes sur lesquelles Joseph raconte que les descendants de Seth, avant le déluge, inscrivirent beaucoup de choses pour ceux qui sinrivraient au grand cataclysme, rien ne s'oppose cependant à ce que l'on puisse icroire que Moïse se servit des paroles fnémes dans les- quelles la tradition s'était conservée (2). (1) .Dixitque Lamech uxorihus suis Adm et Sellx : Audite vocem meam^ uxores Lamech ; auscullate sermonem meum, guoniani occidi virum in 'culnus meuim, et adolescentulumin livorem meum. Septuplumultio da- bitur de Caïn, de Lamech vero septuûgies septies. (Gen., !V, 23-24.) C?Bst saDS doute ua â'âgment de Ja plus ancieune {poésie. — Daas la walédictiuii de 14 oé (Gen., IX) : Maledictus puer Chanaan < servus serooi^m erit /ra- tribus suis. Benedictus Dominus Deus Sem^ sit Chanaan servus ejus, IHitxtet ^eus Japheih, et habitet in tabernacuin Sem, sitque Chanaan vetvwi e§us, — ^ Voy. Richard Simon, MMeire de ¥ Ancien Testament, I685. -.- ÀSTRUC, Conjectuies sur les mémoù^es oiHginaux dent Meïse s'est servi pour la composition de la Genèse. Bruxelles, 1763. (2) Le docteur Richard Laurence a publié Mashasa Benoch Nabiy, the froo^, etc., c'est-à-dir« le Livre du prophète Enoch, œuvre apocryphe, crue perdue durant des siècles, mais découverte en Abyssinie à la flu du siècle der- nier, Iradutte d'un manuscrit éthiopien de la bibliothèque bodléienne. Oxford, 1S21. Un iivre très-ancien , bien qu'apocryphe, et sur lequel s'appuyèrent les preodiers écrivains chrétiens, méritait assurément à'éice publié; mais on n'y trouva rien ()ui écUiirclt q^ielque peu la haute antiquité. Il fut composé avant J. C.» puisque saiut Jiide le cite, et après la captivité de fiab^lone, puisque ies idées empriwtées aux Chaldécns y abondent. L'idée de k Trinité, qiii, dans LITTERATURE DES HEBREUX. 259 Le récit s'agrandit lorsqu'il vient à parler plus spécialement du peuple d'Israël : la sublime simplicité des choses s'associe alors à la candeur des expressions ; aussi en est-il qui mettent la nar- ration de Moïse au-dessus de celles d'Homère. Dans TExode et dans les nombres, le naïf récit de la vie patriarcale fait place à la grandeur mystérieuse de l'Egypte, à l'immensité des déserts deFArabie; et quelquefois il s'épanche en hynmes d'une incom- parable majesté, qui Arappent d'autant plus que le style en est plus simple. L'histoire qui suit celle de Moïse est comprise dansiclivre de Josué, dont ce chef lui-même est cru l'auteur j puis dans les chroniques des prophètes contemporains, qui souvent se rap- portent à des aimales et à des mémoires publies aujourd'hui perdus. .Ces mémoires, les pensées sacerdotales quils expo- sai^it, et k voix du peuple exprimée par les prophètes, sont les trois éléments de ces historiens. Us sont tout à fait différents des auteurs profanes ; car ils écrivent un grand drame dojitjes acteurs sont Dieu et son peuple : l'observation ou la violatioa 4e sa loi et les conséquences qui en dérivent, la mis^cm des pro- I^ètes, les choses merveilleuses qu'ils accomphssent, arrêtent le narrateur qui ne fait qu'effleurer tout ce qui serait de pure curiosité. On en goûte mieux les beautés littéraires, si l'on 3e transporte à ce temps et qu'on s'en représente les mœurs, qui ressemblaient à celles des Bédouins d'aujourd'hui. Ces nomades sont encore très-avides de récits, et quelquefois, faisant halte dans leurs coiu'ses, ils se pressent autour du conteur : on voit alors l'anxiété, la colère, la compassion se peindre tour à tour sur leurs faces bronzées. Si un grand danger menace le héros, ils s'écrient soudain : Non, non, que Dieu le préserve! S'il s'élance dans la mêlée, leur main saisit le cimeterre; s'il tombe victime d'une trahison, ils crient : Malédiction au traître/ Suc- combe-i^il? Dieu le reçoive dans sa miséricorde , disent-ils tris- tement. Triomphe-t-il? ils applaudissent et s'écrient : Gloire au Seigneur des armées/ Le narrateur allonge le discours, se com- plaisant aux moindres circonstances, n'omettant pas un anneau de la chaîne généalogique, répétant les phrases de convention d'auU^es livres hébreux, est regaidéecorame une doctrine cabalistique, est ex- primée dans c^i-ci de mamèreà convahicre qu'elle était commune ciiez les Hé- breux ; il fait assister à ta création trois seigneurs, celui des Esprits, TËIu et le Puissant. Voir 4e jugement qu'en porte Sylvestre de Sacy. Journal défi sU' vantSf 1826. 17. 260 PBËMIBBB SPOQUfi. et les proverbes, s'étendant enfin en .descriptions des beauté^ de la nature, des femmes surtout, descriptions immanquable- ment terminées par cette exclamation : Gloire à Dieu qui a créé la femme ! C'est ainsi que je me figure les Hébreux, atten- tifs à écouter de la bouche de quelque scheikh les histoires con- servées par des chroniques ou dans la tradition. Quant aux autres livres du Pentateuque, Le Lévitique contient la constitution du sacerdoce et les dé- tails d'un culte qui, n'étant que Fombre et la préparation du sacrifice spirituel, devait être pour toujours remplacé par lui (1). Le Deutérormne comprend les dernières instructions de Moïse aux Israélites, et se termine parle sublime cantique d'ac- tions de grâces. Aux cinq livres du Pentateuque font suite ceux de Josué et (1) La preuve en est dans les rites qui font allusion et semblent préparer à Texpiation chrétienne. « Le dixième jour dn septième mois, vous attristerez « vos âmes ; vous ne ferez aucune œuvre de vos mains, ni vous, ni les étran- « gers qui seront chez vous. En ce jour se fera votre expiation et la purifica- « tion de tous vos péchés, et vous vous purifierez devant le Seigneur. Cette , « purification sera faite par le prêtre qui aura reçu Tonclion sainte. Il purifiera « le sanctuaire , le tabernacle de Talliance et Faut el , comme auf^si les prêtres « et le peuple. » La purification de la tribu sacerdotale terminée, on passait à celle du peuple. La multitude présentait à cet effet, au pontife, deux boucs pour les péchés et un bélier pour rhoiocauste. Les deux boucs étaient offerts, Tuu pour être immolé, l'autre pour être chargé de tons les péchés d'Israël, et en- voyé au désert. Il est facile d'apercevoir le sens figuré de cette image. L'agneau pur ne devait pas être seul à souffrir, mais bien encore le bouc ; c'est-à-dire que le peuple devait attrister son âme dans ces jours de pénitence. Le prêtre of- frait le bouc vivant, et, lui mettant les mains sur la tête, il confessait toutes les iniquités d'Israël , tes offenses et les péchés, en chargeait avec imprécation la tête du bouc, puis l'envoyait ainsi dans le désert. Le Talmud de Jérusalem a conservé une formule de prière et de confession que le grand prêtre prononçait au nom du peuple : Domine, maligne egi, et in opinione animoque maie constanter steti, et in via longinqua ambulavi; sicitt ègo feci, amplius nonfaciam. Sit vo- luntas et beneplacitum tuum , Domine Deiis, ut expies omnes prxvarica- tiones meas, et parcas omnibus iniquitatibus mets , et condones omnia peccata mea. Selon la Misna, la formule était celle-ci : Quœso , Domine , perverse egi, prœvaricatus sum , peccatri adversus te, ego et domus mea; quasso. Domine, condona, quseso, iniquitates, rebellio- nés et peccata qux perverse egi , in quibtts rebellavi etpeccavi adversus iey ego et domus mea, sicut scriptum est in lege Moysis servi tui, quoniam hac die fit expiatio, etc. LlTTéMATUfiE DBS HEBREUX. 261 des Juges^ celui de Ruth, les deux de Samuel, les deux des Rois, les deux des Paralipomènes, les deux d'Ësdras et de Né- hémie, ceux de Tobie, de Judith, d'Esther, de Job, des Psau- mes, des Proverbes, de TEcclésiaste, du Cantique des canti- ques, de la Sagesse, de TEcclésiastique, les treize des Prophè- tes et les deux des Machabées. Les protestants ont retranché de l'Ancien Testament les livres de Tobie, de Judith, du Cantique des cantiques, de la Sagesse, de rEcclésiastique, du prophète Baruch, une partie de celui du prophète Daniel, et les deux des Machabées. Les Proverbes , VEcclésîaste , V Ecclésiastique et la Sagesse sont des traités de morale. La forme dominante est celle du pro- verbe, qui résumait la science avant l'usage de Ui prose écrite. Les douze chapitres de TEcclésiaste représentent les souffran- ces de tant d'esprits qui, dans des temps comme les nôtres, s'en allaient perdus dans des désirs sans limites, dans une déso- lation découragée. Le sceptique, le matérialiste, le panthéiste, y retrouvent déjà leurs systèmes, depuis ressuscites. «Que reste « à l'homme de toutes ses fatigues? demande l'Ecclésiaste. Une a génération vient, une génération s'en va ; la terre demeure. Ce « qui fut est ce qui sera ; ce qui s'est fait est ce qui doit se « faire. Rien de nouveau sous le soleil ; et à rien ne sert de dire: « Ceci est nouveau, puisque d'autres nous ont précédés depuis « des siècles. J'ai examiné tout ce qu'il y avait sous le soleil, et ce partout je n'ai trouvé que vanité ; et j'ai vu que plus on acqué- « rait en sagesse, plus s'accroissait Tindignation. Alors je vou- « lus jouir ; je bâtis de magnifiques palais, je plantai des vignes « et des jardins, je formai des réservoirs d'eau, je possédai des « serviteurs et des servantes, des troupeaux de bœufs et de « moutons, de l'or et de l'argent, des chanteurs et des cantatri- ^ ces, des ceUiers pleins de vin, et je ne me refusai rien de ce « que mes yeux pouvaient désirer ; mais je vis que tout n'est ^< que vanité. Je cherchai aussi la science, et je vis que le sa- ^^ \SLni et l'insensé finissent de la même manière. Que sert donc ^ è rhomme de tant se fatiguer, si ses jours sont pleins de dou- ^^ leurs et de souffrances ? J'ai vu les oppressions qui se font ^'^ sous le soleil, les larmes de Pinnocent qui n'a personne pour ^ le consoler, et l'impuissance où il se trouve de résister à la ^ v^iolence, privé comme il est de tout appui ; et j'ai préféré l'é- ^ t:at des morts à celui des vivants, j'ai estimé plus heureux en- 96$ PRBMIÈBR BPOQUB. « eore celui qui n^est pas né et n'a pas éprouvé les maux qui se a font sous le soleil. » Ne diraitron pas le mécontentement de René et de Ghild- Harold? Il va plus loin, et dit « que l'homme ne possède rien « de plus que la bête, et que tout tend vers la même fin. a Sortis de la terre, nous retournons à la terre, et nul ne sait « si Tesprit des fils d'Adam monte , et si celui des animaux «descend. Le corps sera cendres, et Tesprit s'exlialera « comme un air léger, se dissipera comme la poussière. » Tant ce sont vieilles ces erreurs ! Le sage proteste contre elles, en se rappelant que Dieu jugera et examinera toute œuvre bonne et mauvaise. De la forme doctrinale ces livres philosophiques s'élèvent par moment à la poésie, comme dans Péloge de la sagesse, dans la peinture de Poisiveté. Pour qu'on puisse mieux se représenter les mœurs des Hé- breux, nous donnerons ici deux portraits de femmes: « Mon fils, dis à la Sagesse : Tu es ma sœur, et appelle la a Prudence ton amie, afin qu'elle te garde de la femme étran- « gère qui se sert d'un langage doux et flatteur. De la fenêtre a de ma maison je vois à travers les barreaux un jeune homme qui utique prosa et non versibus conscripserunt. Et ailleurs : Quod si qui videtur incredulum metra esse apud Hebrxos et in morem nostri Flacciy grœcique Pindari et Alcm et Sapho,vel psalterium, vel tamentationes Jeremiae, vel omnia scripturarum cantica camprehendi , légat Philonenif Josephum, Ortgenem, Cxsariensem Eusebium, et earum testimonio me vere dicere comprobabit. Dans l'ouvrage Von der Form der hebràischen Poésie nebst einer Abhand- lung iiber die music der Hebràer, von J. L. Saalsmutz, eic, mit einem Vor- worte von. Dr. âugust. Hahn (Kônigsberg, i83ô), il a été démontré que les Hébreux eurent des vers métriques, quels ils furent, et comment ils évaluèrent les syllabes. (2) ESDRAS^ 1, ch. III, V. 10. « Les prêtres se présentèrent avec les trom- pettes, et les lévites avec les cymbales, pour louer Dieu, parce qu'il est bon et que sa miséricorde est éternelle sur Israël. Et tout le peuple répondait d'une grande voix , en louant le Seigneur, parce que les fondements du temple do Seigneur étaient posés, et le cri retentissait au loin. » LITTiRÀTUBB DES HÉBBKUX, 365 par cela encore qu'elle était nationale et entée sur leur existence m^me. Leurs deux plus grands poètes furent leur législateur et leur plus grand roi : leurs hymnes étaient chantés dans toutes les solennités : c'était dans ce but que la musique entrait comme partie principale dans l'éducation. Ils avaient très-ancienne- ment des écoles de prophètes, c'est-à-dire de chanteurs; et Sa- muel (1) montre une troupe de prophètes qui descendaient de la hauteur en chantant, précédés par le tympanon, le psalté- rion, la flûte et la harpe. L^art du chant fleurit principalement sous David, qui orga- nisa quatre mille lévites en vingt-quatre chœurs, destinés à chanter dans les solennités publiques. Ces chœurs avaient à leur tête Asuf, Éman, Iditum, poètes célèbres eux-mêmes. Quand nos chanteurs efféminés d'aujourd'hui viennent nous fredonner, dans nos salles étroites, des amours et des passions souvent exagérées, toujours étrangères à nos mœurs, que peuvent-ils nous offrir qui approche de ces solennités religieuses et popu- laires si pleines de majesté? Représentez-vous tout Israël dis- ^^îbué en deux vastes chœurs, moitié sur le mont Ébal, moitié ^^ï* le Garizim, et le Jourdain entre eux. Les lévites entonnent ^ psaume : « Maudit celui qui a sculpté ou fondu les images ^* des dieux! Maudit celui qui ji'honore pas son père et sa ^ rnère ! Maudit celui qui déplace la borne de son voisin ; qui * ^gare Taveugle; qui ne fait pas justice à ^étranger, à la ^ Veuve, à Torphelin; qui pèche avec la femme d'autrui ou ^ a.\ec une parente ! Maudit celui qui tue son prochain en tra- ^ hison; celui qui rend faux témoignage à prix d'argent ! » Et » chaque verset, du haut d^Ébal, la moitié du peuple répondait ^aiédiction, ou Bénédiction du sommet du Garizim. î-e cantique qui avait retenti quand l'arche du Seigneur fut apportée sur la montagne de Sion ne devait plus s'effacer de la ïftémoire. Partagés en chœurs divers, les lévites et les chanteurs ouvraient la marche, et, accompagnés du son des instruments, \\s entonnaient tour à tour : « Au Seigneur est la terre et tout ce qu'elle contient. — Le globe de la terre et tout ce qui Tha- bite. — Il Pa fondée au-dessus des mers, il Ta établie au-dessus des fleuves. » Commençant alore à gravir la pente de la colline, ils deman- daient : 266 PBÇMIÈBE ÉPOQUî:, a Qui est-ce qui montera sur les montagnes du Seigneur? — « ou qui s'arrêtera dans son lieu saint?» Kt tous ensemble ré- pondaient en chœur : « Celui dont les mains sont innocentes et « dont le cœur est pur; qui n'a pas abandonné son âme a I4 « vanité, ni fait de faux serment pour tromper son prochain. » Puis, comme l'arche s'approchait du lieu qui lui était destiné, las chœurs s'élevaient avec un redoublement d'harmonie : c( Levez vos portes, ô princes ; et vous, portes éternelles, levez^ « vous, afin de laisser entrer le roi de gloire. » Alors ceux qui étaient placés .sur la hauteur demandaient : « Qui est ce roi de gloire? » Et tous répondaient : a C'est le Seigneur, le Dieu tout-puis- « sant qui est lui-même ce roi de gloire (1). » Quelquefois les psaumics révèlent les angoisses intérieures du poëte inspiré; mais l'allégorie remporte, et elle en fait des can- tiques d^espérance et de promesses générales. L'humanité n'y est pas représentée seulement riante ou désolée, mais tout en- semble avec ses tristesses et ses consolations, ses frayeurs su- bites et ses subites espérances, ses peines d'amour et de haine, avec la faiblesse du doute et la puissance de la persuasion (^), Comme dans toute poésie qui doit vivre, les images en sont dé- duites des idées habituelles du peuple à qui elle s'adresse : tout s'y met en mouvement, tout y prend vie; les monts tremblent ou se réjouissent ; Fabîme élèye la voix ; les eaux voient le Sei- gneur et en sont frappées d^épouvante. Jérémie s'écrie : « 0 « glaive du Seigneur, quand te reposeras-tu? Rentre dans le « fourreau, rafraîcliis-toi et tais-toi. Oh! comment reposer a-t-il, c( si Dieu lui commande de s^aiguiser contre Ascàlon et contre « ses contrées maritimes? » Si Jérémie remplit l'âme d'une tristesse sacrée , Ézéchiel la ravit par son énergie puissante ; mais Isaïe n'a d'égal en aucune langue. C'est surtout lorsqu'ils parient de Dieu que les prophètes prennent un essor subhme, secondés qu'ils sont encore par la concision d'une langue avare de mots inutiles. Nous Usons dans Isaïe ; « La terre chancellera (( comme un homme ivre, et sera emportée comme la tente « d'une nuit; » dans Nahum ; « Le Seigneur est dans la tem- c( pête, dans le tourbillon sont ses voies, et lès nuées sont la a poussière de ses pieds ; il crie à la mer, et elle se dessèche, (1) Psaume 3Qi:iII. Yoy. Lowth. (2) Yoy. le psaume XLL LITTÉBATUBE DES HÉBREUX. 167 « et tous les fleuves deviennent un désert; » datis Abaeuc : « Dieu demeura et mesura la terre, regarda et dissipa les tia- (c tjons; les montagnes des siècles furent réduites en poussière> a et les collines du monde inclinées devant les voies de soti a éternité. » « Dans ma tribulation, s'écrie David, j'ai invoqué le Seigneur, « et il m'a exaucé de son temple. La terre s'émut et trembla j « les fondements des monts s'ébranlèrent, parce que tu t'es « courroucé. La fumée de sa colère s'éleva, et le feu étincela a sur sa face. Il abaissa les cieux et descendit; un nuage obs- « cur était sous ses pieds. Il monta sur un chérubin et vola; il « vola sur les ailes des vents, il posa les ténèbres autour de sa « retraite, et se fit comme une tente des eaux ténébreuses des « orages (1). » Ailleurs, pénétré de l'idée de la présence de Dieu, il s'écrie : « Où me cacher, où fuir tes regards pénétrants ? Si je monte « dans le ciel, tu y es; si je descends dans les abîmes, tu y es (( encore. Si je prends des ailes dès le matin et si je m'en vais « demeurer aux extrémités de l'Océan, c'est ta main elle-même « qui m'y conduit, et j'y retrouverai ta puissance (2). » En contemplant la nature, il exprime ainsi sa pieuse admiration : « Seigneur, tu m'as inondé de joie par le spectacle de ta créa- « tion, je serai heureux en chantant les œuvres de tes mains : « qu'elles sont grandes, ô Seigneur! Que tes pensées sont pro- « fondes ! Mais i'aveugle ne voit pas ces merveilles, l'insensé « ne les comprend pas (3). » David, le plus grand poète qu'ait jamais possédé aucune na- tion, disait que l'homme « fut conçu dans l'iniquité, et rebelle à « la loi divine (4) ; » que l'homme est incapable de prier par lui-même, quand Dieu ne lui accorde pas cette « huile mysté- « rieuse qui ouvrira ses lèvres et lui permettra de prononcer « des paroles de louange et d'allégresse (5) ; » mais il met sa confiance dans le Seigneur; il réprouve l'incrédule qui «refusa « de croire, de crainte de faire le bien (6); » il explique les prodiges du culte intérieur que plus tard le christianisme devait (1) Psaume XVII. (2) Idem CXXXVUI. (3) Idem XCI. (4) Idem L et LY II. (5) Idem LXn. (6) Idem XXXY. 368 PRBMIÈBE EPOQUE. révéler; et il invoque le Seigneur « pour qu^l lui enseigne à « faire ses volontés, ;?arr^ quHl est son Dieu (4). » Aucun phi- losophe de Pantiquité n'avait deviné que la vertu consistât dans l'obéissance à Dieu, parc« qu'il est Dieu. Aussi de Maistre dit-il que les psaumes sont une véritable préparation évangélique; car nulle part n^apparaît plus visible Pesprit de la prière qui est Tesprit de Dieu, et partout s'y lit la promesse de ce que nous possédons aujourd'hui. La prière est le caractère constant de ces compositions, même quand elles racontent ou quand elles louent; puis, après que le prophète a péché, Texpiation l'enri- chit de nouvelles beautés, soit quand il se courbe sous le fléau, soit lorsque, au milieu de sa magnifique cité, «il gémit comme « le pélican dans le désert, comme la huppe errant au milieu « des ruines, comme le passereau solitaire sur le toit (2), et « consume ses nuits en plaintes douloureuses, et inonde de « larmes sa triste couche (3), parce que les traits du Seigneur « Font frappé (A). Il n'est plus en lui un membre qui soit sain; « il a perdu la voix, il est privé de la lumière, il ne lui reste (c que Tespérance (5). » Quelquefois il plonge son regard dans l'avenir, devinant le monde réuni sous une seule loi, dans une seule prière, quand « de toutes les parties de la terre les hommes se bessodvien- c( DBONT du Seigneur et se convertiront à lui, et qu'il se mon- « Irera, et que toutes les familles humaines s'inclineront devant « lui (6). » L'imperfection est le caractère des œuvres de l'homme ; et il n'est pas de philosophe, quelque grand qu'il ait été, sur la tombe duquel la postérité ne puisse révéler ses erreurs, son ignorance, ses contradictions. Il n'en est pas ainsi de la Bible. Et cependant elle touche aux questions les plus élevées, les plus capitales, à toutes les énigmes de la science, à tous les mystères de l'homme moral et physique, du temps et de l'éter- nité. Elle forme un tout unique, développe en grand la même idée, le même sujet, l'homme et le peuple de Dieu, tantôt ayant plus spécialement en vue la rédemption de l'humanité, tantôt I (1) Psaume CXLII. (2) Idem LI. (3) Idem VI. (4) Idem XXVIl. (5) Idem XXXVII. (6) Idem XXI. LlTTBfiÀTUBE DRS HEBBEUX. S69 cette nation élue pour garder la parole de vie, pour Rappliquer et la répandre. Loin qu'on y aperçoive cependant ce mélange d'éléments qui, dans les autres littératures, indique d'abord une lutte, puis une transaction entre les castes, les croyances, les différents degrés de civilisation ; on y retrouve constamment un seul Dieu, un seul culte, une race unique, une même manière de voir : dans le passé, pas de pâture pour une vaine curiosité, mais toujours la nation, Tunité ; dans l'avenir, l'accomplisse- ment de promesses sublimes. Aussi, lorsque nous reconnaissons qu^on chercherait vainement dans ces livres, qui furent écrits par tant d'auteurs éloignés de temps, de lieux, de conditions, deux idées disparates, deux faits qui se démentent, sommes- nous contraints d^y reconnaître une origine commune, un com- mun inspirateur. Job désirait que ses paroles fussent gravées sur la pierre. Le roi prophète chantait : « Que ces pages soient. écrites pour les générations futures, et les peuples qui n'existent pas encore bé- niront le Seigneur (1); » et tous deux ils ont été exaucés en participant à l'éternité. Tandis que nous sentons, en eti'et, cliez les écrivains profanes, les limites qu'imposent à la pensée les lieux, les temps, l'habileté, la Bible est le livre de tous les siècles, de tous les peuples, de tous les rangs; elle a des conso- lations pour toutes les douleurs, des joies pour chaque conso- lation, des vérités pour chaque temps, des conseils pour chaque état; en nourrissant les âmes de la parole de vie, elle élève l'in- telligence et cultive le goût du beau : elle a inspiré la Divine Comédie y le Paradis perdu, les Oraisons funèbres de Bossuet, VAthalie de Racine, la Messiade de Klopstock, les Hymnes sa- crées de Manzoni. En ce qui concerne la pensée humanitaire, quand les autres livres de l'antiquité tendent à établir l'infériorité de certaines races, et la haine des nations étrangères, préjugé barbare qui dure encore, non-seulement dans l'Inde et dans la Chine, mais même au miUeu de la Kberté si vantée de l'Amérique, la Bible, avec l'unité de Dieu, proclame l'unité de l'espèce humaine et une justice supérieure aux combinaisons poUtiques ; elle nous fait tous frères, pour travailler ensemble dans Texil au rétaWis- sement de l'harmonie détruite par la première faute. David chanta cet accord de tous dans la prière et dans la loi : « Le (1) Psaame CI. •^® DEUXIÈME ÉlH)QtJ£» a Seigneur est bon pour tous les hommes, et sa miséricorde ^^^ « répaml sur toutes ses œuvres, et son règne embrasse tous l^^ « siècles, toutes les générations (i). Peuples de la terre, éleve^ «vers Dieu des cris d'allégresse; chantez des hymnes à son « ncvm; célébrez sa grandeur dans vos cantiques ; dites à Dieu ; « Toute la tekre t'adobeba en chantant la sainteté de ton « NOM. Peuples, bénissez votre Dieu, faites retentir partout ses a louanges; que tes oracles, ô Seigneur, sment connus de toute « la ten*e, et que le salut que nous te devons arrive à toutes (ï les nations (2). Quiconque te craint, quiconque observe tes « commandements, je suis son ami, s-elle, que la multitude la salue d'une clameur épouvantable , à laquelle se mêlent des siffle- ments qui durent quelques minutes. On attache au chariot d'é- normes cordes où s'attellent hommes , femmes, enfants , at- tendu que c'est œuvre sainte que de traîner l'idole. La tour 8'avance péniblement avec un grand fracas; les roues gémis- sent sous le poids de cette masse énorme en laissant dans le sol de profonds sillons; les prêtres récitent des hymnes, les pèlerins agitent des rameaux. Mais bientôt la scène devient terrible; car la rehgion enseigne que roffrarfde du sang est agréable au dieu : de pauvres fanatiques, jaloux d'obtenir un sourire de leur hideuse divinité, se jettent sous les roues ; quel- ^ ques-uns se bornent à se faire fracasser les bras ou les jambes; mais les plus saints offrent le sacrifice de leur vie. L'Anglais Buchanan, qui fit, en 1806, le pèlerinage de Jagre- nat, vit un Indien s'étendre le visage contre terre, les mains al- longées en avant , sur le passage de la tour : son corps broyé resta longtemps dans Tornière exposé aux regards des specta- teurs. Quelques pas plus loin, une femme se sacrifia de même; mais, par un raffinement d'expiation, elle voulut prolonger sa mori : elle se plaça donc de biais, de manière à n'être écrasée qu'à moitié et à survivre quelques heures dans les angoisses les plus atroces. INDE. — CONSTITUTION. J77 Une foule d^autres dévots moins zélés se contentent d'expier leurs péchés par des tortures qui généralement ne causent pas la mort. Les uns se précipitent sur des tas de paille sous la- quelle sont disposés des sabres, des lances et des couteaux; d^autres.se font attacher aux deux extrémités d'un levier au moyen de deux crochets qu'on leur enfonce sous Tomoplate. Enlevés ainsi à trente pieds de hauteur , on leur imprime un mouvement de rotation très-rapide, durant lequel ils jettent des fleurs sur les assistants (1). Il en est qui, pour ne pas rester oi- sifs, s'emploient à mille petites expiations : tantôt s'enfonçant (1) Sur un peUt plateau où se trouvait rassemblé un millier d'Indiens, était dressé un mât ayant an sommet une traverse posée en équilibre à son centre. Des hommes pesaient sur une des extrémités de cette traverse cl la retenaient presque à terre, tandis que Taulre s'élevait : je vis avec surprise qu'un corpis humain y était suspendu; ce corps ne tombait pas perpendiculairement, comme celui d'un malfaiteur attaché au gibet, mais il semblait nager dans l'air oii il agitait librement bras et jambes. En m'approchant, je découvris avec horreur que ce misérable était soutenu dans une pareille position par des crochets de Ter enfoncés dans la chair vive ; cependant ni sa physionomie ni ses gestes ne dénotaient la souffrance. Une fois qu'on l'eut descendu et dégagé du crochet, il fut remplacé par un autre sunnya, c'est le nom qu'on donne à ces fanatiques. On n'employa point la force pour le conduire au lieu du supplice ; et lui, loin de donner des signes de terreur, s'avançait joyeux vers le seuil de la pagode, où il se prosterna la face contre terre. Durant sa prière, un prêtre s'était approché de lui et avait indi- qué l'endroit où l'on devait lui appliquer les crochets; un autre officiant, aptes avoir frappe Ui dos de la victime, le piqua avec force, et un autre lui introduisit adroitement les crochets dans le tissu cellulaire, juste sous l'omo- plate. Cela fait, le sunnya se releva gaiement , et lorsqu'il fut debout, on lui jeta à U face de l'eau consacrée à Siva , et on le conduisit en cérémonie sur un tertre où avaient été transportés le mât et la traverse. Son approche fut saluée de vives acclamations, et le son du tamtam et des trompettes se confondit avec les cris de la foule. Le sunnya, en montant sur le tertre, déchira les guir- landes et les couronnes dont on l'avait orné, et les assistants s'en disputèrent les débris. li n'avait pour vêtement qu'un caleçon et une veste de fil aux mailles d'un pouce d'ouverture, indépendamment de la ceinture d^étoffe rayée qui entoure le corps de tout Indien. Comme les spectateurs , au lieu de se montrer contrariés de ma présence , m'invitèrent à m'gpprocher, je montai sur la plate-forme, et je me plaçai de manière à voir s'ils n'usaient pas de quelque supercherie. Les crochets, d'un acier très-luisant , forts comme un hameçon pour la pêche du chien de mer , gros comme le petit doigt et d'une pointe très-aigu isée, furent introduits sans déchirement, et si adroitement que le sang ne conia pas , le sunnya ne montra aucune douleur et continua de parler avec ceux qui l'environnaient. Aux cro- chets pendaient des lacets de coton qui servirent à les attacher à une extrémité de la traverse qu'ils abaissèrent avec des cordes disposées à cet effet : dos 27S DEUXIBMB ÉPOQUE. des roseaux dans les bras et dans les épaules , tantôt se faisant sur la poitrine^ sur le dos et sur le front^ cent vingt blessures^ nombre rituel; l'un se perce la langue avec une pointe de fer^ l'autre la coupe avec une lame bien affilée. On voit au milieu de ces scènes d'horreur les Brahmanes se prosterner la tète nue devant Tidole ^ se mêlant sans scrupule avec les artisans^ les ouvriers^ les esclaves de la caste impure : a Le Dieu de Jagrenat est si grande disent-ils^ que tous sont a égaux devant lui : distinction de rang^ de dignité, de talent, u de naissance f tout disparait, tout se perd dans son immen- « site. » Horrible mélange de vérité primitive avec la plus étrange dé- gradation ! Ces sacrifices atroces sont suggérés à un peuple doux et hu- main par la croyance de la transmigi'ation des âmes ; or celle-ci dérive d'une grande vérité : l'homme, en effet, est ravalé par le péché jusqu'à ressembler à la brute; et, une fois séparé de Dieu, ce n'est que par de longues et difficiles épreuves qu'il peut se réunir à la source de tout bien. Cette vérité, les Indiens l'ont rendue matérielle au point de confondre le ciel avec la terre. La sagesse, la contemplation continuelle, l'extase absolue de l'âme absorbée dans l'océan sans fond de l'essence infinie, voilà, selon eux. Punique moyen de se soustraire à ces expia- tions quotidiennes. Toute leur philosophie se réduit donc à se détacher des choses terrestres et à tendre vers la divinité, jus- qu'à ce qu'ils arrivent à l'anéantissement du moi spirituel et intérieurr hommes placés à l'antre exlrémlté l'ayant attirée à eux, le fanatique s'éleva aussitôt au-dessus de nos têtes. Pour prouver qu'il élait bien roattre de lui , il prît dans une poche des poi- gnées de tieurs qu'il jeta à la foule en la saluant avec des gestes animés et des cris de joie. Les assistants s'élancèrent avec ardeur sur les saintes reliques, et, pour ne pas exciter de jalousie, les hommes placés à la partie inférieure de la traverse tournèrent lentement , faisant ainsi parcourir au sunnya tous les points de la circonférence. Le centre de la traverse était fixé dans un double pivot qui permettait de lui imprimer un double mouvement d'ascension et de rotation. Le fanatique, qui paraissait fort heureux dans une telle angoisse, fit trois tours en cinq minutes, après quoi on le dépendit, et, ses cordes dé- liées , il fut reconduit par les prêtres dans la pagode, avec accompagnement de tamtam. Là, on le délivra des crochets, et d'acteur il devint spectateur, en se mêlant aussitôt à la procession qui escortait un nouveau patient. Cas- TILRLAZB. INDU, — CONSTITUTION. 279 La métempsycose éternise la distinction des castes en favo- risant la croyance qu'elles se continuent môme après la mort. Brahma, dieu ou grand sage ^ inventeur de beaucoup d^arts et de sciences ; et notamment de l'écriture^ était ministre du roi Krisna> dont le fils partagea le peuple en quatre classes. Celui-ci mit le fils de Brahma en tôte de la première y qui comprenait les astrologues, les médecins et les prêtres; il plaça dans le^ provinces, en qualité de gouverneurs héréditaires, certains no- bles dont est descendue la seconde caste; la troisième eut pour occupation la culture de la tene; la quatrième, les arts et les métiers. Voilà ce que disent quelques-uns de leurs livres. Selon d^autres, il parait que Brahma engendra d'abord quatre fils, Erabman, Kchatria, Yaïscia et Soudra; le premier de la bouche, le second du bras droit, le troisième de la cuisse droite, le qua- trième du pied droit. Ce fut d'eux que naquirent les quatre castes, entre lesquelles Brahma défendit tout mélange; il écri- vit de plus au front de tous les hommes ce qui devait leur arri- ver de la naissance à la mort. Mais des distinctions aussi enracinées ne s'implantent pas par commandement royal , et nous avons expliqué ailleurs quelle était, selon nous, l'origine des castes, fort communes dans l'an- tiquité. La différence marquée dans la constitution physique atteste chez les Indiens celle de leur origine : en effet, les castes des Brahmanes et des Banians sont de couleur blanche, tandis que la classe inférieure est presque noire (1). Les castes parmi les Indiens sont donc au nombre de quatre : les Brahmanes, les Kchatrias, les Yaïscias et les Soudras (â). (t) NiBBDHR, vol. I, p. 456. (2) Il n'est pas besoin d'avertir que nous nous éloignons d'Arrien et des classiques pour suivre Manou et les savants modernes. Les Grecs ont compté sept castes indiennes, c'est-à-dire les sophistes, les agriculteurs, les pas- teurs, les artisans, les guerriers, bs inspecteurs et les conseillers. Rien d'é- tonnant qu'ils aient mal compris une organisation si différente de 14 leur. Du reste , les inspecteurs et les conseillers sont pris parmi les Brahmanes , et quelquefois dans la seconde et dans la troisième classe ; les chasseurs et les pasteurs ne forment pas une caste distincte, mais rentrent dans les autres. Ainsi > il y a entre les guerriers et les agriculteurs la même différence qu'entre maîtres et colons , l'obligation du service militaire étant toujours attachée à la possession , comme dans les Aefs germaniques. En revanche, les Grecs ne firent pas mention des négociants, et ils ne connurent pas les serviteurs. Les subdivisions sont au surplus très-multipliées, à tel point que la Croze, dans son Histoire du chrisHanisme dans les Indes, compta quatre-vingt-dix-huit classes. 280 DEUXIÈME ÉPOQUE. Les trois premières, distinctes par la couleur, par le droit de porter une ceinture et par la liberté individuelle , peuvent s^al- lier entre elles en secondes noces; mais le mariage dans la même caste donne seul aux enfants des droits légitimes : ceux qui sont nés donnions contractées dans une classe inférieure les perdent. Comme la conservation des castes est fondée sur la perpétuité des familles, les Indiens ne connaissent pas de plus grand malheur que de ne pas avoir d*enfants ; ce qui prive en outre des satisfactions pieuses nécessaires pour entrer dans le varga ou paradis. Il est inutile d'observer ici combien sont iniques ces divisions qui réduisent toute une classe à supporter héréditairement le poids du travail au profit des autres, et qui, en détruisant toute émulation, exclut tout progrès. BrahraanM. Jl ne paraît pas que la caste des Brahmanes soit issue d^un peuple conquérant, puisque Pautorité royale et la force publique appartiennent à celle des guemers , bien qu'elle soit morale- ment soumise à la domination sacerdotale. Les prêtres et les savants sont pris exclusivement dans la première; mais c'est par une longue série de cérémonies rigoureuses commençant dès l'âge de cinq ans, que Ton doit se rendre digne du cordon mystérieux (mekala, oupavita), pour ne plus le quitter ensuite et le conserver soigneusement pur de toute tache. Le néophyte demeure nombre d'années dans la maison d'un précepteur (gou- rou), second père , jusqu'à ce qu'il ait appris les Védas ; il lui est alors enjoint de se marier pour devenir père. Un rituel sé- vère règle ses actions journalières, qui consistent la plupart en prières, en sacrifices, en ablutions, et à se purger des souil- lures dont les cas sont très-fréquents. Il ne doit manger avec personne d'une autre caste , fût-ce même le roi , ni tuer que pour les sacrifices, ni se nourrir que de la chair des victimes; il peut toutefois surveiller les occupations des classes inférieu- res, et ses terres sont exemptes d'impôts. Le meurtre d'un Brahmane, quelque coupable qu'il soit, est un crime capital et irrémissible; pour lui les peines se réduisent à l'amende et à l'exil. Les Brahmanes sont les seuls médecins, parce qu'on croit les maladies une punition du ciel ; les seuls juges, parce qu'ils connaissent seuls la loi. C'est à eux qu'il appartient aussi de déterminer les jours bons et mauvais, de détourner les im- précations et les maléfices par les maw^ram, de purifier dps souil- lures, de célébrer les funérailles, d'imposer un nom aux nouveau- nés, de bénir les maisons , de tirer les horoscopes, d'exorciser INDE. — CONSTITUTION. 281 les esprits malins , de publier l'almanach , cFoffirir les sacrifi- ces y de garder les temples , de consacrer les mariages. Dans cette dernière circonstance, une pièce d'étoffe est étendue sur les deux époux ; ils sont bénis par le prêtre, et ils échangent le serment de fidélité qui est écrit sur des feuilles de palmier. In- dépendamment des dieux divers auxquels ils se consacrent, il y a entre les Brahmanes des différences d'habitudes et de vête- ments. Pour ne rien dire ici des anachorètes, sur lesquels nous aurons à revenir, les Saniaques vivent d^aumônes, vont vêtus de jaune, et se prétendent les légitimes successeurs des an- ciens Brahmanes ; les Gasé-Patié-Pandarous , prêtres de Vish- nou, courent par les rues en quêtant, le visage tout barbouillé; ils ne parlent jamais, mais ils demandent Paumône en frappant des mains, et mangent aussitôt ce qu'on leur donne ; les Ves- chenavins, au contraire, quêtent en chantant et en jouant des instriunents; ils déposent les aumônes reçues dans un vase de cuivre qu'ils portent sur la tête. A Pheure de sa mort , le Brahmane est étendu sur un lit de chiendent aspergé de l'eau sainte du Gange, tandis qu^on lui chante quelques versets des Védas. Une fois qu'il est expiré, on lave son corps, on le parfume, et on le pare de fleurs , puis on le brûle. Ses cendres, arrosées d'eau lustrale, sont recueillies dans des feuilles, confiées d'abord à la terre, jetées enfin dans le Gange avec de nouvelles cérémonies. Bien que les Brahmanes se trouvent souvent réunis au nom- bre de cent, et quelquefois au nombre de mille dans chaque temple, il ne paraît pas qu^il y ait parmi eux aucune hiérarchie. La caste des Kchatrias embrasse les guerriers et les magis- Kchâtria». trats : Manou, leur législateur, dit qu^elle descend de la brah- manique. Ils habitaient rinde septentrionale, tandis que les Brah- manes étaient répandus partout. Ils devaient défendre le pays par les armes; ne s'immiscer dans aucune occupation servile, ni dans les fonctions sacerdotales; apprendre les Védas ou li- vres saints, sans toutefois les enseigner, faire des aumônes, of- frir des sacrifices , et se livrer modérément aux plaisirs des sens. Les lois et le climat lui-même étaient peu propres à former des guerriers ; aussi le pays fut-il souvent conquis. Ils portent cepen- dant le point d'honneur jusqu'à la férocité, et les Anglais s'effor- cent en vain aujourd'hui encore de les amener à laisser la vie à leurs filles, quand ils désespèrent de les marier convenablement. Marchands. Commerce. M9 DBUXI^B ÉPOQUB. Les Yaïsoiaft sont marchands ^ artisans^ cultivateurs; plus nombreux que les autres castes. Ils peuvent connaître les Védas, sont honorés dans les lois et dans les Uvres, jouissent de toute sécurité, et sont dotés de certains privilèges La principale oc- cupation qui leur est imposée est Téducation des animaux. « Le a Créateur^ dit Manou, a mis les bestiaux sous la surveillance a des Yaïscias, comme les hommes sous celle des Brahmanes a et des Kchatrias. Un Yaiscia ne doit jamais dire : « Je n'ai a point de troupeaux. » Le cultivateur est très-respecté ; on ne Fenlève jamais à ses champs, pas même pour le service militaire; des officiers spéciaux mesurent le terrain^ entretiennent les ca- naux, tracent les routes à travers les champs stériles. Les guer- riers ne doivent combattre que les guerriers ; il leur est dé- fendu de dévaster les terres ou de réduire les paysans en servitude : aussi voit-on le colon conduire tranquillement sa charrue tout près d^un champ de bataille. Le commerce des Indiens était, dans l^antiquité, d^une haute importance. Alexandre et les Ptolémées lui ouvrirent un che- min plus court et plus naturel, auquel PÉgypte dut une nou- velle prospérité. Mais ces tentatives n'auraient pas eu un si prompt succès, si elles n^avaient été secondées par une grande expérience commerciale. Le pays intérieur et surtout les côtes sablonneuses ne produisaient pas assez de denrées, et il y avait disette de riz; on le tirait donc des rives du Gange, où l'on por- tait en échange les épiceries, le poivre, les pierres fines, le dia- mant, les perles, que les Égyptiens surent pêcher et (chose dif- ficile) percer dès les temps les plus reculés (1). Quoiqu'il ne paraisse pas que les Indiens eussent beaucoup de mines d'or et d'argent, ces métaux abondaient chez eux : il y est sans cesse mention de chars, de bracelets, de colliers et de petits objets en or. C'était aussi en or qu'ils payaient le tribut aux Perses ; signe certain de leurs relations avec les étrangers qui venaient échanger ces métaux contre leui^ produits. Le coton était commun à toute Hnde, mais les tissus diffé- raient dans ses deux parties : le luxe des deux classes supé- rieures entretenait l'activité de Tindustrie et du commerce. Leurs étoffes étaient très-variées, d'une blancheur ou de nuan- ces admirables. Dès la plus haute antiquité, les Indiens tissaient (1) À.RR1EN, Periplm maris Brytrai. —Vincent; The commerce and the navigation a/ the aneients in the indian Océan. LoudreSi 1807| in-4*. INPB, *"•" COIfSTITUTION. 383 réoor00 de3 grbres, et fabriquaient ces châles si moelleux que l'art européen ne sait pas encore égaler. Il est parlé aussi de leurs étoffes da soie^ mais il parait qu'elles venaient du dehors. Les toiles si renonunées chez les anciens^ sous le nom de sin- don, et la teinte bleue dite indigo, tirent de là leur nom. Ils ne montraient pas moins d'habileté dans les ouvrages d'ivoire et de métal; et s'ils n'inventèrent pas, ils connurent très-ancienne- ment l'art de tailler les pierres dures. L^encens devait aussi leur être apporté de TArabie^ bien qu'ils eussent les autres parfums en abondance^ surtout le bois de sandal. Quand Dasarate entra dans la ville de son beau-père^ a les habitants avaient répandu du sable dans les rues partout a arrosées^ qu'ils avaient ornées d'arbustes fleuris^ disposés a symétriquement, et de toutes parts s'exhalait l'odeur de Fen^ a cens et de parfums précieux (1). » Leur trafic consistait en laque, indigo, en acier si renommé, et en femmes. De larges routes étaient ouvertes aux communications, avec des pierres milliaires, indiquant les distances, les stations et les hôtelle- ries; des officiers étaient préposés à leur sûreté (2). Mais les Indiens, plus enclins à la contemplation qu'à l'activité, atten- daient que les Occidentaux vinssent chercher leurs marchan- dises, tandis que, tranquilles chez eux, ils regardaient l'Indus comme la limite du monde et n'osaient pas s'aventurer sur mer. On appelait banians le petit nombre d^entre eux qui s'éloi- gnaient pour trafiquer. Dans leurs lois, il est plusieurs fois parlé de cx)mmerce maritime; et même, dans le code de Ma- non, Pmtérêt légal de l'argent est porté à un taux plus élevé pour les spéculations maritimes* Toutes les nations trouvent aujourd'hui cette exception pleine de justice ; mais les Anglais eux-mêmes ne l'ont admise positivement que sous Charles P^ Des caravanes d'étrangers venaient ou sur des barques ou sur des éléphants; et les pèlerinages aux sanctuaires deBénarès et de Jagrenat devenaient des occasions de négoce. Les Indiens faisaient cependant un commerce extérieur avec la Chine, lui fournissant peut-être des femmes, et en tirant la soie. Les ca- ravanes qui s'y rendaient par le désert de Cobi employaient trois ou quatre ans pour traverser neuf cents lieues de distance ; Bactres servait alors, comme aujourd'hui Bokara, de station (1) Ramayan,l\h (2) Strabon. 284 DEUXIÈME ÉPOQUE. entre les deux pays. A TOrient, elles se dirigeaient par Ava, Pégu, Malacca : en longeant la côte de Coromandel, elles se portaient sur le Gange et sur la péninsule orientale; Maliarpa était le point de réunion entre les deux péninsules^ comme le fut depuis Malacca; et Ceylan était leur entrepôt principal. Des ports nombreux sur la côte occidentale de la péninsule, en deçà du Gange^ unissaient les [ndes par les liens du commerce à rÉgypte, à FArabie et aux côtes d'Afrique ; les Arabes, qui con- tinuèrent le cabotage de la mer Rouge jusqu'au temps des Por- tugais, en étaient les principaux agents. L'usage des lettres de change et de l'argent monnayé remonte, du reste, chez les In- diens, à une époque très-ancienne (4). sottdra». De cette digression qui ne leur est pas étrangère , revenons aux castes- indiennes. Après les trois premières, vient celle des Soudras; ils ne sont pas régénérés comme les membres des au- tres castes qui se marient entre elles ; ils ne connaissent pas les Védas, dont la seule lecture les rendrait dignes de mort. Le plus haut rang auquel ils puissent aspirer est celui de serviteur d'un Brahmane, d'un guerrier ou d'un négociant, ce qui leur donne l'espoir de passer après leur mort dans une caste supérieure. C'est donc pour eux un esclavage , mais différent de celui qui existait chez les Grecs, en ce qu'ils ne peuvent être employés à dos services impurs (2), qu'ils jouissent des droits d'hérédité, et ne sont ni propriété ni marchandise comme l'étaient les esclaves de l'antiquité , et comme ne le sont que trop les nègres d'au- jourd'hui. f:iasersonnages cités dans ce livre, on s'aperçoit qu'ils appartiennent tous à des époques qui ne sauraient être postérieures à celle des deux Râmas. Or, Parasou-Râma, qui passe pour avoir été le promoteur du système des castes, et R&ma-Tehandra, sous lequel ce mente système était en Tigiieur, sont consiilérés par les personnes qui se sont occupées de ta cbrouo- logie Indienne comme ayant vécu quinze cents ans au moins avant notre ère. Il fotti siif)>poéer que la com|)Mition des hymnes du Rig-Yéda a eu Ken dans les Ott«* 2»» ïteV^e eowe à\«vc^^® ceçe*' vWes (î) att M^?^.^^:^s^ Ôift«» VeJoU'* pat t. ^*<»<^''rdë5i«*'=r:I*res^«*«"*' .^oie «i';;»^;,^*^^»» aVoefc û\v\«es ,»»"°" \eA .Vé\>v\6^ cv •V oVaV ' «00 4,800 -^ 3,000 600 .440,000 \>,ooo y\ttSV^ N%^''r::\v>ott^^^''' écx\\c' ,S.' •joVaV- ■e »* ri'ï'"r»"""*».*««»r'*' \Y\Jt» a\t^«»' ^è- ^^^ ,0 ajott \aïi^ KiBS» saA ..-«-ssa^si aV^ .."^ ' r IMDB. — CONSTITUTION. 289 a existé sur le Gange ^ dont les deux principales dynasties fu- rent appelées dynastie du soleil et dynastie de la lune. A cette dernière appartenaient les Koros et les Pandos ^ 2000 ans au moins avant Père vulgaire : les premiers régnaient à Âyodhia ou Dehli (i)^ les autres à Pratistana, ou Astinapour, qui devint le chef-lieu du gouvernement lorsque les Pandos remportèrent. Le troisième fait très-important, et qui prouve combien d*é- Bouddha, vénements, parmi les plus remarquables, n'ont point été men- tionnés par riiistoire , est la comparution de Bouddha-Mouni , qui eut le courage de venir heurter de front la solide constitu- calpOf inventé ii y a neuf siècles par DaraPadma; et le Sourya-sidaniaf in* venté peu après par Vara-Mithras. Celui-ci fait mention du Grand-Mandgiari, traité astronomique où Ton parle de deux autres systèmes plus anciens , dont il a lâché de tirer parti pour Thistoire. Suivant le second de ces deux systèmes» il compare les Pouranas aux quatre âges : le satyayouga , âge d'or, com- mence 3164 ans avant J. G. ; le tretayauga ou âge d'argent, 2204; le dwa» parayouga ou âge d'airain, 1484; le caliyouga ou âge de fer, 1004. D'autres font commencer ce dernier 1300 ans avant J. C. Le premier n'a rien d'histo- rique, si ce n*est le déluge : dans le second naissent l'empire indien, les dy- nasties du soleil et de la lune : Bn'gou, Indra, Pourou, Dacsch Parasou Ramah et Visvamithras , dans le troisième ; dans l'âge de fer ont lieu les guerres des Koros et des Pandos , et vivent causica , Viasa, Kisafringa et autres Ristcbi ou sages. Jones voulut nous donner une série des dynasties de Magada, l'un des États les plus anciens de l'Inde. Mettant de côté les vingt premières , il divise les autres en cinq, dont la première régna vers 2100 avant J. C, et fmit en 1502 avec Nanda, seizième roi; la deuxième eut dix rois, et cessa en 1365; la troi- sième, des Soungas, eut aussi dix rois, et finit en 1253 ; la quatrième, des Can- nas, dura jusqu'à 908 avec quatre rois ; la cinquième, des Andrahs, comprend vingt et un rois, arrive jusqu'à 45G, et ne précède que de quatre siècles l'ère de Yicramaditia , dans laquelle s'éteint Tempire de Magada. Works , t. I , p. 304. (0 Dehli est situé sur la rive orientale de l'Yumna, dont elle occupe la longueur de trente milles anglais. Quand Schah-Nadir la saccagea, en 1738, il y trouva, dit-on, la somme de mille millions de livres en diamants, statues d'or, et un trône d'or massif garni de pierreries. Sa ruine fut achevée par les Afghans et les Marattes. On dit pourtant qu'elle renferme encore 1,700,000 ha- bitants. Le Danariserai ou palais impérial est de granit rouge, long d& 1000 coudées sur 600 de largeur; et Ton prétend que sa construction a coûté 10,500,000 roupies. Les écuries, qui peuvent contenir 10,000 chevaux, sont, de même que les cuisines, d'une élégance qui peut lutter contre celle des ap- partements; et tous les ustensiles y sont d'argent. La salle d'audience, dans le Crodaje-KotelaVf est toute couverte de cristal avec un lustre magnifique. C'est là qu'est le fameux trône au paon , placé sous un palmier portant sur un de ses rameaux un paon qui déploie ses ailes comme .pour en couvrir le roi. Tout en est d'or semé de pierres précieuses, et cependant le travail est encore plus admirable que la matière. T. r. id 2tfO DBUXIÈMB EPOQUB. tion de Hnde, d'y proclamer Tégalité des hommes^ et, rejetant castes et Védas, de prêcher une réforme religieuse en harmonie avec son système politique. La lutte dut être acharnée contre tant d'intérêts et de croyances : les persécutions et les combats se succédèrent; enfin les Bouddhistes succombèrent. Ces conflits donnèrent naissance à la constitution politique de nnde. Beaucoup d'États demeurèrent distincts : chaque prin- cipauté forma un corps à part, et presque chaque canton, cha- que ville. Tout sentiment de la patrie, toute pensée du bien pu- Mic étaient inconnus; on obéissait à la volonté d'un roi ou à la bénédiction d'un prêtre. Les rajas , monarques héréditaires, n'étaient pas tirés de la caste sacerdotale; mais, dhîgés par elle jusque dans leurs occupations de chaque jour, ils avaient pour résidence obligée un fort situé dans une contrée solitaire ; ils devaient épouser une femme de leur propre caste ; aller aussi- tôt leur lever rendre visite aux Brahmanes, gardiens des Védas; puis accomplir avec Tun d'eux les sacrifices et les prières : ve- naient ensuite les affaires de l'État, dont ils avaient à délibérer avec leurs ministres. A midi, ainsi le prescrit le Rituel, ils pren- dront un repas composé d'aUments conformes à l'orthodoxie, et essayés d'abord par leurs serviteurs ; des antidotes et des amulettes les garantiront du poison. Après le dîner, le harem; ensuite les soins militaires, la revue des guerriers, des élé- {Aants, des chevaux. Au coucher du soleil, les devoirs rehgieux accomplis , ils donneront audience aux ambassadeurs , puis ils retourneront au harem prendre un repas frugal, égayé par une joyeuse musique. Ils ne doivent jamais dormir dans le jour; et pour leur sûreté, il leur faut souvent changer de chambre à coucher : mais la concubine qui tue le roi lorsqu'il est ivre, non- seulement demeure impunie , elle peut encore prétendre à la main de son successeur. Tout raja doit avoir de bons conseillers et un Brahmane pour son confident. C'est ainsi que se perpétua dans ces contrées la théocratie, qui ailleurs fut bientôt absor- bée par le despotisme. A la cour du pieux roi Dasarate , « les courtisans étaient ri- « ches, doués de quaUtés rares, prudents, affectionnés au maître. « Deux prêtres choisis par lui dirigeaient les affaires, l'illustre cr Vasista et Kamadéva, avec six autres conseillers vertueux, c( auxquels se réunissaient les doyens du sacerdoce attachés au a roi, modestes > soumis, appuyés sur la loi, maîtres de leurs c( propres désirs. C'est avec une telle assistance que Dasarat6 INDË. *— CONSTITUTION. 2Ô1 a gpilVertiait l^empîre, étendant ses regards sur tout le pays par 11 n'y est pas question de viandes. Les Souras buvaient des liqueurs; les Assouras, ou maudits, n'en devaient pas goûter, n paraît qu'ils faisaient du vin de palmier, et que celui de rai- sin était importé. Un lambeau de coton, quatre bambous cou- verts de feuilles de palmier, de Teau et du riz, suffisent au vê- tement, à la nourriture et au logement de l'Indien , qui, dans les classes inférieures , vit pauvre et content. Les nobles en-* tourent de toutes les voluptés leur repos , dans lequel consiste leur plus chère jouissance. D'élégants palanquins, des barques conunodes servent à leurs voyages; des tapis, Por, les pierre- ries embellissent les palais ouverts à l'hospitalité; enfin les ge- nanas des femmes sont égayés par la musique, les cascades et les jets d^eau , les fleurs et les parfums , au milieu desquels (1 ) Les missionnaires de Serampoiir rendent un oompte détaillé d'un dialogue répandu à cet effet en bengalien, dans les Essays relative to ihe habits, cha- racter and moral improvement of the Hindoos. Londres, 1823. Une chose remarquable dans l'histoire des préjugés , c'est que le premier livre sorti d'une imprimerie fondée par les naturels à l'imitation des Européens, est une réfuta- tion de ce dialogue, à Pappui de celte atroce folie. 296 DEUXIÈME EPOQUE. elles passent, assises, toutes leurs journées , Jouant des instru- ments ou s'amusant au jeu d'échecs (1). Les Indiens sont élevés dès leur bas âge dans des idées de bienveillance universelle, de paisible industrie, de goût pour les arts d'imitation. Les croyances n'ont, chez aucun peuple, une influence aussi puissante. Leurs monuments merveilleux, leur langage, leurs mœurs, les minuties les plus puériles, tout leur est inspiré par la religion; PIndien en est si occupé qu'il n'a pas d'autre pensée, pas même celle d'améliorer sa propre condition. Au milieu de solennités continuelles, de cérémonies qui s'étendent aux moindres travaux, de divinités qu'il rencon- tre à chaque pas, de fables,- de lieux consacrés et d'œuvres pieuses, son imagination est tellement tendue , que rien ne parvient à l'émouvoir; aussi, lorsqu'un maître européen l'acca- ble de fatigue, il le regarde sans rancune et se soumet avec ime douce et inaltérable patience. La tempérance, la propreté, la chasteté sont tellement naturalisées chez lui par les institu- tions, qu'il n'a que du dédain pour ces hommes de l'Occident qu'il voit toucher à quelque objet que ce soit, manger de tout, égorger jusqu'aux innocents animaux qui lèchent leurs mains homicides, et consumer la moitié du jour à se préparer leurs repas. Mais si la vie peut s'écouler tranquille au milieu des in- surmontables barrières qui séparent les castes, elle est toute- fois d'une mortelle uniformité : si un perfectionnement méca- nique peut résulter de la perpétuation des arts ou métiers dans les mêmes familles , c'est en vain qu'on en attendrait des in- ventions importantes ou des appUcations signalées; elle re- pousse au contraire la consolante idée du progrès national amené par le temps à travers les obstacles. L'obscurité dont leurs doctrines sont enveloppées laisse à peine percer au dehors quelques faibles rayons, plus faits pour troubler les ima- ginations que pour assurer la marche des esprits. Elle plonge les classes supérieures dans un songe tantôt enchanteur, tantôt pénible; abandonne les inférieures aux plus cruelles souffrances ou à d'ignobles voluptés, et jette les unes et les autres dans la mollesse la plus efféminée, (1) On paraît d'accord pour donner aux Indiens Tinvention des échecs, dans le but de figurer les mouvements d'une armée composée de chars, d'éléphants, de Cavaliers et de piétons. De là le nom de schatwanga, dont les Persans ont fait schatreng. INDE. — BELIGION. 297 Voilà ce qui fait que Fimmobilîté règne dans leurs arts comme dans leurs mœurs, et que nous les retrouvons tels qu^ils se montrèrent aux compagnons d'Alexandre le Grand, la politique des Anglais consistant à ne pas les offenser dans leurs usages qui datent de trente siècles. Il y a peu de temps qu'un Brahmane de Calcutta sentant les approches de la mort, se lit exposer sur les rives du Gange; et là, en contemplation , sans donner aucun signe de vie, il attendait que la marée haute vînt l'entraîner dans les flots sacrés. Un Anglais passant par hasard le voit, et, le croyant victime de quelque accident, il le met dans une barque, le ranime avec des liqueurs spiritueuses et le reconduit à Calcutta. Mais la mort civile y attend celui qui a fui la mort naturelle : les Brahmanes le déclarent infâme et excommunié pour avoir bu avec des étrangers. L'Anglais a beau prendre sur lui le crime tout entier et affirmer quMl avait perdu connaissance, le coupable est réprouvé par la loi. Il y a plus, les tribunaux anglais condamnent son sauveur à nourrir celui qui reste abandonné de tous, que Ton fuit et que Ton méprise à Fenvi. Le Brahmane ne résiste pas à tant d^opprobre, il se décide bientôt à mourir; et l'Anglais, déjà fatigué d'un tel fardeau, ne cherche plus à Ten empêcher. Une nation, au reste, pour laquelle la chronologie, la méde- cine, Fastronomie, la religion, sont autant de mystères impéné- trables, s'habitue à croire à une invincible fatalité et à plier sous ses lois : elle accepte toujours le joug, soit du Mongol qui des- cend des montagnes, soit de l'Européen qu'y transportent les flots de l'Océan ; bientôt peut-être subira-t-elle celui de la Rus- sie, qui, du pôle opposé, viendra jusque-là pour atteindre PAn- gleterre. CHAPITRE XII. REUGION. La solidité d'une organisation sociale qui , dès le commence- ment, sut créer tant de prodiges d'art, et qui a pu résister au choc de trente siècles et d'invasions redoublées, est due à l'in- signe accord des doctrines religieuses. Plus voisins que les au- tres peuples des traditions des patriarches, les Indiens conser- 39S DSUXIÈJIIK BPOQUE. vèrent beaucoup des vérités primitives , la connaissance d'un Dieu, d^une chute et d^une réhabilitation successive. Dans le prTmwfcs. B^^vatrGita, Ariouna prie en ces termes le Seigneur : a Être « éternel, tout-puissant; tu es le créateur de toute chose, le i( Dieu des dieux, le conservateur du monde. Ta nature est in- a corruptible et distincte de toutes choses caduques. Tu fu9 c( avant tous les dieux; tu es Tàme vivifiante (i), le sublime sou» « tien de Tunivers j tu connais toutes choses, et tu mérites d'ê- « tre connu de tous. Source suprême, par toi le monde est a sorti du néant. Que chacun s'incline devant toi , s'incline » derrière toi; que tu sois partout vénéré, toi qui es partout! tf Infinie est ta gloire et ta puissance ; tu es le père des êtres tf vivants, le sage précepteur du monde , digne de nos adora-* a tiens. Qui est égal à toi ? Je te salue , je me prosterne à tes a pieds, j'implore ta miséricorde, ô Dieu digne de nos adora* a tions, parce que tu nous traites comme le père traite son fils, a l'ami son ami, l'amant l'objet de son amour. » La généra- tion du Verbe éternel est célébrée dans les Védas, La pabols nivmR s^écrie dans un hymne (2) : « C'est moi qui me mêle a aux volontés des dieux; moi qui soutiens le soleil et TOcéan; « moi la reine des sciences et la première des divinités. Je a sortis de la tête de mon père (3), qui est Pâme universelle; a au commencement des choses, je passai comme la brise sur (( les eaux (4). d La persuasion de ^immortalité de Pâme, qui, chez les autres peuples, fut plutôt une vérité sentie, comme Pexistence des corps et Pactualité du temps, eut chez les Indiens une puissance tel- lement immédiate , qu'elle pénétra dans tous les sentiments , se mêla à tous les jugements , usurpa presque entièrement la place de la vie présente. La tradition du péché originel se retrouve chez eux dans cette vague réminiscence d'une grande chute, d'une faute à laquelle toute la nature a concouru ; aussi PIndien voit-il dans tout ce qui l'environne autant d'êtres coname lui sensitifs , comme lui . dégradés , et souffrants entre le souvenir d'un bien perdu et l'attente douloureuse d'une réparation : pensée sévère qui ac- (1) Le Pur antique, (2) Rapporté par Colebroocke dans les Asiatic Researchs, t. VIII. (3) Dans la mythologie grecque, Minerve, la Sagesse, sort aussi du cerreaa ée Jupiter. (4) M( ^riim XN»i fyr^tm' m»^ a^a«. Oenè^e^ c^bler^t l'^a de tristesse , si elle n'était adoucie par la bonté et par l'harmonie universelles. Lldée sublime d'une yie nouvelle qui conunence pour l'honupe au$$itôt qu'il ^'unit à la Divinité se montre dans la (Jénomination de deu^ fois nés, que les Indiens donnent aux Brren». Brahmanes, Ainsi, au dogme d'une chute originelle se joint ce» lui d'une réhabilitation, et les castes diverses sont les degrés de réchejle qui permettra d'y atteindre. Voilà comment l'erreur, ici comme partout, éclôt sur le tronc même de la vérité 2 c'est pour cela que la caste supérieure se croit maîtresse des castes inférieures, et se fait un privilège exclusif de Funion avec Dieu, que le christianisme rend commune à tous, du plus grand au plus petit des mortels, La même idée produit che;s nous le sen» liment de l'égalité; chez eux, Torgueil des uns et l'humiliation des autres, La lumière de la révélation divine est donc obscur- cie à cet égard, comme pour le reste, par la volupté et par Forr gueil, sources ordinaires de l'erreur. La volupté nous porte à jouir de tout ce qui nous environne et à nous en faire des ido- les; c'est le panthéisme matériel. L'orgueil étend sur tout l'unie vers notre propre nature et en crée le panthéisme idéal. Ces trois principes, en se combinant, ont produit la mythologie des Indiens conmie celle des autres nations. Dans cette première déviation de la théologie naturelle se présente parfois l'usage le plus heureux du symbole, échelle ipystérieuse par laquelle l'âme s'élève jusqu'à l'infmi; mais l'imagination^ très-puissante chez les Indiens, les égare en même temps dans des conceptions extravagantes : de profondes idées, une science pleine des perfections de Dieu et de ses rapports avec l'homme, se mêlent aux étranges délires d'une poésie fan- tastique et d'une métaphysique incompréhensible. Le peuple, comme d'habitude, ne connaissait que la partie poétique; et un polythéisme grossier l'envahit en multipliant les divinités à l'infmi, jusqu'à Olha-Bibi, déesse du cholera-morbus, inventée de nos jours. Comme les Indiens tiennent à grand mé- rite de prononcer et d'entendre répéter le nom des dieux, ils les imposent à leurs enfants, en ayant soin de les varier toujours flans la même famille, pour multiplier le nombre de leurs pa- trons; ils élèvent même avec grand soin des perroquets qui, toute la journée, font retentir le nom de Rama. Les traditions saintes sont confiées aux prêtres, qui, médita- tifs et austères, se macèrent le corps par de sévères abstinen- SOO DEUXIEHS BPOQOE. ces, et considèrent dans d'éternelles contemplations les mys- tères de riiooime et de la nature. Au mois de mai, lors de la fête de Sraddha en Thonneur des morts, ils se réunissent dans un banquet solennel, et discutent entre eux sur la doctrine se- crète, se communiquant leurs doutes, les explications entre- vues, les hypothèses heureuses; ce qui accroît de plus en plus le trésor de la philosophie sacerdotale. Rien de plus aisé que de les traiter d'imposteurs : mais nous voudrions habituer le lec- teiu* à se transporter à l'origine des institutions, pour en voir Topportunité et les résultats. Les Brahmanes, au milieu d'une nation fière de toute Tindépendance native, jetèrent des dogmes de morale se rapprochant beaucoup de la vérité. Répandus dans toutes les communes, ils enseignent aux enfants à lire, à écrire, à calculer au moyen de certaines formules d'une promp- titude singulière; étrangers à Pintolérance et à la persécution, ils n'exchient personne pour cause de différence de pays ou de religion. Brahmanisme. Lcs anciennes religions nous fournissent une nouvelle preuve à l'appui du système que nous avons exposé au sujet des cas- tes; c'est-à-dire le choc de nations différentes qui, réunies plus tard par la paix, mettent en commun leurs divinités. La pre- mière religion des Indiens (i) dut être le culte d'un seul Dieu, (i) Dans VEzour Védam, ou ancien commentaire àa Védam, contenant l'exposition des opinions religieuses et philosopliiqucs des Indiens (TverduD, 1778, 2 vol.), l'unité de Dieu est ouvertement démontrée^ en même tempsque les superstitions y sont réfutées. Voltaire , heureux de trouver une morale si pure, indépendante de la révélation, assura que ce commentaire avait été écrit avant Texpédition d'Alexandre {Défense de mon Oncle, ch. xii, et Phi- losophie de V histoire); mm Sainte-Croix , dans ses Observations prélimi- naires à l'édition que nous citons , prouva qu'il ne peut pas être si aodeB. D'autres critiques parvinrent à découvrir qu'il fut l'œuvre du jésuite Robert de' Nobili de Montepulciano , né en 1577 et mort en 1656. Missionnaire dans rindouslan, il le composa pour appeler les Indiens à la foi chrétienne. (F. The brilish catholic colonial guarterly intelligencet\ n° 2, p. 161.) Ram-Mohun-Roy, savant Brahmane^ qui vécut et mourut eu Europe en 1831, écrivit un traité pour ramener les Indiens au cuite du vrai Dieu , et pour dé- montrer que l'unité de Dieu se trouve proclamée dans les Védas, et que seule- ment plus tard on y introduisit des absurdités. Les Védas, avec leur monothéisme ou plutôt panthéisme, charmèrent aussi les mahométans de la Perse. Schah Dgian , frère du grand mogol Aurung-Zeb, surnommé Dàraï Tsukuh , c'est-à-dire égal en majesté à Darius, vers la fio de 1 JOO, traduisit en persan un morceau des Védas à Taide de deux Pouodites. Cette traduction est intitulée : Oupanichada. Mais les deux Poundites l'indui- sirent souvent en erreur. Envoyée en Europe par Legentii en 1775, elle fui INDE. — RELIGION. SOI appelé du nom de Brahm, être étemel, nécessaire. « Brahni, « disent les Yédas, est celui qui est; il se révèle dans la joie et « dans la félicité. I.e monde est son nom et son image. Seul il « existe réellement; il comprend tout en soi, et il est cause de « tous les phénomènes. Il ne connaît pas les limites de temps ce ou d'espace; il ne périt pas; il est l'âme du monde et de tout « être en particulier. — Cet univers est Brahm, vient de Brahm, « subsiste en Brahni, retournera en Brahm... Brahm est la c< forme de la science et la forme des mondes infinis. Tous les « mondes ne font qu^un en lui, puisqu'ils existent par sa vo- ce lonté; volonté innée en toutes choses, qui se révèle dans la « création, dans la destruction, dans le mouvement, et dans les « formes du temps et de l'espace (1). » traduite en latin par Ânquelii du Perrou sons ce titre : Oupnek*haUeu secre* tum tegendum, continens antiqitam et arcanam doctrinam e quatuor sacris Indorum libris Rak-Beid , Djedjr-Beidy Sam-Beid, Adherban-Beid excerptum ad verbum e persico idiomate, sanskreticis vocabulis inier- mixtOf in latinuvi conversum,dissertationibus difficilia explanantibus illustratum. (Strasbourg.) (1) La Tie, l'intelligence, pour l'Indien des premiers temps, dit M. Langlois dans son introduction au Rig-Véda, c'est Dieu; un Dieu qui n*apasdenom, que Ton ne désigne que par ses attributs. Ainsi il est cat;i, intelligent; il est assourttf auteur du mouTement; il est surtout védhas, c'est-àdire qu'il existe au sein de celte substance inerte dont l'origine n'est point définie, qui D'est peut-être qu'une apparence, mais à laquelle il communique son énergie. Dieu est dans tout; mais tout n'est pas Dieu. Le panthéisme est peut-être dans le culte, mais non dans le dogme. £n effet , l'homme qui a la conscience de sa faiblesse cherche un appui autour de lui ; et, dans les diverses parties de cette nature qui touche ses sens, il reconnaît l'action de l'Être invisible dont le se- coues lui est nécessaire. Il l'invoque dans la lumière qui l'éciaire , dans le feu qui l'cchauffe, dans l'air qui le rafraîchit, dans le ciel et la terre, dans le jour et la nuit. Partout où il voit un rayon de cette clarté, de celte force, de cette abondance, de cette charité dont il a besoin ; il adore Dieu. Il n'adore pas l'élé- ment qui semble le receler dans son sein , mais cet élément devient pour lui une chose sacrée : il reçoit le nom de Déva, qui se traduit par le mot Dieu, mais qui n'a point cependant l'acception métaphysique de cette expression. Le mot Déva s'applique à tout être qui porte l'empreinte d'une efficacité su- prême, qui présente à Thomme le douv espoir du bien qu'il attend, qui enfin resplendit de l'auréole divine. C'est alors que, l'imagination du poêle s'enOam- mant avec la promesse d'une reconnaissance à laquelle il ne veut pas mettre de bornes, il divise, il fractionne la nature. De tous les accidents du temps , de tous les points de l'espace, de toutes les parties des éléments, il fait des êtres divins ; il en fait du sacrifice lui-même, du prêtre qui l'offre , de la prière, de la libation, des rites qui le composent. Tout s'anime de la vie qui est en Dieu , tout reçoit une personnalité qui est l'ouvrage de l'homme. Le poète, à son gré, choisit les traits et les couleurs qui peuvent convenir à chacun de ces 302 DEUXIÈME EPOQUE. Mais le culte sim|)le et sans effusion de sang du DlRu t^ fit place à une incarnation, au moyen de laquelle Brahma vînt ré- véler la volonté de Dieu dans les quatre Védas, livres saints cor- respondants aux quatre castes (1). Cette religion demeura intacte durant mille ans peut-être, jus- qu'à ^apparition de Sîva, seconde incarnation, ou, selon notre éftres ; H leur donne an corps, im caraetère, olio fonction, «ne famille^ Le vul« gaire^ en tes voyaol, peut \eê prendre pour de Yéritabies dieux ; mais le sage qui les a créés, tout eu les chantant, leur rappelle quelquefois leur origine, et, distinguant clairement la matière de la substance incorporelle, il leur dit qu'ils tié sont quelque diOM que par l'essence divine qui est en etii. Aussi les dieux du Rig-Véda meurent, naissent avec les phénomènes qalls représ^itcnt ; bien plus, ils meurent, ils naissent suivant le caprice de leur créateur, formes chan- geantes, périssables de la matière, ou formes plus légères, plus inconstantes en- core, issues d^un cerveau de poète. U n'y a dMmnoortel, il n'y a d'immùabte qoe fÊtre sifprémeet réel. L'adoration passe à travers cette foule déifiée de vains fan- tômes pour monter jusqu'à lui. En examinant les procédés qu'ont suivi les sages îndiens'dans ces questions philosophiques, on arrive à les comparer avec ceux qu'ont pu adopter les pères de la civilisation chez les Grecs et chez les Ro- mains. — En vain on chercherait dans le Rig-Véda , au milieu de la multipli- cité des rapports établis entre tous les dieux, la notion de la trinité. Le poète, dans les Jeux de son imagination , pouvait bien associer trois noms , comme ceux de Mitra, de Varouna et d'Âryaman : mais les divinités dont s^est com- posée la triade indienne n'existaient pas. Brahmft n'était encore que le feo^ Siva,incoimu sous ce nom et appelé alors /?OMdra, était l'air; Vichnou, c'était le soleil. Pour exprimer l'action, réelle ou supposée, des éléments l'un sur l'autre, le chantre ingénieux peut se servir des mots père et fils, mais sans qu'on en doive tirer aucune conséquence en faveur du dogme que l'on vou- drait retrouver dans l'Inde antique. Voy. le Big-Véda, traduit par M. Lar- GLois, inlrod., p rv à viii. (Note de la 2« édition française.) (1) La plus grande partie d^s indianistes ne reconnaissent que trois Véd.is : le Rig-Véda, le Yadjour-Véda et le Sarria-Véda. VAtharvana , qu'on a mis aussi au nombre des Védas, n'est qu'un supplément composé à une époque plus récente. De toutes les parties de la littérature sanscrite, aucune n'a été étudiée avec plus d'ardeur et <îe zèle, pendant ces dernières années , que la littérature védique. Le texte du Kig-Véda est publié à Londres par le docteur Max Mûllei' et accompagné de la glose du savant Atcharid, nommé Sdyana, commentateur du iiv^ siècle : une traduction du célèbre indianiste Wilson met ce grand ouvrage à la portée du public anglais. Pendant ce temps, M. Lan* gtois a publié à Paris une traduction française complète de toute la partie lyri- que du Rig-Véda (Rig-Véda OU Livre de^ hymnes, traduit du sanscrit par M. Langlois, 4 vol. Paris, Firmin Didot, 1851). Le D** Weher, à Berlin , publie le texte du Yadjour-Véda (T^c Wkite YadjUrveda, ediied by albrecht Weber, Part. I, Berlin, 1851). Une partie du Sama-Véda a été publiée par le rév. M. Stevenson , et récemment encore par le professeur Benfey de Gœttingue ; puis enfin , le D' Koer travaille à une antre édition de ces différents textes poor la Société asiatique de Calcutta. (Note de la v édition frai^ise) INDV. -^ AELieiOlf. SOS manière de voit*^ seconde invasion de peuples et de croyances. Les nouveaux venus adorant la vie et la mort sous le symbole du Lingam, organe prolifique, substituèrent aux simples fêtes du brahmanisme les orgies délirantes et les sacrifices sanglants par lesquels ils célébrèrent Tamour et la génération, la colère et la mort. Le terrible culte de Siva fut modéré par une troisième doc- trine, celle de Vichnou, qui purifia le culte du Lingam, faute de pouvoir le bannir ^ et de Taccord de ces trois croyances pro- vint la religion trimourti (1) de Brahma, de Vichnou et de Siva; trinité dont les pouvoirs se combinent et s'alternent : trois cou- leurs d'un même rayon, trois rameaux d^un seul tronc, trois formes du même principe. // et elle (afin d'exposer ici la théogonie brahmanique), Ta- mour et la puissance (2) sont unis par un troisième être, Sva- dha on Vichnou, Verbe coétemel renfermant en soi le ventre d'or qui contient Tœuf de l'univers. La trinité est mâle ou fe- melle, chacune de ses personnes étant hermaphrodite ou ayant une épouse séparée du principe mâle, laquelle préside avec lui, soit àFune des trois régions, ciel, terre et enfer; soit à Tun des trois degrés de TÊtre, création, conservation, destruction. Brafama, vieillard aux cheveux Wancs, produit le monde ; Vich- nou, brillant de jeunesse, le conserve; Siva, dieu tendre et compatissant de Tamour, est en même temps la source de tous le» plaisirs et le génie destructeur, dieu de la vengeance et des supplices, juge rémunérateur. On invoque la trimourti par le mot ounty trois lettres et une seule syUabe. Ce fut la première parole proférée par le Créa- teur; elle renfermait en elle toutes les qualités, et Brahma, en xnéditant sur elle, y trouva Teau et le feu primitif, et la tri- nourti, et les Védas, et les mondes, et l'harmonie universelle. (1) Trimourti, triforine. Elle est bien différente de laTrinifé chrétienne, piiisqu'eile comprend Siva , éieii de la deétruetioii et de la mort , c*eft(4^re ^ne contradiction. (1) Dans te Mantra des Kig-Védas nous lisons : « Alors n'existait ni Tétre ni «( le non-être , ni monde, ni cief , ni rien an-dessus, ni eaux, mais quelque « c'tose d'obsenr et de terrible : la RMrt n'était pas encore, ni rimmortalité, nt « la distittctiofi dit jour ei de la unit. Mais il respira sans soafller, senf avec ^elle qui habitait avec lui. Il n'y avait que ténèbres ; tout était confus. Mais "Cette masse couverte d'une coquille fut créée par le pouvoir de la contem* « pbtioii. Le désir se forma d'abord dans son esprit, et deviut le germe primitif «de la génération. » 304 BEUXIBMB EPOQUE* Elle est inscrite sur tous les monuments brahmaniques^etle pieux Indien la murmure sans cesse, comme PÉgyptien disait Ô7i. Tous deux ils équivalent à Vametif dont la racine leur est conunune, et qui expriment de même la résignation, •gonie. (( Écoutez, dit Manou au commencement de son code : Le « monde n'existait qu'au fond de la pensée divine, d'une ma- « nière imperceptible et ineffable, comme enveloppé dans les « ombres et plongé dans le sommeil : alors la puissance qui « existe pai* elle-même créa les choses visibles avec cinq élé- (( ments, réalisa sa propre idée, et dissipa les ténèbres. Celui ff que Tesprit seul peut apercevoir, qui n'a pas de parties, âme (( de tout ce qui vit, éblouissant de clarté, créa les eaux et y « déposa un germe lumineux qui devint l'œuf d'or (1). » Nara, l'esprit de Dieu, produisit les eaux, ou la mer de lait appelée elle-même Nara, sur laquelle advint le premier Ayana, ou mou- vement du Créateur, nommé par ce motif Narayana, c'est-à- dire agitation sur les eaux. La puissance créatrice resta inactive dans l'œuf durant une année, au terme de laquelle elle le brisa par sa volonté : les deux moitiés formèrent, l'une le ciel, l'autre la terre, et au milieu se plaça l'atmosphère avec le réservoir des eaux. Ailleurs cet œuf générateur du monde visible flotte sur la mer de lait, ou sur les — ^ eaux primitives, jusqu'à ce que la voix divine, Vacht^ le fasse=:^ éclater ; alors Brahma , sous la forme d'un enfant, se balam sur les flots, couché dans une fleur de lotos, tenant son pou( dans sa bouche 3 puis, devenu soudain géant, il s'écrie : c< Qm (( conservera ce que f ai créé F — Et aussitôt un esprit de couleui « bleue sort de sa bouche, en disant : Moi. Et Brahma imposfc=5 (( à son verbe le nom de Vichnou ou providence. » Cet œuf, périodiquement brisé et détruit, est sans cesse r^ — produit par l'inépuisable fécondité de Dieu. «  la fin du def— « nier calpa, au milieu des ruines de l'univers, Vichnou reposa (( sur les eaux de l'inondation : un lis aquatique sort de son onn- « bilic, et de la corolle de cette fleur éclôt Bralima, dieu cow- « servateur et ordonnateur. » C'est par ce beau symbole que le Pourana Kourma exprime clairement cette époque de la na- ture où le règne végétal renaît après les désastres du déluge. Pour ordonner le monde, Brahma prononça, dès le commen- (1) L'œuf que le Cnef égypiien tenait dans sa hooche, et dont rimagioatioD gracieuse des Grecs fit éclore l'Amour aux ailes dorées. f INDE. — - BBLIGION. 305 cernent^ quatre paroles qui sont les quatre Védas^ livres d'une haute antiquité^ puisque la sagesse inspirée des patriarches y apparaît presque pure d'idolâtrie (i). Historiquement^ on les fait remonter à 1^300 ans avant Fère vulgaire : ils sont composés de cent mille slokes ou strophes^ et Ton dit qu'ils furent réduits à une forme régulière par Vyasa (2). On les nomme Rig-Véda, Yaefjour-Véda , Sama-Veda , Atharvana y de la nature des prières qu'ils contiennent : le Rig est écrit en vers de plusieurs mètres; le Yadjour, partie en vers et partie en prose rhythmi- que; le Sama fut arrangé pour le chant; TÂtharvana contient des prières probablement plus récentes : chacun d'eux se divise en liturgie^ sanhita, et en doctrine, hrahmana : ils sont diffé- rents de système, d'époque et de langage ; celui-ci même n'est pas toujours intelligible : mais les Brahmanes disent qu'il im- porte peu de comprendre le sens des prières, pourvu que Ton sache quel saint les a composées, dans quelle occasion, à quelle divinité elles sont adressées, la mesure des syllabes, les diver- ses manières de les réciter, mot à mot, ou avec certaines trans- positions d'une vertu magique. Veut>-on voit avec quel soin jaloux les Brahmanes cèlent leurs Védas aux profanes ? Le puissant empereur des Mongols, Âkbar, né mahométan, voulut, dans l'âge mûr, connaître les différen- tes religions des pays qui lui obéissaient ; tous s'empressèrent de le mettre à même de s'instruire au sujet de la leur: les seuls Brahmanes s'obstinèrent à ne pas révéler les mystères de leur croyance ; prières, menaces, promesses, tout fut vain. Akbar eut recours à la ruse. Il envoya à Bénarès, leur ville sainte, un jeune Indien nommé Fietzi,en le faisant passer pour le fils d'un Brahmane ; en efTet, il est adopté par un prêtre qui l'instruit dans la langue et dans les choses sacrées ; mais quand Âkbar se croit au moment de ravir le secret qu'il désire, Fietzi, épris de ' (1) On D'y trouve aucune mention ni de Krisna ni de Siva, ni en général de \ la mylliologie des Pouranas. (2) Vyasa youlant dire compilaleur, ce doit être un nom collectif. — Pen* ^ant l'âge qui précéda la grande guerre chantée dans le Mah&bhrar&ta , on iompte vingt-huit personnages portant le titre de Vyasa et qui ont eu mission ^arranger les Védas. Le dernier, nommé Crichna-Dwépayanay s'en remit , ttur le recueil du Rig-Véda, au zèle de son disciple Pela. Il paraîtrait que dif* tentes divisions de ce livre furent opérées successivement tant par Pela que |r ses disciples. Voy. introd. au Rig-VéâUf par M. Lànclois. (Note de la édition française.) T. I. 20 S06 i)SVXlÈiLB fiPOQUI. la fille de aôn instituteur^ ae jette aux pieds de ce dernier, et lui confesse la fraude en pleurant. I^e prêtre tire son poignard pour tuer le sacrilège; mais^ sa bien-^aimée intercédant pour lui, le Bratunane cède au repentir du coupable^ et lui accorde son pardon et sa fiUe^ à la condition de ne jamais traduire les Védas. Nonobstant un soin si jaloux, les Européens parvinrent à en dérober quelque cbose^ de manière à pouvoir se faire ime idée de ces livres^ mélange de sublime et d'absurdités. La création y est considérée comme un grand sacrifice^ où Dieu^ ministre et victime^ s'inunole lui-même en se divisant. C'est sous cet as- pect qu'il est célébré dans quelques hymnes du Rig et de l'Ya- diourvéda. a Adore les pères qui, en faisant la chaîne et la « trame/ tissèrent et formèrent cette offrande^ tenue de tous c6- M tés avec des fils et tendue par la force de cent un dieux. Le M premier mâle développe et couvre ce tissu^ il le déploie sur le « monde et sur les cieux ; ces rayons (ceux du Créateur) se con* « centrèrent sur l'autel et préparèrent les fils sacrés de la « ebaine. C(»nbien fut grande cette divine offrande que {Mresen- (( tèrent tous les dieux ! Quelle en fut la figure, le motif, la li- « mite, la mesure, le sacrifice et la prière ? D'abord fut produite c( la Gajfoêri unie au feu ; puis le Soleil avec Ouokni; ensuite M la lune splendide avec Anouchtoubh et avec les prières (I). 0 Et avec ce sacrifice universel furent créés les sages et tes (f hcHnmes. Cet antique sacrifice accompli, les sages, les hom- « mes et nos ancêtres furent formés par nous. En contemplant itri) ! Qu'il guide « notre entendement» Affamés du pain de la vie, implorons les et don» de ce Soleil rosplendissant qui doit être adoré avec une (( fervente piété. Hommes vénérables, guidés par Fintelligence, «f saluez ce divin Soleil, avec des offrandes et des louanges (1). » Une autre prière plus symbolique est adressée au chien gar- dien du zodiaque, où demeure Varouna, identifiée avec là lune : « Gardien de cette habitation, sois-nous propice; fais qu'elle « nous soit salutaire : accorde-nous ce que nous Implorons de a toi. Fais prospérer nos animaux, bipèdes et quadrupèdes. « Gardien de cette habitation, multiplie et nous et nos biens. « O Lune, emploie ton influence à nous préserver de la déca- «dence, nous, nos génisses et nos chevaux; protége-nous « comme un père ses enfants. Gardien de cette demeure, fais « que nous nous trouvions réunis dans le séjour de la félicit^, « là où tu accordes à la créature d'étemelles délices et les « charmes de la mélodie. Prends sous ta protection nos richesses, « à cette heure et dans l'avenir, et délivre-nous du mal. » Si Pon veut juger jusqu'à quel point la théologie panthéiste des Indiens peut atteindre à des abstmctions élevées, on n'a qu'à lire dans les Védas le discours prononcé par Vatsc (la pa- nrfe), épouse de âmhma, et procédant de lui: « J'erre avec les a Raudras^ avec les Vasoux^ avec les Adidas et avec les Visva- 0 (levas. Je soutiens Mithras et Varcmna (le soleil et l'océan), « /ndra (le firmament), et le feu et les deux Jstvini; je sou- « tiens Soma (la lune), et Twactri et Pousehan; j^accorde la « richesse au dévot pur qui accomplit les sacrifices, présente flf les offrandes, satisfait aux dieux. Moi, reilie, je dispense tous ff les biens, je possède la science, et tiens le premier rang parmi If celles qui méritent une adoration et qui sont octroyées par « les dieux; universelle^ toute-puissante, je pénètre dans tous « les êtres. Quiconque vit et se nourrit en moi, quiconque voit, « respire, entend par moi, et ne me connaît pas, malheur à lui ! c( Recevez la foi que je proclame ; car, je le déclare ici, moi, a adorée par les dieux et par les hommes : celui que j'ai choisi, « je le rends fort et brahma, saint et savant. J'ai porté le père « sur la tête de Pesi^rit suprême (2), et mon origine est au mi- (1) COLEBROOKE, Âsiat. Rcs., VIII W. JoNES, Exirocis frtm the Vedas* WOIIKS, v6l Xlll. (3) J*M eogfindré le firmaïuent 20. 308 DBUJLIÈME BPOQUE* (c lieu de l'Océan : c'est pourquoi je pénètre toutes les existences, « et avec ma forme j'atteins au ciel. Créatrice primitive de tout « être, je me promène comme un souffle léger, j'habite au- tf dessus des cieux, au delà de la terre^ et je suis Pinfini. » Ajoutons-y un hynme du Samavéda, que les parents du dé- funt doivent^ après Tavoir mis en terre, réciter sans pleurs ni gémissements : a Insensé qui voudrait prolonger la vie de l'homme ! Elle est c( fragile comme la branche du palmier, fugitive comme récume , « de la mer. « Composé des cinq éléments de la nature, le corps humain « se résout en eux, et va rendre compte des actions accomplies « dans son état précédent. Il ne faut pas le regretter. a La terre périt, l'océan et les dieux périssent aussi : com- c( ment l'homme, bulle d'air, échapperait-il à la destruction! « Par cela qu'il est d'un ordre inférieur, il doit périr; pai' « cela qu'il est élevé, il doit s'abaisser. Les Uens du corps ne « sauraient échapper à la dissolution ; la vie ne saurait échapper (( à la mort. c( Les larmes dans les yeux des parents déplaisent aux morts. (( Ne pleurez pas; accomplissez les devoirs dus aux morts. » pDfiranas. Lcs Védas forment le premier des Sastras, c'est-à-dire des six grands corps d^ouvrages composant l'encyclopédie officielle des Indiens. Le second Sastra contient quatre livres correspon- dant aux quatre Védas, où se trouvent les théories de la méde- cine, de la musique, de la guene, et la pratique des soixante- quatre arts mécaniques. Dans le troisième Sastra sont compris six livres, c^est-à-dire une grammaire et un dictionnaire sans- krits, une théorie de la prononciation, une astronomie, un ri- tuel et une prosodie. Le quatrième se compose de dix-huit Pouranas, commentaires plus ou moins libres des Védas, où les absurdités les plus bizarres sont confondues avec des beautés sublimes et de terribles superstitions (1). Aussi le Brahmane o^ (I) on trouve dans les Pouranas, a dit M. Molil dans un de ses rapports annuels à la Société asiatique (1844), rinsloire des phases diverses qu'ont ptr* courues les doctrines brahmaniques ; et s'il est indispensable , pour bien com- prendre celles-ci, de remonter jusqu'à leur source, et de les étudier dans leur forme la plus primitive, il ne l'est pas moins de les suivre jusque dans leur dernière expression , telles que nous les donnent les Pouranas ; car les dogmes qui dans les Védas apparaissent à peine, n'ont acquis leur véritable valeur historique que par le développement qu'ils ont reçu et par rinfluence INDE. — BBLIGION. 309 thodoxe ne jiire-t-îl que par les quatre Védas, qui seuls jaillis- sent de Farbre de vie placé sur la cime d'or du mont Mérou. A ces quatre fleuves de la parole correspondent, dans le monde visible, les quatre grands fleuves de la terre, FIndus, le Gange, le Brahmapoutra et le Gomate (1), qui, sur le mont Sacré, s'échappent de la bouche des quatre principaux animaux, le chameau, le cerf, le cheval, le bœuf. Le Mérou, soutenu au- dessus de leur source par quatre colonnes d'or, d'argent, d'ai- rain, de fer, dresse dans les airs ses quatre flancs, dont chacun est teint d'une des couleurs distinctives des quatre castes, le blanc pour les Brahmanes, le rouge pour les Kchatrias, le jaune poiu» les Vaïsyas, le noir pour les Soudras. Le Mérou, la montagne sacrée, que nous trouvons chez tous les peuples orientaux, indiquée comme le centre de leur pays, et dès lors de toute la terre, était figurée sous la forme d'un grand disque, ou d'un carré, entourée d'un océan inconnu, sur les rivages duquel on plaçait des peuples fantastiques, des pygmées, des géants, des palais enchantés, des jardins aux fruits d'or. « Sur la montagne d'or, disent les poésies indiennes, « habite le dieu Siva; là est une plaine avec une table carrée, « ornée de neuf pien'cs précieuses, et au milieu le lotos qui (( porte dans son sein le triangle, origine et source de toutes « choses, duquel éclôt le lingam (2), dieu éternel, qui en fit « son étemelle demeure. » Les dieux, voulant inventer le breuvage d'immortalité, ren- versèrent le Mérou dans la mer, qui en fut bouleversée. Alors Vicbnou, sous la forme d'une tortue, souleva la montagne sur son dos; mais les démons l'ayant enlacé dans les replis de rénorme serpent Vasouki, que les uns prirent par la tête, les autres par la queue, ils le firent rouler comme une immense baratte dans la mer de lait, et composèrent ainsi l'ambroisie [amrilà). Le ciel est une coupole soutenue par des cariatides gigantesques qui président aux douze signes de Tannée. Notre terre est appuyée sur quatre ou huit éléphants qui reposent sur la tortue (3). qtrils ont exercée ; et c'est en cela que consiste la ?éri(able importance de l'élude des Pouranas, (Note de la 2' édition française.) (!) Etfluvius egrediebatur de loco voîtiptatis^ ad irrigandum paradis sum, qui inde dividiiur in quatuor capita, etc. Genèse. (2) Les organes de la génération des deux sexes. (3) La tortue, dont les Égyptiens firent la lyre ordinatrice d'Hermès, symbole 3tO PHKHIÈIlli EPOQUE. Le cinquième Sastra comprend le Dharn^a, pu loi civile, et la sixième le Dhersana, c^est-à-dire les six grands systèmes phi- losophiques. A Taide de tous ces livres, nous tâcherons d'indi- quer les points culminants de la mythologie indienne. Brahma, être mystérieux, retiré au fond du ciel, n'a point de temples; il n'est représenté qu^en or, avec quatre têtes, et il opère extérieurement par le moyen de Vichnou, son Verbe, Il créa les Manous primitifs, personnification de la civilisation; les sept Rischisou saints; les dix Brahmadicas; les huit Vasr sous, protecteurs des huit régicms du monde; les dix Saciis ou Brahmanes; les 3ept Mounis, chefs des sept sphères célestes; les douze Âditias, dieux solaires^ avec les Devis, bon génies ; les Roudras ; les cent trente^leux millions de divinités inférieures qui peuplent toute la nature; les Schoubdaras, ou habiles ou- vriers ; les Raginis, ou notes musicales personnifiées ; les Gan- darvas, ou musiciens ; les six cents millions d'Âpsaras, ou syl- phes légers, dont les réunions et les chants réjouissent la cour d^Indras. Enoi^eilli par d'aussi belles créations, Brahma se réputa l'égal de Brahm ; il voulut usurper une partie du monde, et 3'étant épris de sa sœur Sarassouati, la poursuivit avec achar- nement; ce qui fut cause que Brahm, Tayant saisi, le précipita dans le fond du naraka, ou enfer. « Ne sais-tu pas qu'un de mes « titres est : Vengeur de l'orgueil? G^est le seul crime que je ne a pardonne pas. Une voie te reste néanmoins pour obtenir « merci ; t'incarner sur la terre et passer par quatre générations G successives, une à chaque âge. » Pour se réhabiliter, donc, Brahma subit quatre incarnations : dans la première, il appa- raît sous forme de kakabousonda, corbeau-poëte; dans la se^ conde, sous celle du paria Vahniki, vivant mal sur la terre, et (du Terbe, et les Gr«iiîs U lyre de Mercure et d*ApoUon , aa son de laquelle les pien^s formaient les murs de la cité» Bahaskara-A^tkarya , sagtf qui Tivatt eu 1114 de l'ère vulgaire, nie que la terre soit soutenue par les éléphants et la tortue, « parce que, dit-il, si ce monde avait un appui nàatériel, celui-ci dé- fi vrait en avoir un pour le soutenir, et ainsi de suite. Mais enfin il doit y avoir « quelque chose qui se soutienne par sa propre force; or, comment ne pas • attribuer cette force au monde lui-même, l'une des huit formes visibles de a la Divinité? » Il faut surtout faire bien attention k ce qu'il ajoute: « La terre tt a un pouvoir attractif qui fait qu'elle attire à soi tout corps pesant qui « existe dai)s l'air : ce qui explique comment ne tombent pas U» corps placés « dans la partie inférieure ou sur les flancs de la terre. » Voilà Kepler et Newton devancés. 1«DX. «- OELIflIOlf. SI I attifant dans sa eabane les voyageurs faiif;tiés qii*il vole et qu'il égorge durant leur sommeil! mais il est converti par deux ris* chis^ si bien qu'il se voue aux exercices de la plus sévère péni« tenoe. On le voit ensuite comme Yyasa et Mouni^ poëts et chanteur; enfin il devient Ralidasa^ grand poëte dramatique. Tel est le Brahma ^ objet des admirations de la seote jadis "^1^^"' dominante et maintenant déchue dans VinAe. Les Brahmanes '^ p«run«- l'invoquent matin et soir , en jetant trois foiâ da Teau vers le soleil avec le creux de la main^ puis en lui ofirant à midi une belle fleur et du beurre frais dans des sacrifiées où le feu est allumé» Ce culte du soleil et du feu rappelle le Mithra de là Perse : quelques traditions racontent môme que certains Brah^^ maoes de la Bactriane^ appelés Magat, auraient apporté ces pratiques dans l'Inde. Ce seraient les Mages : et mit hr as y en sansorit^ signifie précisément ioleil et atnù Beaucoup d'autres mots sont conmiuns à la langue sacrée des Perses et à celle des Indiens; ce qui prouve Torigine commune de ces peuples^ ou au moins de la caste civilisatrice* Aujourd'hui même, les Brahmanes répandus dans toute l'Asie invoquent Vagm(i)^ conservent dans les pagodes le feu sacré pour brûler les victi** mes^ et l'allument en frottant avec force deux morceaux de bois Pun contre l'autre. Dans le Bagavat» Krisua dit à son cher Ariouna : « Dieu réside spécialement dans le feu de Tautel^ et a quiconque fait ofirande au feu la fait à Dieu. » Quand il sera possible de mieux rapprocher le Zendavesta des Védas , 'il se manifestera entre eux un air de parenté aussi frappant qu'entre la mythologie indienne et celle de la Grèce (3). Il sera prouvé alors que les Perses et les Indiens puisèrent à la même source mystérieuse leurs idées religieuses^ avec cette difiërence que les premiers adoptèrent pour but principal le bien^ les autres la science : les peuples de Tlndoustan s'appliquèrent à la spé*^ culation , tandis que ceux de PIran s'appliquèrent à l'œuvre. Le Verbe de Brahma est Yichnou^ surnommé Narayana ou vichnoa. dieu qui marche sur les eaux; il monte Taigle Garouda à la tête humaine^ gouverné par un page (3). Il est représenté avec la barbe et la chevelure noires , ayant quatre bras y dont il tient (1) ignis et agnus^ symboles consenrés aussi dans d'antres religions. {'X) Asiat. ResearchSy 1. 1 et sui?. — Rhode, Veber alter, etc., p. 71 ; Hei» lige sagey p. 139-168 — Goerres, Mytengeschichte, etc., et le présent ou- yragei livre in« (3) Le Ganymède de Jupiter. 312 BEDXIÈIIE EPOQUE* une massue^ une coquille^ un disque^ une fleur de lotos^ et sur sa tête la tiare aux trois couronnes^ comme seigneur de la mer, du ciel et de la terre. Il a subi et subira un grand nombre d'incarnations (avatars^ le rapprochant toujours de la divinité jusqu'à la dixième qui s'accomplira à la fin des siècles^ quand Tessence di- vine descendra vengeresse et consonmiatrice , aussitôt que le cheval blanc de la mort et de Finitiation complète , appuyant son quatrième pied sur la terre , donnera le signal de la fin du monde. Mahassour^ prince des anges de lumière déchus par leur rébellion, corrompt continuellement par son souffle les quatre paroles de Brahma; c'est pourquoi sept manous ou lé- gislateurs viennent sept fois rétablir les Védas perdus, et faire passer par sept degrés successifs d'expiation le monde qui leur est confié : après quoi Vichnou descend chercher les âmes pures, juger l'univers et abattre le vieil arbre dépouillé de son fruit. Le grand dragon, symbole de Féternité, s'avance comme une comète à longue queue : il dévore la terre et le temps ; il réduit l'océan en vapeur; et, prenant sur son dos le dieu conservateur qui a recueilli dans son giron les purs débris de l'univers, il darde sur la tête de Vichnou mille langues de feu , pour lui en former un pavillon jusqu'à ce qu'il se réveille. Le premier avatar (dit le Pourana Matsya) arriva vers la fin du premier calpa, quand le sommeil de Brahma causa la des- truction de l'univers; parce que, tandis qu'il dormait, le démon Àya-Griva, s'étant approché, lui déroba les Védas qui sortaient de sa bouche. Vichnou, qui s^en aperçut, se changea en un énorme poisson ; et, paraissant devant le pieux roi Satyavrata, il lui dit : « Dans sept jours, les trois mondes périront submer- agés; mais au milieu des ondes dévastatrices surnagera un « vaisseau que je conduirai moi-même et qui s'arrêtera devant c( toi : tu y déposeras toutes sortes de plantes et de semences, « et un couple de tous les animaux ; puis tu y entreras aussi. « Quand le vent agitera le vaisseau, appuie-toi à la corne que je a porte au front; car je serai près de toi jusqu'à ce que finisse « la nuit de Brahma (1). » Les choses se passèrent ainsi : les eaux du déluge retirées, les Védas furent retrouvés dans le ca- davre du géant Aya-Griva, tué par Vichnou, qui les donna à (i) Dans le Mahàbarat on raconte différemment cette histoire dnpoissim: Matsyakam nâma pourdnam parihirtitam âkhyânam. IKBB. — BBLIÛIOK. St3 Satyavrala. Celui-ci devint pour les hommes renouvelés le sep- tième Manou ou prophète législateiu* , sous le nom de Vaïvas- souata. Encore vivant, Vichnou règne du haut des deux sur le globe qu'il dirige comme un pilote habile. 11 s'incarna la se- conde fois en tortue ; puis la terre étant menacée par le démon des eaux, il se métamorphosa en sanglier, et, vainqueur du géant , il la souleva avec ses défenses et la remit en équilibre sur Focéan. Il triompha d'un autre géant en se tranformant en homme-lion. Chacun peut retrouver dans ces incarnations successives quel- ques traits de Thistoire primitive du monde et du développement de la création animée, du poisson à l'amphibie, au quadrupède, et jusqu'à l'homme. Toujours cependant on remarque un progrès, une victoire du bon principe sur le mauvais, un accroissement de perfection et de puissance. Une autre fois , Vichnou prend la forme du nain Trivicrama ou de Trois Pas : il se présente inconnu au géant Mahabali, qui avait conquis les trois mondes, et lui demande trois pas de terrain. Celui-ci les accorde. Alors le nain déploie ses jambes immenses; d'un pas il mesure la terre, de l'autre le ciel, du troisième les enfers. La sixième fois, Vichnou prend la figure d^un pauvre Brahmane pour châtier la dynastie du Soleil; après l'avoir vaincue, il se retire sur la chaîne des Gatis, dont la mer baignait alors le pied , et il y prouve sa divinité en faisant sortir des eaux la côte du Malabar. . Sa septième incarnation, la plus magnifique de toutes, fut celle de Crichna, soleil mystique, sacrificateur et sacrifié, époux de toutes les âmes pures auxquelles il se communique et qui se communiquent à lui , formant ainsi la participation universelle des bons avec Dieu. Selon le Bhagavata-Pourana, Crichna na- quit sous la forme humaine dans les prairies sacrées du Gange, où il guide, conune un berger au son de la musette, un chœur d'innocentes bergères (gopis), qui toutes Faiment d^un vif amour, et dont chacune croit le posséder exclusivement ; il règle leurs cérémonies aux sons de la fiûte , comme le soleil règle la danse des sphères célestes. Lorsqu'il était encore enfant, sa nourrice lui reprocha un jour sa gourmandise : il ouvrit la bouche, où elle vit Punivers dans toute sa magnificence (1). (f ) crichna est l'un des personnages du panthéon hindou qui comptent main* tenant le plus d'adorateurs. Cette incarnation de Vichnou semble être d'une 414 ORliJilsiiK àPoqoMé ^^*' hsL trokième personne de la trinité indienne, 8!vt^ grand dien (mahn dâo) destructeur et générateur^ monte un taureau blanc. Il est représenté coulaijr d'argent» avec cinq têtes^ un œil sur le fronts surmonté du croissant et du symbole obscène. On l^ap^ pelle encore Nilcantmadiou> c^est*à*dire grand dieu au cou d'ar WiV'y et voici pourquoi* lies souras et les assouras> bons et mail*- vais génies^ mélangèrent ensemble^ comme nous t'avcms dit^ la mer de lait et le mont Mérou : en ayant composé Vamriia^ breuvage dMmmortalité, ils le burent tout entier, et ne laissèrent aux hommes qu'un petit lait acide et vénéneux. Biva, pour pré- server le genre humain ^ avala cette lie trouble : elle lui resta dans la gorge qui en devint livide. Ce bienfait Ta rendu très- cher aux Indiens, qui lui ont consacré leurs principaux temples. Il n'a pas moins de mille noms, et tout son culte symbolise les puissances opposées de la destructioii et de la création* Conunô générateur bienfaisant, dieu de Nisa, roi des montagnes, il s'ap« puie sur le taureau Nandi^ portant dans sa main la gazelle, le bon serpent et le lotos sacré » un ruisseau d'eau vive s'épanche origine plus récente que les autres ; du moins ne voit-on figurer Crichna dans aucune des traditions les plus anciennes de la mythologie indienne, et Texa- men des livre| botiddhiques nous amène 5 conclure qu'il n*étaU pas encore connu lors de la premère apparition du bouddlilsme, ce culte rival du biahma* liisiae. C'est dans la célèbre épopée du Mababharata que sont racontés les ek* ploits de Crichna, célébrés^ aussi dans plusieurs Pouranas. Quelques circons- tances de l'histoire de «a naissance rappellent celle de Jupiter, et plus tard il accomplit des travaui analogues à ceu\ d'Hercule ou de Thésée. Dans sa jeu- lieMe, il écrasa la tète dit serpent Caliya , puis il combattit des monttres de toute nature. Devenu l'beureux époux de Roukmini , il prit parti dans la guerrs ^OAPandous contre les Kourouit et, après avoir rétabli sur le troua de ses p^res Youdichthira, Talné des Pandom, il quitta la terre et remonta au ciel. Un passage extrait du Sanhita, poème astrologique composé par Varâha- Mibira, passage relalir aux statues des dieux telles qn*on les fabriquait du tenipade cet astronome, ne fîiit aucune mention de Crichna. Ce silences porté H, Reinaud à exprimer l'opinion, dans son Mémoire sur Tinde (p. 133), qu'il faut reculer le culte de Crichna après le iv*' siècle de notre ère. Crichna, dit-il, avec les circonstances qui, dans l'opinion de ses partisans, accompagnèrent sa naissance, avec les aventures de sa jeunesse , tes exploits de sou âge niûr et le èarairtère dramatique qui s'attache à ses principales actions , est devenu la divinité la plus populaire de la presqu'île. Le v" et le vi« siècle furent nn mo^ ment de crise pour le bouddhisme et le brahmanisme. Si c'est réellement dana ce moment que le caractère de Crichna s'est fixé , il y a lieu de croire que les brahmanistes se servirent de ce personnage romanesque pour émouvoir l'esprit dsa maaaea et renveraer le parU de leurs adversaires. (Note de la a* édition frsavaiae») de son front surmonté du croissant^ et il s'enivre de douceur sur le mont Caïlasa. Ëst-il -destructeur? Noir et menaçant^ il se délecte dans les plaies, dans le sang» au milieu des t(Hnbeaux; il venge ,' il punit, il vomit le feu de sa bouche armée de dé- fenses aiguës ; des cr&nes humains s'étalent en hideux collier sur sa poitrine , et dessinent une couronne sur ses cheveux hé- rissés de flammes et couverts de cendres; des serpents homi- cides entourent ses bras et ses flancs ^ le bœuf cède la place au tigre, et^ muni d'armes formidables^ le dieu menace la terre de mille maux. Siva aussi a subi un grand nombre d'incarnations. Dans la Markandeya-ùvara et dans la Candopa-^vatûra, le dieu du lin- gam apparaît comme chasseur et comme pénitent, figurant les mystères de son culte devant le divin emblème de la généra^ tion et de la régénération universelle. Ce culte^ en un mot , est une personnification des forces de la nature , qui, dans une continuelle*alternative , se détruisent et se réparent ; mais la via physique, ou mieux, la vie organi- que et animale, y dominent. Dans sa simplicité mêlée de ru- desse, dans ses dieux abandonnés à leurs passions, dans sa magie, se révèle le culte d'un peuple peu civilisé, qui peut-être conquit rinde et souilla la religion de Brahma (1) : celle-ci, de monothéiste qu'elle était au commencement , ainsi que nous l'avons dit, tourna à Pidolâtrie quand elle se prit à exprimer les vérités en symboles personnifiés : elle dégénéra de plus en plus avec le culte de Siva, puis elle revint à des idées plus saines, à l'arrivée des adorateurs de Vichnou. Je sais combien notre système ^ qui s'accorde avec celui de (1) L# odité âè ftfvt , dit M. A. Maiiry dans un article sur le brahmanisme , sembla §e rattaober à un sombfe et ftroucbe naturalisme, né dans les mon- tagnes de rHimalay». il apparaît comme une religion distincte, née au sein de mœurs plus barbares, plus cruelles, inspirée à des populations primitives par la crainte d*une nature puissante , enfantant les désastres et tes catastrophes. Le mont Mérou est le siégé principal de Siva : c*est bien certainement ce dieu fJont le culttf a été apporté dans la Grèce sons le nom de Baechus indien ou dieu de Nysa. Pline remarque formellement (VI, 21), sans doute d'après un autre auteur, que la fable de Baechus naissant de la cuisse (meroê) de Jupiter, est fondée sur racception grecque du nom du mont Méros'ou Mérou, près du- quel est Nysa ; et cette circonstance prouve la haute antiquité de cette divi- nité brahmanique, puisque, à une époque déjà fort reculée, elle fut introduite dans la Grèce sous le nom de D^onisiof, corruption de son nom de D^^nach, ( iNote de la 2* édition frapçaise.) 316 DEUXIÈME EPOQUE* Schlegel et de Mayer, peut rencontrer de contradicteurs; maïs celui qui sera convaincu de l'agitation continuelle des peuples aux premiers siècles du monde ne trouvera pas plus étrange de les voir se succéder les uns les autres, qu'il ne s'étonnera des bouleversements redoutables de la terre , tous nécessaires pour expliquer sa conformation présente. ^histoire ne nous fournit pas le fil indispensable pour nous diriger à travers le dédale des longues dissensions amenées par tant de croyances diverses (1), jusqu^àce que celles de Vichnou et de Siva l'eussent emporté sur toutes les autres en s'unissant dans une tolérance mutuelle. Dans les premiers temps , tout en différant d'opinion et en rendant un culte spécial à une divinité quelconque, chacun se réputait orthodoxe. Les Pouranas introduisirent Padoration ex- clusive de certaines divinités ou de l'une de leurs formes plus récentes, ou de divinités tout à fait nouvelles. Alors Braluna disparut , et les symboles remplacèrent les types. Les secta- teurs de Siva révèrent spécialement lelingam, ceux de Vichnou adorent Krisna : les premiers se dessinent sur le front trois li- gnes en forme de croissant, et sur le nez une tache rouge avec un mélange d'argile du Gange , de fumier de génisse et de poudre de bois de sandal; les derniers tracent, du front au nez, deux lignes perpendiculaires , en excluant du mélange le fu- mier de génisse. La secte de Bouddha, dont nous parlerons ul- térieurement, est distincte de toutes les autres. Quant aux transformations, celles de Brahma tendent à per- sonnifier les quatre grandes époques de la littérature sacrée des Brahmanes; celles de Vichnou montrent la divinité active descendue dans le monde pour le sauver d'un bras héroïque ; celles de Siva personnifient la vengeance céleste qui purifie, tout en le punissant, l'orgueil de Brahma, c'est-à-dire celui de la créature. L'émanation est, au surplus, l'idée capitale de toutes, puisque le Créateur, afin d'accomplir son œuvre, dut s'émaner lui-même, corps et âme, dans ses diverses créatures. Une semblable doctrine tend à combler l'abîme qui sépare la pure intelligence de la matière grossière : plaçant l'homme comme intermédiaire entre Dieu et le monde, elle les compare; et, y découvrant le même principe sous des formes diverses, (1) Voy. un frèis-intéressant Mémoire de Wilson sur les sectes indiennes, dans le XVI* vol. des Asiat. Researchs (Calcutta, 1829). INDE* — • AELieiON. 317 elle affirme Tidentité de la substance dans la variabilité des phénomènes, en concluant que le monde et l'homme sont les pures formes et les ressemblances de Dieu; puis, négligeant les apparences pour remonter à l'Être , elle annihile le phéno- mène devant la substance , et déclare que tout est Dieu , que Dieu seul existe, et que hors de lui tout est illusion. Voilà donc à quoi Terreur aboutit, à la négation! Trois déesses principales forment une autre trinité femelle : Déewes. Parasacti, femme ou énergie créatrice de Brahm, laquelle, comme épouse de Brahma, prend le nom de Sarasvati, et de- vient la déesse de Téloquence et de Phai*monie; Sri ou Lacmi, qui signifie la belle, femme de Vichnou, préside à l'agriculture, enseigne à semer; ses mamelles gonflées sont le symbole de l'abondance , ce qui fait qu'on la nomme aussi grand'mère : conmie emblème de la production , elle tient dans sa main le lotos épanoui, et le lingam se dresse sur son front : elle naît de récume de la mer, et procède de Maya ou Prakriti, c'est-à-dire de la nature qui, enceinte du dieu Siva , porte le Camos, sem- blable à YHorus de PIsis égyptienne ; elle met au monde Ten- fant sauveur qui, comme le Gupidon grec, monte un lion, a l'arc dans sa main , et sur son épaule un carquois avec cinq flèches, par allusion aux cinq sens; sa mère le suit, ceinte de fleurs et de fruits, portée par un perroquet, comme la Véuus grecque est traînée par des colombes. La troisième personne de cette trinité, Bavani, Parvati ou Gange, femme de Siva, res- semble à Gérés, comme les deux autres à Minerve et à Vénus. Il n'entre pas dans notre plan de rappeler les innombrables divinités de la théogonie indienne ou de mettre d'accord les opinions très-diverses dont elles ont été Tobjet. Nous ne pou- vons néanmoins passer sous silence un dieu très-populaire, Indra , génie des vents, de Tair, de la foudre, qui préside aux cieux inférieurs,. et tient sa cour sur les flancs du mont Mérou, sans pouvoir s^élever plus haut; il est lascif et voluptueux au- tant qu'est chaste Surya, dieu du soleil , que traînent dans un surya. char de feu sept coursiers verts, ajfant pour guide Aarona (4m- ronà) : celui-ci s*est incarné plusieurs fois ; et il a laissé sur la len*e divers enfants qui, après' de longs combats, succédèrent aux fils de la lune sur le trône des Indes. Les sept planètes auxquelles Surya préside donnent leurs noms aux jours de la semaine des Indiens; douze épithètes, en son honneur, correspondent à chacun des douze mois. Nous 318 DBUXIKMB ÉPOQDË. ne saurions omettre que les douze jours zodiacaux^ invoqués par tes Grecs^ sous les noms de Vénus, Apollon, Mercure, Ju- piter, Gérés, Proserpine, Mars, Diane, Vulcain, Junon, Nep- tune, Pallas, et honorés chacun durant le mois qui leur était consanré, en commençant par Vénus en avril, se retrouvent dans Plnde sous des noms différents, mais avec des attributs identi- ques et dans le même ordre. On les appelle Lacmi, Indra, Boud- (Uia, Avatar, Brahma, Pithivi ouGondodi, Maya, Siva, Bavani, Ganesa> Indrani, Vichnou, Savasvati; ils ont pour emblèmes les douze signes de la zone céleste (Rasitchiakra), qui forment pour chaque signe trente degrés, c'est-à-dire trois cent soixante pour le zodiaque entier : assis sur les cimes aériennes du Mé- rou, ils boivent à longs imUYamritaj breuvage d'immortalité. Ganesa, chefs des nombres, tenant en main le chîSIre 365, garde les portes du ciel, et, s'appuyant sur un oreiller parsemé d'étoiles, tourne sa tête d'éléf^ant, ou plutôt ses deux faces, vers le solstice, et dirige ses quatre bras vers les quatre points du ciel. Parallèle avec Le Jauus et Ics douzc dicux de ritalie seront déjà venus à classique, ja penséc de chacun. Nous avons signalé précédemment d'au- très ressemblances avec la mythologie classique, et rien de plus facile que de les multiplier, en se reportant aux différents dieux du ciel indien. Pidroubadi , souverain des enfers, porte dans sa main droite une fourche, dans la gauche un miroir, où se reflètent les œuvres de toutes les créatures. Devant lui sont lésâmes damnées, dans des chaudières ou sur des charbons ar- dents, tandis que celles des hommes vertueux obtiennent des récompenses. Les démons naquirent de Diti (Dis); Lacmi de Técume de la mer, comme Vénus. Siva ou Tamour est appelé Éros, conmie en grec* Les Daïtias, vaincus par le Verbe, repré- sentent les Titans. Rama, conquérant des plus fameux dans les chants indiens, ressemble on ne peut plus à Bromios, que les Grecs font naître dans l'indoustan, du fémur de Jupiter ; or, fémur en grec se dit précisément meros (f^épo;); et le Mérou est pour les Indiens le lingam de la terre. Le nom même de Dio- nysos pourrait indiquer [Dewa niseia) un saint du mont Nisa indien , et sa qualité de né deux fois que nous avons vue être propre aux classes supérieures de Hnde. Dans la guerre de Lanka (Ceylan), Rama fut secouru par Hanounam, roi des singes, fils de Pavan , roi des vents, qu'il Iratne à sa suite. Pa- van est Pan, roi des satyi-es, qui suivent vers l'occident le char INDft. — BSLIGION. 319 tricHnpIuitear de Baoohus. Vichnou^ sous la forme de Krisna^ est vainqueur du grand serpent Galinouga^ comme» Apollon l'est du serpent Python. Un des noms de Brahma est Schia- toura^nana (dieu aux quatre visages)^ qui rappelle Baturne^ principal dieu de Tancienne Italie^ législateur comme Brahma, conune lui père des dieux et des hommes^ ayant comme lui gouverné le monde^ et comme lui perdu ensuite ses aiDra- teurs (1). Le législateur Manou a pour pendant le Manèthé égyptien^ le Minos crétois^ et^ ce qui est plus singulier encore^ le Manèthé que les Lydiens reconnaissaient pour leur premier roi, et le Mann dont les Germains se disaient descendus. Gela nous porterait à croire que, dans des temps très-reculés^ aurait vécu quelque héros de ce nom , dont les peuples en se disper- sant auraient conservé la mémoire. L^histoire d'Orphée et d*Euridice est rapportée dans le Ma- habara^ sous les noms de Rourou et de Pramadoïra. L'Anna Perenna, nourrice de Jupiter, se retrouve dans la déesse Anna Pournada, qui préside aux aliments chez les indiens (â). Deu- (I) Ce que Mcgasthènes et les auteurs cUés par Strabon ont, rappoflé «le» divinités indiennes, dit M. Maury dans son article sur le braliuianisme, est bien vague pour que l'on puisse y reconnaître les divinités actuelles. On ne sauraiitiéteriiiiner avec certitude quel dieu biudoti les anciens ont appelé l'Her- cule iodiein : est-ce Ramai est-ce Çrichna, est-ce ipénie ua aiiMre dieu? Mona devons dire cependant que beaucoup de probabilités se réunissent pour y faire reconnaître Cricbna. Mégastiiènes, et d*après lui Ârrien et Pline, nous disent que ee dieu eut un grand nombre de femmes, ce qui rappelle les nombreuses époaie^ de Cricbna; qu*il liabitaK dans le pa>s de Fandie, dont il fut roi ! ee Qeaâ est identique à celui des Paadous, tribu à 1» t6te de laquelle Griehna euoi* battit. Arrien parle de Mélliora comme d'une des principales villes où était honoré ce iiéros, et l'on sait que Malboiira était la patrie du dieu indien. Mais il est aussi question d'un Hercule comme dieu principal de la Taprobane; ce- liii-ci ne saurait être Crielina 2 c'est plutôt Rama, si célèbre par son expéfli- lion de f^nka ou Ceyian. Quant au Bacrbus indien, c'est Si va , le dieu de MérQU. l» JupUer oitibt^uê est, gelon toule vraiseu>blance, Ipdra, auquel les Vcdas nous montrent les Indiens demandant la pluie, Strabon nomme formel- lement le fleuve Gange parmi leurs divinités, et c'est la seule dont Tidentité suit tiers de toute contestation. (Note de la 2* édition française.) (1} Nous ajmiterons ici quelques autres rapprochements i AU -ntkxépf Diesplter; en indien, Divaspat. "Hpa, Junon; — Ftra , femme forte. "ApYi; , Mars ; ^ ilra5 , Mars , pkmète. Xàpi; , grâce ; ' — Cm , Vénus. Cérès , — Kara , productive. 'Ëpci>;, — Fara«, Amour. 320 DEUXIEME ÉPOQUE. Câlion^ fils de Prométhée, est le Deo Cal-youn, personnage du drame sanskrit Hari Yansa, fils de Garga^ surnommé Pra- «lathésa^ qui fut dévoré par Taigle Garouda ; et Cal-youO; à la têle des peuples septentrionaux y ayant attaqué Krisna^ fut repoussé par le feu et par le déluge (l). Au surplus, le droit de succession chez les Athéniens établit le même ordre généa- logiipie des familles^ et prescrit les sacrifices funèbres dans les même degrés de parenté que dans Plnde (2). Pourrions-nous, d'après cela, nier que la civilisation delà Grèce soit due en grande partie à des colonies indiennes? Nous Usons d^ailleurs dans le Dharma Sastra comment, pour avoir négligé les sacrements et n'avoir pas fréquenté les Brahmanes, certaines races des Kchatrias descendirent jusqu'au degré des Soudras; or, quand parmi ces races figuraient les Pondracas, les Odras, les Dravidas, les Cambodgias, les lavanasy les Sa- couSy\e!& Paradas, les PahlavaSy les Schiratas , lesDaradas, les Kasas, il ne paraîtra pas téméraire de conjecturer que dans cette liste sont indiqués les Druides , les Ioniens, les Saces, les Phelvis, qui, dégradés dans leur patrie, en sortirent pour cher- cher d'autres demeures, emportant avec eux les traditions dont nous retrouvons chez ces peuples des traces irrécusables. Les Grecs ont tenu pour certain que la première instruction leur fut donnée par les Cabires, au moyen des mystères religieux fondés par eux en Samothrace. Eh bien, Cabire dut être un mot sanskrit; car dans le vocabulaire AmaraSinhUy nous trou- vons Cabiy génie savant, poëte illustre, contemplateur, philo- sophe célèbre. Une secte des Cabiristes subsiste même encore dans Hnde, avec ses livres sacrés, dont le principal est le Sad- nam ; un autre se nomme le Moulpanchi. llàv, en indien, Pas, souverain. Minerve , — Manasvini , intelligente, etc. On peut voir le traité de Jones, On ihe Gods of Greece, Italy and India (Asiatic. Res., I, 221) ; et K. RriTER, Die Vorhalle europôicker Vôlkerges- chichten von Herodotus um den Kaukasus und an den Ges'ûden der Pon- (tis. Berlin, 1820. (1) Lucien fait Deucalion de race scythique, c'est-à-dire septcnirionale. Voy. le Mémoire de WiKort sur le Caucase, inséré dans ceux de CalcutU) VI,507. (2) Voy. Bunsen, De jure hœredUario Atheniensium, PHILOSOPHIB INDIBNNB. S21 CHAPITRE XIII. PHILOSOPHIE INDIENNE. Existé-je réellement? Les choses qui frappent mes sens exis- tentrelles? ou tout ce qui m^entoure n'est-il qu'illusion? Com- ment ce spectacle de l'univers est-il compris par moi? Qui Ta ordonné? Le hasard peut-être ! ou une puissance suprême ! Mais cette puissance a-t-elle tout créé du néant? L*a-t-elle fait éma- ner d'elle-même? ou bien est-ce elle que je vois transformée en tant de phénomènes divers? Ne serais-je moi-même qu'un phénomène, et Dieu, le monde, moi^ mes sensations^ mon ju- gement, ne ferions-nous qu'une seule et même chose? Mais cet être, dont tout provient, où est-il? Quel est-il? Comment puis- je le connaître, m'en approcher ? Et moi, d^oii viens-je, où vais- je?Dois-je seconder l'impulsion de mes désirs, ou leur imposer la loi du devoir? Cette loi m^estr-elle dictée par une autorité extérieure, par mon sentiment ou par l'ordre des choses? Mais pourquoi le mal existe-t-il dans le monde ? Si Dieu est bon, pour- quoi Fa-t-il créé? Si Dieu est méchant, comment est-il Dieu? Deux principes divers en lutte entre eux causeraient-ils le mal et le bien? ou Dieu aurait-il créé toutes choses bonnes, et celles-ci se seraient-elles ensuite gâtées, de sorte que le mal apparent ne serait qu'une expiation, une préparation à des jours meilleurs? Telles sont les questions qui se présentent à l'homme raison- nable aussitôt que la foi n'a plus en lui assez d^énergie pour ab- sorber toutes les convictions : aussi cherche-t-il, dans Texercice de son intelhgence, le moyen de les expliquer. C^est précisé- ment à connaître les causes premières, les lois suprêmes de la nature et de la liberté, et leurs relations réciproques, que ten- dent tous les systèmes philosophiques; modifiés par les croyan- ces religieuses, par les mœurs et par la constitution du pays , comme par le caractère personnel du philosophe, tantôt dou- tant, tantôt affirmant, tantôt niant, ils ont forgé cette longue chîdne d'erreurs et de vérités, qui a besoin d'une vérité pre- mière pour s^y rattacher, d^une vérité précédant et dominant toute discussion, toute convention et toute science humaine. La philosophie indienne se divise en six systèmes, qui procè- T. 1. 21 sankbya. S23 DRUXlkME ÉPOQUE. dent deux par deux, de manière que là où Tun finit, Pautre commence, en forme de développement et de continuation, ou même de transformation (1); aussi peut-on dire que Timagina- tion rêveuse des Indiens a marché par trois routes à la solution des grands problèmes : la nature est le point de départ de l'une; celui de Pautre, c'est la pensée; la révélation est celui de la troisième. phiiMopue Vient ensuite la philosophie sankhya ou des nombres, dont Kapila, contemporain d'Enoch, passe pour être Tauteur; c'est la philosophie du monde primitif, ainsi nommée parce que les vingt-quatre principes de chaque chose y sont énumérés par ordre, en mettant au premier rang la nature, au second la rai- son universelle. « Ce qui n'existe pas ne p^ut, par aucune opé- « ration d'une cause quelconque, recevoir l'existence. » Cet axiome qu'elle pose, au lieu de la porter à Tathéisme, la fait s'arrêter à la dualité, dans la supposition que deux principes coexistent depuis Pétemité, la nature et Tesprit indéfini. Il est probable que l'on n'entendait d^abord sous ces deux dénomi- nations que l'esprit et l'âme {Pourouscottama ou Prakriti), dans Funion desquels tout consiste; spiritualisme primitif dont la corruption et le mélange avec l'astronomie a produit un poly- théisme poétique. Nous voyons, en effet, la doctrine sankhya arriver au mysticisme dans sa seconde partie inventée par Pa- tandjah (2) et appelée Yoga, c^est-à-dire parfaite union de no- (1) On peut consulter : Ward, View ofthe history, littérature and mythology ofthe Hindous» H. T. COLEBROOGKE, Essai sur la philosophie des Indes, traduit en français par G. Pauthier^ et enrichi de plusieurs notes et rapprociiemenls (Paris 1834), remporte beaucoup sur lui par la précision. L'auteur anglais possédait 149 ouvrages sur la philosophie vedanta, 100 sur la naya, etc. On lui doit le meilleur recueil des doctrines philosophiques des Indiens ; mais des données suffisantes lui manquaient, ainsi que la souplesse d'esprit nécessaire pour dé- velopper les principes philosophiques et pour saisir le véritable sens spécu- latif des anciens systèmes» leur tendance cachée » leur nature et leur origi- nalité. Cousin, Cours de l'histoire de la philosophie. Ch. Lassen , Gymnosophista^ sive Indiec philosophîœ documenta (Bonn, 1832). HuG. WiNoiscHMANN , De Theologumcnis vedaniicorum (Bonn, 1833). G. ScHLEGBL , Histoire de la littérature et philosophie de Vhistoire. (2) Il est impossible de fixer l'époque à laquelle auraient vécu les deux phi- losophes Kapila et Patandjali» fondateurs des deux branches de la philosophie sankhya. Il est même probable quMls sont, le dernier surtout^ des persosnages PHtLOSOPHIB tNDIBIflfE. 828 tre être et de nos pensées avec Dieu ^ union qui délivre Tâme de] la métempsycose, but auquel tend perpétuellement la phi- losophie indienne (1). Les philtres, la rêverie, les talismans, ainsi que tout autre moyen temporel ou même toute invocation religieuse, ne sauraient y faire atteindre ; mais il y faut la con- naissance intime et la contemplation assidue de Dieu, en mur- murant la syllabe oum, et en méditant sur sa signification. Nous avons entendu Brahm déclarer que Porgueil est la cause de tout mal : Tabnégation de soi-même est donc une obligation pour tous, tant en ce qui concerne le corps que pour ce qui re- garde Fesprit ; et c'est une vertu cardinale que de renoncer tout à fait à sa propre existence, de considérer comme un bien suprême la méditation, poussée au point de substituer l'intui- tion de Dieu à la conscience de soi-même. Le yoghi dès lors est un solitaire pénitent qui, absorbé dans Toghts. des contemplations mystiques, demeure des années entières immobile à la même place. Dans le drame de Sacontala, le roi' Dousmanta demande à un charretier où est la sainte retraite de celui qu'il cherche, et celui-ci lui répond : « Va au delà de a ce bois sacré, où tu aperçois un pieux yoghi, aux cheveux ce touffus et hérissés sur sa tête, demeurer immobile, les yeux « fixés sur le disque du soleil. Observe-le : son corps est en- « croûte sous Targile qu^y déposent les termites ; une peau de « serpent lui ceint les reins, les Uanes de la forêt s'enroulent à « son cou, et des oiseaux ont bâti leurs nids sur ses épaules. » On pourra prendre cela pour une fiction poétique, jusqu^à ce que Ton sache que les forêts, les déserts, les alentours des temples de l'Inde sont pleins de gens de cette espèce. Déjà les compagnons d^ Alexandre nous les avaient représentés se nour- rissant de racines dans les bois, vêtus d'écorces d'arbres, et les cheveux en désordre; Tun vendant des reliques et des remèdes mythiques. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'on doit faire remonter à une épo- que très^reculée la philosophie sanlihya » puisque dans la grande épopée du Mahabbarata il en est parlé comme d'un système déjà très-anciennement éUbli. (Note de la 2" édition française.) (1) Pylhagore et Platon ont aussi posé en principe que « le but de la philo* « Sophie est d'affranchir l'àme des obstacles qui arrêtent ses progrès vers la « perfection ; de l'élever à la contemplation du vrai immuable , de la dégager « des passions terrestres, de manière qu'elle puisse s'élancer de la contempla* « lion du monde sensible à celle des intelligences. » De même Aristote propose poar bien final la sagesse, la satisfaction et le contentement de soi dans le bien 21. 324 DEOXIEMB ÏPOQUE. miraculeux, Pautre disant la bonne aventure , ou jouant avec des serpents. Il en était qui demeuraient un jour entier étendus sur la terre, exposés, sans bouger, à des torrents de pluie, aux rayons d'un soleil brûlant, à la morsure d^insectes venimeux. Tels on les retrouve aujourd'hui; ils se martyrisent encore par ces pénibles exercices que Strabon jugeait fabuleux, de replier en arrière les doigts des mains et ceux des pieds en avant, au point de marcher sur le cou-de-pied. Quelques-uns de ces fakirs, les jambes croisées à Torientale, élèvent les bras et restent dans cette position durant des années, se laissant croître la barbe, les ongles, dessécher les parties charnues, et roidir les mus- cles de manière à ressembler à un tronc d*arbre. D'autres se préparent pour breuvage ou fument une certaine herbe dite poustiy dont la vertu est de faire maigrir et d^épuiser le corps; renonçant alors à toute nourriture et s'enivrant sans cesse de ce végétal, ils succombent enfin, croyant par cette mort se ren- dre agréables aux yeux de Dieu (1). ^ Les Indiens attribuent aux yoghis la faculté de voir à travers les corps opaques; prodige que nous nierons jusqu^à ce qu'il nous ait été donné une explication satisfaisante des phénomè- nes magnétiques (2). Contentons-nous jusque-là d^admirer les forces étonnantes cachées dans Torganisme humain et dans l'énergie d'une volonté indomptable qui, concentrée sur un seuL point, nous isole de. la vie extérieure et produit une lucidité- extraordinaire, une faculté surhumaine. Nous prendrons tou- tefois en pitié les yoghis qui dirigent cette volonté vers un^ idée fausse et vaine; puisque le point le plus élevé où puisse- atteindre la sagesse sankhya est un scepticisme dogmatique,^ formulé avec plus de rigueur encore que ne le firent jamaii Archésilas et Sextus Empiricus (3). Le Ravagad- C^est cc supcmaturaUsmc qui a inspiré le Bagavad-Gita (4) (1) Voy.les voyages récents du capitaine Âilard. (2) Le yoglii et le magnétisé sont dans un état de surexcitation cérébrale, d« sorte qu'ils sont à Thomme exalté comme l'improvisateur à l'homme normal Siméon Stylite est une exception, et l'Église ne nous le donne pas comme ui exemple à suivre. (3) Evam tatvàbliyasan nâsmi na mè nâham ity a paris'ècham Aviparyayâ^»*' -^ vis' ttdham kaïvalam utpadyatè djnânam. Sic pnndpiorum studio non sum * non meus y non ego; ita ahsolutam omnium conlradictionum expurgatar^^^^ àbstractam inveniunt scientiam. (4) Bhagavad'Gita^id est&z(naaioM (uXoç, sive, etc. Textum recensu^^^ AVG. Gdil. Sculegel (Bonn, 1823). —Une nouvelle édition de ce magniiiqo^^ ( PHILOSOPHIE IMDIENIVE. 325 épisode du Mahabarat, grande épopée nationale indienne, antérieure de mille ans peut-être à Jésus-Christ. Dans ce li- vre, Dieu fait la guerre aux Pandous exilés, et, sous la fi- gure d'un écuyer, Grichna protège le jeune Ariouna. Âriouna^ arrivé sur le champ de bataille, le mesure du regard; il voit frères contre frères, parents contre parents , au moment de s'égorger sur les cadavres de leurs frères. Une profonde tristesse, une douleur soudaine s'emparent de son âme , et il dit au dieu son protecteur et son guide : (( Grichna, tu vois devant moi mes proches armés, prêts à se « massacrer, pleins d'un orgueil farouche ; mon sang se glace, un a froid mortel se glisse dans mes veines, mes cheveux se hérissent «d'horreur, 0 Gandiv, mon arc fidèle, tombe de ma main, je « n'ai plus la force de te tenir. Je chancelle, je ne puis ni avan- ce cer ni reculer, et mon âme, ivre de douleur, semble vouloir « m'abandonner. « Dieu aux blonds cheveux, ah ! dis-moi, quand nous aurons « égorgé tous mes proches, serai-je parvenu à la félicité ! Que € me feront la victoire et l'empire quand ceux pour lesquels « nous désirons les obtenir et les conserver seront morts dans «le combat? fils et pères, oncles et neveux, amis et alliés! « Non! céleste conquérant, je ne saurais les voir tomber sur « le champ de bataille, dussé-je, au prix de leur mort, acquérir « la triple couronne de l'univers. Et je devrais les massacrer a pour posséder ce misérable globe ?,Non, je ne le veux pas, « bien qu'ils s'apprêtent à m'égorger sans pitié. » Crichiia le réprimande, et, pour lui persuader de combat- tre^ lui expose le système de la métaphysique en dix-huit le- çons : « La contemplation n^a pas besoin de livres saints; par c< elle seule on arrive à la dévotion. Et que sert un puits quand « l'eau abonde de toutes parts? Celui-là existe qui a la vertu c< dans rame ; sage entre les mortels est celui qui voit le repos « dans l'œuvre , l'œuvre dans le repos ! Les actions sont de «beaucoup inférieures à la vie dévoie et à la contemplation. « Le vrai dévot ne discerne pas ici-bas les bonnes œuvres des « mauvaises. Celui qui croit acquiert la science, et avec elle la « tranquiUité suprême. Fusses-tu souillé de toute sorte de pé- c< chés, par la science universelle tu éviteras Tenfer... Délivré épisode a été publié à Bangalore, en 1848, soas ce titre : The BhagavaUGitay Or dialogues of Krishna and Ardjun, in sanscrit, canara and english, by the Rev. Qarrett, Bangalorc, 1848. (Note de la *i* édition française.) 326 DEUXIÈME BPOQUB. « de travaux et de soucis, le mortel sage et modéré préside au « gouvernement d'une cité munie de neuf portes; il ne vacille « pas comme une lampe battue par le vent. La nuit , temps de a repos pour les autres, est un temps de veille pour celui qui a vit dans Pabstinence. Le dévot cherche Dieu, et le voit éga- fn lement dans le bœuf, dans Téléphant, dans le chien, dans a rhomme. Quand il a choisi sa demeure dans Pair pur, il y reste « fixé avec son âme, avec sa pensée recueillie, ayant ses sens et a ses actions enchaînés, tenant sa tête droite, et regardant im- « mobile la pointe de son nez... Ta pitié est chose puérile. Que « parles-tu d'amis, de parents, que parles-tu d^hommes ? Hom- « mes, animaux, troncs d'arbres, sont tous une même chose. « de cas de ces apparences et de tes actions? Le mérite d^ « chaque œuvre consiste à l'accomplir avec une parfaite indiffé- « rence sur le résultat qu'elle aura, imperturbable, immobile, le^ « yeux fixés sur le principe absolu qui, seul, existe réellement. » Puisque nous avons parlé du Bagavad-Gita, nous ne saurions terminer sans faire admirer la magnifique idée qui y est donnée de la Divinité et de la pureté de sa morale : « Celui qui accom— a plit ses devoirs sans vues intéressées , en n'ayant pour bu a que Brahma, est exempt de tout péché, pareil à la fleur d « lotos qui sort pure du milieu des eaux. cnt-ils presque tous quelque divinité favorite, IchtaDevata, sous la protec- tion de laquelle ils se placent d'une façon tonte spéciale. (Note de la 2* édition française.) S80 DBUXlkMB BPOQIIB. a ganes de locomotion. Aucun motif ou but spécial ne peut a être assigné à la création de l'univers que la volonté de « Brahm. » Cette philosophie^ qui domine toute la littérature et la vie so* ciale des Indiens^ démontre comment on arrive de nécessité au panthéisme^ aussitôt qu'on refuse d^admettre conune un fait de pure conscience les êtres contingents et finis; elle démontre comment le panthéisme aboutit au même point que le scepti- cisme , c'est-à-dire à la destruction de Pintelligence humaine^ puisqu'il doit repousser comme illusoires les notions distinctes, pour ne retenir que l'idée de l'unité absolue. Toutefois le Vé^ danta, en acceptant dogmatiquement la révélation divine^ estr contraint d'accepter la personnalité de Dieu et le libre arbitra de rhomme, et de mitiger ainsi le panthéisme par Thistoire et^ par la mythologie. On trouve communément dans ces systèmes l'idée d'un»- substance infinie qui se manifesta dans Tunivers par émanatioim plutôt que par création, comme aussi celle d'une formation et d'une destruction alternative et périodique des choses, donft l'origine première est expliquée par le matérialisme, la dualité ou le panthéisme ; abîmes où va se perdre inévitablement qui- conque dévie des traditions. Dans la pratique, ces idées tendent toutes à guérir Tâme de sa plaie originelle, à détourner la peine de la transmigration, et à procurer im état d'abstraction et d*a-» pathîe absolue auquel conduit l'activité mentale. Ces différents systèmes tombent aussi d'accord dans la croyance que les sacrifices prescrits par les Védas ne sont pas assez purs, à raison du sang qui s'y répand, ni suffisants pour obtenir la délivrance finale des âmes. C'est pour cela qu'une expiation est nécessaire encore au delà du tombeau , et que le devoir le plus sacré d'un fils et de tous les descendants consiste dans les suffrages pour la commémoration des morts; pratique très-enracinée dès le temps des patriarches. De là un grand en- couragement au mariage^ qui chez les Brahmanes est d'obliga- tion absolue , pour laisser une descendance légitime qui leur procure les suffrages ambitionnés; de là encore le respect pour les femmes. « La femme est la moitié de l'homme, dit un an- ce cîen poète; c'est son pins intime ami, la source du salut. D6 a la femme naît le Sauveur. » Ailleurs il ajoute : « Les femmes a sont les amies du solitaire ; leur conversation apporte un « doux soulagement. Semblables aux pères dans l'exercice (tes PHILOSOPHIE INDIENNE. S81 a devoirs, elles se montrent mères en consolant le malheur. » Ainsi Pesprit parcourut en Orient, de même que dans la Grèce, a^Veïfw olïîS. le cercle entier des opinions philosophiques. Comme dans l'école de Platon , il s'éleva au-dessus de l'univers pour conn^tre la cause et le type éternel de tout ce qui existe ; comme dans celle d'Arîstote, il proclama la double existence de Pâme hu- maine et du monde extérieur , en partant du témoignage des sens ; comme dans celle de Zenon, Phomme se concentra en soi et devint indifférent à tout ce qui arrivait autour de lui ; comme dans celles de Pyrrhon et d'Épicure , il soutint qu'il n'existe que des apparences. Le panthéisme de Xénophane , Pamour et la haine d'Empédocle , la monade et la métempsycose de Py- thagore, les atomes de Leucîppe, la composition et la décom- position d*Héraclite,^se trouvent déjà bien avant eux sur le Gange. Mais plus Pintelligence serait désireuse de connaître Tordre dans lequel se formèrent ces systèmes, plus elle est privée sur ce sujet de toute donnée historique. Les Grecs puisè- rent-ils de PInde , au temps d'Alexandre , ou lui portèrent-ils leurs connaissances? Les deux pays s'abreuvèrent-ils à une source plus reculée, ou l'esprit humain progressa-t-il parallèle- ment? L'histoire raconte que Py thagore et Démocrite voyagè- rent dans les Indes : on dit que Pyrrhon y accompagna Alexandre; que Callisthène, neveu d'Aristote, transmit à son oncle un traité de logique qu'il avait reçu des Brahmanes; que Pythagore, blâmant Thespésion d'être trop partial pour les Égyptiens , s'entendit reprocher d'être lui-même trop asservi aux Indiens i enfin, que le Brahmane Yarka, interrogé par Apol- lonius sur ce que pensaient les siens de la nature de Pâme, répondit : a Ce que vous en pensez vous-mêmes depuis Py- « thagore (1). » Admettons que ces traditions ne soient pas suf- fisamment prouvées , elles indiquent toutefois comme très-an- cienne la croyance que les Grecs reçurent du Gange une partie de leur science, ou du moins une impulsion intellec- tuelle (2). (f) BRtcKBiiy ffist. philos., t. T, p. 190. RoBERTsoN, Rechcrches sur rinde, i. I. (2) Mégastènes, dans le tableau qtril a tracé de l'Inde et qui nous a été con- seryé par Strabon, prouve que les Brahmanes et la division des castes y exis* taîent de son temps. Déjà les Brahmanes formaient la léte de la nation, s'oc- cupant uniquement de philosophie et regardant la vie de ce monde comme une épreuve et une préparation h la mort, qui était une régénération et Tentréô 882 DEUXIEME EPOQUE. phiiof^hie Les systèmes déjà mentionnés nous fournissent la partie spé- culative de la philosophie : la partie pratique est contenue dans le Manava-Dharma-Sastra^ composé ^ selon quelques-uns^ par ManoU; douze siècles avant J. G.; il est à coup sûr très-ancien^ et plus probablement il a été compilé par le collège des prêtres dans le cours de plusieurs siècles. Nous sommes porté à le croira ainsi, en y voyant, d'une part, un mélange de grossièreté et de politesse, et les rapports de la propriété très-développés à côté de lois pénales barbares; puis, d'autre part, la [classe sa- cerdotale exaltée au-dessus de toutes les autres. Le bâton du Brahmane doit être assez long pour atteindre les cheveux, celui du guerrier arrive au front, celui du négociant à la hauteur de son nez, et ainsi de suite. Le roi est composé de parties prises aux sept principales divinités; mais, par cela même, son pre- mier devoir est d'honorer les Brahmanes, d'où lui viennent toutes sortes de bénédictions. Gomme les Védas proclament d'ailleurs que tout ce qui est sorti de la bouche de Manou est saint et salutaire à l'âme , ce code est extrêmement respecté. En outre des matières ordinaires d'un code, il contient un sys- tème de cosmogonie, des idées de métaphysique, des préceptes pour toutes les circonstances de la vie, pour les cérémonies du culte, la morale, la politique, Fart militaire, le conmierce, les peines et les récompenses après la mort (1). dans une vie véritablement heureuse. Les passages enregistrés par le géograplie grec suffisent à reconnaître les Vanaprasthas et les Yoguis des lois de Manou et des Pouranas : la doctrine de la métempsycose ainsi que les destructions et les renaissances successives du monde sont suffisamment indiquées. Les pas- sages d'Onésicrite , queStrabon nous a également conservés (1. XV, p. 715), nous font aussi reconnaître à l'époque d'Alexandre l'existence des Yoguis et des Sannyasis , ces martyrs de leur foi. Envoyé par le conquérant macédonien chez les Brahmanes , Onésicrite en trouva quinze tout à fait nus à quelque distance de la ville où il se rendait. Les uus étaient debout, les autres assis ou couches dans diverses postures : chacun d'eux restait immobile dans la même position jusqu'à la fin du jour, malgré l'ardeur du soleil, ardeur telle qu'on ne pouvait marcher les pieds nussurlesoL Quelques auteurs anciens, et Pline parmi eux, ont pris les Brahmanes pour un peuple particulier. Ptolémée alla même jusqu'à leur assigner une capitale qu'il nomme Brachmé. En effet. Fer* doussy, dans le Schah-Nameh , parle d'une ville de la vallée de l'indus qui s*appelait la ville des Brahmanes. (Note de la 2* édition française.) (1) Ses douze livres traitent séparément de la création, de l'éducation, do mariage, de l'économie domestique, de la manière de vivre, de la purification, des femmes, des dévotions, du gouvernement, des lois pénales et civiles, des marchands et des serviteurs , des classes mixtes, des peines et des expiatioitff de la transmigration et de la béatitude finale. PHILOSOPHIB tNBISNNB. 833 Le Dharma-Sastra débute avec la magnificence d^un poème ; Manou s'y montre sur un trône en directeur suprême de la pé- riode courante de Tunivers. Les sages Maharkis se pressent au- tour de lui avec respect , en le priant de manifester au monde les lois qui doivent guider les habitants de la terre ; Manou sou- rit en les exauçant^ et conmience à exposer Thistoire de la création. Dieu, dit-il, pour la propagation de Tespèce humaine, pro- duisit de sa bouche, de ses bras, de sa cuisse, de son pied, le Brahmane, le Kchatria, le Vaïschia, le Soudra. Le Seigneur, ayant divisé son propre corps en deux, devint moitié mâle, moitié femelle, et, par l'union de ces deux moitiés, il engendra Viradj ; Viradj produisit d^elle-même Manou, créateur de Puni- vers. Je suis celui-là : et désirant donner naissance au genre humain (1), j'ai produit dix saints éminents (Maharki), seigneurs des créatures; ceux-ci créèrent sept autres Manous , et les oi- seaux, les serpents, les dragons, les gnomes, les géants, les vampbes, les nymphes, les singes, les vers, les météores, les Pitris ou dieux Mânes. Tous ces êtres, enveloppés de ténèbres multiformes, ont la conscience, le sentiment du plaisir et de la douleur; ils suivent les transmigrations dans le monde varié des phénomènes, qui passe sans cesse. La création accomplie, le pouvoir incompréhensible fut ab- sorbé dans rame suprême, chassant le temps (de la création) par le temps (de la dissolution). Tant que Dieu veille, l'univers accomplit ses actes ; tombe-t-il dans le sommeil, le monde se dissout. Les animaux tiennent le premier rang parmi les êtres; parmi les anhnaux, ceux qui existent par leur propre intelU- gence, conmie les honmies ; parmi ceux-ci, les Brahmanes, in- carnation perpétuelle de la justice. Les bonunes ont tous l'amour de soi, d'où naissent les désirs et les inquiétudes. Qui accompUt ses devoirs sans espoir de ré- compense parvient à l'immortalité. La loi a pour base les Védas: quiconque méprise les Védas, ou les Dharma-Sastras, c'est-à- dû-e la révélation et la tradition de la loi, est impie ; toutes L'original de ce code a été publié à Paris en i830> par de Cliezy : trois ans après, Loiseleur Deslonchamps en a donné une traduction. (I) Il est à remarquer que dans toutes les cosmogonies indiennes^ la pensée, la contemplation, la dévotion et la pénitence, sont considérées comme des con- ditions nécessaires de la création. $S4 DBUXliMB ÉPOQUB. deux^ avec les bonnes mœurs et Tobligation de vivre content de soi^ sont le comble de nos devoirs. La religion conmiande la prière de Voum, les oblations du feu^ les sacrifices^ les liba- tions aux saints. Les devoirs envers nous-mêmes sont : de do- miner les onze sens, d'étudier la science sacrée, de conserverie cœur bon et incorruptible : autrement les sacrifices demeurent sans valeur ; de s'occuper de ses propres affaires ; de ne pas parler si Ton n'en est requis; de dédaigner les honneurs mon- dains ; de se conserver pur de langage et d'esprit. Les devoirs envers les autres sont ; d'honorer les vieillards, de respecter son père plus que cent maîtres, et sa mère plus que mille frères, et plus que père et mère celui qui communique la doctrine sa- crée ; d'user de bienveillance envers ses disciples, de ne pas faire de mal à autrui, même par le désir. Tout acte, toute pensée, toute parole, rapporte un bon ou un mauvais fruit. C'est pécher en esprit que de désirer le bien d' autrui, de méditer im crime, de nier Dieu ; c'est pécher en paroles que de mentir, médire, parler hors de propos. C'est pé- cher en actions que de s'approprier ce qui est à autrui, de nuire aux êtres animés sans l'autorisation de la loi, de courti- ser la femme d'autrui. La nature du châtiment est en rapport avec les œuvres. Comme expiation des actions perverses, l'honame passe après la mort dans des créatures sans mouvement ; comme expiation des péchés de la parole, dans des oiseaux ou des bêtes rongea- très; comme expiation des fautes mentales, il renaît dans une condition humaine inférieure. Que la femme ne recherche jamais la liberté. Jeune fille, elle dépend de son père; fenmie, de son mari; veuve, de son fils. Choisis-en pour épouse une qui soit d'un aspect agréable, qui n'ait pas les yeux rougis, trop ni trop peu de cheveux, qui ne parle pas au delà du besoin; qu'elle porte un nom gracieux, qui finisse par des voyelles longues et semblables à des paroles de bénédiction, non celui d'une constellation, d'un arbre, d'un fleuve, d'un serpent, d'un oiseau, d'une montagne, ou d'une tribu barbare. La femme vertueuse doit vénérer son mari comme un dieu, quand même il n'observerait pas les usages, en aimerait une autre, ou manquerait de tout mérite. La fenune n'est exaltée dans le ciel qu'autant qu'elle honore son seigneur; si elle le perd, elle ne doit pas rallumer le feu nuptial. L'âme a trois qualités, bonté, passion, obscurité, à l'une àesr PHILOSOPHIE INDIENNE. %ZS quelles reste attachée Tintelligence^ durant toute la vie. Après la mort^ les âmes douées de bonté acquièrent la nature divine; celles qui ont été dominées par la passion ont en partage la condition humaine; celles qui ont été plongées dans Tobscurité sont ravalées à Tétat des animaux. U y a dans chaque transmi- gration des degrés proportionnés. Celui qui tue un Brahmane est changé en ftne ou en chien ; le Brahmane qui boit des li- queurs est changé en ver; le voleur de grain^ en cygne; de viandes^ en vautour; de parfums^ en rat musqué. Ce qui procure la béatitude, c'est une austère dévotion, c'est de connaître Brahma, de dompter ses sens, de ne pas faire le mal, d'étudier les Yédas pour acquérir la connaissance de l'âme suprême, qui est la science capitale. Celui qui fait le bien par intérêt parvient tout au plus au rang de devas; celui qui vise uniquement à la connaissance de l'Être divin se trouve dégagé des liens mortels, et vivant encore aperçoit déjà dans tous les êtres l'âme suprême, et dans l'âme suprême tous les êtres ; puis il arrive à Timmortalité. L'on voit ici percer le panthéisme de Manou, qui se montre ensuite clairement dans ces paroles : « L'âme est tous les dieux ; « dans l'âme suprême repose l'univers ; elle produit la série des a êtres animés. Le grand Être, plus subtil cpi'un atome, enve- « loppant en soi tous les êtres formés des cinq éléments, les a cœiduit, par degrés, de la naissance à l'accroissement, à la « dissolution. Ainsi l'homme qui reconnaît dans son âme propre « l'âme suprême présente dans toutes les créatures, se montre « le même à l'égard de tous, et est enfin absorbé en Brahm. » De même que le code des Hébreux nous a montré les usages de ce peuple, de même celui-ci, conservé par les Indiens avec non moins de ténacité, nous offre une peinture étonnante de leurs mœurs douze siècles avant J. C. Ce n'est pas que ce peu- jrfe fût alors au berceau : la distinction des castes y était déjà établie, fondée sur les Védas, dont l'interprétation avait donné naissance à une littératm*e étendue et à des opinions discordan- tes, dans lesquelles apparaissent les efforts de la raison hu- maine révoltée contre le joug de l'autorité, et tenue en bride par le pouvoir et par l'habitude. Le roi, bien que considéré comme une divinité descendue sur la terre, n'avait pas moins à craindre pour son trône et pour sa vie. Il devait souvent infli- ger de sévères châtiments, protéger le faible et surtout la femme, cet être inférieur qui pointant séduit le$ plus sages. 336 DSIIXIÀMB BPOQUB. et dont la malédiction est la ruine d^une maison^ tandis que le ciel bénit qui Tbonore. Les trois castes supérieures jouissaient^ instruisaient, com- mandaient^ pendant que les Soudras^ se contentant dans leur servitude de Tespoir de renaître en une condition meilleure, s'a- donnaient aux arts et aux manufactures; ils faisaient des vases^ non-seulement d'airain, de fer, d'étain, de plomb, mais encore d'argent et d'or, métaux qui étaient extraits sous la direction du roi; ils savaient travailler les pendants d'oreilles en or, les pierres précieuses, les coraux et les diamants; sculpter habile- ment l'ébène, l'ivoire et la corne ; tisser des étoffes très-fines pour la parure des riches, que des bœufs, des chameaux ou des chevaux portaient dans d'élégants palanquins. Les fêtes étaient égayées par le son des instruments et des voix hannonieuses^ par des danses, des lutteurs et des comédiens ; ils avaient des combats de coqs, de béliers et d'autres animaux, bien que la loi les défendît; des parfums délicieux s'exhalaient dans les ap- partements, et les tables étaient couvertes d'une grande variété de mets et de boissons fermentées (4), En même temps s'étaient introduits les maux, cortège inévi- table de la civilisation : de nombreuses superstitions, la fureur du jeu, l'usure avide, l'infâme espionnage, la honteuse prosti- tution. Le rcfi employait les coupables repentants à découvrir les méfaits des autres. Ses agents se servaient de chiffres pour l'informer des desseins des princes étrangers. Des femmes fai- saient seules le servic-e intérieur de la cour; et, pour se garantir de l'empoisonnement, le roi ne recevait sa nourriture que des mains les plus fidèles, y mêlait des antidotes, et portait certains talismans contre les poisons (2). Antres Indépcndaumient du code de Manou, il fut écrit d'autres traités de morale, appuyés spécialement sur les Yédas et sur les Pouranas : dans le nombre se distinguent le.Pan-Scha-Tantra, aphorismes par Vichnou-Scharma (3) ; en voici quelques-uns ; « Les hommes en naissant ne s'aiment ni se haïssent : Ta- ct mour et la haine proviennent d'accidents. — Celui qui nous « assiste dans les jours sombres est un ami. — Ne te lie pas (1) Yoy. principalement les livres II, 178, 204 ; III, 56, 58, 202, 268 ; IV> 36; V, 112, 120, 121 ; VII, 8, 62; IX, 222, 225, 239; XII, 45. i (2) Voy.Iiv. II, 179; III, 160 ;I^, 219; VII, 67,90, 125, 217, 218 ; IX, 2î5, 257, 258 ; XI, 50, 61. (3) De Maries, Hist, gén, de VInde, t. Il, p. 403-413. PHILOSOPHIE INDIENNE. 337 « avec le méchant; les tisons brûlent ou noircissent. — Crains « la tranquillité du méchant plus que la colère de ITiomme de « bien. — Le méchant qui sait est un aspic dont la tête est or- « née de pierres précieuses. — Ne change pas, sans y avoir « bien pensé , ton ancienne demeure pour une nouvelle. — Si a tu tombes dans un lieu où Pon n*ait pas la crainte de mal « faire, hâte-toi de fuir. — Le sage n'est jamais chef de parti. — « Ne néglige pas les petites choses; beaucoup de brins de paille « arrêtent un éléphant. — La \\e n'est rien sans Thonneur. — a La vie se perd en un instant , Phonneur dure éternellement. « — Celui qui vit sans craindre la mort ne l'aperçoit pas quand et elle arrive. — Celui qui ne recherche pas une bonne réputa- « tion est déjà mort durant la vie. — Le sage ne parle jamais de « son âge, ni de ses richesses, ni de ses pertes, ni des défauts « de sa famille. — L'homme de bien est une fleur "cachée sous «Pherbe, ou entrelacée aux cheveux, qui exhale une odeur a agréable. — Il vaut mieux se taire que mentir, être pauvre i< que s'enrichir par la fraude , vivre solitaire dans les bois que « dans la société des sots. — Le bonheur est de ne pas avoir « d'inquiétudes. — La religion est la bienveillance envers les G créatures ; Péchelle par laquelle l'homme monte au ciel. — « Qui dompte ses passions trouve la béatitude, même dans la « vie. — La vie de Phomme sur la terre ressemble à un voyage « fait dans le cours d'une nuit. — Jeunesse, beauté, vie, richesse, « faisceau de paille que le courant entraîne avec lui. — Le tor- « rent ne remonte pas à sa source ; les jours de l'homme sont « ce torrent. — Souffre mille injures avant que de plaider : le i( procès commencé , ne néglige rien pour en sortir vainqueur, ce — La science fait connaître tout, excepté le cœur du méchant. « — Ne rejette pas le breuvage salutaire quoiqu'il te répugne , « ni l'ami parce qu'il a des défauts. — Ce que tu possèdes au (( delà de tes besoins appartient à autrui. — Pourquoi prendre « tant de souci du plaisir et de la douleur? L'un et Pautre se c( succèdent sans cesse. » L'une des femmes de Brahma, Avyar, c'est-à-dire la contem- platrice de Pessence divine, est comptée parmi les sept sages du Malabar. Elle a écrit des livres de morale, au nombre des- quels, VAHsoudi et le Kahviolouckam , ou des règles de la sa- gesse, en vers, que chantent les jeunes filles dans les écoles (1 ) . (1) Asiat Res, t. VI. T. I. 22 338 DEUXIEME EPOQUE. a Gloire et howneur à te Divinité. — La charité est gracieuse et (( non passionnée, — Ne divulgue pas tes secrets. -^ Cause avec « tranquillité, — Prends soin de ce qui t'est cher. — Connais a d'abord le caractère de celui dont tu veu^ te faire un conft- « dent, -i— Apprends tandis que tu es jeune. — Ne néglige pas « ce qui profite à ton corps. — Reste à ton poste et observe les « lois divine^. «— Ne blâme pas les actions d'autrui, et procure- « toi une bonne réputation, — Le plus grand de tous les plaisirs « est de lire et d'écrire. — L'ignorant est vraiment pauvre, — c( Le véritable but de la science est de distinguer le bien du mal. « — Ne trompe pas même ton ennemi, — La vérité est la fleur « de la science. — Plus on avance dans la science , plus on c( avance dans la vertu. — Sans religion^ point de vertu, » Boaddhisme. La doctriue du bouddhisme réclame ici une mention particu- lière j car elle a dominé durant de longs siècles, et domine en- core des sources de Tlndus jusqu'à Tocéan Pacifique et au Ja- pon ; elle a adouci les nomades féroces de l'Asie centrale , et môme ceux de la Sibérie méridionale (1), (1) Voyez, iudépeDdamment des ouvrages cités, les Mémoires de V. Hqgdsqn et d'ÂBEL RÉHusAT daos le Journal des savants ^ 1831, et dans les Mémoires de V Académie des inscriptions et belles-lettres, 1830; un article de G. D. Ro- MAGNQSi dans le t. XXX des Annali di Statistica; on de moi dans le Ricogli' tore ilaliano stranierOy février 1836 ; enfin la préface de l'abbé Gorrbsio k son édition du Ramayana, — Voyez sur tonte la doctriqe dM ty>Mddbisffie : Le Lotus de la bonne loi, traduit du sanscrit, accoippagné d*un commen- taire et de vingt et un Mémoires relatifs au bouddhisme, par M. £. Burnouf. Paris, impr. imp., 1853, 1 vol. in-4^ M. Burnouf, dans son introduction an bouddhisme Indien , fait le résumé suivant de la doctrine de Bouddha , qni s'appuie, selon hû, sur une opinion admise par le brahmanisme, mais à U condition de la développer d'une façon toute uouvelle : « Cette opinion, dit-il, « c'est que le monde visible est dans un perpétuel changement ; que la mort « SU€iCède à la vie et la vie à la mort ; que Thomme, comme tout ce qui l'en- ^ to^r^ » r les paroles oiseuses; dans la troisième^ le désir immodéré^ l'envie^ l'idolâtrie. L'empire sur les màA^ Thumilité, la mortification) la charité^ sont piîSchés avec des accents si tendres et si pénétrants^ que parfois on croirait entendre l'É- vangile. Un mendiant serait une rareté dans les pays où la reli- gion de Bouddha est professée. La piété des fidèles a élevé près des couvents des hôtelleries commodes^ belles même quelque- fois, pour les étrangers et les voyageurs : mais là^ comme àm le Brahmane, la croyance dans la transmigration dès âmes prd^ duit plus de sympathie pour les animaux que pour l'homme. Le panthéisme faitd^ailleurs consister le comble de la perfection dans l'anéantissement de toutes les facultés absorbées dans la contemplation de Bouddha. De si beaux commencements ont donc pour résultat Texercice de ces étonnantes et pénibles ab- négations des yoghis et des talapoins ; heureusement que peu d'individus entreprennent d'arriver à cette prétendue perfeo- tion3 et que le plus grand nombre se contente des moindres ver^ tus^ c'est«À-dire des plus vraies^ celles qui sont humaines et bienfaisantes* Le bouddhisme^ en réprouvant les castes^ dut établir une hiérarchie ; c'est pour cela que^ dès les temps les plus anciens^ nous y trouvons un patriarche^ qui n'est pas seulement le re- présentant de Bouddha sur la terre, mais Bouddha lui-même, successivement incarné dans les différente patriarches (1). Ce dn bouddhisme aVéc le chrlâtlanistne , au tnoins qliàilt aut àccidenUt extô- rienrs. Le savant ÂStotNS de GtORot ^ de Tordra de Saint^Aagastin ^ développi le premier eé rapprochement dans une dissertaUon qui précède son Alpha* betum Thihetanuniy publié à Rome par la congrégation de la Propagande , en 1761. (1) L'autorité sur laquelle le premier réformateur avait appuyé son eosej" gneinsnt^ dit M. Burnouf» était toute pëm>nneile \ «Ils as tbimalt de deux été- n'est donc pas la doctrine setlle c\[\\ se ti^ari^tilet en eWX, mais aussi la divinité ; jugez combien s'en accroît letir autorité. Il est poumtit t)êrmis à chacun d'aspirer au rang suprême, puisque, à la ttioH d'un patriarche, les chefs du clergé se réunissent pour élire le nouveau dieu (}Ui porte ses croyances de pays en pays, et quelquefois les scelle de son sang par le martyre. Le premier patriarche, successeur dé Çakla-MôUni, ftit Un Brahmane, puis un Kchatria) ensuite un Vaïscla, Utt Soudra, ttfln qu'fepparût dès l'origine Tégâlité religieuse. Les bouddhistes diffèrent donc essentiellement des Brahmanes en ce qu'Us croient que certains hommes peuvent par degrés devenir Dieu, tandis que les derniers fbnt paraître Dieu soUs là forme d'hommes et d'animaux. Les Brahmanes voient dans tout Taction immédiate de Dieu; ils croient à la création de la ma- tière^ et prêtent foi aux Védas et aux Pouranas> tandis que les bouddhistes rejettent ces livres, croient la matière étemelle, et Dieu dans un repos constant. Les sacrifices et l'adoration du feu sont inconnus aux bouddhistes, qui honorent les reliques de leurs saints, tandis que les Brahmanes réputent immonde ce qtii reste de la mort. Les bouddhistes repoussent surtout la dis- tinction des castes; leurs prêtres, dits talapoins ou raans, ne peuvent se marier sans avoir été relevés de la consécration, tls vivent réunis dans des couvents contigus aux temples, ne s'oc- cupant pas des suffrages en faveur des moi*ts, auxquels 4es Brah- manes attachent tant d'importance. Ces communautés ont pour chef un Zara, et tous les Zaras ont au-dessus d'eux un Zarad, qui, bien que vivant comme les autres et vêtu de même, obtient les suprêmes honneurs* Il sort pieds nus, mendiant de porte en porte ; mais les rues par lesquelles il passe sont ornées de tapis, le peuple se prosterne pour implorer sa bénédiction, les femmes s'enfuient comme indignes, par leur imperfection, de fixer les regards du saint. Le criminel qui touche un raan est mis en liberté. Lire, écrii'e, élever la jeunesse, et gagUer ainsi le pain mebtd » Tun réel , TaUtt-e idéal. Le premief était la régularité et la Sainteté dé flà conduite^ dont la chaHté^ la patience et la chasteté formaietil les traits priii- cipaUik Lèseoëod était la prétention qu'il avait d'être bouddha ^ C'est-à-dire éeiàirë, et comme tel de posséder une science et une puissance surhumaines. Ayec sa puissance il opérait des miracles , avec sa science il représentait sous une forme claire et complète le passé et rateuir Irttrod. A Vfliêt, dU boud» dhisme, p. 108. (Note de là a* édition française.) 344 DEUXlJtMB BPOQUE* quotidien pour eux^ pour leurs hôtes et pour les indigents^ telle est l'occupation des talapoins. son histoire. £n quel temps naquit le bouddhisme (1] ? On ne sait» et quel- ques-uns le font antérieur au brahmanisme. Mais les livres mêmes des bouddhistes font mention des luttes acharnées que Çakya-Mouni eut à soutenir de la part des Brahmanes ; il faut donc le croire postérieur aux doctrines de Brahma^ et le placer soit^ Fan 1000 avec Jones, ou à Tan 700 avec Ward, ou à Tan 540 avec Ërskine et Golebrooke. Rémusat découvrit dans l'En- cyclopédie japonaise une liste des trente-trois premiers patriar- ches bouddhistes, selon laquelle le premier aurait succédé à Çakya-Mouni 950 ans avant J. G. (2). L'examen même de sa {]) Le nom de Bouddha est prononcé dans divers passages des anciens. Clé« ment d'Alexandrie et Origène ont donné le nom de Sarmanes^ Samanéens aux sectateurs que Mégasthènes avait appeté Gai^manes^ lorsqu'il divisait J'IniIc en deux sectes philosophiques , les Garmanes et les Brahmanes. Déjà Alexandre Polybislor, cité par Strabon , les avait appelés Semna. Ces diffé- rentes appellations sont la corruption grecque du mot sanscrit «amanoÀ ou srO' manaSf c'est-à-dire stables ou invariables, nom que les bouddhistes se don- nent encore. Les anciens leur ayant aussi donné le nom de gymnospphistes, Clément d'Alexandrie dit positivement que le chef de ces gymnosophistes se nommait Boutta, Saint Jérôme n'est pas moins explicite : il rapporte une ancienne tradition des gymnosophistes d'après laquelle ^ucftfo^, lechef.de leur école, était né d'une vierge qui l'enfanta par le côté ( Adr. Jovin., 1. I, p. 34â). Selon Arrien, un certain BouSua; avait été le troisième roi de l'Inde (Indic. c. vm); le livre apocryphe intitulé Di^pu^e^ deManès et d'Arcké- laûs, parle d'un certain Buddas qui vint à Babyloue, où il prit le nom de Té- rébinthe. Même mention est faite par S. Ëpiphane et par Victorin dans son traité contre les manichéens ; enfin Cedrenus et Suidas nous parlent aussi d'an Budas d'origine brahmanique. Tous ces bouddhas n'ont été probablement que des disciples du premier réformateur Çakya-Mouni, qui naquit dans une fa- mille de Kchatrias, se prétendant issue de l'ancienne race solaire de l'Inde, et qui, renonçant au monde à l'âge de dix-neuf ans, se fit religieux sous le nom de Çakya-Mouni, ou encore de CramanO'Gétama. (Note de la 2* édition française.) (2) Pallas publia une chronologie mongole qui le place 1022 ans avant J. C. Les Chinois le font naître en 1027, et aussi les Japonais. L'Bncyclopédie japo- naise se rapproche de cette date , ainsi que le Collier de perles de l'histoire persane. Les bouddhistes de TAsie méridionale varient d'opinions entre eux à cet égard, les uns le faisant vivre en 638 avant J. C, d'autres en 619, d'autres enfin en 744; Aboulfazel; ministre du grand mogol Akbar , dans le Ayin Akbari, le fait naître 1366 ans avant J. C. ; le JBagwad Amrita en 2099. L'opinion la mieux appuyée parmi un si grand nombre est celle qui le place aux environs de 1000 ans avant J. C. — Le nom de Çakya-Mouni signifie Je solitaire des Çakyas, du nom d'une race de la caste militaire à laquelle appar- tenait ce promoteur du bouddhisme. (Note de la 2"^ édition française.) PH1L080PHIB INDIBNNS. S45 doctrine nous la fait croire plutôt une réforme qu'une institu- tion primitive; comme sous le nom de Bouddha^ ce n'est pas d'un personnage réel^ mais de la secte qu'il s'agirait. Son fon- dateur s^appelait^ dans la péninsule au delà du Gange^ Sonuno- nokodom^ par corruption^ sans doute^ de Samana-Gotama, c'est-à-dire Gotama le saint^ le parfait^ d'où est dérivé le nom de Samanéens^ déjà connu des compagnons d'Alexandre (1). Quelques-uns, s'étayant de la couleur noire et des cheveux cré- pus avec lesquels Bouddha est toujours représenté^ le crurent venu d^Afrique; mais et Crichna et Yichnou sont rituellement noirs^ de même que tout leur vêtement est celui des solitaires bouddhistes et des giaynas (2). G uillaume Schlegel (3) ne sait pas comprendre en quoi consiste l'innovation préchée par Bouddha et son opposition au brahma- nisme. Ce n'est pas le monothéisme^ dit-il^ puisqu'il est égale- ment professé par les Brahmanes ; ni le panthéisme^ ni l'absor- bement en Dieu^ puisque ce sont des dogmes acceptés par les livres canoniques; ce n'est pas la prohibition de verser le sang, puisque les saints Pavaient déjà inculquée chez les Brahmanes. Gomment? lui répondrons-nous^ Bouddha n'avait-il pas proclamé l'égalité des hommes? N'abolissait-il pas les castes? N'abattait- ii pas dans ses fondements l'édifice de la société indienne? Ne niait-il pas que Thomme pût se sauver dans une autre religion? Ces seuls faits, quoique d'une nature purement négative, suffi- sent bien pour rendre raison de l'aversion dont il fut l'objet de la part des Brahmanes ; c'est aussi précisément le motif qui nous détermine à le placer plutôt à la tête d'une secte philoso- phique que d'une religion. L'empire de Magada, au cœur de l'Indoustan, parait avoir (1) Les compagnons d'Alexandre surent distinguer parmi les doctrines do- minantes dans l'Inde deux divisions capitales , celle des Brahmanes et celle des Samanéens. Ils appelèrent les premiers Gymnosophislos, c'est-à-dire sages nos , lerme correspondant à celui de Digambaras, c'est-à-dire dépouillés de vêlements ; nom que leur donnent les Indiens pour leur manière de vivre. Le mot Samanéens indiquait un empire absolu sur ses propres sentiments , ce qne les moines indiens considèrent comme un chef essentiel à la perfection de la vie. Chez les Tartares, les magiciens et les prêtres sont encore appelés Schanuinû (2) Langlès soutient l'origine africaine de Bouddha ; mais M. i. Davy, Ac- count o/interior of Ceyktn , 1821, parait avoir donné gain de cause à l'opi- nion contraire. Voy. aussi KLàPRom, Leben des Bvddha. (3) Inàische Bibliotek, 1 et 4. d46 DCCXiitMK fiPOUUIê été le berceau de cette réforme» Elle s^acci*ut lentement et ina- perçue^ s'attaqUant seulement d'abord aux points secondaires du dogme et de la discipline ; ce qui pourtant la faisait s'éioi*- gner pas à pas des Brahmanes. Ses sectateurs voulurent avoir leurs livres propres et des théories philosophiques distinctes) ils réfutèrent les Yédas^ se proclamèrent seuls orthodoxes^ et^ soit par conviction^ soit par besoin de propager leur doctrine et d'acquérir des prosélytes^ ils se mitent à combat1i*e les distinct tions de castes ; ils mirent au'^essus des lois du sacerdoce Pins- piration divine^ et appelèrent à prêcher la parole quiconque en sentait la vocation ultérieure» Ce fut ainsi que se formèrent^ prophètes nouveaux, les Samanééns^ c^est«à-dire les vainqueurs des passions. L'ardeur du prosélytisme^ propre aux croyances nouvelles^ et des pnncipes lai*ge& si opposés à Fimmobilité du brahmanisme^ les fit se multiplier rapidement. Mais la persécu- tion des Brî^manes se déchaîna contre eux avec fureur^ et un philosophe deTécole mimansa, nommé Koùrila-BoUtra, souleva contre eux tous les Indiens^ en ordonnant que, « du pont de a Rama jusqu'au pied de l'Himalaya, fût mis à mort quiconque « épargnerait les femmes et leà enfants des bouddhistes. » La victoire se déclara contre eux; mais, doués d'une vitalité tenace3 ils se réfugièrent dans l'Asie inférieure^ jusqu'à ce que, au sixième siècle avant notre ère, ils établirent leur siège prin- cipal à Ceylan. Le culte des démons dominait de temps inrnié- thorial danë cette île : chantés dans les anciens poëmes du pays (1), ils continuèrent et continuent d'y être adorés, comme par suite d'une transaction, à côté du bouddhisme* De ce mo- ment Ceylan demeura tout à fait détachée de l'Inde ; et de cette île^ cotnme d'un second foyer, les bouddhistes s'étendirent dans toute l'Inde au delà du Gange, chez les Birmans, dans le Pégii, à Siam et à Java : ils portèrent dans le Thibet la civilisation et récriture ; parvinrent jusque dans les steppes des Kalmouks et des Mongols* enfin nous les verrons plus tard faire triom- pher dans la Chine le culte de Fo. Dans l'Inde, le nom de ëouddha fut proscrit; on jeta un voile épais môme sur le Boud- dha antique, incarnation divine de Vichnou. Le jour qui porte le nom de la planète à laquelle ce dieu préside fut considéré (1) Le comité de traductions orientales de Londres a publié un poëme eejli* nais, Yahkun Nattannawa, qui décrit le système de démonologie de cette Ile» ainsi que les pratiques d'un capua ou prêtre des démons (Londres^ 1829). comme néfaste et le petit nombre de sectaires qui restèrent dans le pays titrent regardés comme hérétiques et mis au rang des giaynas (1). (I) Cent sept ans ayant J. C, leur 22* patriarclie voyagea jusqu'à Fergana, dans la petite Bukarie, à 400 lieues de distance de Flnde. Dès Tan 390, les liyres du bouddhisme ayaient pénétré dans la Chine et y avaient été traduits; mais ce ne fut qu'un siècle ayant J. C. que la religion y prit pied* Dans le t* siècle de notre ère, le 28» patriarche, nommé Bodli Dliorma, porta ayec lui dàtis Tempii-e du centre là religion dorit il était le dief, et il y mourut en 491. les Chinois l'appellent TMAd, noiii ilui le fit confondre pat* quelques-uns avec saint Thomas ou avec un Thomas » disciple de Manethé. il profita de sa posi* tion, qui le rapprochait de l'empereur régnant, pour persuader à tous les prosélytes qu'il était le chef naturel de leur religion, une incarnation légitime de leur nied. A la même époque, la religiou de Bouddha pénétra dans les [tays moUtagnedx du Thibet, où elle se conserva longtemps grossière^ sm sectateurs ne youlant, ni retourner à Ceyian pour y étudier les traditions plus pures, ni accepter les perfectionnements introduits par les Chinois. Ce culte sVtablit probablement au yi* siècle dans le Japon et la Corée, tan- dis que, du côlë «lu nord et de l'occident, il pénétrait parihi leâ hâtions tartares et gothiques. La suprématie du patriarche résidant en Chine n'était pas reconnue de tous; les Thibétains surfout la repoussaient, attendu qu'ils ayaient puisé leur croyance à une autre source. Quand toutefois la Chine fut conquise par les Mongole) et que les descetadants de cengis-Kan étebdirent leur puissance du Japon à l'Egypte^ de ta 8ltésio à layé, le palriArche Installé à la cour de si puiè- sants monarques, enveloppé dans leur gloire, fut élevé au rang royal. Comme le hasard youlut qu'il fAt du Thibet, on lui assigna des domaines dans ce pays ; il prit le titre de lamai ttui, dans celte langue , signitie prêtre; et, de- venu prince temporel , il y constitua fortement la hiérarchie bouddhique et son autorité souveraine^ On appelle Kabgyour^ au Thibet, l'immeiMe oollection , dont nousf ayons parié, de tous les livres sacrés des bouddhistes, œuvres de Bouddha et de ses disciples , leurs yies et celles des patriarches^ actes des coneUes» etc. ; en Uh mot, toute la littérature canonique de cette religion. Us sont gravés âur bois, à la manière des Chinois, et le lama du Boutan, qui eii est dépositaire, en fait tirer de temps en temps quelques exemplaires pour les églises et les écoles. L*£urdpe en dut la eonnaissantiè au célèbre yeyâgaur cromode Koros, qui , durant huit années ^ s'enseyelit dans led doltres du Thibet pour étudier cette littérature, et en porta un exemplaire à Calcutta, où il en publia quelques ex- traits. La société de Calcutta fit imprimer te Dictionnaire et la Grammaire th^ bétainsqu'H avait composés; mais on ne put guère en tirer parti, les docu- ments nécessaires manquant en Europe» Dans les Transaùtimi ^f thê Rofûl askitie Society ôf Gréât BHtaïh ^ vol. II, p. 1 et 2, de 1830, on trouye des renseignements très-importants au sujet de Bouddha > que lord Hodgson, déjà eité> a tirés des bouddhiste^ en crédit. Ceux qui ne sont pas en mesure de consulter l'outrage même pëUtellt voir le judicieux iklralt qa'%n a fait Ab^l Rémùsat dm» le /oUfnttl (fe» Sa» S48 DKUXliMB éPOQDB, CHAPITRE XIV. UTTÉRATUBB. tangue. Si nous avons été étonnés de trouver Tlnde aussi avancée dans les voies de la philosophie, nous ne le serons pas moins en prenant connaissance de sa littérature. Les monuments de cette littérature sont rédigés en trois langues : sanskrite, pra- krite et hindoustani; la première ne se parle pas; la seconde peu ; la troisième est subdivisée en une infinité de dialectes. Mais les œuvres les plus sublimes et les plus anciennes^ les seules qui rivalisent de beautés avec celles des Grecs, sur les- quelles elles Femportent en étendue, sont composées dans ridiome sanskrit, c'est-à-dire parfait (1); autre mystère tout nouvellement révélé à PEurope. Frédéric Klenker le premier fit remarquer sa parenté avec les langues européennes : il fut secondé par le père Paulin; puis un institut littéraire s'étant établi au Bengale en 1784, pour faire des recherches sur l'his- toire naturelle et civile, les antiquités, les arts, les sciences et la littérature de TOrient, la connaissance de cette langue se ré- vantSy 1831, où il a inséré aussi une dissertation sur la cosmogonie des boud- dliistes , beaucoup plus exacte que tout ce qu'on en avait dit jusque-là. Oo n*a pourtant obtenu sur le bouddhisme que des notions puisées dans des tra- ductions chinoises ou mongoles ; mais l'espoir de retrouver les originanx in- diens qu'on croyait perdus est maintenant plus vif que jamais : ils nous don- neront certainement des idées beaucoup plus précises au sujet de cette religion singulière. Abel Rémusat , dans ses derniers jours , s'en occupa beaucoup. Son ouvrage sur FOE KocE Kl fut imprimé après sa mort; il est intitulé : Meiation des royaumes bouddhiqttes ; Voyage dans la Tarlarie^ dans V Afghanistan et dans l'Inde, exécuté à la fin du iv« siècle^ par Cuy Ja>Hyan. Paris» 1836^ M. I. F. Dayis, célèbre par ses recherches sur la Chine, a communiqué à It Société asiatique l'extrait d'une relation de son père sur les institutions des habitants du Boutan , pays où il fut singulièrement frappé de la ressemblance de certaines pratiques avec celles de notre propre liturgie. Yoy. Transaction of the royal asiatic Society of Great Britain and Jreland, vol. I etlli 1831. K.laproUi » dans ses Mémoires relatifs à l'Asie, a publié une vie de Bouddha d'après les livres mongols. (!) Sam correspond au ovv grec, et kritus à cretus, fiiit LITTéRATUBE INIMINNB. U9 pandit^ et aujourd'hui des chaires ont été fondées pour l^en- seigner dans les villes les plus éclairées de TEurope (1). Le sanskrit est la langue sacerdotale^ dans le sens le plus sansikrit. large du mot, puisqu'il paraît n'avoir été employé que par la caste qui présida à l'organisation civile de ces peuples (2); aussi y voit-on dominer le même caractère sacerdotal qui se montre dans le latin, le persan et l'ancien saxon. Le grec éta- blit la transition entre ces langues et celles de la poésie héroï- que, jusqu'à ce que les langues slaves, sorties des classes ser- viles avec une grammaire artificielle, vinssent se rapprocher davantage du caractère propre au discours familier. La langue sanskrite mérite véritablement le titre de parfaite, étant infiniment plus régulière et plus simple que le grec, qui (1) Le père Paulin imprima, en 1790, avec les caractères de la Propagande de Rome , la Grammaire sanskrite. Celle de Wilkins est peut-être la meilleure de toutes. Ce dernier publia aussi les Radiées sanscritœ; mais celle de Fré^ DÉBic RosEN (Berlin, 1827) les ont laissées en arrière. Le Dictionnaire de Wil« son (1819*1832) est indispensable pour cette étude. L'ouvrage de Fréd. Schle- GEL sur la langue et la littérature indiennes est excellent, ainsi que les comparaisons dont il l'a enrichi, bopp, par son parallèle delà conjugaison sanskrite avec la conjugaison grecque, zende, litliuanienne , esdavonne , go- thique et germanique, répandit le goût de cette étude en /Allemagne. Il fit aussi un petit glossaire des racines et des mots nécessaires ])our comprendre les textes qu'il a publiés. Parmi ceux-ci , le plus facile est le. Nalo , épisode du Mahabharat^ L. Chezt fut le premier professeur de sanskrit à Paris. En 1826 il lit imprimer le Yapiadattabad , épisode du Ramayan ûp Valmiki. — M. Langlois a publié en 1845 le second volume de Tédition de TAmarakôcha ou vocabulaire d'Amarasinka, commencée par Loiseleur-Deslongchamps. C'est le premier Dictionnaire sanskrit*français qui ait été publié. En même temps M. Desgranges publiait une Grammaire sanskrite-française, et M. Bœthlingk faisait paraître, dans les Transactions de V Académie de Saint-Pétersbourg, trois Mémoires très-développés sur des points importants de la Grammaire sanskrite, sous ces titres : Ein erster Versuch ûber den accent in sanscrit, -^Die Declination im sanscrit. — Die Unadi ajfixe. — Le Rajah Radhakant Deb, de Calcutta , a publié plusieurs volumes d'un Dictionnaire encyclopédi- que sanskrit dans lequel chaque mot est suivi de Tinterprétation du sens , des synonymes avec l'indication du dictionnaire dont ils sont tirés, de la descrip* tien d*! l'objet auquel il s'applique , et des citations empruntées aux livres classiques qui en ont fait usage. En 1847, M. Stenzier a fait paraître, à Bres- lau, le petit traité intitulé : De lextcographise sanscritœ principes; MM. Bœthlingk et Rieu ont traduit le Vocabulaire synonymique de Hemat- cliandra, et M. Bopp a achevé rimpression de la seconde édition de son Glos- saire sanskrit, où il a ajouté toutes les racines qui rattachent les autres langues indo-germaniques au sanskrit comme à leur source. (Note de la 2* édition fran- çaise.) (2) F. ScBLBGEL, Htst. de la littérature^ leç. Y. £^ la môina construction grammaticale^ et mieux proportionnée que ritalien ou l'espagnol dans le mélange des voyelles et des consonne» ; elle est de plus très-libre dans la formation des mots, au point d'en avoir de cent cinquante-deux syllables; elle est riche et flexible comme la langue de Platon, inspirée et magique comme le persan et Tidlemand, rigoureusement précise comme le latin primitif. Alphabet. Gc qui prouYC Pantiquité de Tidphabet indien, c'est qu'on n'y rencontre pas la moindre trace de Thiéroglyphe (1) ; les plus légères modifications du son s'y trouvent marquées par cin- quante lettrQ» artiflciellement distribuées avec un ordre et une symétrie admirables. Les modulations s'y distinguent en voyelles fondamentales, voyelles liquides ou consonnes modu- lées, et en voyelles doubles ou diphthongues ; plus deux asso- nances finales, l'une qui indique le sifflement, l'autre la pro- nonciation nasale. Les articulations sont classées en gutturales, palatiales, cérébrales, dentales, labiales, et à chaque classe se réfèrent deux sourdes, deux aspirées, une nasale, une sifflante, une liquide ou semi-vocale. Grammaire. Le sauskrit emploie trois genres , trois nombres, huit cas, ajoutant aux six cas latins le causal et le locatif. La conju- gaison, qui admet trois personnes, six modes et six temps, ex^ prime chaque gradation de l'existence et du mouvement, en [urécisant de plus en plus la signification des verbes par des particules invariables. Dans le temps où le sanskrit était la langue privilégiée des premières classes, le prakrit, c'est-à-dire naturel, était celle du peuple et des femmes : il contient les mêmes éléments, mais dans une forme moins perfectionnée et qui varie selon les lieux. Dans le midi on faisait usage du pâli (2), qui devint la langue sacrée du bouddhisme, et comme lui se répandit non^eulemeut dans Ceylan, mais au dôlà du Gange, dans le Pégu et chez les Birmans. Il dérive aussi du sanskrit, avec des modifications dé- terminées, la plupart euphoniques, et il peut être considéré (1) Le lecteur s'aperçoit que nous éonnons à l'écriture une généalogie tout autre que celie vulgaire. Voir ce qui en est dit dans ce même livre en parlast des Égyptiens. (2) VEsscà «HT lepaUi par E. Boniioiif et C.LA88BN,est à consulter; Paris» 1826* Toutefois le prenoier à s'en occuper fut le^ missionnaire italien de San Germano , qui , il y a déjà longtemps , traduisil ëe cette langue plu- sieurs fragments y notamment le Kammouva> dialogue sur les devoirs des re- ligieux, qui fut d'un grand secoues aux ùeax mmveaux philologues. Prakrit. LlTTJBRàTlIBS INPiJBfifiE. %^i comme le premier amieau des idiomes enfantés par oelui-oi et que Von a nommés indo-européens. Secondée par une langue aussi savante et par une écriture très-anciennement perfectionné^, la littérature indienne pro- duisit les chefs-d'œuvre dont le lecteur doit déjà s'être fait une idée, l«eur^ vers sont à la fois métriques comme ceux des La- vers, tins, et rhythmiques comme les nôtres; leur poétique est éga- lement éloignée des entraves de la scolastique et de la bizan^erie désordonnée des compositions chinoises. Yalmiki vit deux oiseaux qui avaient disposé dans la solitude le nid de leurs amours : quand voilà qu'une main cruelle prend le maie et le tue. Dans la douleur que lui causa ce spectacle et le gémissement plaintif que répétait sur son rameau la femelle désolée, Valmiki s'épancha en paroles qui se trouvèrent rhyth- miques, et ce fut ainsi que naquit Télégie et la sloca, distique particuUer à la poésie indienne. Cette origine poétique nous indique déjà que l'élégie mélan^ colique dut prévaloir dans leur Uttérature : rien de plus naturel dans une contrée où le monde n'est considéré que conrnie une expiation, tous les êtres comme des âmes emprisonnées, tous les corps comme passibles des fautes commises dans une autre vie. Voilà pourquoi une harmonie triste vibre dans toute poé- sie, depuis la sloca fugitive jusqu'à la conception la plus gigan- tesque, La littérature sanskrite est remarquable entre toutes les au- Poésie, très par Tunion intime de la poésie avec la science. Beaucoup d'anciens livres philosophiques sont en vers, sans que l'exacti- tude de l'analyse et du développement logique aient rien à y perdre. Dans le Bhâgavata Pourana (1), le roi Parakiti dit au sageSouka : car M. E. Burnouf dans la précieuse collection orientale pilbliée fkux frais de l'in)prim§rie royale. ( Not« de la 2« édition fran^se.) 352 DEUXIÈMB ÉPOQUE. « ses attributs ; ce que c'est que le temps ; ce que sont les gé- « nérations humaines et les âges du monde; comment Pâme « parvient à s'identifier avec la Divinité ; quelle est la gran- « deur et la mesure de l'univers, du soleil, de la lune, des as- i< très, de la terre, et le nombre des rois qui commandèrent (( ici-bas; quelle est la différence des castes; quelles formes di- « verses Vichnou a revêtues; quelles sont les trois principales « puissances; ce que c'est que le Vedam; ce qu^on entend par « vertu et par œuvres pies ; quel est le but de la création. » Un Européen peut-il se figurer un poème dont ce soit là le sujet et l'exposition? De là l'extrême grandeur de ces compositions qui satisfont moins la raison que Timagination, et auprès desquelles celles d'Homère sont comme le Tasse auprès du chantre d*Ilion. On tomberait néanmoins dans une étrange erreur en croyant y trouver Pemphase confuse, les métaphores fantastiques des Orientaux : les idées y sont exagérées, les accidents amoncelés, les images gigantesques; mais le style en est simple, le coloris pur, les figures et les épithètes en petit nombre. Il y a exubé- rance dans l'imagination, non dans les pensées et dans les pa- roles ; une expression limpide et bien ordonnée fait même un singulier contraste avec l'immensité de la fable. Les poëmes héroïques ont pour sujet les diverses inc-ama- tions des dieux, non pas en hommes seulement, mais encore en différents animaux; de sorte que l'Être suprême n'y figure pas seulement comme machine poétique , il y entre encore comme sujet, ainsi que dans Milton et dans Klopstok. Les hom- mes eux-mêmes, par la force de la contemplation, peuvent se rapprocher de la Divinité; ce qui multiplie les relations entre les êtres les plus élevés et les plus infimes. Il faut dire cependant que ces dieux rouges et bleus, aux cent bras et aux cent ma- melles, métamorphosés en ours, en singes ou en serpents, défi- gurent le sentiment humain et Pidée de la beauté. Gonmie le dieu fait homme vaincrait trop facilement les obstacles qui lui sont opposés, ses forces sont modérées par la fatalité, et la maya ou l'illusion, formant comme un voile sur ses yeux, l'empêche d'apercevoir Favenir. Râinâyana. Les plus famcux dc CCS poëmcs sont le Râmàyana et le JUaha- Bharâta. Le sujet du premier est la victoire de Rama (Vichnoii incamé) sur Ravana, prince des Racschiasas ou démons (1). (1) Le K&mftyaiia a été entièrement publié, quant au texte, par M. Gorresia '» - UTTéBATUBB INDIBNNB. 858 Ceux-cî avaient ravî aux bons génies le privilège d'être invul- nérables^ ce qui leur avait donné sur eux tout avantage^ et ils ne pouvaient être vaincus que par un homme. Les bons génies supplièrent donc Vichnou de s'incarner. Dasarata régnait alors depuis neuf cents ans dans Ayodia, « cité bâtie par Mouni^ pre- « mier souverain des hommes. Les rues en étaient admirable- c( ment alignées et arrosées en abondance; les murs peints de c( diverses couleurs en manière d'échiquier. Elle était remplie « de marchands de toute espèce, de jongleurs , de danseurs, « d'éléphants, de chars, de chevaux; il y avait des trésors de « pierres précieuses, abondance de vivres, et des temples et des « palais dont les coupoles rivalisaient de hauteur avec les mon- c< tagnes. On y rencontrait çà et là des bains et des jardins or- « nés de l'arbre mango ; l'air était imprégné de Podeur de l'en- « cens et des guirlandes de fleurs, ainsi que du parfum des (( sacrifices; il n'y habitait que des régénérés (1), dévots aux « préceptes des Védas, remplis de vérité, de zèle, de compas- « sion, maîtres de leurs passions et de leurs désirs. Là, point « d'avare, de menteur, de trompeur; point de malveillant ni c( d'irréconciliable ennemi. Personne ne vivait moins de cent « ans. Tous avaient une nombreuse postérité et donnaient aux « Brahmanes au moins mille pièces d'argent ; tous exhalaient « des senteurs suaves, portaient les cheveux bouclés aux tem- « pes, des couronnes, des colliers, des vêtements élégants. Le « roi Dasarata était lui-même très-versé dans les Védas et dans « les Védantas, aimé du peuple, aussi habile que tout autre à « guider un char, infatigable dans les sacrifices et dans les cé- « rémonies sacrées, presque aussi savant qu'un rischi, célèbre « à juste titre dans les trois mondes, protecteur de ses sujets « comme l'avait été Mouni, le premier des monarques. » Il serait le plus heureux des princes s'il avait des enfants ; et, pour en obtenir, il se résout à accomplir le sacrifice le plus so- lennel, celui du cheval. Plusieurs années se passent en prépa- ratifs ; mais il faut d'abord que la fille du roi voisin Schianta épouse le saint jeune homme Rischia Stringa, qui étudie les Vé- das dans les solitudes des bois. Un chœur de jeunes filles dans 80US ce titre : Ramayana, pœma indiano di Valmici, pttbblicato per Gas^ pare Goresio, vol. VI. Paris, 1850. La traduction italienne est en voie de pu- blication. (Note delà 2* édition française.) (1) Des trois premières classes, et surtout des Brahmanes. T. I. 25 Zê4 DEUXIÈME ÉPOQUE* tout réclat de leurs charmes va le trouver; à la vue de leurs danses voluptueuses, à la mélodie encore inconnue de leur or- gane enchanteur, il demeure épris et se marie à la belle fille de Schianta, aux yeux de lotos. Le sacrifice accompli, Vichnou, qui est dans le ciel, « vêtu de jaune, avec des bracelets d'or, « monté sur Taigle Vinouteya, comme le soleil sur un nuage, « et son dard à la main, » s'incarne, sans quitter le ciel, dans le fils de Dasarata, sous le nom de Rama. Visva Mithras, sage du sang royal qui, par ses austères ver- tus, s'est élevé au rang de Brahmane, vient alors implorer du secours contre les mauvais génies, et Rama, héros de dix-sept ans, quitte son père pour aller les combattre avec une immense armée à laquelle sont réunis des ours et des ^nges engendrés par les dieux. A son départ, des fleurs pleuvent en nuage sur sa tête, et les cieux résonnent d'une harmonie enchanteresse; il reçoit des armes divines avec lesquelles il parle. Toutcequ^on rencontre sur la route fournit à Mithras Foccasion d^instruire Hama, et au poëte le sujet de beaux épisodes. Il passe le Gange, fleuve céleste qui purge la terre; il arrive près du roi Yunaka, possesseur d'un arc que n'a jamais fait ployer un bras humain, déposé dans une caisse à huit roues qu^il faut huit cents hom- mes pour traîner. Rama le courbe et le brise avec le fracas que ferait une montagne en éclatant; il épouse Sita en récom- pense^ et la conduit à son père. Celui-ci se résout à lui donner le titre de prince héréditaire; mais la reine Kéikey, jalouse des droits de son fils Bharata, et à l'instigation d'une confidente en- vieuse, rappelle au roi qu'il a juré de lui accorder deux de- mandes, et le requiert d^envoyer Rama en exil. Dasarata, ne pouvant manquer à son serment, est contraint d'inviter son fils à se retirer, et en meurt de douleur. Rama, vêtu en anachorète, commence alors ses pénitences dans le désert. Sa compagne lui est enlevée par Ravouna, prince des mauvais génies, qui s'en- fuit avec elle dans l'île de Ceylan. Pour aller l'y assaiUir, un pont est jeté sur la mer ;• les confédérés le traversent, et la ba- taille s'engage sur la terre et dans l'air. Rama et Ravouna, ve- nant à se rencontrer sur leurs chars, commencent un tel com- bat, qu'à son immense fracas la terre tremble durant sept jours, jusqu^à ce que Ravouna succombe. Sita démontre son inno- cence par l'épreuve du feu; Brahma et les autres dieux appa- raissent pour bénir les vainqueurs : Rama élève un tçmple à. Siva, dieu des vaincus; puis, de retour à Ayodia, il y remonte LITTEBAXUfiB INDIENNE. 366 sur le trône. Durant son règne^ qui termine Tàge d'argent, tou- tes les vertus renaissent; enfin^ chargé d'ans et de gloire^ Rama retourne au ciel avec sa compagne, et de TEmpyrée il veille au bonheur de la terre (1). Les épisodes de ce poëme sont très-attrayants , et plusieurs ont été traduits dans les langues européenneSé Dans celui que Schlegel a mis en vers sous le titre de Descente de la dées$0 Ganga, Yisva Mithras raconte à Rama de quelle manière ses aïeux parvinrent au comble de la gloire. Sagara^ roi d'Ayo- dia^ avait deux femmes , Tune desquelles^ Kesini , le rendit père d'Asamania; Pautre^ Soumati^ mit au monde une courge^ d'où sortirent tout à coup soixante m?lle fils. L^impie Asama- niafut banni par son père^ qui lui subrogea Ansounan^ iils de l'exilé; mais, au moment où il allait acC/Omplir le sacrifice du cheval , la victime sainte fut entraînée par un serpent. Sagara, irrité y convoque ses soixante mille fils^ devenus autant de hé^ ros, et les envoie chercher le ravisseur pour le punir et reœu- vrer le cheval. Ils parcourent la terre, pénètrent dans les abî- mes jusqu'aux enfers; les dieux en sont effrayés, et ils viennent implorer Brahma, qui répond : a Le sage Yichnou, mon égal, «qui a pour compagne la terre nourricière, et qui la protège (( sans cesse sous le nom de Capila , voit de son regard per- (( çant le péril dont elle est menacée , et bientôt sa colère en-» « flammée s'annera pour dévorer les fils de Sagara. » Cependant ceux-ci, poursuivant leurs recherches, sont par- venus au plus profond des abîmes, où ils voient les quatre élé- phants qui soutiennent la terre; puis, creusant et creusant encore , ils découvrent Téternel Vichnou, sous l'aspect de Ca- pila, et le cheval dont ils sont en quête. Ils attaquent le dieu^ qui les anéantit de son souffle embrasé. Ansouman, envoyé sur les traces de ses oncles et du che- val, arrive au lieu où ils sont réduits en cendres, et, désolé, il voudrait au moins répandre sur eux les libations funèbres; mais aucune eau terrestre ne conviendrait pour ce pieux de* voir ; ïl faudrait que la céleste Ganga, première née de PHima- laya, pût venir (kns ces ténébreuses demeures y purifier les «endres des fils de Sagara et les rendre ainsi dignes d'un séjour (1) On connaît deux éditions très-difîérenles de ce poëme, et les orienta- listes discuttnt le point de savoir quelle est la plus antique et celle originale, ^oyez la préface à Tédilion de Tabbé Goresio. Paris, imprimerie royale, 1843. 23. . 356 DEUXIÈME BPOQUE. meilleur. Le point important est donc de fkire descendre Ganga du ciel dans les profondeurs de la terre. Ansouman , après avoir ramené le cheval et consommé le sacrifice, succède à son aïeul ; mais ni ses pénitences, ni celles de Dvispa son fils et son successeur, n'ont l'efiet réservé aux mérites plus efficaces de Bagirata, fils de Dvispa. Brahma lui apparaît pour lui annoncer la descente de Ganga ; mais il faut, avant tout, que Siva, le dieu au trident, consente à la recevoir sur sa tête, autrement la terre succomberait sous Ténorme poids. Siva, gagné par de nouvelles pénitences, accorde la demande, et dit à Ganga : Descends. Mais, irritée de ce ton de commandement, elle se précipite sur la tête du dieu sous la forme d'un géant, se flattant de le précipiter avec elle dans Tabîme ;elle ne peut réussir : enveloppée dans les inextricables boucles de la longue chevelure de Siva, sem- blable aux forêts de la cime de l'Himalaya , elle est retenue dans ce tortueux labyrinthe. Enfin les prières de Bagirata dé- cidèrent Siva à laisser couler les eaux de Ganga dans le lac Vindou. Là elles se divisèrent en sept fleuves, au milieu des- quels la divine Ganga suivit doucement le cours qui lui fut tracé par le saint roi , et les dieux contemplaient attentifs le fleuve sacré couler sur la terre. Sur sa route, elle troubla les sacrifices d'un mouni qui Pengloutit et la rejeta par Toreille. Arrivée ensuite à la mer et se plongeant au fond des abîmes, elle s'en fut arroser de ses ondes salutaires les os des fils de Sagara. L'autre épisode, sur la mort d'Yaginadatta, est d'une poésie plus tendre (1). Quand Dasarata eut envoyé Rama en exil, il resta sept jours silencieux dans une morne douleur; puis il adressa, durant la nuit, la parole à Cosalia, qui dormait près de lui, et lui dit qu^il sentait le moment arrivé d'expier par sa mort un ancien péché. Dans sa jeunesse, guettant à la chasse quelque bête fauve pendant la saison des pluies, il entendit parmi les buissons un bruit comme celui d'un éléphant qui remplit d'eau sa trompe. Il lance son dard : hélas ! un gémissement se fait entendre; il accourt, et reconnaît qu'il a tué «n jeune pénitent, qui , venu là pour puiser de l'eau, était l'unique appHi et tout l'amour de ses parents, vieux et aveugles. L'infortuné meurt au milieu des tristes regrets naturels à celui qui abandonne une vie encore florissante, laissant après lui des personnes chéries. (1) La Société asiatique en a publié deux traductions, Tune en flançais, \^r de CiiEZY, l'autre en latin, par E. BuKNorF. Paris, 1826. LITTéBATlIBE IT^DIENNE. Zftl i( Je pris le sceau d'eau ^ dit le roi^ et je m'avançai vers la ca- a bane de ses parents, porteur de l'horrible nouvelle. Là, je trou- « vai ces malheureux, vieux, aveugles, sans serviteurs, comme (f des oiseaux dont les ailes sont coupées; ils s'entretenaient de (f leurs fils^ impatients du long retard de ce fils que j'avais tué. a En entendant le bruit de mes pas, Monia m'interrogea. Pour- « quoi donc tarder tant, ô mon fils? Apporte-moi vite à boire. « Oh 1 pourquoi , Yaginadatta , t'es-tu amusé si longtemps sur o le bord du fleuve? Ta mère , que voilà , en était tout affligée. « Oh ! si jamais^ moi ou ta mère, nous te causons quelque dé- « plaisir, prends-le en patience; et ne prolonge plus ainsi ton c( absence,^ où que tu ailles, d'où que tu viennes. N'es-tu pas « désormais le soutien de mes pas débiles! N'es-tu pas l'œil de « ton pauvre père aveugle? N'es-tu pas le souffle de ma vie? « Oh ! pourquoi ne réponds- tu pas? » Dasarata leur raconte son crime involontaire , et conduit les deux aveugles à l'endroit où glt leur fils inanimé. Ilscarressent longtemps sa froide dépouille, puis tombent à côté de lui sur la terre. « 0 Yaginadatta, s'écrie la mère en couvrant de bai- n sers ses lèvres glacées , ô mon fils qui m'aimais plus que ta « propre vie! pourquoi donc, au moment de m'abandonner « pour un si long voyage, pourquoi ne m'avoir pas même « adressé une parole consolante? Encore un baiser, ô mon fils; « un seul baiser, et je me résigne à cette impitoyable sépara- « tion. D Le jeune homme apparaît ensuite aux vieillards sous une forme divine; et, après les avoir consolés en les assurant de sa bénédiction , et en proclamant l'innocence de Dasarata , il re- monte au ciel. Le solitaire, qui allait lancer contre le roi sa ma- lédiction (et la malédiction d'un Brahmane n'est jamais vaine), la suspend, mais lui prédit qu'il mourra d'un violent chagrin , dont un de ses fils sera la cause. « Et maintenant, poursuit Dasarata , s'adressant à Gosalia, je a sens l'imprécation s'accomplir. — Et, plein de la pensée de « Rama , il arrive insensiblement au terme de sa vie. Ainsi la « lune à l'apparition de l'aurore perd peu à peu sa lumière ar- « gentée. — 0 Rama, ô mon fils ! — furent ses dernières pa- « rôles y et son âme s'hexala vers les cieux. » On désigne comme auteur de ce poëme , où se trouvent con- fondus ensemble Homère, Parménide et Solon, le très-ancien Brahmane Valmiki. Cç qui prouve que le Ràmàyana remonte T. I. 358 DEUXIÈME ÉPOQUE. aux temps les plus reculés , c'est d'en voir les principaux sujets représentés sur les plus anciens monuments , et les plus belles scènes figurées dans les fêtes, d^ns les danses^ dans les panto- mimes, avec les singes guerriers construisant le pont, le géant ennemi aux dix têtes et aux vingt bras, terrassé parles flèches divines. L'hymne qui précède cette épopée la compare au « tonrent impétueux qui s'élance des monts de Valmiki , et se « précipite dans la mer de Rama, pur de toute souillure^ et « riche de ruisseaux et de fleurs. » Au commencement du poëme, Brahma dit : « Tant que les montagnes seront debout, « et que les fleuves couleront sur la terre , l'histoire de Rama « sera répandue parmi les mortels. » *iahâ Bharati. ^^ Mahâ-Bhârata {{), ou grand récit de Wyasa, n'est pas de beaucoup plus récent. C'est une autre émanation de Vich- nou, et la plus vaste scène delà religion indienne : Santi y fils de Souta , lors du sacrifice de douze années fait par Kaunaka^ dans la forêt de Naïmasaa, raconte ce que rapporta Vaïsam-Païana comme l'ayant entendu de la bouche du premier inventeur de cette épopée. Elle n'a pas encore été publiée en entier (2), ce qui fait que noua en sommes réduits à des extraits fort impar- faits. Voici ce que nous en pouvons tirer. Le raya Bischitrabiry descendait, au troisième degré, du roi Barata, qui régnait dans Astinapour. Il laissa deux fils : l'aîné, Dritarastra, qui était aveugle, engendra Douriodana et cent autres fils, dits les Ko- rous; le plus jeune, nommé Pandou, eut cinq enfants mâles, dits les Pandous. Pandou étant mort, Dritarastra devint roi , et, pour faire périr les Pandous, il mit le feu à leurs habita- tions. Toutefois ils s'échappèrent, et, ayant traversé le désert, (1) Mot à mot, grand poids, parce que, mis dans une balance avec les quatre Védas , il la fait pencher de son côté. (2) Récemment on a entrepris de publier à Calcutta le texte seul de cepoëme entier, collationné par les deux savants pandits Nimachand Siromani et Nanda Gopala. Lassen commença une série de commentaires dans le Zeitschriftfiir die Kunde des Morgenlands ; Gœttingen, 1837-1838. Eue. Burnouf s'en est servi pour ses leçons du sanskrit au Collège de France. — M. Pavie a publié en 1844 des fragments du Mahâ-Bhârata, traduits en français. M. Goldstûcker avait annoncé en 1845 une traduction complète de ce poërae Immense ac- compagnée de notes, de tables des matières et d'une introduction générale. Sous le titre de Balabhùrata a paru, en 1847, à Athènes, un volume renfer- mant l'ensemble des sujets compris dans le Maliâ-Bhârata , dont cet ouvrage n'est cependant qu'un abrégé traduit en grec moderne à Benarès , par M. Ga- tanos. ( Note de la.S'v édition française. ) LITTiHATURR INpIBVNF. 059 ils se réingièrçnt à Kumpela^ où ils s'illustrèrent par leur va- leur et leur générosité^ à tel point , que Dritarastra résolut de partager le royaume avec eux. Il leur en céda dono une moi- tié où se trouvait la ville de Debli^ et se réserva l'autre ^ dont Âstinapour était la capitale. Mais^ plus tard^ repentapt et envieux, il invita chez lui les Pandous, et il leur gagna par ruse, en jouant aux échecs^ tout le pays qu'ils possédaient. A la der- nière partie, ils promirent^ s'ils la perdaient^ de se retirer dans la solitude pendant douze années, et de vivre ensuite de la vie la plus obscure. Us perdirent, et tinrent leur promesse; mais^ à leur retour, Douriodana les traita si durement, qu'ils prirent les armes contre lui. La guerre éclate donc, et, au milieu des désastres qu'elle entraîne, Vichnou, ému des plaintes que la terre^ sous la forme d'une génisse , lui adresse sur la déprava^- tion des hommes, résout de la racheter en s'incarnant sous le nom de Crichna. II échappe miraculeusement aux périls qui en- tourent son berceau, périls dont le plus grave est le massacre de tous les enfants en bas âge ordonné par ses ennemis. Il est encore dans les langes qu'il opère des prodiges ; il se délivre des serpents qui l'attaquent , tue des géants et des monstres , \it avec les bergers au milieu de leurs occupations et de leurs jeux, faisant danser les jeunes filles au son de la musique , et apprivoisant , par la douceur de ses accords , les animaux les plus sauvages. Épris d'amour, il va délivrer de belles captives, triomphe du géant à sept têtes, et épouse seize mille vierges charmantes dont il est le libérateur. Sa mission étant de combattre le mal sous quelque forme que ce soit, il prend parti, pour les Pandous dans leurs différends avec les Ko- rous } entin , après la bataille livrée sur le lac Kourscbet , bar- taille qui dure dix-huit journées , Douriodana périt > et la vic- toire est assurée aux Pandous.^ Alors, fatigué de parcouru* la terre^ il remonte au ciel où il conduit les danses circulaires des aphères, des mois et des années, qui se meuvent barmonieuse- meut autour du soleil (i). (f ) La guerre qoi fait le sujet du MahA-Bbârata eut pour théAtre le territoire de Tanesser, situé au nord de Detili, à Toccident du cours de la Djomna, et le Souvenir en est resté si présent, que les Indiens vont encore en pèlerinage aux lieux où les deux armées se mesurèrent ensemble. C'estone vaste plaine parsemée d'étangs; les étangs sont ombragés de banians, et servent à la purification des indigènes qui ont contracté quelque souillure. Des hommes lettrés lisent sur les lieux les chants du Mahâ-Bhàrata, où font retracés les divers épisodes de 360 DEUXIBMB ÉPOQOB* C'est donc l'incarnation de Yichnou qui est représentée dans ce poëme avec une majesté vraiment divine. Crichna descend sur la terre pour un sacrifice que lui seul peut accomplir ; il s'assujettit à toutes les faiblesses^ à toutes les misères pour abat- tre l'empire du mal et s'offrir pour modèle à l'homme. Et ce- pendant^ digne représentant de Fètre sublime qui Ta envoyé, juste^ bon^ miséricordieux comme lui^ il ne demande à ses ado- rateurs que foi et amour^ le désir de se réunir à lui , le mépris des choses terrestres^ Fabnégation de soi-même. Nous pour- rons nous former une idée de cette vaste conception , qui n'a pas moins de deux cent cinquante mille vers^ en examinant quelques-uns des épisodes qui en ont été publiés et traduits. Nous avons déjà parlé du Bagavad-Gita. Le Nalo en est un au- tre, dont voici le sujet (1) : Alors que les Pandous vaincus au jeu se retirent dans une forêt, le sage Vriasdane, pour les con- soler, leur raconte une aventure semblable à la leur. Nalo, roi de Nisa, s'était éprife, sur la renommée de sa beauté , de Da- mianti, fille de Bima, roi de Vidarba. Un cygne aux ailes d'or s'offre pour être son messager d'amour, et il l'envoie vers Da- mianti. a Les oiseaux pleins de joie prennent leur vol et se di- « rigent vers Vidarba, la cité superbe. Ils s'abattent aux pieds (( de Damianti, assise parmi ses suivantes sur les tapis de son « palais. Elle s'étonne à leur vue, admire leurs formes grâ- ce cieuses, leurs plumes éclatantes, et ses jeunes compagnes, a dans leurs jeux folâtres, poursuivent à Tentour des colonnes a la troupe d'oiseaux aux ailes d'or. Leurs pieds glissent rapi- « des sur le marbre, mais les oiseaux se dispersent, et celui que « Damianti a poursuivi jusque dans la forêt , se voyant enGn cr seul avec elle, lui parle en ces termes , dans le langage des « hommes : « Damianti, un noble monarque règne dans Niscada, incom- « parable entre les mortels, beau connue les jumeaux Asoui- « nas, dieu sous une enveloppe humaine! Si tu le prenais pour a époux, ô charmante princesse, tes enfants seraient beaux et «nobles à l'égal de leur père, à l'égal de toi-même. Nous a ayons vu les dieux et les gondarras, les hommes, les serpents ces guerres terribles. Voy. le Voyage dans VInde de M. Saint-Hubert Thé- roulde. Paris, 1843, p. 212, et le Mémoire sur VInde de M. Reioaud, p. 51. ( Note de la 2* édition française.) (1) Il a été traduit en latin et en allemand par Bopp et par Kosegarten. LITTSAATUBB INDIBMNB. 861 « et les rischis; mais il n'est rien que Ton puisse comparer à « Nalo. 0 la plus charmante des femmes^ Nalo est Torgueil des a hommes. » Damianti^ après avoir entendu ces mots^ répond : a Va, et répète à Nalo les mêmes paroles que tu viens de ff me dire. » L'oiseau déploya ses ailes dorées et dirigea son vol vers Nisa. Sur ces entrefaites, Bima ayant rassemblé tous les princes, rois et dieux, pour que Damianti eût à choisir parmi eux un époux, Nalo accourut aussi. Indra et d'autres dieux, épris de la beauté de la jeune princesse, revêtit la forme de Nalo, afin de l'abuser; mais elle ne se laisse pas tromper par leur ruse. a Quand les dieux aspirent à ta main, dit Nalo à Damianti, « pourquoi veux-tu choisir un mortel? Élève ta pensée et tes c( regards vers ces sublimes gardiens du monde. La poussière « que soulèvent leurs pas est plus noble que moi. S'opposer à « la volonté des dieux, c'est aller au-devant de la mort. Oh! la « plus belle entre les femmes! quand un dieu te possédera,*un « éternel manteau te couvrira de splendeur , les fleurs qui te « couronneront seront toujours d'un éclat éblouissant. Pro- « nonce-toi, choisis; un cœur qui t'aime t'en supplie. » Tandis que le roi de Niscada parlait ainsi, un nuage de larmes amères voilait les yeux de la jeune fille. « Héros, répond-elle, les dieux doivent être révérés, je les a adore; mais toi, je te choisis pour époux, je ne désire que « toi. » Le poète, continuant, décrit l'assemblée, et le Swayamhara ou choix volontaire. «r La salle était soutenue par des colonnes d'or. On vit à tra- a vers les immenses portiques s^avancer les héros, semblables à a des léopards majestueux passant au milieu des collines. Des « sièges de mille formes diverses étaient préparés pour recevoir a ces augustes personnages. Ils avaient leurs oreilles chargées a de pierres précieuses; leur tête était couronnée de fleurs odo- (( rantes ; leur aspect était délicat et en même temps plein de « vigueur, semblables au serpent flexible dont les anneaux sont a plus durs que le bronze. Ils avaient des bras de géants, et a des cheveux dont les tresses ondoyaient comme des grappes. » Damianti se dispose à choisir Tépoux que son cœur préfère; mais quel n'est pas son étonnement lorsqu'elle voit devant elle cinq héros parfaitement semblables à Nalo. Quatre dieux avaient pris la figure de ce prince. La jeune fille hésite et tremble; Sê9 DIOXIÀMB BPOQUI. maia elle soupçonne la ruse dont ils veulent la rendre victime^ et^ joignant les mains^ elle leur adresse cette admirable"" prière : a Oh! dieux^ jusqu'à ce jour mon ftme et ma vie furent pu- tt res; faites que mon innocence et mon amour pour Nalo « aient du pouvoir sur vous, je vous en adjure par ma pureté, « par mon amour, par mon culte envers les dieux. 0 vous, tf gardiens du monde, montree^vous à mes regards, et permet- a tez que Nalo m*apparaisse ! » Selon la mythologie indienne , jamais prière ne reste sans effet: quelque malédiction que ce soit est efficace, comme toute supplication est irrésistible. Aussi les dieux se présen- tenMls à la jeune princesse sous leurs traits immortels, et Nalo dans toute la faiblesse humaine $ contraste où brille une pen- sée philosophique. a Les dieux se révélèrent, leurs pieds ne touchaient pas le a sol. Immobiles comme des statues de cristal couronnées de « fleurs immortelles, jamais ne battent leurs paupières, jamais « une goutte de sueur ne souille leur front, leur corps ne pro- « jette aucune ombre. Mais la poussière et la sueur souillent la « beauté de Nalo, son corps projette une ombre, ses pieds cr tremblent en foulant le sol, le découragement est peint dans c( ses regards. A ces signes Damianti le reconnaît. » Alors la vierge aux yeux noirs, pleine de pudeur, prend le bord du manteau de Nalo et l'attache avec la guirlande de fleurs qu^elle tenait à la main. Les maîtres du monde sont pris d'admiration en voyant un tel choix. Les autres dieux et les sa- ges applaudissent à la vertu de la jeune fille, et rassemblée est dissoute. On célèbre le mariage : Nalo et sa femme sont bénis par l^^ ciel ; ils obtiennent de lui deux fils, et donnent au monde l'exem^ pie de la vertu. Par malheur, deux raïschiasas, Dvaparaet Kali, aspiraient aussi à Pamour de Damianti; se voyant déçus , Kali jure de rompre leur union. Il se rend à Nisa, où les deux époux vivent heureux, et inspire au mari une passion violente pour le jeu. En vain la jeune femme veut la modérer, il a déjà perdu jus- qu*à ses vêtements; seule, sa fidèle compagne le suit dans sa misère, et partage avec lui les vêtements qui lui restent. Ce- pendant Nalo, poussé au mal par Kali, oublie tant d'amour, et l'abandonne endormie dans une forêt. Jugez de sa douleur au réveil. 8'étant mise sur sa ^ce, elle rencmitre une caravane LITTÉRATURE INDIENNE. 363 de marchands; mais ils De peuvent la secourir, parce que des éléphants sauvages mettent en fuite leurs éléphants apprivoi- sés. a Dans la forêt des épouvantements, les marchands décou- « vrirent un lac dont les rives paisibles sont émaillées d'herbes a hautes et épaisses : ses ondes reflètent les mille couleurs des de déterminer Pépoque soit des héros symbolisés > soit des monuments^ soit des ouvrages littéraires^ Ceux qui voulurent trouver^ du moins dans ces derniers^ un ordre successif^ les distribuèrent en quatre époques : ils assi* gnèrent à la première les Védas et les livres qui s^y rattachent immédiatement^ comme les lois de Manou ; à la seconde^ pres« que tous les systèmes philosophiques antérieurs au Yédanta^ puis le Ramayana et le fond d'un grand nombre de Pouranas; la troisième comprend les œuvres attribuées à Yyasa , o^e^à* dire dix-huit Pouranas^ le Mahâ-Bhàrata et la philosophie Yé* danta. Ce serait dans la dernière ^ postérieure aux temps dont nous nous occupons^ que Kalidasa et d^autres esprits d^élite^ perles de la cour de Yikramaditya^ recueillirent les anciennes traditions restées jusqu'alors la propriété des prêtres, et les firent connaître au peuple dans un grand nombre de drames et sous d^autres formes poétiques (3)« GôiTes, Creutzer, Holwel et Don reporteraient les Yédas à 5,000 ans; les Ângas leur seraient postérieurs de 1,000 ans, et lesUpavédas et Upangas, de ly500>ns. Les Pouranas seraient ainsi antérieurs à J. C. de seize siècles; les grands poèmes épi^ ques et les lois de Manou ne Tauraient pas précédé de moins de treize. Heeren, plus circonspect et s'appuyant sur de meil- leures autorités, reconnsût les Yédas comme antérieurs à toute autre composition littéraire; leurs conunentaires et les Upavé-> das sont écrits ^ selon lui , avant la dernière pédaction des lois (1) Tchaïtra, vaïsakiia, djyaichtha, acliadha, svayaoa, bliadra, aswiua, karlika, margasircha (ou agraiiayana)^ paucha, inagba, phalagouna. (2) AdUyadinam ou sauryadivasat joiu* du soleil ; somadinamf de la lune; manyaladinam, boudhadinam, vrihaspatidinam , içitkradinamt otisana' divasOf sanidinam, (3) F. ScHLEGEi. , Weisheit der fndier, p. 149 et suiv. LITTBBATUBE IHDIBNNE. 367 de Manou. Les épopées et les Pouranas se trouvent dans la se- conde période; mais ces derniers^ tels que nous les possédons aujourd'hui^ sont des compilations plus ou moins (récentes de fragments d'époques diverses, quelques-uns même postérieurs à notre ère. La troisième période est celle de Yikramaditya^ apogée de la langue ; il en est une quatrième dans le moyen âge. Quant aux monuments, Heeren distribue leur chronologie selon la progression naturelle : en premier les temples-grottes, puis ceux imités de la nature vivante, en dernier les édifices proprement dits; il les montre d'ailleurs tous formés de cons- tnictions successives. Les Brahmanes, qui assignent 7,900 ans aux grottes d'Ëllora , et les mahométans, qui ne leur donnent que neuf siècles à peine, exagèrent également. Quand nous en serons à l'époque de Vikramaditya (1), nous parlerons de l'art dramatique indien : il suffit ici de dire que, outre les poëmes épiques et philosophiques, cette contrée abonde de poésies erotiques, nourries d'idées religieuses et pourtant lascives (2), d'hymnes et de fables. Ces dernières étaient naturelles chez un peuple qui croyait au panthéisme et à la niétempsycose, et qui, dans la littérature, tendait au genre didactique. Le recueil de fables le plus célèbre est Vltopadesa, ou instruction amicale, dans laquelle le sage Visva Sarman es- quisse, dans des apologues, des idées morales aux méchants fils du raya Sudarsama, qui les lui avait donnés à élever (3). La collection en est attribuée à Glipé, qui, quatre cents ans avant J« G.^ les tira de récits très-anciens. Elle fut ensuite traduite en pehlvi, dans le sixième siècle de notre ère, par l'ordre d'un roi de Perse, et bientôt en arabe, en turc, et en plus de vingt idiomes. La didactique, comme on a pu le voir, ne fofme pas un genre distinct, elle est le fond de toutes les compositions : la poésie entre dans tout, dans les inscriptions, dans les contrats; ks lois de Manou sont en distiques; bien plus, le dictionnaire sous le règne de Ptolémée Philadelphe, un traité sur l'Egypte, dont une partie, traduite par Eusèbe (3), (1) Traduit du sanskrit en bengalien, et Imprimé en 1821 àSirampour. (2) Gens j£gyp(iomm quœ plurimorum sxculorum et eventorum me- moriam litteris continet. Cigéron. Ce passage dément ceux qui croient que des considérations religieuses les empêchèrent d'écrire riiistolre. (3) On n'a découvert que de nos jours une traduction arménienne complète de son ouvrage, à Constantinople ; elle a été imprimée à Milan^ puis plus cor- rectement à Venise, sous ce titre : Eusfbu Pamphili Chronicum Mpartitunir lÉGYPTK. «^ $(lt)B(!É6 âlStOBIQUBS. ' S7d nous a été conservée, âirtgi que des fragment* du juif Josèphe; Ces trois historiens s'adressèrent donc aux trois foyers de la Science égyptienne, c'est-à-dire auit temples de Memphis> de Thèbes et d'Héliopolis, dont les prêtres avaient conservé des mémoires sur les événements 5 mémoires qu'ils cachaient au vulgaire, ou qu'ils falsifiaient pour les curieut. EPailleurS, du temps d'Hérodote, la lecture des hiéroglyphes leur était deve* nue difficile, au point que, d'un grdS rouleau de papyrus, ils ne purent relever pour lui que les Seuls nôtns de 330 rois : le péU qu'ils surent lui apprendre ne concernait que leur temple ; c'é- taient des éloges pour les rois qui Taugmentèrent et le favori- sèrent, des blasphèmes pour ceux qui dirigèrent les arts vers d'autres édifices. Ils ne lui fournirent pas même tous les noms des rois, puisque d'autres furent trouvés dans la suite par Dio- dore, qui affirme avoir examiné attentivement tout ce qu'il rapporte (1), traite de fabuleux les renseignements donnés par Hérodote, cite Cadmus, Hellanicus, Hécatée, et d'autres écri- vains aujourd'hui perdus. Mais il fUt aussi abusé par les prêtres, trompés peut-être eux-mêmes par la diversité d'interprétations à laquelle étaient sujets les écrits et les symboles sacrés. Né au milieu des prêtres, Manéthon pouvait avoir en main des documents plUs sûrs : en effet, des découvertes successives ont paru favorables à son catalogue des rois d'Egypte (2), en nunc primum £X armerUco textu in latïnum conversum f adnotationibt^ €LUctum, grœcis fragmentis exomatum, opéra P. Jo. Bapt. âucher, Ancy* rani monachi armeni, 1818, in-4". (t) reypatAluv* 9i>oti|JLei); è$YiTax6te!;. (2) L*autoritë de Manéthoti fut attaquée parMEiNEA8,TtCH8kN,LARGRËR| défendue par Hëtne, Gatterer, Hekren, Sairt^Martim, et par les deux ChâM'' ^oiAAOs. — Les exploratioDS de M. Lepsius dans la plaine des Pyramides^ ex- plorations qui ont eu pour résultat la découverte des cartouches de tous les vois de la y* dynastie ëléphantine , prouvent que cette dynastie forma bien réeUement une dynastie de Tempire égyptien , qui suit imniédiatetnent la tv*, et qui eut comme elle son siège à Memphls. C'est un fait dont Timportance est immense pour la chronologie de l'histoire égyptienne, que celui de la réalité historique de cette cinquième dynastie, prouvée comme elle Test à présent par Texistence d<^ cartouches de tous les rois qui la composaient; car ce fait, qui rend aUk listes de Manéthon toute leur autorité , resUtue à l'histoire du genre humain tine époque de l'einpire égyptien antérieui-e d*au moins 4000 ans à notre ère ; et ce sont là des résultats dont l'idée même et encore moins l'espérance n'auraient pu venir à l'esprit de personne, avant l'immortelle dé« couverte de ChampoUion. Voy. M. Raoul Rochette, Journal des savants, août 1846. Yoy. aussi, 8ur Manéthon, la publication de H.Bôckh intitulée : Ma- 376 * DEUXIEME ÉPOQUE. le montrant conforme aux noms conservés par les hiéroglyphes, surtout à regard des dix-huitième et dix-neuvième dynasties. Mais rhistoire se contente-1>-elle denoms? Si elle' recherche, au contraire, des événements, quelle confusion, quelles contradic- tions des auteurs entre eux et avec eux-mêmes! Le plus illustre de ces rois fut Sésostris. Eh bien, Thistorien juif Josèphe nie qu'il fût roi; Manéthon et Chérémone le font naître d^Améno- phis, prince pusillanime, qui, épouvanté par des prédictions et par des prodiges, s'enfuit devant une troupe de lépreux muti- nés, et se réfugia en Ethiopie : Lysimaque ne le nomme seule- ment pas. Manéthon dit encore qu^Âménophis, en quittant rÉgypte, confia à un ami son fils Séthos, âgé de cinq ans : Ché- rémon veut qu'à ce moment la reine en fût enceinte, ait accou- ché de lui dans une caverne, et qu'arrivé à l'adolescence, il ait recouvré le royaume paternel. Diodore, qui met Manéthon au nombre des prêtres inventeurs- de récits invraisemblables, re- présente Aménophis comme un héros dont la sagesse aurait préparé la gloire de son fils. Il réunit tous les enfants mâles nés le même jour que le prince, les fit élever avec lui et comme lui, et lui composa ainsi une garde qui, plus tard, lui facilita ses succès. Mais Diodore lui-même ajoute qu'il court mille fa- bles sur ce grand monarque, et que les chanj^ à sa louange ne s^accordent pas avec les monuments. Que de contradictions! Que sera-ce donc pour des rois moins célèbres et plus antiques? Ils se flattaient de sMmmortaliser par des édifices éternels, et le nom des fondateurs des pyramides n'a pas même survécu. Hérodote convient que les faits de ITiis- toire d^Égypte n'acquièrent quelque certitude que postérieure- ment à Psamméticus (1); peut-être parce que Taccès du pays fut alors ouvert aux Grecs, et qu'une colonie dlonienset^e Cariens fut fondée à l'endroit nommé les Camps (2). Il y a plus à profiter que partout ailleurs dans Fétude des monuments, témoins de l'antique civilisation d'un continent où Ton trouve jusqu'aux moindres ébauches d'une civilisation qui vient de naître. De la Méditerranée jusqu'au Sennaar et aux ruines netho and die Hundssiernperiode , etn Beitrag zur Gesckichte der Pha- raonen, yon Ang. Bôckh, Berlin, 184ô,in-8«. (Note de ]a 2* édition française.) (1) On peut encore consulter d'autres auteurs anciens .- Sirabon , qui visita ce pays au commencement de notre ère; Plvtarque, dans quelques-unes de ses Vies et dans le traité à*fsis et d'Osins; Porphyre, Jambliqce, Horapollon. (2) Voyage de Dekok dans la haute £t basse Egypte. Paris, 1802. EGYPTE. —- 80URGB8 HISTOBIQUBS. 877 d'Axum^ près du iV degré de latitude^ et du désert de Libye au golfe Arabique^ des milliers de monuments nous révèlent des peuples dont les arts^ les mœurs^ le culte^ gardent une même empreinte^ et qui^ pendant des siècles^ durent marcher d'un pas égal. Beaucoup de voyageurs avaient décrit les monuments égyp- tiens, Pokoke et Norden mieux que les autres, et pourtant trop incomplètement, quand Napoléon y conduisit une commission de savants et d'artistes pour retracer fidèlement les lieux, les édifices, les inscriptions. Cependant peu d'exemplaires du voyage de Denon(l) furent mis en circulation, et les dessins, quoique admirablement exécutés, sont faits sur une trop petite échelle. L^ouvrage gigantesque intitulé Description de l'Egypte, dont la publication commença sous les auspices du gouvernement im- périal (2), pouvait encore moins devenir populaire. Hamilton(3) et Leake, et après eux l'Italien Belzoni (4), observateur exact et diligent, quoique d^une érudition médiocre et manquant de cette imagination si nécessaire aux antiquaires, vinrent tirer parti de ces matériaux ; puis le général Minutoli, qui, dans son voyage, copia les mêmes monuments avec une exactitude mi- nutieuse (5) ; et le Français Gaillaud, qui découvrit les ruines de Méroé, mère de Thèbes, et décrivit, en traversant la Nubie et le royaume de Sennaar, une série de constructions colossales sem- blables à celles de l'Egypte (6). Nous passerons les autres sous silence pour rappeler les deux expéditions, Fune française, di- (1) Voyage de Denon dam la haute et basse Egypte, Paris, 1802. (2) Description de V Egypte, ou Recueil des observations et des recher* ches qui ont été faites en Egypte pendant Vexpédition de l'armée fran* çaise» Paris , 1809-1825 , in-fol. — 2" édition du texte par Panckoucke. Paris^ 1 821, 24 vol.in-8*. (3) Remarhs on several parts of Turkey. Londres, 1809. La première par- tie regarde l'Egypte. (4) Narrative of the opérations and récent discoveries in Egypt and 2Vubia. Londres, 1821. Accompagné d'excellentes gravures, qui ont été fort mal imitées dans la traduction publiée à Milan par Sorzogno. — Traduit en français par Depping, Paris, 1821. (5) Voyage au temple de Jupiter Ammon et en Egypte. Berlin, 1824 (allemand). (6) Recherches sur les arts et métiers, les usages de la vie civile et do^ fnestique des anciens peuples de l* Egypte , de la Nubie , de V Ethiopie. Paris, 1821. — Voyage à Méroé, au fleuve Blanc, etc., 1824. — Voyage à Voasis de Thèbes et dans les déserts situés à Vorient et à Voccident de la Thébaïde, fait pendant les années iSi^iSiS. M% oimiitaa émqitk. ri^ée par Champollion le jetine; l'autre toscane « par Hippd^te Rosellini^ qui étendirent beaucoup nos connaissances sur ce pays^ moins pourtant qu'on ne respérait(i). En examinant tou- (1) Les ouvrages à consulter plus particulièrement sur TËgypte sont : iABLoNS&iy Panthéon myfhîcum œgygtiacum. 1)50, in-8«». — Opuscula. LUgd. ÀAUv., 1804. Gatterer, Commentationes de thêologia /Sgyptiotyim. Goettiftgeti j t. Vtlt, et son Histoire universelle. ZoEGA, De origine et tisu obeliscorum, Rome, 1797. Les travaux de KirCher, Marsham, I^erizonius, Briant, de Paw, Lacroze, DB Rossr, LAtitiÉTON, t. Frakkun , JAMÉs WiLsoM {History of Egyptfrom earlieit accounts to ihe year, 1801. Londres, 1S65), et d'âdtres encore, ont cédé la plaC/C aux travaux plus récents de : QuATREMÈRË , Rechcvches sur la langue et la littérature de V Egypte, t»aris, 1808. Fréd. tREOTzBR, Commcntationes Hërodôïex, — JËgypliaca et Hellenka pars 1. Leipzig, 1810 $ et Symbolih. Sylvestre de Sacy, Relation de VJSgypte, par Àbdallatif. Paris, 1810. Les extraits des écrivains orientaux forment le lien entre Tantiquité et les teitips modernes. — Mémoires géographiques et historiques sur V Egypte. 18 11. caAMPOLLioK , V Egypte soiis les Pharaons. 1814. Gkv , Antiquités de la Nubie, Paris, 1814. Elles font suite à la description de TÉgypte, dont ta première partie regarde les monumebts de la haute Êgyple, depuis la frontière de ISubie jusqu'à Tlièbes; la deuxième et la troisième, ceui de Thèbés, avec d'èxcellenles planches. BORCKARn, Travelàin Nubia. Londres, 1819. Tout ce que Ton connaissait à Tégard de la géographie égyptienne jusqu'à Caillaud a été savamment résumé dans la géographie de Ritter. Berlin, 1822. Champollion, Lettre à M, Dacier relative à Valphdbet des hiéroglyphes phonétiques, 1822. — Letties à M. le UucdeBlacaSy relatives au fnusée ëgypt, de Tunn, 1824, in-8«. GA2ZERA, Desûrizione dei monumenti egizii del real museo di Torino» 1824. PA8T0RET, Histoire de la législation. Paris, 1^25. Peyron, Papy ri Grœci R. taurinensis musœi JUgyptii éditi atque illus- îrati. Dans les Mémoires de TAcadéniie de TtiHn, vol. XXXI, XXXIII, 1826-27. San QoiNTmo, Lezionl archeologiche intorno ad alcuni monumenti f^ic. Ibid. Champollion, Précis du système hiéroglyphique, 1828. M. J. Henry, Lettres à M, Champollion le jeune sur Vincertitude de Vâge des monuments égyptiens. Paris, 1828. Champollion , Lettres écrites d* Egypte et de Nubie en 1 828 et 1 829. Paris, 1833. Tremrley, VArt égyptien considéré dans toutes ses productions, temples^ i>alais, etc. Paris, 1833 et suiT. G. Sbyffart, Systema astronomids œgyptiacae quadripartitum, Leipzig» EGYPTE. — S0VRGB9 HI8T0RIQUBS. 8T9 tefois les inscriptions des monument une critique impartiale a reconnu pour récents quelques-uns de ceux auxquels on avait assigné une date très-ancienne, et on a pu constater que les 1833, et plusieurs Mémoires en allemand sur la littérature, les arts, là mytho- logie, l'histoire de l'ancienne Egypte. J. 6. WiL&iNsoN, Topographical survet/i etc« Topograpliie de Tbèbes et vaè générale de TÊgypte. Londres, 1835. — Manners and customs of the ancient Egyptians. Londres, ô yoI. in-8% — Moderne Egypt and Thebes. Champollion , Grammaire égyptienne, Paris , 1836 , in-fol. ScBWÀRTZB , Geschichte, Mythologie, etc. , des altens Egyptiens, Histoire, mythologie, constitution de i'àncienne Egypte, selon les classiques et les livres originaux égyptiens. Leipzig, 1836. Fourrier, Letronne, Champoliion-tigeac, ont mis tout ce que nous connais- sons de l'ancienne Egypte à la portée du plus grand nombre. En 1836, plusieurs Anglais demeurant en ï^ypte fondèrent, sous la direc- tion de M. Waln, une Société égyptienne pour faciliter les recherches sur le pays. Elle commença par rassembler au Caire une bibliothèque des meilleurs ouvrages publiés sur TOrient, et s'appliqua ensuite à réunir des documents de toute espèce relatifs à l'Egypte et aux pays environnants. NESTOR L'HÔTE ; Lettres écrites SÉgypte en 1838 cM839. Le D** G. Leehans, Description raisonnée des monuments égyptiens du musée d* antiquités des Pays-Bas à Leyde. Leyde, 1840, in-8°. — Monuments égyptiens rfii musée d* antiquités des Pays-Bas à Leyde ^ publiés par le D*" G. Leemans, in-fol. CaAHPdLLioN^ Dictionnaire égyptien en écriture hiérogl, Paris, 1841, iii-fol. Papyriin Hieroglyphic and kieratic chùracters from the collection of the earl of Belmore now deposited in the british muséum, London, 1843, iu-fô). Francesco Barccch I, Dtscor^i critici sopia la cronologia egisia. Torino, 1844. Notices descriptives conformes aux manuscrits autographes rédigée sur Us lieux par Champollion le jeune, 1844. Ai7o. BoEc&B, Manetho und die Hundsstemperiode ein Beitrag sur Ge* schichte der Pharaonen. Berlin, 1845, in-8^ CHitistiAN Garl Josias Bcnsen; Mgyptens stelle in der Weltgeschichte, Geschichliche untersuchung in funf Buchern. Hambourg, 1845, 3 vol. in-8». Le noême en anglais, trad. par Ch. Cottrel. Londres, 1848. Monuments de V Egypte et de la Nubie, diaprés les dessins exécutés sur les lieux sous la direction de Champollion Ze/eune. Paris, F. Didot, 1835- 1845, 4 vol. in-fol. LENORUAMn*, Musée égyptien, in-fol. >• Éclaircissements sur lé cercueil du roi Mycérinus. — L Egypte pharaonique, Paris, 1846, 2 vol. EmiANDEL DE RONGÉ, Examtn de Vouvrage de M, le chev, de Bunsen. Paris, 1847. E. PAISSE D'ÂtENNÈS, FaC'SîmHe d'un papyrus égyptien en caractères 860 DEUXIÈME EPOQUE. Égyptiens continuèrent leurs études, leurs arts, leur manière de vivre particulière^ même après la conquête de PÉgypte par les Perses, Alexandre et les Romains (1). Les lecteurs une fois prévenus de toutes ces incertitudes, nous rapporterons ce qui peut exposer à moins d'erreurs, en divisant cette histoire en trois périodes : la première, depuis les temps les plus reculés jusqu'à Sésostris (1500) ; la seconde, de ce roi à Psamméticus (650) ; la troisième traitera des temps pos- térieurs, jusqu'à ce que la conquête des Perses déshérite le pays de toute gloire nationale (528). CHAPITRE XVI. TEMPS ANTIQUES. Malgré Pantiquité prétendue des Égyptiens, tout démontr»^ que leur pays reçut du dehors ses habitants et sa civilisation^ Peut-être qu'un peuple de PAsie méridionale ayant traversé 1 mer Rouge (2), s'étendit dans l'Ethiopie, où il vécut d'aboi i hiératiques, trouvé à Thèbes, donné à la Bibliothèque royale de Paris Paris, 1847, in-fol. ^Monuments égyptiens diaprés les dessins exécutés sur les lieux pa Prisse d'Avennes, pour faire suite aux monuments de V Egypte et del Nubie. Paris, Didot, J847, iu-fol. J. B, I.ESUEUH, Chronologie des rois d* Egypte. Paris, 1848, in-4o. W. Brunlt de presle , Examen critique de la succession des dynasti égyptiennes, Paris, Didot, 1850, in-S". PfiiGiur.D, Analysis of the Egypt Mythology. — A Critical examinatio^ o/ Egyptian chronology . (!) Les sources principales de l'histoire égyptienne, à Taide desquelles ci peut essayer d'en reconstituer aujourd'hui le cadre, sauf les lacunes qui teront toujours dans les détails de cette histoire, sont, pour le haut et temoy empire : la liste des trente-huit rois thébains, dressée par Éralostbène, l'iudicatiop, donnée par Apollodore, des cinquante^trots rois qui succédèrei à ceux-là, rapprochées l'une et Tautre des listes de rois des dix-sept première?:^ dynasties de Manélhon, et mises en rapport avec les monuments originaux. ^ tels que la chambre des rois de Karnak^ la table d'Abydos et le papyrt^^ royal de Turin, d'une part; de l'autre, avec les inscriptions isolées portant de^ cartouches royaux. (Voy. le compte rendu, par M. Raoul-Rochelte, de foi»- vrage de M. fiunsen intitulé : Egyptens stelle ia der Weltgeschiolite. Joumai des savants, \wx{^ 1846, p. 360. — Note de la 2* édition française.) (2) jEthiopiaab ïndo flumineconsurgentes,}n\iai /Egyptum consederoiit ECSÈBE. • On sait que les anciens coafondirent souvent avec les ËthiopienB les habi- 1^ ' ij ^ ÊG\PT£. — TEMPS ANTIQUES. 381 au milieu des rochers et dans les cayernes, puis descendit dans rÉgypte à mesure que la contrée s'assainissait après le déluge. En effet, le nom d'Arabie était anciennement commun aux deux rives de TÉrythrée. Menés, premier instituteur et roi de TÉ- gypte, ressemble, de nom comme d'attributs et d'actions, au Manou indien. Jones et Langlès ont aperçu beaucoup de res- semblance entre les racines des mots égyptiens et celles du sanskrit ; et Blumenbach, en comparant les crânes, les a trouvés partie indiens, partie éthiopiens. Le voyage annuel que les dieux, selon Homère, faisaient de roiympe en Ethiopie (1), comme dans un pays hospitalier et généreux en sacrifices; celui de la statue du dieu Ammon,que Ton portait tous les ans vers la Libye, et qu^on ramenait quel- ques jours après (2), indiquent que les Égyptiens reconnais- saient tenir leurs dieux, c'est-à-dire la civilisation, des Éthio- piens, qui se considéraient comme antérieurs aux Égyptiens, tout aussi bien qu'ils reconnaissaient l'antiquité relative de la race indienne. Aujourd'hui encore, en Ethiopie, les Barabras arrangent leurs cheveux comme nous les voyons dans les pein- tures égyptiennes ; ils tissent des sandales d'écorce pareilles à celles qu'on retrouve dans les anciens tombeaux; ils portent sur la tête certaines calottes de bois comme celles des momies, et façonnent grossièrement dans le style égyptien leurs menus ustensiles. Bien plus, certains objets adoptés pour le culte égyptien sont originaires de Nubie, comme la marjolaine, con- sacrée à Isis, et l'ibis, qui ne descend de ces parages que lors - du débordement du Nil. La nature même des lieux annonce que la culture de l'Egypte lui est venue du Mrdi. Le pays est traversé par le Nil, le plus grand fleuve de ce vaste continent après le Niger. Il cache ses iK)urces dans les monts de la Lune et dans l'Abyssinie : pour sortir de la Nubie, comme on appelle le vaste désert supérieur ou errèrent longtemps des hordes de brigands, il s'ouvre un ^ants de TAfrique orienlale, de rYémen et de la péninsule en deçà du Gange, ^hampollion croit indigène la cîTilisalion de l'Egypte. (1) Zsù; yàp ii "Dxeavàv \ux^ à{jLU(jLOva( ÂlOtorcriaç XÔi^io; èêT] xatà oaiTa , Ôeol d' â[JLX Tcdvreç Stcovto. * Puisque Jupiter descendit liier à un festin sur l*0céan parmi les innocents éthiopiens, où le suivirent tous les dieux. » Iliade, 1, 423. (2) DlODOBF, I. 389 DtUXlàHB ÉPOQUE. paj^ge AU milieu de roches granitiques ; ei, d^écuâls en écueils^ ^e précipite à travers ces cataractes du Nil, plus célèbres qu'ad- mirables. G^est ainsi qu'il s^avance, sans être encore navigable, entre des rives nues et stériles. Mais à partir de Syène, le pays devient riche de productions» d^or, d'encens; et de là jusqu'^ Cercasor (1 ), le fleuve s'écoule uniformément vers le nord dans une vallée large de quinze milles environ^ bordée à Test par plusieurs montagnes de granit, à l'ouest par un désert de sa- ble. Près de Cercasor, il se divise en deux bras, aboutissant tous deux à la Méditerranée : Tun à Fest, près de Péluse; Tau- ire à Pouest, près de Ganope, après s^étre subdivisés en beau- coup de branches et avoir parcouni au moins mille lieues. La contrée qui s'étend de Syène à Ghemmis s'appelle la haute Egypte, avec ïhèbes ou Diospolis; de Ghemmis à Gercasor, op la nomme la moyenne ou Heptanome, avec Memphis; la basse Egypte est comprise entre les deux bras du Nil, et appelée le Delta, à cause de- sa ressemblance avec le A grec. L'Egypte n^est donc autre chose que la vallée du Nil renfer- mée entre des déserts : coname eux, elle resterait aride et in- culte, sans les inondations du fleuve. Loin de se creuser un lit profond, le Nil parcourt une vallée légèrement convexe; de sorte que, pour peu qu'il se gonfle, il franchit ses bords et s'é- tend sur les terrains environnants. Au solstice d'été, les pluie» périodiques dans les montagnes du tropique, d'où il jaillit, gros- sissent le fleuve (2) qui inonde l'Egypte. Il s'élève jusqu'au sols- tice d'automne; alors il se retire lentement, en laissant un limon fécond dans lequel il suffit de semer pour recueillir d'abondants- (1) Cercasorum, selon Hérodote; Cercesura, d'après Strabon. (2) Diaprés ïe ténioignage des soldais du général Bonaparte, ii ne plearait jamais au Caire, trés-rareuieni à Aleicaodrie t le duc de Raguse, qui commanda dans cette dçrnière ville, cit^ m.oisde povembre 1798 au mois d'août 1799, ynt pleuvoir une seule fois durant une demi-heure. Maintenant il y pleut trente ou quarante jours, et quelquefois davantage, en iiiver; quinze ou vingt jours au Caire. On croit que les nombreuses plantations ordonnées par le paciia dt* gypte en sont cause ; il y a aujourd'hui 20,000 pieds d'arbres au-dessus du Caire seulement. A Thèbes, un vieillard de 122 ans assura au même duc de Kaguse qu'au temps de sa jeunesse il pleuvait souvent dans la haute Egypte» et que les montagnes de Libye et d*Arabie, qui forment la vallée du Nil, nour- rissaient alors des arbre^ et de Therbc. Les arbres une fois détruits, la pluie cessa et les pàturagies se dje&âéc)ièrei|(, Yoy. AçQ4ém%^ des sciences, séance du 29 février 1836. \ EGYPTE. -^ rElfPÇ ANTIQUES. 993 produits {!)• Si (Jonc le pays ^ présente durant Tété sem)))able à une mer dont les eaux limooeusps et saMOiâtres laissent voir le faîtp des édifices et la cjme des cèdres, des palmiers, de» acacias, des orangers, il se change durant l'hiver en une riante campagne où verdissent le riz, Forge, le Un, le doura, et où paissent des troupeaux de brebis et de génisses. Puis vient le printemps, qui, au lieu de se montrer souriant comme dans nos latitudes, découvre un terrain grisâtre, poudreux et crevassé (2) . (1) Les fêtes qui se célèbrent lors de la crue du Nil sont décrites d'une ma- nière très-pittoresque dans la lettre quatorzième du t. Il de Savary. (2) Savary dit que TEgypte est un paradis terrestre ; Volney, le pays le plus mailieiircuK du monde. C'est le cas d'appliquer Tadage bien connu. Distingue tempora et covcordabis jura. Rozière, qui fit partie (le Texpédition française en Egypte, en parle en ces termes : a Les alentours de Syène et des Cataractes sont pittoresques au delà de toute expression; mais le reste de l'Egypte, et spécialement le Delta, est d'une monotonie telle qu'il serait impossible de la rencontrer aill* ur>:... Les campagnes du Delta offrent trois tableaux différents, selon les trois saisons de ranncc égyptienne. A commencer deîa première moitié du printemps, on n'y voit qu'une terre grise et poudreuse, si profondément crevassée qu'on ose à peine la parcourir. A l'équinoxe d'automne, c'est une immense couche d'eau rousse ou saumaire d'où surgissent des palmiers, des villages, des digues étroites pour les communications. Une fois que se sont retirées les eaux qui se soutiennent peu de temps à cette hauteur, vous n'apercevez plus jusqu'à la fin de la saison qu'un sol noir et fangeux. Dans l'hiver, la nature déploie toute sa magnificence; alors la fraîcheur, l'énergie delà végétation nouvelle, l'abon- dance des productions qui couvrent la terre, dépassent tout ce que Ton admire dans nos pays les phis vantés. Durant cette saison fortunée, l'Egypte est d'un bout à l'autre une magnifique prairie, un champ de fleurs ou un océan d'épis; fertilité que fait mieux ressortir le contraste de l'aridité absolue qui l'envi- ronne, et cette terre si déchue justifie encore les éloges que lui donnèrent jadis les voyageurs. Mais, malgré la splendeur du spectacle, ja monotonie di- minue le ravissement. L'âme, faute du renouyellemeot de sensations, éprouve un certain vide, et l'œil enchanté d'abord s'égare bientôt indifférent sur cc9 plaines interminables, qui de tous côtés, aussi loin que le regard puisse at- teindre, présentent toujours et toujours les mêmes objets, |es mêmes teintes, les mêmes accidents. « Tout concourt à augmenter cet effet, ^e cie|, aussi uniforme que la terre, n'offre qu'une voûte constamment pure, plut(^ blanche qu'azurée, durant le jour entier. L'atmosphère est inondée d'une lumière qne l'œil a peine 4 sup- porter, et un soleil étincelant, doqt rien ne tempère l'ardeur, brOle toute la journée cette plaine immense presque découverte ; car il est du caractère des sites égyptiens d'être dépourvus d'ombre sans être dépourvus d'arbres. a Telle qu'elle est toutefois, l'Egypte platt aux étrangers et rend heureux ses habitants, qui possèdent ce que les hommes apprécient Je plqs, pn sol fer- tile et un he^u ciel. Sous ce climat fortuné, où l'eau ne gèle jarpals, oti la neige estinçonnuç, le^^rbres ^ per^leni leurs feuilles que pour en produirade S84 DEUXIEliB BPOQUS. Si VOUS y joignez un ciel toujours limpide, plutôt blanc que bleu, une atmosphère inondée d'une lumière éblouissante, un soleil qui darde sans relâche ses rayons sur la plaine uniforme nouvelles ; jamais la Tégétation n'y est saspendne, el le cultivateur, au comble de ses vœux, ne compterait qu'une saison perpétuellement productive, ^i répoque du débordement du Dil ne limitait la culture à une partie de l'année. Aussi, lorsque les travaux de l'homme suppléent aux inondations, la terre peut dans une année donner deux et trois récoltes... « Le Saïd dépluie une culture encore plus riche que la basse Egypte. Là , d'immenses moissons de blé , d'orge , de maïs , des champs de lèves en fleur, à perle de vue, des plaines de trèfle et de lupins; là, des champs de lin et de sésame qui fournissent d'huile le pays; le kenna avec lequel, de temps immé- morial, les femmes se teignent les ongles en rouge; l'indigo, le colon herbacé, les plants de tabac, et ces courges rampantes qui couvrent de leurs fruits verts les plages sablonneuses. S'il a moins de rizières que ne le comportent les ter- rains bas et submergés, des forêts de cannes à sucre y mûrissent parfaitement;, le colon y prospère davantage, et, de plus, le safran dont les fleurs ruuges et:: précieuses se recueillent avec des soins particuliers; le bamia, qui donne u ftuit vert et visqueux; surtout le dourra ou sorgho, qui, avec ses tiges arti culées et SCS larges feuilles pointues, peuple les hauteurs de laThébaïde,e porte dans ses longs épis la principale nourriture des Égyptiens. « Le Fayoum a des champs de roses, qui fournissent l'essence la plus suav&r Là, le lotos révéré des anciens, et que l'on ne trouve plus dans le SaïJ , laissi durant l'inondation , éclore sur la surface des eaux ces brillantes fleurs rosée Manches ou bleues, si communes dans les canaux et dans les terrains inond de la basse Egypte. Le nopal , ou flguier indien épineux, avec ses feuilles d'it vert foncé, de l'épaisseur du doigt, forme des haies qui ressemblent à de hani murailles : on y voit l'olivier, qui a disparu du reste de l'Egypte; la vigne le saule, qui y sont presque aussi rares. « Dans la Thébaïde, le-palmadum, arbre d'un aspect singulier, frappe par culièrement la vue. Le tronc, haut de dix à douze pieds, se bifurque consta ment, de même que ses branches, en petit nombre, courtes et inflexibles, c^ tii portent à leur extrémité des pignons assez gros, durs , ligneux , de forme ir ré- gulière, ayant la couleur et le goût du pain d'épice, avec de larges faisceaux de feuilles longues et roides pliécs en éventail. « La Thébaïde, riche spécialement de monuments et de souveiu'rs antiques, semble vraiment un pays enchanté. Vingt villes, et beaucoup d'endroits inha- bités, offrent au voyageur stupéfait les grands édifices antiques , chefs-jl'a»/- vre d'architecture non-seulement par leur masse imposante et par leur carac- tère grave et religieux , mais encore par leur belle et simple ordonnance, par le choix et la large distribution des sculptures emblématiques qui les décorent, et par l'inconcevable richesse des ornements qui ne sont jamais sans signifi- cation. « Thèbes, bouleversée par tant de révolutions, Thèbes, déserte aujourd'hui, remplit encore d'étonnement ceux qui ont vu les merveilles de Rome el d'A- thènes. Thèbes, à l'aspect de laquelle les bataillons français^ victorieux de taot de pays célèbres dans les arts, s'arrêtèrent spontanément en jetant un criuna* nime de surprise et d'admiration ; Thèbes célébrée par Homère, et de son \&açi EGYPTE. — * TBMPS ANTIQUBS. 885 et sans bornes^ le contraste de la fécondité des champs avec la désolation des sables, vous ne serez pas surpris que, dans un pays aussi singulier^ se fussent enracinées des institutions à part; que les idées y aient alterné perpétuellement de la vie à la mort. Le seul fait certain qui fasse foi de la haute antiquité de VÈ" gypte, est la conquête du sol enlevé au Nil : il paraît en effet hors de doute que la haute Egypte fut habitée en premier, puis les villes au-dessous de Denderah, jusqu^à ce que le Delta, que les prêtres du pays disaient une création du Nil, eût été assaini au moyen de canaux. Abraham, qui trouva déjà un empire or- ganisé dans la basse Egypte, nous apprend à quelle époque re- culée remonte cet assainissement. Manéthon reporte antérieurement aux dynasties égyptiennes wéroé. celle des divins Aurites et des héros Mestréens. Cto pourrait chercher les premiers dans les Bérebères d'Auria et dans les Orites de la Genèse , qui dominaient sur les montagnes du Schiaïr (i) : les Mestréens sont indiqués dans PÉcriture sous le nom de Mesrim, descendants de Cham, qui, repoussés par les fils de Chus, arrivèrent à Hsthme de Suez ; dans le même «temps les Chussites côtoyèrent la mer Rouge, et l'ayant traversée, re- foulèrent vers le nord la race égyptienne ou cophte, qui d'a- bord avait régné sur le pays de Meroé. Ce pays était situé au la première cité du monde, après vingl-quatre siècles de dévastations, en est encore la plus étonnante. On se croirait abusé par un songe quand on contem- ple rimmensité de ses ruines, la grandeur, la majesté de ses édifices, et les in- nomblables débris de son ancienne magnificence... ft Ainsi, malgré sa misère et sa décadence actuelle, l'Egypte conserve les traces d'une condition autrefois splendide et prospère; et le contraste conti- nuel de ce qu'elle fut et de ce qu'elle est, bien que douloureux eu soi, n'est pas sans un très -grand intérêt pour l'observateur. Il se demande pourquoi cette antique prospérité a cessé; et, trouvant la nature la même en tout que par le passé, il aperçoit dans la différence des institutions sociales la cause d'un si prodigieux changement : vaste et digne sujet de mèlitation pour cenx qui retracent Thistoire des peuples , et pour ceux qui sont appelés à la tâche glo- rieuse, maisdifKcile, de les gouverner. » (1) Los anciennes éditions de George Syncelle portent aùptrai : mais M. Plath (Quxstionum Mgyptiacarum spécimen , Gœtting. 1829) a corrigé ce mot avec toute probabilité en àeptTai de àspta, ancien nom de l'Egypte. Voyez Etienne de Bysance, v. àepîa. — Eusèbe : ^gyptus, quœ prius Aeria dice- batur ab jEgypto rege nomen adepta est. — Ainsi les rapprochements avec les Berbères d'Auria ou les Orites de la Genèse tombent avec cette correction. Voy. M. Brunet de Presles. (Note de la 2" élit, française.) T. I. 25 886 BBUXIËHE ÉPOQUBé lieu OÙ l^Astaborra ou Tacazzé se réunit au Nil^ d&ns la pro- vince nonûnée aujourd'hui Athar, entre le 43* et le 18® degré de latitude septentrionale. Memnon conduisit de TÉthiopie une armée au siège de Troie. Huit siècles avant J. C.^ en sortirent Sabacon, Sebeco, Taraco, grands conquérants qui soumirent au moins la partie supérieure de TÉgypte. Pline rapporte qu'au temps de la guerre de Troie, 250,000 g^erriers et 400,000 ar- tisans y habitaient, distribués dans vingt villes (1). Celles-ci n'existaient déjà plus de son temps, les habitations étant cons- truites avec des matériaux très-légers dans des contrées où il n'est besoin de se garantir ni de la pluie ni du froid. Mais les monuments y résistèrent, comme aussi les demeures des dieux, et plusieurs centaines de pyramides dont la hauteur n'excède jamais 80 pieds , richement sculptées , et précédées de pylô- nes (2) qui conduisent à Feutrée. L'emplacement en est rempli au-dessus comme au-dessous du sol. C'est à tort cependant qu'on a voulu trouver l'oracle de Jupiter Ammon dans le tem- ple de Ël-Mésaura, décrit par Caillaud (3), où Part égyptien se montre dans sa première forme, encore très-grossière, et d'où le culte d' Ammon se serait répandu par la suite dans toute l'Egypte. Ce pays oiïrait un point de halte très-favorable aux carava- nes entre PÉthiopie , l'Afrique septentrionale et l'Arabie Heu- reuse : les Égyptiens en tiraient les aromates pour l'embaume- ment des corps ; le coton pour les vêtements ; Tébène, Tivoire, l'or, qui y étaient apportés de l'Inde et de l'Arabie; le sel et les plumes d'autruche qu'on recueillait sur les lieux. La caste des prêtres élisait le roi parmi les membres les plus- distingués, et il devait récompenser ou punir selon les lois ef> coutumes, auxquelles il était tenu de se conformer. Tout con- damné à mort recevait l'ordre de se tuer lui-même; s'il ne le^ faisait, il était infâme. Les prêtres intimaient cet ordre au roi lui-même, au nom d' Ammon, lorsqu'ils ne le jugeaient plus digne de régner (4). Leur morale était simple : adorer les (1) Hist. naturelle, Vi, 35. (2) Les Français ont appelé p^Zone$, du mot grec icvXmv, atrium, vestibule, les constructions pyramidales ou pilastres colossaux qui d'ordinaire précèdent rentrée des temples et des palais égyptiens. (3) Beizoni suppose que le temple d'Ammon s'élevait dans la petite oasis i Minutoli le réfute victorieusement Ueereu le place à Siwah. (4) DiODORE, I. EGYPTE, -- TB1IF8 ANTIQUES. 887 dieux^ ne nuire à personne^ s^habltuer à la fenneté^ mépriser la mort. La tempérance est la base de la vertu ; tout excès ra- vit à l'homme sa dignité : il est doux de jouir des biens acquis avec peine; l'orgueil et le faste sont un signe de petitesse du cœur; les songes, l'art magique, les prodiges ne sont que vanité. La caste qui fonda cette théocratie vigoureuse dut avoir ap- porté d'ailleurs en Ethiopie le culte^ les lois^ les institutions so^ ciales^ qui s'étendirent par la religion et par l'industrie. Ces prêtres^ en s'établissant dans la résidence qu'ils avaient choisie, y élevaient un temple aux divinités propres à la tribu conduite par eux^ et qui le plus souvent étaient au nombre de trois : à l'enfour du temple se multipliaient bientôt les cabanes des la* boureurs^ par lesquels ils faisaient cultiver, comme sujet du dieu qui y est adoré, les champs environnants. La dévotion, la douceur d^une vie régulière amenaient les tribus indigènes à se réunir à eux; de là les secours nécessaires pour exécuter les travaux projetés par quelques esprits éclairés. La population une fois accrue, ses chefs faisaient partir, selon la décision des oracles, des colonies qui, transportant avec elles le culte et la civiUsation^ allaient fonder de nouveaux centres politiques et religieux. Osiris, Ammon, Phta, auxquels les Égyptiens s'avouaient re- devables de leur civilisation, étaient probablement les dieux de colonies pareilles : les nomes ou districts qui formaient la divi- sion de leur pays étaient chacun sous la dépendance d'un tem- ple. Les pèlerinages dévots des colons à la mère-patrie facili^ talent les relations de commerce, et Fon trafiquait sous la pro- tection des dieux : aussi les frères de Joseph rencontrèrent-ils des caravanes de Madianites en route pour l'Egypte. Voilà comment les sanctuaires édifiés le long du Nil étaient à la fois les temples de la Divinité, la demeure sacerdotale , les centres d'agriculture , les places de commerce et les stations pour les caravanes. Thèbes , Éléphantine , This , Héracléopolis , dans la haute Egypte, furent les premiers établissements de cette nature ; puis Memphis, au milieu de FÉgypte; plus tard ils descendi- rent àMendès, àBubaste,àSébennytus.Les dynasties que nous donnent les historiens n'appartinrent peut-être pas à des na- tions qui auraient dominé successivement; mais cène seraient que celles de rois ayant l'égné dans les différentes cités, à me- sure que Tune d'elles, l'emportant sur ses rivales, devenait la 25. 388 DEUXIÈME ÉPOQUE. capitale du pays. Du reste, c^est encore une question de savoir si elles furent contemporaines ou successives (1). Quelqu^un des nomes, comme il arrive d'ordinaire, devint prédominant et soumit les autres : ce fut ainsi que ceux de This et d'Éléphantine durent recevoir la loi de Thèbes ; et que Mem- phis dicta la sienne aux sept nomes de la basse Egypte. Mais c'est en vain que nous demandons à ^histoire de quelle manière et dans quel temps chacune de ces villes acquit la suprématie. Il paraît seulement que la souveraineté de la caste sacerdotale fut attaquée par la caste des guerriers, qui. Payant emporté, ou MaîÊihé. substitua à la théocratie le gouvernement des plus forts. Menés ou Manéthé, que l'on regarde comme le premier roi de TÉgypte, après les dynasties fabuleuses et symboliques, fut peut-être celui qui accomplit cette révolution. Alors le prince cessa d'ap- partenir à la caste des prêtres; mais celle-ci, dépositaire qu'elle était de la science et interprète de la volonté des dieux, modéra son pouvoir. Les rois étaient soumis, non-seulement dans les solennités publiques, mais encore dans la vie privée, à un céré- monial rigoureux; ils prenaient Payis du grand prêtre; ils se faisaient même inscrire dès Tinstant de leur élection dans la caste sacerdotale; et ils devaient attester, par la construction d'édifices sacrés, leur respect pour la religion- et pour ses mi- nistres. Nous savons par les saintes Écritures que, dix-huit siècles avant J. G., Memphis étendait sa domination sur la haute et la basse Egypte, et que le jeune Hébreu Joseph, fils de Jacob, y trouva une cour splendide, composée des castes sacerdotale et guerrière, ainsi que des institutions qui attestent une civilisa- tion déjà adulte. Rien n'en saurait mieux faire Pélôge que de voir ce jeune homme, étranger, captif^ y parvenir par son propre mérite jusqu'au rang de vice-roi. Profitant de sa position, Jo- joMph. seph, dans un temps de grande disette, amena les propriétaires ( 1) L^opinioii qui voulait que ces races différentes eussent régné contempo' rainement est tombée anjourd*liui en discrédit; cependanl Euscbe dit ; ForU iisdem temporibus miiltos reyes jEgypiiorum simul /visse contigerit. Si- quidem Thinilas aiunt et Memphiiasy Saitasque et ^Ethiopes régnasse, ac inteiim altos quoque : et sicut mihi videtur alios alibi, minime autemalie- rum alteri successisse, sed alios hic, alios illic regnare oporiuisse. Cbron. 201, 202. Et Josèphe rapporte que Mauétlion assurait Tâv èxty}; OY^êatoo; xs! Tîjç à>.>.y,; ^îyuTrToy pai(i)v ysvéaÔai èicavà^Tao-iv ii:\ toi;; iroip.£v«ç. Conlra APiON.l, p. 1040. EGYPTE. — TEMPS ANTIQUES. 389 à renoncer a la possession stable de leurs immeubles, les réunit tous au domaine du roi, et abolit les propriétés indépendantes. De temps à autre les invasions étrangères interrompaient les progrès de la civilisation égyptienne. Le pays était sans cesse menacé par les peuples nomades de la Libye et de TÉthiopie, qui descendaient souvent pour le dévaster, surtout tant que les États, petits et désunis, ne purent pas leur résister avec vigueur. Il arriva une fois que les Arabes-Bédouins, attirés par les gras Roupaaican pâturages et par les richesses croissantes du bas pays, Penvahi- rent par Tisthme de Suez. Leurs scheikhs, que les Égyptiens ap- pelèrent Hyksos (1), et les Grecs Rois pasteurs, dressèrent leur camp à Avari, près de Péluse, détruisirent les cités primitives, et pénétrèrent jusqu'à Memphis, dont ils firent le siège de leur puissance. Ils commencèrent par opprimer la religion, c'est-à- dire la caste des prêtres, ce qui fit que beaucoup d'entre ceux-ci émigrèrent, et que quelques-uns s'en furent jusque dans la Grèce. Mais bientôt les vainqueurs adoptèrent les rites des vain- (1) Hyh^ roi; Sos^ pasteur. Flavius Josëpbe les fait régner 500 ans, peut-être de 1800 à 1300 : la sortie des Israélites dut avoir lieu de leur temps. D^autres veulent qu'ils aient dominé 260 ans, de 2082 à 1822, et que ce fut à celte époque que Joseph vint en Egypte. W dit à ses frères que les Égyptiens abhor- raient les pasteurs ; on explique ces paroles de la sorte : le peuple les avait en haine parce qu'ils ressemblaient à ses maîtres; le ruine les baissait pas, puis- qu'il les accueillit. Telle est aussi l'opinion de Rosellini, qui place la sortie des Israélites sous Rhanisès III, quatorzième roi de la xviii*' dynastie. Selon lui, Arinaïs ou Danaùs, frère de Sethos, premier roi de la xix' dynastie, se rendit ^n Grèce. Il prétend que les Hyksos étaient des Scythes Tenus de l'Asie septen- trionale : il suppose la même origine aux Iduméeus et aux Phéniciens qui avaient occupé le pays de Chanaan. Nous avons manifesté une opinion toute différente ; mais nous désirons que nos lecteurs aient à trouver dans le récit non-seulement l'expression de nos convictions, mais aussi les éléments con- traires, pour la modifier lorsqu'ils le croiront convenable. — D'après les histo- toriers arabes, et entre autres Ibn-Kbaldoun, Cheddâd, chef de la tribu arabe des Âdites, subjugua les Cophtes ou Egyptiens, s'avança jusqu'à la mer du Maghreb (Pocéan Atlantique), et resta, lui et ses successeurs , deux cents ans dans le pays. Le lieu de la résidence du chef de ces Arabes était nue ville d*£g)pte nommée Aour ou Awar, située dans la partie du Delta oh le bras oriental du Nil va se jeter dans la mer. Au bout de deux siècles, les Cophtes réunis à des peuplades de couleur noire chassèrent les Aditcs de l'Egypte. Il est difficile de ne pas reconnaître, dans cette vague tradition d'une invasion arabe dans la vallée du Dil , la conquête des rois pasteurs. Voy. V Essai sur Vhistoire des Arabes avantVislamisme^dirU.Ck\}%B\^iiEVmQE,^KLyX\f^. 13, et V Arabie par M. Noël des Vergers, p. 48. Paris, 1847. (Note de la V édit. française.) 590 DinXièMI ÉPOQUE. eus, et aucune distinction n'apparaît plus entre eux au temps de Moïse. Les conquérants ne parvinrent pourtant jamais à s'emparer de la haute Egypte^ d^où les souverains primitifs continuèrent à leur faire la guerre^ jusqu^à ce qu'ils en eussent triomphé sous Thouthmosis. Ce fut dans cette lutte que se prépara la grandeur successive des rois de Thèbes, qui finirent par acqué- rir la suprématie sur les autres États. Voilà ce que nous avons pu tirer de plus probable de l'obs- cure antiquité égyptienne. Quant à ceux qui font consister l'his- toire des peuples dans c^elle des rois^ et laissent dormir la cri- tique historique^ nous leur dirons qu^à Ménès^ premier roi d'Egypte, en succédèrent trois cent trente, dont dix-huit éthio- osimandjas. pieus. Busiris n fonda Thèbes; Uchoreus, Meraphis(l); Osi- mandyas plaça dans son palais une bibliothèque, la première du monde, sur laquelle il avait fait inscrire Remèdes de fâme; belle épigraphe^ si elle s'applique aux bons livres que tous peu- vent lire; mais, pour les Égyptiens, les livres étaient renfermés dans les bibliothèques comme les momies dans leurs tombeaux. . Mœris. Mœris pourvut aux inégalités des crues du Nil en faisant creuser un lac qui reçut son nom. Ce vaste réservoir avait trois mille six cents stades de tour, trois c^nts pieds de profondeur, avec deux pyramides au milieu (2). On y recueillait les eaux du fleuve quand ^inondation était surabondante , et quand elle était trop faible on les déversait sur la plaine : symbole hiéro- glyphique du zèle attentif avec lequel les prêtres surveillaient la culture du pays, et s'occupaient d'y entretenir l'abondance. (1) ChampoHion prétend que le magnifique sarcophage d^albâtre découvert par Belzoïii appartient à Uciioreus. (2) D'AnTilie se trompe, lorsque, pour mettre d*accord Hérodote et Diodore avec Plolémée et Strabon , il suppose Texistence de deux labyrinthes et de deux lacs Mœris. Le labyrinthe est le même dans tous les auteurs, à la seule différence que les uns ont procédé à sa description de Torienl à l'occident, l«s autres du nord au midi. (Voyez BvmkRy Description de V Egypte antiqw (allemand), p. 72 et suiv.; Larcher, Traduction d'Hérodote, II, 472-483.] 0uant au lac Mœris, il existe encore sous le nom de Birket-el-Heroun dans U province de Fayoum, et il a environ 60 lieues de superficie. Brown établit (tue c'est une vallée naturelle, et que Tart n*a fait que clore son ouverture et prati- quer un canal qin', à ti avers les rochers et les sables, y conduisit les eaux da ^il. _ Yoy. aussi Llnant de Beliefonds, Mémoire sur le lac Mœris, Aleian- drie, 1843, in-4". (Note de la 2* édit. française.) ÉGYPTI. — LKS 8RI0STBIDES. SOI CHAPITRE XVII. LES SéSOSTRlDES. Est-ce une loi de la Providence que Thomme ait besoin de la lutte pour se développer? Ce que nous voyons chaque jour dans les individus ne se montre pas moins dans les nations. De même que le sentiment de sa propre force fut révélé à la Grèce par la guerre de Troie , à l'Europe du moyen âge par les croi- sades , à l'Europe moderne par les batailles de Napoléon, de même le conflit des Égyptiens avec les Hyksos leur donna une telle impulsion qu'ils s^élevèrent au plus haut degré de splen- deur et cherchèrent des conquêtes au dehors. Les Pharaons les plus puissants sont attribués à la dix-huî- xvnij^djnâ»- tième dynastie. Thoutmosis I" eut la gloire de commencer Pexpulsiondes étrangers, qui fut consommée par Aménophis II, appelé Memnon par les Grecs. Dans la joie de cette victoire, les Égyptiens élevèrent de nombreux édifices, et le nom du souve- rain fut immortalisé sur les monuments de Thèbes, d'Éléphan- tine, et dans le temple de Soleb, en Nubie. Rhamsès II, peut- être le Danaùs des Grecs, fut chassé par son frère Rhamsès III Miamoun, qui fonda le magnifique palais de Médinet-Abou à Thèbes , tout couvert de peintures qui rappellent ses victoires sur plusieurs peuples, et dont quelques inscriptions sont ainsi conçues : Paroles des chefs du pays de Feccaro et du pays de Robou (1), qui sont au pouvoir de Sa Majesté, et glorifient le dieu bienfaisant^ maître du monde; Soleil, gardien de justice^ ami d'Ammon. Ta vigilance n'a point de bornes : tu règnes sur V Egypte comme puissant Soleil : grande est ta force : tu es égal en courage à Bore (2). Notre souffle est à toi, et notre vie en ton pouvoir. Paroles du roi, maître du monde , à son père Amon-ra , roi des dieux. Tu Pas ordonné y f ai poursuivi les barbares, f ai combattu tous les pays. Le monde »' arrêta devant moi Mes (1) Nation de^race indienne. (3) LeGrilTou. S92 DBOXISHB BPOQOB. bras iomptèreni les chefs de ta iem^ sekm ie eoMwuttèdement sorti de ta baueke. Paroles d^Anumrra y maUre du eielf modérateur des dieux. Que Um retour soit joyeux. Tu as poursuivi les neufs arcs {{), tu as tranché les têtes y percé les cœurs des étrangers , renà% libre le souffle des narines de tous ceux qui... Ma bouche Vap- prouve. Les peintures des catacombes de Silsili sont dédiées au roi Horus ; elles rappellent ses victoires sur les Éthiopiens^ et la lé- gende hiéroglyphique de son triomphe dit : Le dieu très-grand revient porté sur la tête de toutes les divinités : tare est dans sa main , comme celui de Mandou, divin maître de f Egypte, Lui, roi des vigilants , mène la race perverse des Cuch (^) ; ré- gulateur des mondes, approuvé par Phré, fils du Soleil y servi- teur d'Ammon, Horus le vivifié. Le nom de Sa Majesté se fi connaître dans la terre d'Ethiopie, que le roi a châtiée confor- mément aux paroles à lui adressées par Ammon^ son père. Sous le règne d'Aménophis III , les Hyksos firent une nou- velle invasion^ qui obligea ce prince à se réfugier en Ethiopie, d'où il revint néanmoins vainqueur^ grâce à son fils Rhamsès. xix*dyiiMtie. On a accumulé sur ce Rhamsès^ ou Sésostris^ une multitude II79-IM0. j^ récits qui peut-être réunissent les exploits de difTérents pe^ sonnages^ et peut -être aussi sont les fruits de l'imagination et séMMCris. de la vanité nationale. Ils rapportent que son père^ voulant le rendre très-puissant, ou ayant même reçu Pavis des dieux, ou plutôt des prêtres, réunit mille sept cents enfants, nés le même jour que lui (3), les fit élever avec lui et instnm*e à tous les exercices militaires; de sorte que, lorsqu'il succéda à son père, il se trouva avoir autant de capitaines expérimentés, et dévoués à leur prince de cette affection solide qui se forme dans l'en- fance. A leur tête , il crut pouvoir conquérh» le monde, et bientôt il eut rassemblé six cent mille fantassins, vingt^qualre mille chevaux et vingt-sept mille chars de guerre (4); car il est (1) Les barbares. (2) Les Éthiopiens. (3) Un pays où il naît 1700 mÂles dans un jour doit compter au moins 00 millions d'habitants; or l'Egypte n'en a jamais eu plus de treize dans ses plu beaux temps. Mais Diodore donnait à l'Egypte trente mille cités, et Ton disait que Thèbes avait cent portes par chacune desquelles sortaient à la fois dix mille hommes armés. (4) On dit en même temps que ce fut lui qui apprit à dompter les chevaDi. lÎGYPTB. — - LIS SB80STBIDBS. 898 facile aux historiens et à l'imagination de grossir les chiffres. Oubliant en outre Thorreur qu'on attribue aux Égyptiens pour la mer^ ils ajoutent à cette armée une flotte aux innombrables voiles. Avec ces forces immenses^ Sésostris subjugue l'Ethiopie; il passe en Asie , et par la même route qu'avaient peut-être suivie les premiers civilisateurs et que reprirent souvent ses descendants^ il pénètre dans les Indes plus avant que n'avaient fait Hercule et Baccbus; il attaque les Scythes^ envahit la Ck)l- chide et la Thrace. Abandonnant ensuite^ on ne sait pourquoi^ tant de conquêtes^ il revient après une absence de neuf années^ et trouve une conjuration tramée contre lui par son frère Ar- mais : il parvient à la déjouer^ et ne songe plus qu'à assurer la prospérité publique en remédiant aux maux causés par la guerre. Cent temples s'élèvent alors ^ plus splendides les uns que les autres^ dans l'un desquels sont placées les statues du roi, de la reine et de leurs quatre fils; un réseau de canaux ré- pand la fertilité dans tout le pays et réunit Memphis à la mer. H n'employa à ces travaux que des esclaves et des étrangers; mais, déployant un luxe barbare et une dévotion inhumaine, il ne se rendait au temple que monté sur un char traîné par les princes qu'il avait vaincus. Il fit aussi, sous l'inspiration de Mer- cure, d'excellentes lois, divisa le territoire, établit l'impôt et leva des contributions régulières. Sans insister sur ces invraisemblances , recherchons ce quMl y a de vrai au fond de ces récits. Il parait d*abord suffisamment établi que Sésostris fut le plus grand roi qu'ait eu l'Egypte > et qu'il florissait quatorze siècles environ avant l'ère vulgaire. Son plus beau titre de gloire est d'avoir rendu Tindépendance à son pays en chassant tout à fait les Arabes (1) , et peut-être que, (i) Les anciens auteurs disent qu'il rendit au peuple les terres qui lui avalent été enlevées par les rois pasteurs. ~ H s'agit probablement ici d'une seconde iuyasion arabe tentée par les AmÂIica, qui, d'après Ibn Saïd et Tabari, cités par Ibu-Klialdoun, eurent en Egypte plusieurs Pharaons de leur nation. Si l'on en croit ces auteurs, les Amâiica avaieut été appelés et introduits dans le pays par un roi cophte, qui espérait être secouru par eux contre un ennemi redou- table. Us auraient profité de cette circonstance pour faire eux-mêmes la con- quête de l'Egypte, et leur domination s'y serait prolongée bien au delà du terme qu'on assigne à celle des Hyksos ; car les historiens arabes prétendent que les Pharaons de l'époque de Joseph et de celle de Moïse étaient des rois Amâlica. Voy. V Histoire des Arabes avant IHslamisme, par M. Cacssim de Perceyal, 1. 1, p. 19. (Notedela2*édit. française.) Sésostris II. 894 DIUXISMS iFOQUS. dans le premier élan^ il sortit de rËgypte pour faire des excursions à la manière des Bédouins dans les contrées les plus riches, tel- les que Tétaient alors TÉtbiopie^ FAsie antérieure jusqu'à Baby- lone , et une partie de la Thrace : peut-être se dirigea-t-il aussi par mer vers T Arabie Heureuse et les côtes voisines , et même jusqu'à la Péninsule indienne. Ce qu^il exécuta dans l'intérieur du pays démontre combien son gouvernement était absolu. Il est encore probable que les plus grands monuments de l'Egypte furent commencés de son temps. Mais les sueurs d'une seule génération ne pouvaient suffire à Tachèvement d'édifices d'une telle masse. Il est à croire aussi que la division des castes fut alors plus complètement organisée ; car celle des navigateurs ne pouvait être entièrement établie avant qu^il n'y eût abon- dance de canaux , ni celle des guerriers avant que le pays ne fût réuni sous l'empire d^un seul. On croit qu'il est fait mention des expéditions de Sésostris sur les monuments de l'Asie Mineure cités par Hérodote et retrou- vés par les modernes : elles sont chantées dans un poème his- torique, surtout la victoire remportée sur les Scbetos (nese- raient-ce pas les Scythes?), où il est dit : // rendit le sonjfie libre aux bouches des Lyciens et des Ioniens (1). Belzoni découvrit à AUor, dans la Nubie, un temple dédié à Isis par la femme de Rhamsès, et il pénétra le premier dans ce- lui d'Ibsamboul, où il trouva sur la façade quatre colosses assis, ayant chacun soixante et un pieds de hauteur; ils devaient re- présenter ce Rhamsès dont les victoires sont rappelées dans les bas-reliefs qui couvrent le monument tout entier. Seize sal- les couvertes de peintures représentant des sujets religieux conduisent au sanctuaire, au fond duquel sont quatre autres statues plus grandes que nature, ce qui laisse supposer que c'est le lieu de la sépulture de Sésostris. Après lui vient son fils Rhamsès IV ou Sésostris II, appelé aussi Pheron, dont le long règne fut paisible, et dont on lit le nom sur le temple de Karnac et ailleurs. Ici, après une lacune avouée même par Hérodote, apparaissent Amasis, l'Éthiopien (I } Campagne de Rhamsès le Grand (Sésostris) contre les Schetos et lem alliés, manuscrit hiératique égyptien appartenant à M. Sallier , à Aix, en Pro- yence. Notice sur ce manuscrit par Sakolini (d'après ChampollioD), Paris, 1835, in-8*. — Les manuscrits de Sallier ont été acquis par le British Mur seumy et publiés en fac - simiie sous le titre ; Select Papyri in the hieratie charactery London, 1841-1844, 3 vd.ln-fol. SGYPTB. «^ LIS 8É80STRIDES. 805 Actisan, Mendès ou Manès; puis une anarchie qui continua du* rant cinq générations, jusqu'à ce que, à l'époque de la guerre de Troie, Protée monta sur le trône. Il a pour successeur son flls Rhampsinit; puis viennent sept générations, parmi lesquelles on distingue Nilus, Chéops, Cephren et Mycerinus, fondateurs des grandes pyramides; Bochoris ou Asychis, qui fut législateur, vient après eux; puis l'aveugle Anysis, qui, chassé par l'Éthio- pien Sabacon, est rétabli plus tard sur le trône. Ces invasions répétées des Éthiopiens durent sans doute être encouragées par les divisions intestines, entre la caste des guerriers peut- être et celle des prêtres qui cherchaient à reconquérir à l'aide des armes étrangères leur suprématie perdue. En effet, quand la race éthiopienne eut le pouvoir, elle le confia à la caste sa- cerdotale représentée par Sethos, prêtre de Vulc^in. Ces histoires doivent être acceptées comme le naturaliste ac- cepte les fossiles épars çà et là, qui attestent les révolutions du globe sans en faire connaître les causes ou la durée. Souvent aussi elles ne sont que des symboles hiéroglyphiques : quand Hérodote parle du règne d' Anysis rAveitgleyW indique peut-être sous forme allégorique ce que Diodore appelle ouvertement un vide dans la tradition. Si nous réfléchissons que Busiris veut dire tombeau d'Osiris, nous sommes tentés, en lisant que Busiris II fonda Thèbes, d'interpréter que les Pharaons qui la fondèrent reposent dans la tombe d'Osiris, ou bien que l'architecture à ciel ouvert fut substituée aux excavations souterraines. Protée, le roi transformateur, est le symbole de l'âge antique qui finit et fait place au nouveau. Jupiter succède ainsi à Saturne, et Hercule supplée Atlas pour soutenir le monde. Nous nous bornerons donc à dire que les temps les plus flo<- rissants pour l'Egypte s'écoulèrent de i500 à 800. Vers la fin de cette période, Sabacon, venu soit de l'Ethiopie, soit de Mé- roé, subjugua l'Egypte, et troubla ainsi la longue paix qui lui avait permis de s'élever à tant de puissance. Il est probable que les prêtres, en supposant qu^ils aient d'abord fait appel aux ar* mes étrangères, réveillèrent par la suite l'ardeur nationale et firent chasser l'étranger : leur puissance s'accrut alors au point que Sethos, prêtre de Phta, s'empara du trône. La caste guer- rière qu^il dédaigna s'irrita de cette usurpation, les discordes s'envenimèrent, et Sennachérib, roi d'Assyrie, en profita pour porter la guerre chez les Égyptiens. Ceux-ci, effrayés de cette '«*• irruption , s'étaient alliés aux Hébreux et avaient réclamé les «7t. 396 BBUXIÈMB liPOQUB* secours de Taraca^ roi d'Ethiopie. Leur indépendance courait im grand danger si l'armée de Sennachérib n^avait pas été ex- terminée sous les murs de Jérusalem : les Hébreux dirent que ce fut par Tange du Seigneur (1); Hérodote veut que les rats eussent rongé la corde des arcs; quelques-uns ont pensé qu'elle fut détruite par une peste ou par le vent du désert : toujours est-il que ce roi fut obligé de s'en retourner à Ninive. Le lien national se relâcha au milieu de ces conflits, et Ton vit renaître Tancienne division de l'Egypte en douze États. Ainsi qu'il arrive en pareil cas, des dissensions s'élevèrent entre eux, et Psamméticus, chef du nome de Sais, fut chassé de son trône. Il prit alors à son service des Grecs^ des Gariens, des Phéni- ciens, et avec leur aide, il reconquit non-seulement son domaine, mais soumit encore ses rivaux. Ayant ainsi réuni dans ses mains l'autorité dispersée, il transporta à Sais le trône des Pharaons. La restauration était donc Tœuvre des étrangers ; aussi FÉgypte^ alliée désormais aux Grecs et aux Asiatiques, commença-t-ella à éprouver Pinfluence extérieure, jusqu'à ce que Gambyse arri- vât de la Perse pour la conquérir. CHAPITRE XVIII. INSTITUTIONS ÉGYPTIENNES. Un pays d'une si haute antiquité, qu'environna tant de gloire, demeure comme un hiéroglyphe de Pancien monde ; il n'existe plus, pour nous raconter ses magnificences, que des ruines épar* ses, des catacombes enfouies, des canaux obstrués, des sque- lettes de villes et de temples, des colonnes et des obélisques échappées à la fureur du temps et à l'avidité des peuples bar- bares ou civilisés, des arcanes de la mort violés par la science, des pyramides qui, du milieu des sables, dressent encore leur sommet tronqué plus haut que tout autre édifice humain, jus- qu^à ce que la poussière du désert vienne ensevelir aussi ces débris de sa grandeur déchue. Ges montagnes de pierres tail- lées, ces immenses figures d'hommes et d^animaux, ces palais de géants s'élevant vers le ciel ou creusés sous la terre, ces pa- (1) Rois, Hv. IV, 18. INSTITUTIONS ÉGYPTIENNES. 897 ges d'histoire écrites pour Téternité en caractères mystérieux, frappent l'esprit de Thomine en éveillant en lui le désir de sa- voir d'où vint ce peuple extraordinaire, d'où il a reçu ses arts, à quoi aboutirent l'intelligence intime et l'amour profond de la science qui le distinguèrent, à quelle source il puisa sa stabilité politique. En parlant ailleurs des castes, nous avons supposé qu'elles c»«ie«. ont pu dériver des peuples différents habitant ensemble un pays où Tun d'eux prévalut, tandis que les autres continuèrent cha- cun le genre d'occupation le plus conforme à ses goûts et à ses habitudes. Nous croyons que la nation égyptienne fut ainsi for- mée de fractions de différents peuples, qui se trouvèrent divisés en castes de prêtres, de guerriers, d'agriculteurs et de négo- ciants. On compte en outre les porchers et les pasteurs, classe distincte ainsi que détestée, et les interprètes, introduits par Psamméticus quand il cherchait à modeler les mœurs égyp- tiennes sur celles de la Grèce ; mais les uns se rattachaient aux agriculteurs, les autres aux prêtres et aux marchands. Le reste de la population était esclave. Les prêtres prétendaient avoir reçu d'Isis un tiers des terres en toute possession : ils étaient les dépositaires de la science ; ce qui plaçait entre leurs^mains les emplois et le pouvoir, en faisant un contre-poids à l'autorité royale. Chaque prêtre était attaché à un temple, sans que le nombre en fût limité. Consti- tués hiérarchiquement, ils relevaient d'un pontife héréditaire (i). La tête entièrement rasée, vêtus d'une tunique de lin de la plus grande blancheur, chaussés de sandales de papyrus, ils devaient faire deux oblations par jour et autant la nuit; être très-sobres dans leur nourriture ; s'abstenir entièrement de fàves et autres légumes, ainsi que de la chair de porc et de poisson; boire en petite quantité un vin réservé pour le roi et pour eux. Leurs terres étaient exemptes d'impôt, tandis qu'ils exigeaient la dîme sur celles des autres. Le grand prêtre était le premier magistrat après le roi : les autres étaient juges et médecins; mais ces derniers ne s'occupaient chacun que de la cure d'une seule ma- ladie. C'était donc un corps politique et savant tout à la fois, dont les principaux collèges siégeaient à Thèbes, à Memphis, à Héliopolis et à Sais. (1) Joseph, pour monter au premier rang, épousa la fille du grand prêtre d'Héliopoliîi. Prêtres. 398 DBUXIÈME EPOQUE. Un passage précieux de saint Clément d'Alexandrie nous donne une idée de leur hiérarchie^ en décrivant ainsi la pro- cession d'Isis : « Le chantre marche en avant avec le symbole « de la musique et deux livres d'Hermès, Fun contenant des « hymnes à Dieu, Tautre des règles de conduite pour le roi. Il « est suivi par l'horoscope, avec Thorloge et la branche de pal- « mier, symbole de l'astrologie, et il doit toujours avoir devant « lui les quatre livres d'Hermès relatifs aux astres. Vient en- te suite le scribe sacré avec des plumes sur la tête, un livre et a une règle à la main, ainsi que l'encre et le roseau pour écrire : « il doit connaître l'écriture hiéroglyphique, la cosmographie, a la géographie, le chemin du soleil, de la lune et des cinq « planètes, la chorographie de FÉgypte et du Nil, Fappareil « des cérémonies, la nature et le caractère de tout ce qui sert a aux sacrifices. Après lui, le stoliste ayant à la main la coudée « de justice et la coupe pour les libations : il est instruit de ce « qui concerne l'éducation et de Part de préparer les victimes, a Le prophète s'avance le dernier, portant dans les plis de sa c< robe l'urne sacrée, exposée aux yeux de tous, etayant derrière c< lui ceux qui apportent les pains. Administrateur du temple, il « doit apprendre les dix livres sacerdotaux proprement dits, et a veiller à l'emploi des revenus. Les six autres livres herméti- « ques, pour arriver à quarante-deux, ceux qui traitent de « l'art de guérir, sont laissés aux pastophores, dernière classe c< des prêtres (i). » Les prêtres eurent beaucoup à souffrir dans les révolutions successives : au temps de Ptolémée, ils étaient obligés de payer un tribut au roi pour leur initiation, et de faire chaque année un voyage à Alexandrie. Ils se trouvèrent enfin réduits au rôle de gardiens des archives; mais ils subsistèrent toujours, et les Cophtes, réunis encore aujourd'hui en caste et servant d'écri- vains, en sont peut-être un dernier reflet (^2). Guerrier». Une sccoude aristocratie moins légitime, puisqu'elle était fondée sur la force, était cçUe des guerriers, que Ton distri- buait dans différents campements destinés à repousser les no- mades : ainsi leur poste contre les Éthiopiens était à Éléphan- (1) Stromat.f V!, 4. (2) Il y a dans Prichard un beau rapprocliemeut entre la caste sacerdotale égyptienne, celle des Indiens et celle des Hébreux. —Voir, dans un sens opposé, le mémoire de M. Ampère sur les castes égyptiennes daas les Mém.dsVAcad. des inscr. et ùelles-leClres. INSTlTUTtOflS iOYPTIBIINES. S90 tine; àDapbné^ contre les Arabes; à Maréa, contre les Libyens. Ils possédaient chacun douze acres de terrain exempt d'impôt^ et se partageaient en Calasiriens et en Hermotibiens. On comptait jusqu'à deux cent cinquante mille des premiers et cent soixante mille des autres^ dont mille faisaient chaque année le service auprès du roi, en recevant une solde et des rations. Comme l'Egypte, entrecoupée de canaux, ne permettait guère aux troupes de s^étendre en largeur sans qu'elles fussent obligées de se diviser, Tarmée égyptienne se composait de ba- taillons carrés de dix mille hommes; de manière que chacun d'eux pouvait opérer seul (1). Tantôt l'embarras des chars, tantôt les superstitions leur occitsionnèrent des défaites; mais les monuments démentent le reproche de lâcheté adressé aux Égyptiens, qui marchèrent plusieurs fois à des conquêtes lointaines, et se montrèrent même dans les combats sur mer habiles aux évolutions navales (2). Le roi était élu parmi les guerriers. Son pouvoir passait à l'aîné, puis aux filles, aux frères, aux sœurs, en conservant toutefois les formes électives, ainsi que noué l'avons vu de nos jours pour l'empire d'Allemagne, bien que devenu désormais héréditaire. Les candidats devaient aller résider prèsde Thèbes, où se trouvaient les tombeaux des rois ; les guerriers et les prêtres faisaient l'élection, et le peuple confirmait ce qu'il ne pouvait empêcher. Alors le nouveau Pharaon, entouré d'un nombreux cortège de prêtres, de peuple, de guerriers, de di- vinités, était conduit sur le rivage du Nil , d'où un bucentaure le transportait à l'autre bord , pour faire son entrée dans le palais (3). En sa quaUté de descendant des dieux, il recevait des dénominations et des honneurs presque divins. Son titre le plus ordinaire était celui de fils du Soleil; le muid d'Osiris ornait son front, et sa statue était placée parmi celles des dieux. C'est ce qui fit confondre quelquefois des hommes et des (1) XÉNOPiioN, CyropédiCf liv. VI, ch. m. (2) Dans le musée égyptien de Turin existe un papyrus du temps de Sésos- tris, où Ton voit dessiné un gros navire armé de tout point, avec de larges voiles et les mousses sur les cordages. L*un des papyrus de cette précieuse eoilection a 1 mètre 96 cenUmèlresde longueur, 315 centim. de largeur, en 10 colonnes contenant 311 lignes. Voy. Papyri greeci R. Taurinensis mmœi cegyptiU etc. , |>ar Am. Petbon. Turin, 1626. (8) C'est oe que dit i'évèque Synésins, témoin tardif sans doute, mais qui D^avait, à ce qu'il semble, aucun motif pour meotir. Roi. 400 DBUXlèHE BPOQUB. divinités. Les conquérants grecs et romains eux-mêmes obtin* rent le titre d'immortels et le culte qui en était la suite. Mais si le roi était despote par rapport aux classes infimes de la société^ il devait avec les castes privilégiées rester dans les termes de la loi. Les prêtres surtout mettaient un frein à son autorité par des prescriptions qui s^étendaient aux actions les plus indifférentes^ aux repas^ à la distribution du temps. Les seules personnes d'un mérite reconnu devaient composer sa cour. Chaque matin il se rendait au temple^ où le grand prê- tre lui adressait un discours sur les vertus d^un souverain ^ lui exposant à quels maux entraînent les vices opposés à ces ver- tus, et maudissant ceux qui égaraient les rois. Après le sacri- fice, on lui lisait des maximes de morale et les faits historiques les plus propres à inspirer les vertus royales. Qui pourrait ne pas louer un tel usage de la religion, enseignant la morale aux princes, et proclamant la vérité dans des lieux où elle pénètre si difficilement? A la mort du roi, toute affaire cessait; on prenait le deuil pour soixante jours, durant lesquels on se livrait à des actes de satisfactions pieuses ; on s'abstenait de viandes, d'œufs, de fromage, de vin. Puis, comme si les droits de la postérité étaient déjà commencés, le roi défunt était appelé à rendre compte de sa conduite à ceux qui avaient cessé de le craindre. Jugements Yoilà CCS jugements des morts dont parlent tant les anciens^ et dans lesquels princes et magistrats étaient Tobjet d'une en- quête avant d'obtenir la sépulture. Un lac sépare la terre des vivants du dernier séjour des morts : un héraut intime au ca- davre arrêté sur le rivage l'ordre de rendre compte de l'usage qu'il a fait de la vie. La frayeur, l'intérêt, l'envie se taisent dé- sormais, et devant les quarante juges apparaissent des vices ou des vertus ignorés jusqu'alors. A-t-il fidèlement accomp'i les devoirs de son rang, il obtient les honneurs funèbres; si- non, ils lui sont refusés. C'était ainsi que les Égyptiens subs- tituaient les peines idéales aux châtiments réels, rignoniinie aux supplices (1). Le nom des rois condanmés par ce juge- (1) Il y a dans la forme des jugements des nioris un vestige de la connais* sance que les Égyptiens avaient d'une autre vie, et des rémunérations qu'il fallait en attendre. Les Grecs lirèrent des circonstances qui accompagnait ce rite solennel» la fable de Caron, de Minos, du Styx, etc. Ce qui ferait croirt que les Hébreux avaient adopté cet usage , c'est cette expression qui revii^ des morts. INSTITUTIONS BGYPTI£NN£S. 401 meiit^ était effacé des monuments (i) : les restes des autres étaient déposés dans des tombeaux révérés. Dans certaines circonstances importantes, les rois convo- Adminbtra. quaient les députés des différents nomes (2) , et il est probable que le labyrinthe était destiné à leurs assemblées. Cette mer- veille de ^antiquité consistait dans la réunion de douze palais resplendissants de tant de beautés qu'ils effaçaient , au dire d'Hérodote, tous les édifices de la Grèce et de l'Asie. L*impôt était déterminé chaque année, en raison de la hau- teur du Nil, comme on le pratique aujourd'hui encore (3) ; mais nous ignorons dans quelle proportion. Le fisc percevait aussi des droits sur le produit des mines et sur celui de la pêche. Huit livres de Thaut, c'est-à-dire du trois fois très-grand (4), formaient le code égyptien; mais les lois citées par les histo- riens doivent appartenir à des temps très-différents, les unes étant tout à fait barbares, quand les autres témoignent d'un grand développement social. L'homme coupable d'adultère re- cevait mille coups de fouet, la femme avait le nez coupé. Celui qui avait porté un faux témoignage subissait la peine que l'in- nocent calomnié aurait encourue. On coupait la main à ceux qui fakifiaient les écritures ou les monnaies. L'homicide, même commis sur un esclave, était puni de mort , et l'on assimilait au meurtrier celui qui, pouvant sauver un homme en péril, ne le faisait pas. Celui qui avait connaissance d'un assassinat^ devait le dénoncer sous peine de flagellation , et la ville la plus voi- sine était tenue de faire à la personne assassinée de pompeuses obsèques (5), afin qu'elle eût intérêt à maintenir la sûreté des souvent à propos des bons princes : Il fut placé à côté de ses pères, Flavius Josèphe dit que cette coutume durait encore chez les Âsmonéens. (XIII, 23, des Antiquités judaïques.) (i) Tel devrait être celui que représente le magnifique colosse du musée égyptieu de Turin. (2) Le nombre des nomes varia à différentes époques; sous Sésostris il était de trente-six. (3) Les variations continuelles résultant delà crue du fleuve font quePimpM se répartit aujonrdMiui par cantons et non par tètes. Voy. Reymer, Économie politique de V Egypte; et au sujet des vicissitudes de la propriété en Egypte jusqu'à DOS jours, consultez les Mémoires de Siltestrb de Sacy dans les Mémoires de Vinstitut de France, t. IV et V. (4) Mercure Trismégiste. (5} Usage conservé dans la législation hébraïque. T. I. 26 . 4Q2 DEUXIEME ÉPOQUE. routes. Le père qui tuait son fils était condamné à tenir son cadavre embrassé trois jours durant , châtiment qui prouve combien cette législation était éloignée d'accorder le droit de vie et de mort aux parents^ et combien elle tenait compte de la force des affections naturelles. La femme enceinte ne subis- sait le supplice qu'après avoir donné le jour à son enfant. Le soldat coupable de lâcheté était noté d'infamie. Chacun était obligé de rendre compte de la manière dont il gagnait sa vie, et Toisiveté était punie de mort; peine exorbitante avec un but louable ; mais il y animait à la révoquer en doute s'il était vrai que Sabacon eût tout à fait aboli la peine de mort, et fait construire pour les condamnés une ville des malfaiteurs; fâ- cheuse appellation qui pourrait diminuer le mérite d'une insti- tution aussi belle que digne d'être imitée. Le débiteur donnait sûreté sur ses biens, jamais sur sa personne. Asychis inventa un singulier moyen d^obligér le débiteur à la bonne foi^ ce fut de Tobliger à donner pour gage du prêt le cadavre de son père. C'était là un grand Uen pour un peuple chez lequel la religion des morts était aussi sacrée. Diodore raconte que les voleurs étaient organisés, en Egypte, de manière que tous les objets déyobés étaient réunis aux mains d'un chef auquel s'adressaient les personnes volées pour recouvrer leur bien moyennant un quart de sa valeur. Peut-être s^agissait-il de quelque convention que les Égyptiens auraient conclue avec les Arabes-Bédouips, brigands rapaces et étran- gers à tout droit des gens (1). jtt]$es. La justice était administrée par les prêtres. Trente d^entre eux, choisis par Thèbes , Uéliopolis et Memphis, capitales des trois parties de PÉgypte, et largement rémunérés, formaient un tribunal supérieur. En entrant en charge, ils juraient de ne pas obéir au roi toutes les fois qu'il leur commanderait une chose injuste. Leur président était élu par eux dans leur sein, et il portait au cou une chaîne d'or avec Fimage de la déesse Saté, ou Vérité. Les plaidoiries se faisaient par écrit, afin d^ob- vier aux prestiges de l'éloquence; et, après mûr examen des moyens allégués (Je part et d^autre, le président tournait vers celui qui gagnait son procès l'effigie suspendue à son cou. Mais, en dépit des louanges prodiguées aux Égyptiens, que (1) RÉGNIER affirme pourtant qu*atijourdMiui encoie les voleurs du Caire ont un chef auquel s'adressent ceux à qui il a été soustrait quelque chose* IMSTlTUTiOMS ÉGYPTIENINES. 40S penser d un gouvernement dans lequel un Pharaon médite sur les moyens d'o/;prii»^r .saramm^n^ un peuple réfugié, et, ne pouvant parvenir à le dominer en lui imposant d^énormes tra- vaux, ordcmne d^égorger tous les enfants nouveau-nés; d'un pays où se trouvent (ce qui est pis que des vainqueurs et des vaincus), d'un côté, des maîtres éclairés, de l'autre, des serfs ignorants et abrutis ? Ainsi les lofa, même en ce qu^elles avaient de bien, ne profi- Autres castes, taient qu'au petit nombre, aux castes dominantes; le reste de la population n'avait pas de propriété, ni , par suite, de droits civils. Peut-être aussi les artisans et les négociants ne travail- laient-ils que dans l'intérêt des classes privilégiées. Les Grecs ont dit qu'aux bords du Nil chacun était tenu de continuer la profession de son père ; mais peut-être qu'appliquant à autrui leurs propres idées , ils auront expliqué de cette manière que nul ne pouvait sortir de sa caste , dont la condition immuable était la pierre angulaire de l'État. L^Égypte avait assurément un commerce très-actif; toutes commerce, ses calamités ne le lui enlevèrent jamais , tant il est naturel à sa position. De là les immenses richesses de ses temples , où le peuple entier se réunissait pour les panégyries, ce qui devenait l'occasion d^une niultitude d^affaires. Des routes conduisaient en Ethiopie et à Méroé; d'autres descendaient à la mer, où les navires attendaient leur cargaison; d^aulres encore s^étendaient jusqu'au Niger, ou aboutissaient à Carthage et dans la Phéni- cie, ou pénétraient dans l'Arménie, et menaient au Caucase, à Babylone, à Bactres et à Palmyre. Les étoffes et les pierres précieuses de l'Inde, que nous retrouvons dans leurs tombeaux, quelques petits vases ou bijoux venus évidemment de la Chine, nous feraient même présumer qu^ils allaient les chercher à une aussi grande distance. Le roi Amasis ouvrit le Nil aux Grecs ; il leur assigna des terrains où ils bâtirent un temple, et donnè- rent un nouvel essor au commerce; mais ce fut au détriment du pays. En effet, la constitution de l'Egypte, comme celle des plus anciens États, était fondée sur un système de vie tout particulier, que les législateurs cherchaient à perpétuer en ins- pirant aux naturels la haine de l'étranger. Par des motifs d'hy- Haine '^., . j* X- j 4 ^ -1 des étrangers. giene, non moins que pour se distmguer des autres peuples, ils avaient adopté Tusage de la circoncision. Ils ne se seraient ja- mais assis à table avec des gens d^une autre nation , et n'au- raient voulu rien couper avec un couteau dont un étranger se 26. 404 DEUX1ÈM£ BPOQUE. serait servi. De là leur éloignement pour les tribus Israélites er- rantes parmi eux, et la raison qui fit demeurer celles-ci tou- jours distinctes du peuple au milieu duquel elles vivaient. Attentifs qu^ils étaient à repousser les flots de la Méditerra- née, les Égyptiens la regardaient comme une ennemie. Ils pla- çaient à l'occident les pays consacrés à la mort et à Féternel repos : c'était là que se trouvaient les enfers; et plus loin, dans les sables de la Libye , les génies malfaisants et Typhon. Au lieu de trafiquer directement, ils employaient les hordes noma- des qu'ils transformaient en caravanes. Mais l'histoire et les monuments démentent également Fassertion très-erronée de leur aversion pour la mer : nous voyons même les Alexandrins, qui devaient leur existence et leur prospérité au commerce, mettre dans les mains d'Isis le sceptre de la mer. Les moissons, si abondantes que celle d'une année suffisait pour trois, étaient leur principal moyen d'échange. Ils avaient peu de forêts, et la vigne y fut plantée tard ; ils élevaient des chevaux; ils savaient faire éclore les œufs artificiellement; tis- ser leur lin, et fabriquer, pour y faire rafraîchir l'eau du Nil, des vases de terre très-légers, de formes très-élégantes, avec un brillant vernis (1). Une production particulière à l'Egypte était celle du papyrus, dont les anciens se servaient le plus or- dinairement pour écrire. Pline a traité longuement, mais confusément, du papyrus, dans sept chapitres du huitième livre de son Histoire naturelle, et il a fait tomber dans beaucoup d'erreurs ceux qui l'ont com- menté et ceux qui l'ont traduit. A les en croire, le papyrus se- rait une plante ligneuse dont l'aubier aurait formé le papier égyptien, tandis que l'écorce sentait à tisser les cordages. C'est, au contraire, une plante herbacée, et l'on employait pour faire le papier la moelle filamenteuse contenue en lames dans sa tige; voici comment : on fendait chaque pied en tranches minces avec un instrument très-affilé : elles étaient ensuite rapprochées l'une de Pautre, de manière à ce qu'elles se touchassent et pus- sent adhérer par leurs bords au moyen des sucs gommeux dont la plante verte est imprégnée. Lorsqu'elles s'étaient un peu se- chées, on les humectait avec de l'eau du Nil, qui n'a pas, comme (1) Ils les appellent qouleh. Le secret de cette fabiicaiiou consiste à mô'cr dans l'argile du sel commun, qui se dissout par son contact avec l'eau et laisse le vase poreux. INSTITUTIO.NS BGYPTIENiM'S. 405 Pline le dit à tort, la propriété d'agglutiner. La feuille ainsi composée s^appelait scheda ; une fois taillée et séchée au soleil, on l'appliquait sur une autre, de manière que leurs fibres s'en- tre-croisassent à angle droit. La nouvelle feuille ainsi obtenue î>^^^\^\2Ài plagula ; elle était mise en presse, battue, lustrée, collée avec de l'eau panée mélangée de vinaigre ; puis on re- commençait à la battre, à la tailler et à la polir avec l'ivoire. C'est ainsi que sont faits les papyrus de dix-huit siècles avant J. C, de même que ceux du second siècle de Thégyre. Ce ro- seau n'est pas propre seulement à l'Egypte; il y en a dans l'Abyssinie, dans la Nubie, la Chaldée, les Indes, et en Sicile, notamment sur les bords du Ciano, ruisseau voisin de Syra- cuse (i). Les Égyptiens ont peint sur leurs tombeaux leurs occupations domestiques, de sorte que nous pouvons retracer leur existence intérieure, et parler des arts et des métiers auxquels ils s'exer- çaient. Les hommes du peuple portaient une courte tunique de Maun. lin, dite calasiris, avec une ceinture et quelquefois des manches garnies de franges; leur chaussure était de papyrus et de cuir; ils allaient nu-tête avec les cheveux frisés, quelquefois les épaules couvertes d^un manteau de laine qu'ils déposaient en entrant dans les temples. Les femmes portaient d'amples vêtements de lin ou de coton, aux larges manches et d^une seule couleur; leurs cheveux étaient disposés avec art; elles avaient pour orne- ments des bandeaux, des anneaux et des pendants d'oreilles, sortaient de chez elles le visage découvert, et se faisaient suivre par des esclaves vêtus de larges habits rayés. Les riches allaient en palanquin et en char à deux chevaux, précédés de coureui's et suivis de gens portant un siège, ainsi que les objets dont le maître pouvait avoir besoin en route. Ils jouaient aux dames, et les enfants à la mourre, à la balle, et à divers exercices de gymnastique. Les amusements du peuple étaient les combats de taureaux, la chasse aux hyènes, les bouffons et les nains. Des peintures à fresque, des meubles de bois étrangers, des dorures, des marqueteries, des nattes et des tapis, des vases du travail le plus élégant, et des verres de couleur ornaient les (2) Voy. ^kKTEXAyBriefaûherKalahrien wwrf StciWcn. HI, 50. Gdillandino, Papyrus, etc. (Venise, 1572, iii-4»), et Duread de l\ Malle, dans l'Académie de France (1833), ont traité amplement du papyrus. Les Egyptiens tiraient de ses racines une boisson ; de la parUe succulente, un aliment ; et ils faisaient de petits ustensiles et même des nacelles avec son écorce. 406 DBUXIÈME ÉPOQUE. habitations des riches. Elles avaient plusieurs étages et un jar- din carré entouré d'une palissade; des palmiers^ des treilles^ des pièces d'eau et des pavillons à jour les embellissaient ; et Ton y prenait le divertissement des danses, de la musique et des bateleurs. Quand les convives entraient dans la salle du banquet, des esclaves leur ôtaient leurs sandales, d^autres apportaient Teau et les parfums. Ils s'asseyaient alors séparés des femmes, et, l'ablution finie, ils recevaient une fleur de lotos ou des guir- landes. Ils ne faisaient pas usage du triclinium rbmain, mais de chaises, de tabourets, de fauteuils à bras, de sofas comme les nôtres, et s'asseyaient deux par chaque table. On y servait du vin, des rafraîchissements, du bœuf, des oies, du poisson, du gibier, des légumes, des fruits, et ils divisaient les portions avec les doigts, Tusage du couteau de table ne leur étant pas connu. En général, la race qui habitait l'Egypte n'était pas belle; mais c'est à tort que quelques-uns l'ont crue noire. Quoique les basses classes eussent le teint très-brun (1), les classes supé- rieures étaient blanches : ce fait, réuni aux observations crâno- logiques, confirme l'opinion que les diverses castes provenaient de peuples différents survenus dans le pays. Les remarques faites sur les momies sont venues à l'appui de l'assertion d'Hérodote, qui dit que les Égyptiens jouissaient d'une santé parfaite , due probablement à leur grande sobriété, qui les distinguait chez les anciens et que sanctionnait la reli- gion. Les prêtres surtout devaient donner l'exemple de la tem- pérance, et ils ne dormaient que sur des couches faites de feuilles de palmier tressées, quoique Rome tirât de l'Egypte d'excellents lits de plumes d'oie. Il en est pourtant qui préten- dent qu'au milieu de leurs banquets on apportait un cercueil, ou plutôt une de ces caisses dans lesquelles sont renfermées les momies, et qu'ils lui faisaient faire le tour de l'assemblée, en disant à chacun : Bois et jouis avant que tu en sois là: Ils attribuaient à Menés l'institution du mariage ; ce qui veul dire que la colonie dont il fut le chef commença la civilisatioi du pays en y établissant le fondement de toute société, les unions légitimes. Ils épousaient leurs cousines et leurs beile&-sœur^^^ (1) EU8TATHIU8, dans ses Commentaires sur rodyssée, 'à, vs. S4, assu qu*on employait la locutioD alYuicTtàaai ty}v xpo«v pour siguifier être hâ par le soleil. Ârislote ajoute que les Égyptiens avaient Tos des jambes un per^ courbé et plié en dehors {Probl. sect. XIV). Pausanias les dit de stature é\e^ — Tée. La momie de Tlnslitut de Bologne a \ 1 palmes de hauteur. INSTITUTIONS HGVPTIlîNNES. 407 restées veuves sans enfants, comme firent les Hébreux et comme font encore les Gophtes. Ce fut plus tard que la dysnatie macé- donienne y introduisit les mariages entre frères et sœurs (1). La polygamie était tolérée, non toutefois parmi les prêtres, chez lesquels les traditions Jiriinitives avaient dû consér\'er des idées plus justes de ce lien sacré. Les femmes étaient gardées dans des sérails; il y avait des gens chargés d'en pourvoir le harem du roi, et les eunuques parvenaient à un grand pouvoir. Puti- phar, le maître de Joseph, était eunuque de Pharaon; et à peine Abraham arriva-t-il en Egypte, qu'on annonça au roi qu^il amenait avec lui une très-belle femme : Sara fut conduite au sérail, en même temps qu'on usait d'une grande courtoisie en- vers son frère supposé. On nous représente les Égyptiens comme des modèles de gratitude et de respect fiUal, bien que les filles seules fussent obhgées par les lois à soutenir leur parents âgés. La défense du pays étant confiée à la caste des guerriers, les autres s'amollis- saient dans des occupations efféminées, et, si nous en croyons Hérodote, passaient la journée à filer, abandonnant aux femmes les soins de Féconomie domestique. Mais l'extravagance des usages égyptiens, cet alliage perpé- tuel du sublime et dii mesquin, nous confirme de plus en plus dans l'opinion que ce peuple fut formé du mélange de plusieurs autres, différents de croyances et de civilisation. La politique égyptienne consistait à maintenir obstinément chacun dans ses habitudes propres : disposition commune à plusieurs peuples de l'Asie, qui conservent et ne perfectionnent pas; qui montrent ' dès l'origine de précieux germes de vérité et ne les font jamais mûrir. Ce mélange devient encore plus apparent lorsque Pon exa- mine la rehgion et la doctrine des Égyptiens. (1) En épousaut leurs sœurs, les Ptolémées suivaient Texemple des rois de Perse, dont ils se regardaient comme les successeurs. Cambyse fut le premier, selon Hérodote (1. 111, c. 31), qui ait épousé sa sœur. Les juges consultés par lui sur la légitimité d'une semblable union lui répondirent qu'ils n'avaient trouvé aucune loi qui permit à un frère d'épouser sa sœur, mais qu'ils en avaient trouvé une qui permettait au roi de Perse de faire tout ce qu'il voulait. D'après ce récit, il est probable que les mariages entre frères et sœurs restèrent limités à la famille royale. (F x j • x- -i /» comment j en sens oppose de la nature des mventions, ils ne fi- rent que désapprendre ; et quand ils communiquèrent leur as- tronomie aux étrangers* ceux-ci ne purent en tii^er qu'un bien mince profit; Nous avons parlé ailleurs de la coïncidence si adthirée de Fah sothiaque avec Tannée tropicale (1 ) . Leur con- naissance de la précession des équinoxes n'avait pour appui que les zodiaques d'Esné et de Denderah , et elle est tombée avec eux. Quant à Torientation des pyramides, qui est le fait le plus saillant d'où quelques-uns ont supposé qu'elles furent élevées au temps des premiers patriarches , et même avant le déluge, un méridien déterminé à un tiers de degré environ pouvait suf- fire, par la méthode élémentaire des ombres égales. L'ordre des planètes selon lequel ils nommèrent les jours de la semaine peut être établi hypothétiquement, d'après lai durée croissante de leurs révolutions évaluée approximativement. On assure qu'ils enseignèrent à Pythagore le véritable système du monde bien des siècles avant Copernic ; mais pouvons-nous en rien croire quand nous voyons que Thaïes l'ignore entièrement, et qu'il parut très- étrange aux Grecs quand il fut professé par Philolaûs; Philolaûs, qui supposait que le soleil était un miroir réfléchissant la lumière et la chaleur des planètes. Les Athéniens, les Hébreux, les autres colonies sorties de rÉgypte , ne faisaient usage que de Pannée lunaire. De l'Egypte , Thaïes en apporta une en . Grèce de trois cent soixante-cinq jours seulement (2) ; et Hérodote ne fait pas men- tion des âx heures qu'y auraient ajoutées les prêtres (3). On prétend qu'ils observèrent trois cent soixante-trois éclipses so- laires et huit cent trente-deux lunaires; mais cela ne veut (1) Voy. page 117. (3) Dioo. Laercb, liv. I, sur Thaïes, (3) EOxépTCYijCh.iv. \ SCIfiNGË ANtiQUÈ. 4 H dire qu'ils les eussent prédites. Nous ne tt^ouvoils même nulle part que Thaïes, qui fut leur élève, eftt indiqué le jolir et en- core moins Fheure de la fameuse éclipse qu'il avait annon- cée. Le géographe Ptolémée ne fit d'ailleurs aucun cas dès éclipses notées parles Égyptiens, au milieu desquels il vivait, et s'en tint à celles des Chaldéens (1). Eudoxe, qui étudia du- rant treize ans la science du ciel en Egypte , n'en rapporta en Grèce qu'une sphère grossière^ où la position des astres était la même que dix siècles auparflvartt (2). Bien plus, Thaïes en- seigna à ses maîtres la méthode facile de calculet* la hauteur des pyramides par son rapport avec l'ombre. La science d'autres peuples anciens n'a pas moins à perdre à Asujyomie un pareil examen < On rapporte que Galisthène, qui suivit chawéens. Alexandre le Grand dans son expédition, envoya de Babylone, à Aristote, des observations célestes faites par les Chaldéens, remontant à l'an 2200 avant Jésus-Christ. Il n'y a rien à déduire du silence d^Aristote sur ce fait attesté par Simplicius (3), puis- que Fon sait que beaucoup de ses ouvrages ont été perdus, et entre autres VAstronomicon. Mais quelles étaient ces observa- tions? Probablement un registre des phénomènes les plus appa- rents, comme éclipses, comètes, conjonctions de planètes. La tour de Bélus, fût-elle ou non celle de Nembrod, offrait au re- gard un plus vaste horizon; mais en quoi pouvait elle aider à évaluer les hauteurs et les distances zénithales, le passage des astres au méridien, le cours des planètes dans le zodiaque, les éclipses? L'élévation même de cette tour pouvait, pour des gens inexpérimentés, devenir cause de deux erreurs, à savoir: les réfractions, très-sensibles vers l'horizon, et la dépression ho- rizontale. Ptolémée s'est servi de dix éclipses notées par les Chal- déens, maïs toutes lunaires, ne remontant pas plus haut que Nabonassar, et dont la durée est évalue en heures et demi-heu- res, ^obscurcissement par moitié et par quart de diamètre. Elles attestent pourtant que les Chaldéens connaissaient la véritable durée de l'année, et avaient quelque moyen particulier pour (1) Voy. Delambre, Discours préliminaire à V Histoire de l'astronomie du moyen âge. (2) ibid., 1. 1, p. 126. Voy. aussi Biot, Recherches sur plusieurs points de {'astronomie égyptienne. (3) Delambre, 1. 1, p. 212. — Ideler , Sur V astronomie des Chaldéens^ t. IV du Ptolémée de ffalma, p. 166. — Larcber, dans les Mémoires de r Institut de France, t. IV — Desdouits, Cours d'astronomie. 412 DBUXIÈMB ÉPOQUE. mesurer le temps. Ils [se servaient du saros, période de dix- huit années, qui ramène les éclipses de lune dans le même or- dre ; ils avaient pu la déduire d'une longue expérience et des remarques faites pendant plusieurs siècles sur les phénomènes écliptiques. Mais ils ne savaient ni expliquer ni prédire les éclipses de soleil ; ils ignoraient le mouvement des nœuds de Torbite lunaire ; ils ne cx)nnaissaient pas la réfraction des rayons ; de sorte qu'ils déplacèrent de quinze degrés les cases du zodia- que. Ils n'eurent d'ailleurs ni géométrie, ni trigonométrie, sans lesquelles il n'y a point de science des astres. L'Arabe Albatègne a affirmé qu^ils avaient déterminé Tannée sidérale à 365 jours 6 heures 11 minutes, c'est-à-dire à deux minu- tes près seulement de la vérité : mais ni Hipparque, ni Pto- lémée n'en font mention. Si cet Arabe a tiré son assertion d'un auteur perdu et digne de foi, ce devait être encore quelqu'une de ces parcelles de science qu'ils ne surent ni s'approprier ni mettre en pratique. G^est ainsi qu'ils traçaient un méridien et déterminaient la hauteur du soleil ; mais ils ne profitèrent pas de cette découverte du cadran solaire pour reconnaître Fobli- quité de la terre, l'élévation de 1 equateur, la durée de Fannée. Anaximène , qui l'inventa en Grèce quelques siècles plus tard, croyait la terre Cylindrique, plane en partie; tant il est diffi- cile de déduire d^une connaissance isolée le véritable état de la science. Asironomie Lcs Phéuicicns, qui parcouraient la mer dans tous les sens, Phéniciens, durent porter leur attention sur les étoiles pour s^en servir comme de points fixes dans la direction de leurs vaisseaux. Mais quand Strabon leur attribue Pinvention de l'arithmétique, de l'astronomie, et la découverte de la constellation de POurse, il ne veut sans doute qu^indiquer l'application qu^ils firent de ces connaissances à l'art nautique. Des Indiens. Bailly admirait les observations des Indiens ; mais on les a re- connues fausses et supputées à contre-sens (1). Ils employaient cependant certaines formules et des calculs particuliers dont on n'a pu deviner la clef, qu^ils n'avaient peut-être pas eux-mêmes. Leur sphère a vingt-sept naetrons ou cases lunaires, très-res- (i; Laplace , Exposé du système du monde, p. 330. Dawis, Sur les calculs astronomiques des Indiens, Mémoires de Calcutta, t. H, p. 225; VI, 540; Vllï, 195. Bentley, sur Tantiquité du Sourya Siddhanta, et sur les systèmes astronomi- ques des Égyptiens. SCIfiNCE ANTIQUE. 4l3 semblantes à celles des Arabes , et pour le zodiaque les mêmes constellations que les Chaldéens^ les Égyptiens et les Grecs. Gomment des nations d'une civilisation si différente purent-elles jamais se rencontrer dans une création aussi arbitraire? On fait remonter jusqu'à Yao Pintroduction de Paslronomic i>eachinoi«. dans la Chine ; mais les éclipses véritables rapportées par Con- fucius dans la chronique du royaume de Lu ne commencent qu'à Tannée 776 avant J. C, un demi-siècle avant celles des Chaldéens. Il y a toutefois apparence d'authenticité en faveur de l'observation de l'ombre faite par Scheu-Kong vers 1100 avant J. G. ; cependant, lorsqu'en 1629 les docteurs chinois dis- putèrent avec les jésuites, ils ne savaient pas encore calculer les ombres , et ce fut aux derniers que Ton confia la direction des observations dans la région du milieu du Céleste Empire (1). Il n'y a rien d^étonnant à ce que l'astronomie fût une des pre- mières sciences cultivées par les anciens; cela s^explique par l'admiration qu'excite le spectacle des cieux , et par la facilité d^une science qui , n'admettant que des rapports de lieu et de distance, n'a besoin que des mathématiques. Mais ce serait bâ- tir sur le sable que de s'appuyer, sur les données que nous four- nissent les anciens. Les limites des constellations varient selon les auteurs, depuis Hipparque jusqu'à Ticho-Brahé, à Évelins, à Flamsted, à Piazzi, et elles ne servent qu'à reconnaître l'em- placement des étoiles. On n'avait pas dressé avant Hipparque un catalogue des étoiles, seuls points fixes auxquels se rappor- tent les mouvements des colures et des planètes; on n'avait pas mesuré d'après elles la révolution du soleil et de la lune. Dans l'Orient, on avait altéré ou mal appliqué, sous le voile du mys- tère, quelques théories sans liaison. La Grèce seule, en éman- cipant la science du sacerdoce et Part de l'hiéroglyphe , les poussa dans la voie assurée du progrès. Ce qui fit tort à l'astronomie , ce fut d'avoir été employée à Asiroiogic. sonder Pavenir de Phomme. Les Chaldéens acquirent un grand renom dans cette vaine science. Les anciens distinguaient leur Hstrologie de celle des Égyptiens, qui avait, disait-on, pour in- venteurs Pitosiris et Nécepsos. Les Occidentaux ne pronosti- quaient l'avenir que d'après les phénomènes naturels et les ob- servations météorologiques. L'astrologie ne fut connue des Grecs et des Romains que par leurs relations avec l'Egypte. Un savant (I) Voy. plus loin, liv. IV. 414 D$IJ}^1È]U£ SPOQl)^. a entrepris 4^ pi^uvet* avec beaucoup d'érudition que l'asitrono' mie égyptienne ne prit un aspect nouveau et scienlifique qu'à partir du moment où l'école d'Alexandrie se fut accrue, et que le zodiaque proprement dit y fut aj^rté de la Grèce, les Égyp- tiens n'ayant eu jusque-là que des nKmuTnents astrologiques. Cette opinion peut s'appuyer $ur les figures d^s astérismes, qui sont tout à fait grecques, sans aucune analogie avec les innonh> brables^ bas-reliefs de Pantiquité égyptienne. Comme l'on sait, en outre, que jusqu'à Ératosthène les Grecs n'avaient que onze signes, on est porté à supposer que le zodiaque se perfectionna peu à peu parn^i eux, et que, transporté ensuite dans le Delta, il y fut coniplélé par son application à des méthodes astrologie ques (1). Ce n'est pas ici qu'il conviendrait de décider la que** tion, et nous ne sommes pas compétent d'ailleurs pour nous en constituer juge. Il nous suffit de Tavoip indiquée pour prouver combien il y a peu à se fier à cette science égyptienne si vantée, et à ces zodiaques que l'on faisait naguère vieux de plusievyrs milliers d'années. Il en fut de même des milliers de siècles rê- vés par la vanité nationale des Égyptiens , et qui se réduisireut à de puises légendes de calendrier (2). (1) Letronne, Observations physiques et archéologiques sur Vobjel des représentations zodiacales qui nom restent de Vantiquité. Parts, 1S24. n a expliqué plus clairimciit encore son système 4ans le fragment de son bé- toire de l'astrologie, lu à rAcadéinie des inscriptions et belles-lettres, et dans ['analyse critique des représentations zodiacales de Dendérah et d'Esné. Paris, 1845. (Note de la 2« édition française.) (2) Des systèmes en grand nombre ont éM mis en avant pour expliquer les pc^i iodes égyptiennes ot leur nature ; mais aucun d'eux jusqu'ici n'a été géné- ralement adopté. Selon Galterer, suivi par Gôrres et par la plupart des Alk- mands, tout dépend de Soihis, Sirius, étoile d'Isis, régulatrice de la grande et de la petitç année. Les Égyptiens crurent d'abord que la lune, accomplissant sa révolution totale en 309 lunaisons ou en 9125 jours, elle revenait .iprèi 25 années civiles vers le même point de Sothis : ils fixèrent donc la ¥ie d'Apis à 25 ans, de mèine que la durée du cycle, qui prenait son nom, à cause du passage de la lune dans la constellation du Tatireau pour arriver à Sothis. Les 26 ans indéterminés excédant d'une heure 13' 42" le véritable cycle lu- naire, ils multiplièrrnt 25 par 20, et imaginèrent un nouveau cycle de 500 ans, au terme duquel cette fraction formait un jour. La vie du phénix est de 500 ans, selon Hérodote. En comparant l'année civile, de 365 jours, avec Tannée tropicale, supposée de 365 jours 1 heure et 1/4, 1460 de ces dernières étaient égales à 1461 (i^ autres (en effet le r4^>poi't est de 1507 à 1508). De là, la période sotbiaque» figurée, selon l'opinion la plus récente, dans la vie du phénix. Ce fut lorsqu'ils connurent la précession des équinoxes qu'ils inveolèreut SCtSNCK AMTIQUB. 4 II» Nous ne pouvons toutefois que louer les prêtres égyptiens Auircs^scicn- dans l'usage qu'ils faisaient des observations astronomiques des Égyptiens. pour déterminer Tépoque des inondations du Nil , et iK)ur pro- curer d'autres avantages au pays qu^ils civilisaient. Ils durent^ dans ce but^ étudier l'hydraulique, afin de niveler et de répartir Hydraulique. également les eaux , tant pour l'irrigation que pour la naviga- tion. Le canal des rois avait quatre ramifications; son dévelop- pement était de 160,000 mètres, et il pouvait porter même les gros navires. Au-dessus de Memphis, le canal de Joseph, dérivé du Nil sur la rive gauche, aboutit au canal dllaon, qui se sub- divise en mie infinité de ruisseaux , et va porter la fertilité aux terres d'Arsinoé. Lorsqu'ils voulaient punir et dompter un pays, il leur suffisait de clore l'orifice qui lui conduisait l'eau. Un ni- lomètre servant à déterminer l'impôt était élevé dans la partie la plus haute du pays. Les inondations les obligèrent à étudier la géométrie pour Géométrie, rétablir la délimitation des terres, dontinuellement altérée. On fait dériver de Chemin ancien nom de TÉgypte, le nom de chi- chimie, mie. Les progrès de cette science dans ce pays nous sont du reste attestés par les émaux dont ses momies sont couvertes, par le bleu de cobalt prodigué dans ses peintures , et en géné- ral par les couleurs si bien conservées après tant de siècles. L'habileté des Égyptiens pour la conservation des cadavres est Momies, surtout célèbre. On faisait simplement dessécher, dans le natron ou dans le sel commun , les corps des gens appartenant à la classe çauvre, et on les entassait dans les catacombes, enve- leurs derniers cycles. Ils croyaient que cette précession était d'un quart de degré chaque siècle; de sorte que i'entière révolution devait être de 36,000 ans (en réalité le relard est d*un degré tous les 71 ans, el la période de 26,000 ans environ) ; alors ils composèrent l'année dite de Platon. Les deux formes de la période sothiaque, c'est-à-dire 1460 et 1461 , muili- ))liées séparément par le cycle lunaire, donnèrent deux autres grandes périodes de 36,500 et de 3G,525 ans. Nous avons donné de cette dernière une génération différente (voir page 1 17). Les prêtres dirent à Hérodote que durant les 341 règnes avant Sollio8,le soleil changea quatre fois le point de son lever, se couchant deux fois où il se lève, et vice versa. On a expliqué dernièrement ce récit, en supposant que h s prêtres auraient dit qu'il s'était écoulé deux périodes sothiaqucs, durant les- quelles le premier jour indéterminé de Thaut se .trouva quatre fois à des poiats opposés , par l'effet de la révolution de Tannée civile égyptienne com- parée aitec Tannée fixe. L'explication , tout ingénieuse qu'elle est , n'est pas entièrement convaincante, et ne s'accorde pas bien avec les paroles d'Hérodote. 416 BEUXIEUB ÉPOQUB. loppés de bandes d'une toile grossière. Mais les riches, couverts de différentes couches de mousseline très-fine , de feuilles d^or et d'un plâtre très-léger, oniés de colliers, de figurines, de di- vers autres objets et de grands i-ouleaux de papyrus, étaient enfermés dans plusieurs caisses représentant par leur forme Teffigie du défunt (i). On rapporte que les Éthiopiens revê- (l) Hérodote décrit ainsi rembaumemeut : '( Us extraient d'abord la «ervelle par les narines , partie avec un fer re- coiiri)é, et partie en y introduisant certaines drogues. Ils ouvrent ensuite la poitrine aTec une pierre d*ÉUiiopie très-aiguë, et en tirent le Tentricule : ce- lui-ci l)ien nettoyé, arrosé de vin de palmier et saupoudré de thymiatcs broyés, ils renaplissent le ventre de pure myrrlie aussi broyée, de cassie, d'autres aro- mates, excepté Tencens mâle; et recousent le tout. Cela fait , ils desscclient le cadavre en le laissant dans le natron pendant soixante jours, au delà desquels la dessiccation n'est pas permise. Après, ils lavent le mort, enveloppent tout son corps de bandelettes taillées d'un linceul de lin enduit par dessous de gomme, dont les Égyptiens se servent beaucoup en place de colle. Les parents le reçoivent en cet état ; font faire une caisse avec l'effigie humaine, et l'y en- ferment. Puis il est place debout contre la muraille, et conservé comme un trésor dans la cellule sépulcrale. C'est ainsi qu'ils préparent somptueusement les morts. Mais ceux qui veulent s'en tenir à un terme moyen, en évitant le luxe, s'y prennent de cette autre manière : après avoir introduit dans des seringues de l'huile de cèdre, ils en remplissent le ventricule sans incision ni extraction d'intestins. Tout est introduit par le siège, et l'on ferme au liquide les voies par lesquelles il pourrait se ripandre au dehors. Le cadavre est en- suite desséché durant le temps déterminé, et, le dernier jour arrivé, on vide le ventre de l'huile de cèdre qu'on y avait introduite. La force en est si grande qu'elle entraîne avec elle les intestins et les viscères macérés : hs chairs sont aussi macérées par le natron, et le mort n'a plus que la pean et les t)s. Cette opération terminée, le cadavre est rendu à la famille sans y faire autre chose. Le troisième mode d'embaumement, employé pour ceux qui ont une lortiiue inférieure, est celui-ci : on fait couler dans le ventricule une liqueur médici- nale, le mort est desséché pendant les soixante jours, puis livré aux siens. Les femmes des personnages éminents et toutes celles eu renom pour leur beauté et pour leur rang, ne sont pas aussitôt après leur mort données à embaumer, de peur que les embaumeurs ne profanent leurs restes, attendu que l'un d'eux fut surpris, dit-on, par un de ses confrères, abusant du cadavre d'une femioe nouvellement décédée, et dénoncé par lui. » Kous croyons que l'on sera bien aise de trouver ici la relation d'une au- topsie de momie faite à Paris, en septembre 1828, en présence de personnages distingués. a La momie est celle de Nauté-Mai (cher aux dieux), prêtre d'Ammon pca* daut plusieurs années. £lle était enfermée dans une riche boite de carton, ornée de fleurs, avec des figures de divinités et d'animaux syml)olique8, très- bien conservée, attendu qu'elle était recouverte de deux autres caisses en bois* « On vit à l'ouverture avec quels soins minutieux les Égyptiens arrangeaient leurs momies. Le développement successif des bandes qui entouraient le ca* SGTBNCS ANTIQUB. 417 « taient leurs cadavres d'une gomme si transparente^ que les an- ciens les disaient enveloppés de verre. Les Égyptiens ne possé- dant pas cette gomme représentaient le mort sur la caisse qui le recouvrait. Les momies ainsi renfermées étaient déposées dans des catacombes creusées dans la roche vive. Les Arabes continuent depuis des siècles à les exhumer pour alimenter leur feu avec le bois et le carton, après avoir fouillé les tombes pour y chercher des trésors. Les Égyptiens ne rendaient pas seulement ce dernier devoir aux honunes , mais encore aux animaux : la chaîne libyque est percée de galeries longues de plusieurs lieues, larges de vingt pieds, et remplies d'ibis, d'éperviers, de chiens, de chats, de bé- davre permit d'observer les différentes opérations exécutées par les eofibau* meurs. H parut donc : 1^ qu'après la dessiccation par le natron, le corps enve- loppé dans un drap avait été plongé dans le bitume bouillant, qui avait péaétré dans tous les membres^ de manière à former, en se refroidissant, une couche de bitume solide qui enveloppait drap et cadavre : la nuque seulement avait été exempte de Timmersion; 2° qu'après cette opération, chaque membre était enveloppé de bandes, les doigts en premier, puis les bras et les jambes isolément, enfin tout le corps, qui^ au moyen de grands lés de toile places sur le cou, sur la poitrine, les reins, rab<]omcn, le dehors des bras, des cuisses,* etc., et maintenues par d'innombrables tours de bandes, reprenait la forme du corps vivant, dans ses justes proportions; palliant ainsi l'excessive maigreur du cadavre, réduit à la peau et aux os par le natron. « Le corps développé, il se trouva avoir la tête rasée comme lapoiiaient les prêtres, les dents à leur place, et un examen attentif fit juger que c'était la momie d'un homme de quarante ans euviron. Une feuille d'or lui couvrait la bouche; une petite plaque d'argent, la poitrine. De ses épaules pendaient des lanières de cuir colorié. La cavité des yeux était remplie de petits tampons de chiffons, qui, de même que toutes les bandes, paraissaient imbibés d'huile de cèdre, puissant préservatif contre la corruption. L'intéiieur de la tête était vide, et l'enveloppe du cerveau conservée dans toute son intégrité. Sur sa poi- trine, entre ses jambes, et sur d'autres parties du corps, il y avait des traînées d'un bitume très-luisant. La préparation paratt remonter à plus de vingt'Cinq siècles. » Selon le colonel Bagnole, les momies ne sont préparées qu'avec une résine à laquelle les Ârabesdonnent le nom de A;a^ran> et quel'on obtientd'un arbrisseau abondant sur les bords de la mer Rouge, dans la Syrie et l'Arabie Heureuse, en l'exposant à une vive chaleur. {Royal asiatic socieiy, 16 janvier 1836.) Houlton a communiqué dernièrement à la Société médico-botanique de Londres, que l'on avait trouvé dans la main d'une momie égyptienne, ensevelie depuis 2000 ans au moins, un oignon qui, ayant été planté, germa avec autant de vigueur que s'il eût été frais. Grande preuve de la longévité des plantes. Cet oignon ne diHérait en rien de ceux ordinaires. U y a peu que James Ray a trouvé au Pérou des momies tout à fait pareilles à celles de l'Egypte; elles ont été placées a\i musée américain de Baltimore. T. 1. 27 418 DËUXIÈMB BPai^UE. liers, de chacals^ de singes, embaumés. Dans la chaîne arabique, une grotte naturelle très vaste est pleine de crocodiles, de ser- pents^ de grenouilles^ jetés péle-méle dans une pâte résineuse. Dans le voisinage d'Aboukir, non loin de Memphis, est une ca- tacombe d'oiseaux et surtout d^ibis. L'embaumement put être prescrit par une sage prévoyance contre la putréfaction activée par le débordement du Nil , qui infecte aujourd'hui Tair d'Alexandrie. On a observé que les pestes survenues en Europe depuis le sixième siècle partirent de PÉgypte, depuis que le christianisme y eut fait cesser les «oabaumements (1). Médecine. -^ On Serait porté à croire que les études faites sur les cadavres aident aux progrès de la médecine ; mais la superstition même, qui faisait conserver avec soin des restes inutiles, interdisait de les faire servir à connaître le mécanisme merveilleux de la vie pour en prévenir ou pour en guérir les altérations. Le cadavre ne supportait pas d'incisions; celui qui Tavait touché était con- sidéré comme souillé; et les paraschistes, qui lui ouvraient le flanc pour Tembaumer, étaient en horreur au point d^être pour- suivis à coups de pierre par les parents du mort. Toute la mé- decine se réduisait d^ailïeurs à un pur empirisme, entourée qu'elle était de mystère, comme toute chose. On exposait les malades sur les portes, et les passants indiquaient les remèdes qu'ils croyaient opportuns. Ce fut ainsi que se formulèrent cer- taines recettes qui se transmettaient de père en fils, et que Ton employait sans beaucoup de discernement. Leur recueil consti- tua par la suite une médecine absolue et dogmatique, qui, ra- tifiée par la religion, obligeait les médecins à soigner les ma- lades selon la méthode déterminée. Celui qui s^en écartait était puni de mort si le traitement avait un résultat funeste. Peut-être tant de rigueur n'était-elle applicable qu'aux cas de peste, de lèpre et de contagions semblables, au traitement des- quelles les gouvernements les mieux constitués ont de tout (1) Cette opinion fut énaise en France dans ces dernières années parledoc- teur Pariset, et ne fut point contredite, que nous sachions. Nous nous pemoet- trons d'obseryer : l» que des cadavres et leur putréfaction produisent des miasmes, mais non la peste; 2" que les anciennes pestes étaient aussi Tenoes de l'Egypte^ et notamment la plus connue, celle d'Athènes. « On dit qoe l'épi- démie commença dans l'ËUiiopie, au delà de l'Egypte; que, descendant eosaite dans TÉgypte et dans la Libye... elle arriva à l'improviste dans la ville d'Atliè* nés. >» THccTomEy liv. il, 48. RELIGION ]>£8 ÉGYPTIENS. 40^ temps imposé des règles sévères. Il est vrai qu^ils ajoutaient à toutes les cm>es des opérations magiques dont Pbistoire sainte peut nous donner une idée dans les temps anciens. Ils connu- rent toutefois dans Thygiène la partie la plus importante de la médecine; car ils instituèrent et conservèrent un admirable système diététique (1 ) . Ce peuple géomètre , au contraire des Indiens à Pimagina- wuéwinrc. tion vive, employait communément la prose, bien qu'il eût aussi ses poëmes et ses chants nationaux; mais il ne nous est resté ou l'on n'a déchiffré encore aucun monument de sa litté- rature (2). Il faut en dire autant de sa philosophie , dont les fragments se rattachent à la théologie. , , I , I ■ I... 11111,111 sa CHAPITRE XX. RELIGION DES ÉGYPTIENS. Nous trouvons encore l'unité de Dieu (3) au fond de la reli- gion égyptienne. Un temple portait cette inscription : « Je suis « celui qui est, fut, sera : aucun mortel n'a soulevé le voile qui « me couvre. » On lisait sur un autre : « A toi qui es une et « tout, divine Isis (4). (1) chacun peut voir aa musée d*anatomie comparée du Jardin des Plantes de Paris un tibia d*£gyptien fracturé et ressoudé par un moyen chirurgical. (3) On peut aujourd'hui citer comme un premier échantillon des composi- tions littéraires des Égyptiens une légende publiée par M. £. de Rougé, sons le titre de Notice sui' un manuscrit égyptien en écriture hiératique, écrit sous le règne de Mérienphtha^ fils du grand Rhamsès, vers le xv« siècle avant J, C. Paris, 1852. (Notedelaî* édition française.) (3) C'est ce qu*afJirment Hérodote, Porphyre, Jambiique, Plutarque, Pro- dus... (4) Les auteurs grecs et latins attribuent à Isis les qnalités de tous les autres dieux. Kai ii ne^ioyji Se t6tioç Xéyttai iroXXaxic* ôto xai "rijv oOeriav xatapxii^v TÔnov Oeûv xaXoûfftv xai xyjv "'Ictv ol As^utitioi à; tïoXXwv Oeûv lôiérriToç «epié- Xwrte 27. 420 DfiUXIÀMB iPOQUS. Mais l'auteur des livres hennétiques s'écriait : « 0 Egypte! le « jour viendra où ta religion et ton culte pur seront convertis ce en fables ridicules , incroyables pour la postérité , et les pa- « rôles sculptées sur la pierre resteront comme unique nionu- « ment de ta piété. » Sa prophétie fut vraie, puisque la religion dégénéra au point de n'en plus laisser apercevoir le plus su- blime fondement. La caste sacerdotale, qui avait conservé cette croyance patriarcale , ne la communiquait qu'aux initiés , en l'enveloppant, du reste, de symboles pour la rendre inaccessi- ble aux profanes, et pour en imposer au vulgaire. Le symbole se confondait avec Tétre même en multipliant les divinités; les légendes astronomiques et calendaires métamorphosaient les révolutions du ciel en exploits de dieux. Ajoutez à cela Padu- lation, qui, ayant une fois placé dans les enceintes sacrées les statues des sages et des puissants, les égalait facilement à la Divinité, non sans doute dans Tesprit du prêtre, mais bien dans celui du peuple. Quand d'ailleurs ces prêtres vinrent civiliser TÉthiopie et TÉgypte, ils y trouvèrent un fétichisme grossier : les arbres, les animaux, le Nil, certaines constellations, y étaient adorés; dieux et croyances variaient dans chaque tribu, sans rapports l'une avec l'autre (i). Ils ne purent ou ne voulurent pas déra- ciner ce fétichisme, et toutes ces divinités demeurèrent en- semble avec le dieu des Thesmophores ; il en résuie que les superstitions les plus grossières vécurent à côté des dogmes purs, mais ne se fondirent pas avec eux. Il faut donc distin- guer la religion sacerdotale de celle du vulgaire, à laquelle peu- vent seules s'adresser les railleries de ceux qui, dans Thistoire, ne voient que l'extérieur, sacerdoce. ^^^ dogmcs particuliers aux prêtres reconnaissaient un Être cette inscription de Capoue : te tibi una qu^ es omni a Dea Isis Arrius Balbi- NUS, V, G. Voir Visconti, Mtiseo Chiaramonti. Cela correspond à ce que dit Plutarque, D*lsis et iTOsiris. A. Sais, le temple de Minerve, que Ton croit être la même qu'Isis, porte cette inscription : /^ suis tout ce gui fut, est et sera •• aucun mortel n'a jamais soulevé mon voile. (1) Le culte des animaux est encore général en Afrique. Bossman a trouvé les serpents adorés à Fida, dans la Guinée, et quelques-uns tenus dans uoe enceinte à part, comme on le faisait en Egypte. l\ en est de même dans le Sénégal et sur les côtes d'Ethiopie. Voy. An Essay on the super litions.cus' toms and arts commons to the ancient Égyptians, Abyssinians and the il.s/£an^«6j. Londres, 1821. BELIGION DBS EGYPTIENS. 42 1 suprême unique^ que ne sauraient représenter des images cor- porelles. Plutarque nous dit que leur haute science consistait à regarder Phtha comme le grand architecte de ^univers : on adorait spécialement sa sagesse à Sais sous le nom deiVi^'è^, sa bonté dans Éléphantine sous celui de Cnef, dont le symbole était un serpent roulé sur lui-même. Ces attributs, passant à la doctrine exotérique, devenaient trois personnes : père, mère et fils; la force qui féconde, celle qui engendre et le fruit. Nous avons déjà rencontré cette trinité dans les croyances babyloniennes et indiennes. Chaque temple figurait et nommait diversement ses trinités, et les habitants des territoires qui en dépendaient ne voulaient céder sur ce point ni à leurs voisins, ni même à leurs vainqueurs; ce qui faisait que la fusion et la conquête conservaient le plus souvent les divinités dont le nombre augmentait ainsi étrangement. La prédominance de Thèbes fit prévaloir la trinité d'Isis, Osiris et Horus; les symboles et les fables relatives aux autres s^y rattachèrent en telle profusion, qulsis fut appelée Mytio- nyma, aux mille noms; et Ton divulgua sur cette triade des mythes si divers, qu'il est très-difficile de les mettre d'accord. Isîs et Osiris, encore au sein de Tunité génératrice, produi- sirent Arouéris ou Horus; puis, sortis à la lumière, Isis trouve l'orge et le blé, Osiris invente les instruments aratoires, en- seigne la culture sur les rives du Nil, y établit les lois, le ma- riage, le culte, et propage ensuite ces bienfaits en conquérant les peuples, non par la force, mais par la musique et par la poésie. Cependant Typhon, génie du mal, cherche à lui ravir le trône ; et , s'étant ligué avec les Éthiopiens, il le tue, le ren- ferme dans une caisse et le jette dans le fleuve. Isis le pleure, et court à sa recherche avec Anubis, engendré à Osiris par Nephti, sœur de Typhon ; l'ayant retrouvé à Byblos renfermé dans un roseau, elle le rapporte en Egypte, et demande ven- geance à Horus , leur fils. Typhon découvre le cadavre d'Osi- ris, le coupe en quatorze morceaux, et les disperse au loin. Isis parvient pourtant à les remettre ensemble, moins l'organe de la génération, auquel elle supplée par un phallus de syco- more, qui, de ce moment, devient sacré; puis elle ensevelit le cadavre à Philé, terre sainte. Osiris revient des enfers pour instruire son fils dans l^art delà guerre; celui-ci combat et vainc Typhon, qu'il enchaîne. Qui le croirait? cet ennemi est mis en liberté par Isis; alors Horùs, indigné, arrache à sa mère le 423 DBUXIBMI ÉPOQUB. diadème, qu^Hermès remplace par une této de génisse. Ty- phon conteste la légitimité d'Horus, qui le défait, le chasse dans les déserts, et Horus est le dernier des dieux qui règne sur rÉgyptc. On pourra, si Ton veut, voir dans ce mythe Thistoire de PÉgypte en ce qui concerne la manière dont les tribus de pê- cheurs et de pasteurs furent amenées à la connaissance de ^agriculture et de la Divinité ; ou bien les révolutions physi- ques et astronomiques, symbolisant dans la double vie d^Osiris la double récolte du pays ; la marche différente du Nil dans les accidents de son cours ; ou enfin le soleil montant et des- cendant sur Péquateur (1). De quelque manière qu'on Tentende, il paraît que la théogo- nie égyptienne se fondait sur Témanation. De huit dieux su- périeurs, il en naît douze intermédiaires, et de ceux-ci , sept inférieurs. Les grandes divinités sont des intelligences imma- térielles que la seule raison peut comprendre ; elles contien- nent en elles le principe du monde réel , et leur lumière s'é- panche en une série de gradations qui la représentent plus ou moins. Les dieux du second ordre dérivent des premiers, avec quatre de plus. Les incarnations viennent au troisième rang; divinités qui naissent, accomplissent leur, mission, puis re- tournent au ciel, où elles se montrent sous forme de constel- lations. Le développement successif de l^tre infini se répandant gra- duellement dans toutes les sphères, même inférieures, pour vivifier par sa présence jusqu'aux moindres parties du grand tout, est représenté sous la forme historique des incarnations: celles-ci sont toujours plus parfaites jusqu^à celle de Phomme, sous laquelle Osiris meurt > renaît, et devient Tauteur et le conservateur du monde visible. Osiris, bienfaiteur et sauveur du peuple, devait rester le mo- dèle des rois. Ceux-ci, élevés dans une vie innocente au sein du temple, servis, non par des esclaves, mais par les fils des prêtres, avant de, monter sur le trône à Tâge de vingt ans ré- volus, étaient initiés aux grades supérieurs de la doctrine se- (1) Plutarque dit que les Égyptiens comparaient ceUe triDité au triangle rectangle qui a quatre parties de base, trois de hauteur, cinq dMiypoténuse. La base représente Osiris, l*autre côté Isis , l'iiypoténuse Horus ( jy/^w «/ Vsiris). On sait que Platon, dans sa République, exprimait par celte figure reroblème rationnel, emprunté certainement à TÉgypte. b. BBLIQIOir DES tOY^TlENS. 438 crête. On les assujettissait alors à d'invariables prescriptions; on les appelait euxHfnêmes prêtres; on leur faisait un devoir de se montrer bienfaisants comme leur modèle, et, comme lui, après leur mort on les consacrait avec de l'eau du Nil (4). C'est ce qui put faire confondre avec le dieu, dans les chansons po- pulaires et dans les représentations religieuses, quelque Pharaon plus digne de la gratitude nationale, et donner naissance à Po- pinion qu^Osiris était un ancien roi. Nous avons attribué la prédominance de cette divinité au triomphe de la tribu dont elle était particulièrement révérée. Plus tard, au temps des Ptolémées et de la grandeur d^ Alexan- drie, prévalut Sérapis, qui hérita de toutes les attributions d'O- sértpi». risis ; ce fut lui qui devint le maître des éléments, le souverain des eaux, des puissances terrestres et infernales, le dispensa- teur de la vie et le juge des morts, bienfaisant et terrible, dieu de la joie et des ténèbres. Sa figure, représentée d'abord, comme celle des génies de la nature, par des canopes, c'est-à- dire par des vases sphériques surmontés d'une tête d'homme ou d^animal, se métamorphosa plus dignement en un dieu au vi- sage sévère, ayant le muid sur la tête, et, à son côté, un mons- tre enlacé d'un serpent à la triple tête, de chien, de loup et de lion. Les profanes ont aussi raconté sur lui d^étranges fables; mais son oracle, consulté par Nicocréon, roi de Chyre, répondit : « Je vous dirai quel dieu je suis; écoutez. La voûte descieux « est ma tête, mon ventre est la mer; mes pieds sont sur la « terre, mes oreilles dans les régions de l'éther ; mon œil est la « face splendida du soleil qui voit au loin. » Peut-être Pensei- giiait-on ainsi dans ses mystères, qui se propagèrent beaucoup, même chez les Romains. De même qu'Osiris offrait le modèle d'un prince, Hermès était celui du prêtre, ministre de la science et de la religion. La réunion de ces deux types forme le lien symbolique entre le glaive des Pharaons et le bâton sacré des prêtres. Thaut ou Hermès, trois fois très-grand [trismégiste) y existait avant toutes choses; lui seul il comprit la nature du Demiourgos, et déposa cette connaissance dans des livres qu'il ne révéla que quand les âmes furent créées. Il vint ensuite en aide au pre- (1) Strabon, XVîL — PLrTARQDE, siir Isis et OsiHs, Diodore de Sicile, I. Voy. rédition de Gustave Parlhey. Berlin, 1850. (Noie de la 2«édit. française) Hermès. 424 DBUXIÈMB ÉPOQUB. mier auteur, et façonna les corps qui devaient être réunis aux âmes, ajoutant à celles-ci là douceur, la prudence, là modéra- tion, Pobéissance, l'amour du vrai. Il écrivit Thistoire des dieux, du ciel et de la création; il communiqua la science à Ga- mépbis, aïeul d^Isis et d^Osiris, et il accorda à ceux-ci de péné- trer les mystères de ses livres, dont ils gardèrent pour eux une partie, et gravèrent le reste sur des colonnes (4), comme règle pour la vie des hommes. Ces premiers écrits furent ensuite traduits en hiéroglyphes et en langue vulgaire par le second Hermès ou Thaut, deux fois grand, inventeur de récriture, de la grammaire, de l'as- tronomie, de la géométrie, de la médecine, de la musique, de Tarithmétique et de tous les arts qui embeUissent la société. Il trouva la lyre, et constitua la caste sacerdotale, à laquelle il confia ses livres sacrés. 11 est, en un mot, le symbole des thes- mophores, instituteurs de VÉgypte. On accumula sur lui, dans la suite, beaucoup d'idées astronomiques, physiques et mora- les, combinées avec des faits historiques, en confondant Her- mès, Thaut, Anubis, Tétoile de Syrius, le chien vigilant. Mer- cure, le conducteur des âmes, acience Lcs livrcs d'Hermès sont perdus, et les anciens nous donnent des renseignements très-divers sur la philosophie qu'ils conte- naient. Selon le stoïcien Cheremon, qui vécut sous Tibère et accompagna en Egypte Élius Gallus (2) , ils ne reconnaissaient d'autre monde que le monde visible , d'autre existence que Texistence matérielle , d'autres dieux que les astres, dont les révolutions étaient figurées dans les différents mythes et diri- geaient toutes les actions humaines. Les néo-platoniciens lavè- rent les Égyptiens de ce sabéisme matériel, et supposèrent (en leur appliquant des noms et des idées plus perfectionnés et plus modernes) qu^ils croyaient à une inteUigence subsistant (1) Manéthon dit que les colonnes hiéroglyphiques de Thaut étaient h t$ IriptaSix^ Y^. Les interprètes ont en vain cherché oii se trouvait cette terre sériadique; nous ne saurions le dire; nous avertirons seulement que le Jolf Josèphe raconte comment le patriarche Selh, ayant appris d'Adam qu'il 8a^ viendrait un déluge d'eau et de feu, afin de ne pas laisser périr les connais- sances primitives, surtout celles astronomiques, les grava sur deux colonoes, une de pierre, l'autre de brique, qui subsistaient encore dans la terre de Sinad, xarà t9jv SiçiàSa. Archéol. I, c. ii, § 3. (2) Voy. l?of^vE^im, Epistola ad Ànebonem EgypHumfù&us h ^réhce et J AHBLiQOE, de Mysteriis; Ghiswik, 1821. heriuétiqiie. BELI6I0N DBS ieYPTISNS. 425 par elle-même (tvou<;, Xoyoç) ; intelligence démiurgique d'abord, supérieure et antérieure au monde; puis, divisée, éparse dans toutes les sphères (1). Le sens originaire des livres hermétiques semble avoir été une intuition simple mais profonde de la na- ture, considérée comme vivante et identique dans toutes ses parties. La lutte de la matière et de Tesprit, du physique et de l'intellectuel, se manifesta plus tard, et par suite les savants égyptiens se seront partagés entre différents systèmes, ainsi que les Indiens (2). Dieux, esprits, âmes, tout en un mot, selon la doctrine her- métique, se développait dans Fespace et dans la durée, for- mant un système de gradation qui se résolvait dans Funité , conmie leurs pyramides finissaient en pointe. Le ciel est ré- parti entre trois ordres de divinités : six ordres de démons sont au centre de notre monde, d^oii ils communiquent leurs vertus propres aux animaux et aux plantes; d^aulres régissent les sphères et les astres, intermédiaires entre Thomme et la Di- vinité. Aussitôt qu'une âme veut abandonner le sein du Père su- i^ *»««• prême, celui-ci la confie à un démon tutélaire qui l'accompa- gne toute la vie , dans laquelle elle oublie son origine divine, et contracte des souillures dont elle doit se laver pour retour- ner pure au séjour des bienheureux. Les démons l'assistent encore après la mort, et Ton couvrait les cadavres d'amulettes pour les recommander aux bons et pour éloigner les méchants. Considérant la vie comme un court pèlerinage à l'égard de Tétemité qui nous attend au delà, ils prenaient moins de soin à construire leurs maisons que leurs tombeaux, ces pyramides et ces vastes nécropoles près Thèbes, Lycopolis, Memphis, Abydos, dans lesquelles l'homme devait passer d'innombrables années sous le sceptre d'Osiris et d'Isis. Avant d'y pénétrer, Phomme doit se présenter au jugement d^Osiris. Ceux qui se sont conservés bons durant cette vie montent aux sphères après neuf ans de purgation (3); ceux qui obéirent aux appé- tits sensuels devront recommencer trois fois la vie, et subir la transmigration dans le corps des animaux, jusqu'à ce que tous, (1) Voy. principalement Jamblique , d6 Mysteriis jSgyp.t P- 305. — Eo- sÈBEy Prasp, evang.f III, 4. (2) GuiGNAOT sur Creutzer, liv. lïl, p. S73. (3) PiNDARE, Olymp.f II, 109. 4S6 DllUXlkMB léPOQUI. aprèiï trois mille ans^ aient à retourner danâ le sein de Dieu. Les rites funéraires attestent les croyances d'un peuple et son degré de civilisation. Le Grec brûle les cadavres, enveloppe matérielle de Tesprit (i) qui s'élète avec la flamme, en laissant la matière à la terre, d'où elle est sortie. Les disciples de Zo- roastre et les Thibétains livrent les morts en pâture aux oi- seaux dans des enceintes aux murailles élevées, pour que leur contact n'ait à souiller ni le feu ni la terre. Nous rendons la terre à la terre comme une semence pour l'avenir : ce soin pieux nous rend cher le champ du repos où Tamour qui survit va chercher la personne aimée, bien mieux que s'il avait à er- rer dans Pimmensité de l'espace. C'est à tort cependant que l'on a voulu déduire des précau- tions que prenaient les Égyptiens pour conserver les momies qu'ils ne croyaient pas à l'immortalité de Pâme, et pensaient qu'elle périssait avec le corps. Le contraire est prouvé par les jugements des morts, la lutte entre le bon et le mauvais ange, et un amenti ou hndèsy enfer des âmes. Peut-être supposaient- ils que celles-ci ne se séparaient du corps que lors de sa dé- composition, et s'ingéniaient-ils par ce motif à les maintenir unies, afin d'éviter les pénibles transmigrations qu'elles étaient obligées de subir jusqu'au moment où elles devaient renaître dans un corps humain. Peut-être était-ce une application ma- térielle de la croyance ou du pressentiment de la résurrection du corps; et cette pensée aurait fait conserver soigneusement des restes que le souffle d'une vie immortelle ranimerait un jour. Il est 'probable qu'Hérodote ne nous a pas transmis la for- mule rituelle des embaumeurs, par respect pour les mystères : mais Porphyre, plus récent et moins scrupuleux, raconte qu'a- près l'extraction des viscères, que Pon déposait dans un coffre, ils se tournaient vers le soleil, et que l'un d'eux s'écriait : « So- « leil Seigneur, et vous divinités qui donnez la vie , accueillei- amoi et consignez-moi aux dieux infernaux, afin que j'entre « dans leur séjour, parce que je n'ai jamais cessé de révérer les adieux dont mes parents m'ont enseigné le culte. Tant qu'a « duré ma vie, j'ai toujours honoré ceux qui m'ont engendré; «je n'ai jamais fait périr personne , nié un dépôt, ni porté au- (1) l.es anciens poètes italiens appelaient le corps $oma on saltna, sommai fardeau. RRLIOION DKS ÉGYPTIENS. 427 « trement dommage. Que si J'ai manqué en mangeant ou en «buvant des choses prohibées, je n*ai pas péché pour moi, « mais pour cette portion de mon corps. » Ces paroles pronon- cées, le coffre était jeté à Teau . et le corps, embaumé comme chose pure, était placé dans les nécropoles ou cités des morts, pourvu que le jugement eût déclaré le défunt bon et pieux. Rien de plus difficile néanmoins que de déterminer, dans la mythologie égyptienne, la limite où l'astronomie fait place au mythe, l'allégorie à Phistoire, la personnification à la réalité, ' d'autant plus que beaucoup de ses personnages passèrent chez les autres nations en y subissant toujours de nouveaux change- ments. Nous n'entreprendrons pas de rechercher si Memnon , fameux par sa statue parlante (1), fut, soit un Pharaon, soit un (1) Letronne {Mémoires de V Académie des inscript, et belles» let très , t. X, année 1833, puis dans un ouvrage séparé, sous le titre de Statue vocale de Memnon) détruisit la supposition d*one fraude dans le phénomène de la statue de Memnon. Il dit qu'Aménophis III fit placer devant l'édifice appelé Ameno- phitnn deux énormes colosses monolithes pareils de matière et de dimensions, qu'aucune particularité ne distinguait de tant d'autres. Celui au nord Tut hrisé par moitié dans un tremblement de terre, l'an 27 avant J. C. : après quoi la partie restée debout faisait entendre un son au lever du soleil. Les voyagruiis y firent attention ; quelques-uns, comme Strabon, crurent que c'était nue fraude; mais, quand on reconnut que l'art n'y était pour rien, la curiosité et l'étonnement s'accrurent: les poésies et les légendes se mnltiplièrmt; les Grecs, habitués à composer l'histoire avec les homonymes, dirent que c'était la statue de Memnon, parce qu'elle se trouvait dans les Memnonia ou quar- tiers des tombeaux, et que chaque matin ce fils de l'Aurore saluait sa mère. Bientôt la célébrité du colosse et de sa voix surpassa celle de tous les autres monuments de Thèbes; aussi, de Néron à Septime Sévère, les jambes et le piédestal se couvrirent-ils d'inscripUons attestant l'admiration des curieux. Septime Sévère crut qu'il serait bien de restaurer le colosse, dans l'espoir que sa Toix augmenterait de volume et contribuerait mieux que les persécutions à remettre le paganisme en honneur : mais cette opération, au lieu de ranimer la voix, l'éteignil pour toujours. Plus récemment, W^ilkinson prétendit avoir découvert que le son était pro- duit par une personne qui, cachée dans une niche, frappait contre une pierre sonore fixée sur la poitrine, pierre qui rend encore à présent le son métallique ((b; yjx>xoio 'n;7ceTo; ) entendu de son temps par Julie Balhilla. Mais le fait ne paraît pas suffisamment prouvé. On peut croira de plus qu'existant dans la partie restaurée du corps, celle niche y fut placée plus tard pour suppléer ar- tificiellement au phénomène qui avait cessé. On a présenté, il y a peu, à l'Aca- démie française un écrit dans lequel ce son était attribué à un développement d'action électrique. M. Sellier revint sur cette question devant la même Aca- démie, en la présentant non plus comme conjecture, mais comme théorie, à l'aide de nombreuses expériences tendant è démontrer qu'il existe des re- ^ 428 DBUXIÈMB ÉPOQVB. dieu, soit le génie du son et de la lumière. Nous n^entrerons pas dans Texamen d^autres questions vivement débattues entre des savants du premier ordre avec des arguments d'un poids égal; nous nous sommes contenté d'en tirer, non sans peine, cette esquisse des doctrines sacerdotales. poJÏSfre. A côté de ces dernières subsistaient les croyances matériel- les, déplorable égarement des descendants de Cham. Diodore rapporte qu'un roi, tout exprès pour entretenir la discorde en- tre les Égyptiens, avait enseignée une province le culte d^un dieu, à une autre celui d'une divinité différente. Les religions ne s'imposent pas de la sorte. Mais il est vrai que cette diversité de dieux était une source perpétuelle de dissensions. Du temps des Romains, les habitants de Gynopolis combattaient pour les chiens sacrés contre les Oxyrinchites ; les Ombites firent pour les éperviers la guefre aux Tentyrites. Anj^nj»» Avec le progrès des idées, Fon a cherché des motifs naturels ou de gratitude au culte des différents animaux et de certaines plantes ; on a voulu y apercevoir des indications astronomiques ou des symboles ingénieux, confirmés quelquefois par leur ap- plication aux hiéroglyphes. Le singe cynocéphale signifiait la lune, parce que la femelle est sujette au flux menstruel; ou la caste sacerdotale, parce qu'il ne mange pas de poisson : le sca- rabée , dont la figure se trouve par milliers sur les antiquités égyptiennes, exprimait la puissance créatrice; le lion, l'inon- dation du Nil, par suite de coïncidences astronomiques; le cro- codile , l'eau potable ; le serpent, le temps indivisible ; le chat détruit les rats ; la gazelle fuit dans le désert à la crue du Nil, et, par la régularité d'un acte naturel, elle marque la division du jour en douze heures. De même parmi les plantes: le pal- mier, dont les rameaux se renouvellent chaque année, était le lalions entre la production du son et le développement de l'électricité. Noos rapporterons la suivante : si Ton répand sur une plaque vibrante de la poaJre de silex , elle se fixe sur les lignes nodales ; si à sa place on emploie la colo- phane réduite en poudre impalpable, il arrive au contraire que les lignes oo- dates se dépouillent et que les parties vibrantes se couvrent de résine. Orjcs lignes nodales attirent le verre pulvérisé, qui s'y amasse en tourbillon ; elles se dépouillent en employant la colopliane, qui fuit de même en tourbilionoani, tandis que les cavités intermédiaires Tarrêtent. Ces dernières possèdent l'élec- tricité posiUve, les premières la négative : d'où Ton déduit que dans un corps sonore Télectricité se divise en tractions. RBUGION DES EGYPTIENS. 429 symbole de Tannée ; Tognon de mer (xpoVîAuov, scylla mariti- ma) était vénéré comme remède contre Thydropisie (1), le lotos surtout (nymphœa Tielumho) était considéré comme sacré : sur lui reposaient les dieux de TÉgypte, de même que ceux de l'Inde, et il leur servait d'ornement. Il devait cette vénération à sa ressemblance avec le phallus. On croirait à tort que tous les animaux de la même espèce fussent sacrés, et que dès lors on ne s'en nourrît pas : quelques individus seulement étaient gardés avec soin aux frais de l'État, servis par les plus hauts personnages , et leurs obsèques se cé- lébraient avec une pompe incroyable. L'ibis et le bœuf Apis luis. recevaient les plus grands honneurs. Le premier^se nourris- sant de serpents sur les bords du Nil , annonçait sa crue par son apparition (2) ; on lui attribuait une pureté virginale, un in- violable attachement pour le pays natal, au point de se laisser mourir de faim quand on le transportait ailleurs; il connais- sait les phases de la lune , et réglait sa nourriture en propor- tion. Les Égyptiens rélevaient dans l'enceinte des temples, et le laissaient errer par la ville : le tuer, même involontairement, était un crime capital; et l'on disait que si les dieux avaient pris une figure quelconque, c'eût été celle de Pibis. A sa mort, il était embaumé avec tout le soin que Ton mettait à préserver de la corruption le corps de ses parents : aussi en trouve-t-on un grand nombre dans les tombeaux, et en existe-t-il des re- présentations à rinfmi. Le bœuf Apis naissait d^une génisse fécondée par un rayon Apis. céleste; il devait être noir, sauf un triangle sur le front et un croissant au flanc droit, avoir de plus sous la langue une ex- croissance de la forme d'un scarabée. Dès qu'un Apis était dé- couvert, on allait le chercher en grande pompe ; il était nourri durant quatre mois dans un vaste édifice ouvert au levant ; puis on annonçait une grande fête, après laquelle il était con- (1) Les admirateurs de TÉgypie ont prétendu qu'on y révérait dans Tognon la ligure de la terre et sa stratification par couches. U nous semble plus pro- bable qu'il était en honneur aux environs de Péluse parce qu'il était un remède contre une cruelle maladie du genre de la tympanite , occasionnée par les exhalaisons du lac Serbonite, imprégné de soufre et de bitume. (2) « Les ibis, dit Hérodote, ont la tête et le cou déphimés sur le devant , des plumes blanches, excepté sur la tête, à la nuque, è Textrémilé des ailes et au croupion, où elles sont noires. » On débattit le point de savoir de quelle variété il était question; Cuvier décida qu'il s'agissait du ISumenius Ihix, 4âO DEUXIÈME lÎPOQUE. duit à Héliopolis^ où il était nourri pendant quarante jours par les prêtres dans le temple. Amené enfin àMempbis^ dans le sanctuaire de Phtha, il y recevait les adorations de toute FÉ- gypte. Mourait-il? le deuil était général , jusqu^à ce que Ton en trouvât un nouveau, et il était enseveli dans le temple de Sérapis ou dans le tombeau des rois. Chaque animal était d'ailleurs consacré à un dieu qui, dans les représentations figurées , en portait quelques-uns des traits caractéristiques : de là les sphinx , les canopes , les bizarres figures des dieux et les accouplements étranges, caractère dis- tinctif de Part égyptien, prauquc». Le culte d'Osiris devait porter les Égyptiens à imiter ce dieu, en répandant l'agriculture et les arts , en combattant Typhon, c'est-à-dire en empêchant l'envahissement de la mer d'un côté, des sables du désert de l'autre. Leur croyance les conduisait ce- pendant à des pratiques étranges; ils ne mangeaient jamais de froment; ils faisaient leur pain avec To/yra, espèce de seigle (1), et ils réputaient immondes certains animaux, surtout les porcs. Un soldat romain, ayant tué par hasard un chat, fut massacré par le peuple en furie, malgré l'intervention du roi et le nom for- midable de Rome. On dit que Gambyse fit placer en avant de son armée une rangée d'animaux sacrés, et que les Égyptiens se laissèrent mettre en déroute pour ne pas th'er sur eux. Sous Adrien, Alexandrie fut dans le trouble et la désolation, parce qu'on ne trouvait pas de bœuf Apis. Lors des fêtes d'Isis, hom- mes et femmes se battaient et commettaient mille obscénités. On accourait en foule aux oracles des animaux érigés en dieux; et il est presque hors de doute qu*pn alla jusqu'à leur sacrifier des hommes. La religion égyptienne est donc un tel mélange de ce qu'il y a de plus sublime et de plus abject , que l'on dirait impossible d'y introduire jamais un parfait accord (2). Les prêtres devaient pourtant y être parvenus, puisque les institutions religieuses y jetèrent de si profondes racines. Deux fois les Perses envahirent l'Egypte ; le despotisme des Grecs y dura trois siècles, puis (i) c'est ce que croit Galien. D'autres ont dit que c'élail le riz; mais il parait que ce grain, qui est aujourd'liui le principal produit du pays, n'y a éié iotro* duit de rinde que sous les califes. (2) ConsuUez Cliampollion, Panthéon égyptien. Paris, 1823. — J}ie My- thologie der Mgypter, dargestellt vou Kourad Schweuck, Francfort, ISio* (Note de la 2* édit française.) LBS UIÉfiOGLYPHE». 481 radministration romaine^ et néanmoins ces institutions résis^ tèrent à Pinfluence étrangère. Au moment même où ils per- daient leur indépendance nationale, les Égyptiens triomphaient par la religion, et non-seulement ils conservaient intacts leurs autels et leurs dieux, mais ils étendaient sur les vainqueurs le mystérieux empire des âmes. Les Ptolémées et les empereurs romains révérèrent, tout aussi bien que les Pharaons, le roi Osiris et le prêtre Hermès, érigèrent des temples et des obélis- ques à leur divinité, en briguèrent la parenté dans des titres fas- tueux; et la langue grecque et la latine, à Tenvi des hiérogly- phes, exprimèrent l'adoration et les offrandes. CHAPITRE XXI. LES HIÉROGLYPHES. Sur les pyramides, sur les temples, dans les hypogées, sur les obélisques, sur les caisses et les enveloppes des momies, on voit dessinées par milliers des figures d'un aspect aussi riche que bizarre : les astres s'y mêlent aux animaux domestiques et sauvages; on y trouve des hommes entiers ou des membres du corps humain, dans toutes sortes d'accoutrements, avec tout ce qui naît dans les champs ou sert à Thabillement , à la dé- fense, à la commodité de la vie ; joignez-y un assemblage de lignes droites, courbes, brisées, réunies çn figures de toute sorte ; puis, comme si la nature ne suffisait pas, viennent les produits de l'imagination, et des ailes sont attachées au qua- drupède, des têtes d'animaux au buste de l'homme, des vi- sages humains accouplés à des monstres inconnus. Le vulgaire, en présence de cet amas incohérent, ne savait qu'admirer cette extravagance fantastique ; le penseur regret- tait de ne pouvoir sonder le mystère des siècles qu'il croyait caché sous ces figures. Maintes tentatives faites pour soulever le voile demeurèrent sans résultat, et le P. Kircher (1), qui (1) Voy. Œdiptis jEgyptitis,-^ Obeliscus Pamphilius, 1630-1676. Pour la gloire de ritalie, il faut rappeler qu'un siècle auparavant Pietro Yàlerianq avait jugé alphabétiques certains groupes d'hiéroglyphes. Voy. Hiéroglyph.f I. XLYII, ch. xxvii, p. ô7. —Plus tard, Samuel Shuceioad (Histoire du 432 DEUXIÈMB ÉPOQUB. consacra ses travaux à étudier les obélisques transportés à Rome, quoiqu'il dépassât tous les autres par son immense érudition, obtint un si faible succès, que les savants européens considéraient comme désespérée l'interprétation des hiéro- glyphes. Cependant , de même que Ton croyait que Thômme s'était élevé de l'état sauvage à la vie sociale, qu'il était parti du cri et de l'interjection pour arriver à expliquer par la parole les pensées les plus subtiles, les sentiments les plus exquis, de même s^était répandue l'opinion que pour donner de la stabi- Uté à ses idées, il avait d'abord inventé l'écriture idéographi- que, c'est-à-dire l'art de représenter les idées des choses, non leurs noms. L* écriture hiéroglyphique passait pour telle ; puis, en l'abrégeant et en la perfectionnant, on aurait trouvé les ca- ractères syllabiques comme ceux des Chinois, et enfin l^écriture alphabétique. Rien de moins naturel pourtant que ce passage. Comment, en effet , une écriture sans aucune relation avec la parole, pei- gnant à Fœil les objets, non les paroles, pouvait-elle engendrer un système dans lequel se retracent, non les images, mais les sons? Supposez une écriture représentative aussi parfaite que vous le voudrez, elle n'exprimera jamais la plus simple pro- position , même analytiqueinent. Celui qui croira qu'elle peut suggérer la pensée de signes propres à noter les uns après les autres les éléments de chaque mot, pourra aussi bien croire que la vue du Jupiter Olympien peut suggérer la manière d'é- crire son nom (1). monde, l730, P. II, p. 282) pensa que les signes idéograptiiques pourraient être mêlés avec des groupes alphabétiques. (i) Le dernier à soutenir que Talphabet est sorti des hiéroglyphes fut TÂl- leoiand Knopp dans le Scri/t aus Bild, où il prétend que tous les alphabets existants sont une altération damages et de symboles. Si nous observons en effet l'alphabet phénicien, dont ceux de l'Europe sont dérivés, nous voyons que aleph dans leur idiome veut dire taureau, et qu'une tête de taureau re- présente l'A; 6at^ signifie maison, et le B en a la forme; dalet est porte, et le D en représente une. Si nous en venons à nos langages modernes, le B repro- duit la forme de la bouche quand elle prononce cette leUre; de même l'O; TS, le serpent, etc., etc. Mais cela ne nous parait indiquer autre chose, sinon que le premier des alphabets fut imitatif des ligures dans la forme des lettres. Avant Knopp, CbampoUion avait remarqué une grande différence entre l'al- phabet figuraUf des Égyptiens et celui des Hébreux. Groguet, avant ce dernier {Voyage de Norden, notes et éclaircissements, t. HI, p. 296), avait considéré les hiéroglyphes comme des majuscules calligraphiques de l'alphabet liébreu. LBS HII^ROGLYPHIS. 433 Cependant les Égyptiens, dans leurs anciennes traditions, attribuent à Thaut ou à Hermès l'invention des seize lettres pri- mitives que les Grecs disaient avoir reçues de Cadmus(l)^ les seules dont on ne puisse attribuer Porigine à un personnage historique, et qui suffisent à exprimer quelque son que ce soit sortant de la bouche de l'homme ; synthèse profonde dépassant tellement les lois naturelles de Pintelligence, que beaucoup pensent qu^elle ne saurait avoir pour auteur que Dieu lui- même, ou les patriarches antédiluviens, éclairés par sa vi- sion. Quand cependant on désespérait de Texplication des hiéro- glyphes, la lumière arriva tout à coup, à la suite d'un événe- ment dont le but était tout autre. Napoléon, dans l'intention de fi'apper les Anglais au cœur et d'exécuter le grand des- sein conçu jadis par saint Louis, débarque en Egypte, et, au milieu de triomphes et de désastres, il envoie des savants explorer le pays. Au nombre de leurs découvertes, qui , au contraire de celle de Colomb, révélèrent un monde antique oublié, l'inscription de Rosette fut peut-être la plus importante, inscription Haschid ou Rosette est la plus délicieuse des villes de PÉgypte ; elle est à cinq milles environ de la mer, rafraîchie par les vents du nord, entourée de riantes campagnes aiTosées par le bras du Nil qui se jette dans la Méditerranée, près l'ancienne bou- che Bolbitine. Lorsque les Français, s'occupant de la fortifier, nettoyaient un fossé, ils en tirèrent un obélisque portant une triple inscription, grecque, démotique et hiéroglyphique. Comme ils en reconnurent le prix , ils songèrent à l'expédier aussitôt à Paris; mais elle tomba entre les mains des Anglais, et fut portée dans le musée britannique. Si les trois textes n'é- taient que la traduction l'un de Pautre, on avait enfin trouvé le moyen de lire ces hiéroglyphes impénétrables. Les mots grecs révéleraient le secret des autres ; l'Isis mystérieuse lais- serait tomber le voile de sa face; aussi par toute PEuropè ré- sonna joyeusement le mot d'Archimède ; Je Vai trouvé; et Le Pruss'en Sickler a fait depuis, sur ce sujet, un très-beau travail, intitulé : Die heilige priester Sprache der Egyptier als eindemsemitischemSprach' stamme nahvenvandter Dialekt aus historisehen Monumenten erwiesen. 1822-24. (1) a, b, g, d, e, i, k, 1, m, n, o, p, r, s, t, u. Les huit autres lettres ajoutées en Grèce par Palamëde et par Simonide, ainsi qile les innombrables variations introduites dans les antres alphabets, rentrent dans celles-ci. T. I. 28 434 DëUXIBHB bpoqub. Sylveçtr^de Sacy^ Ackeirblad^ Pahlin.Younget d'autres savants^ s^^ppliquèrent à déchififrer ces textes précieux. Mais les difficultés se révèlent à l^œuvre. Comment expli- quer ces hiéroglyphes, si l'on ignore la langue qu'ils ont eue à exprimer? Telle qu'elle soit , les noms propres étrangers devront être identiques dans toutes^ et la lecture de ceux-ci donnera la clef des autres. Noua avons dit les noms {propres étrangers^ car ils œ représentaient aucune idée dans le langage parlée que Pon pût traduire en signes idéographiques. Or, l'inscription de Ro^ sette offrait précisément beaucoup de ces noms : par noalbeur le commencement, où ils se trouvaient; en était mutilé et nei conservait que le nom de Ptolémée(i). Mais uae circonstance (1) L'iuscriptioii d6 Rosette se compose d'abord de beaucoup de signes hié< roglypUiques dont le commenceaieni manque, puis de 34 ligues en égyptien, enfin (ie 53 en grec. MM. Marcel, directeur de rimprimerie friknçaise au Caire, et Gai land, employé dans cet établissement, en tirèrent aussitôt une copie qui fut envoyée en France. Ameilhon publia, en 1801, le premier éclaircissC' in€ntqvâ révéla au monde littéraire une aussi importante conquête; mais son étude ne portii que sur le grec. Eo 1802, fe savant orientaliste Sylvestre de Sacy, dont la perte semble irréparable, s'occupa de la partie égyptienne, et le savant Suédois Ackerblad lui adressa quelques lettres à ce sujet. (Ambu^ HON, Éclaircissements sur Vinscription grecque du monument trouvé à Rosette, I801. — Sàcv, Lettre au citoyen Chaptal, au sujet de Vinscrip- tio» égyptienne du monumetit, etc* Paris, 1802. — Agkerblad, Letire sur Vinscription égyptienne de Rosette. Paris, 1802.) Vinrent ensuite le Sué- dois comte Pahlin et Cousinery , celui-ci dans le Magasin encyclopédique de 1807-1808, celui-là dans V Analyse de Vinscription en hiéroglyphes du monutnent, etc. Dresde, 1804. Quand ensuite la pierre fut portée à Londres, Grauville Pemi publia exactement Tinsciiption grecque, puis la Société d'ar- cliéologie de Londres ât graver, de grandeur naturelle, les trois ÎDScriptiens, qu^ fwent reproduites de la ménie manière à Municb, en 18 17. Ce\ix qui s'en sont occupés par la suite ont travaillé sur ces exemplaires. — Parmi les publi- cations auxquelles a donné lien, depuis trente ans, Tinscription de Rosette, oo peut ciler : J^isiorisch-antiquarisckc untersuekktngen wber JSgypten odeir^dU nu* chrift von Rosette aus dem Griechischen uberset%t und erldutertf v^ D' DRUMANN.Kœnigsberg, 1823. JEssai sur le texte grec de Vinscription de Rosette, par Ch. Lenorhant. Paris, 1840, in-4°. Inscription grecque de Rosette, texte tt traduction littértUe aecomptr gnée d'un commentaire criiiqm, historique et archM»giquef par M. Ls- TRONNE. Paris, 1840. Firmin Didot. Analyse gramjnaticale du texte déws^tiquB du déeret de Ra$ette, par Fr dj&Saulcy. V psrUe. P^^'is» lft4ât, in-4*'. Inscriptio Roseitana hi^rogluphiea, vel iBterpeêimUo éeerêH Momtiam LBB HlBaOGL\PHBi. 436 favorable fit qiie l^Italiên Belzoni trouva à Philé et transporta en Angleterre la bade d'un obélisque sur laquelle se trouvait^ en écriture hiéroglyphique et grecque, en outre du nom de Ptolémée^ celui de Cléopâtre. Dans ces deux noms sont em^ ployées six lettres pareilles, P,T, L, A, E, 0, qui, comparai- son faite, prouvèrent qu'il existait deâ signes alphabétiqueà dans les hiéroglyphes. On s'était d^à douté que les noms de roiâ étaient renf^tnés dans certains parallélogrammes dits car^ sacra Ungua litterisque tacris vetemm ^gi/ptiorum redactsb pûrtU , studio Hekhici Brcgsch. Beroliiii, 1851, in-4*. (Note de la 2* édit. française.) Voici la version des six premières lignes du texte grec, faite par M. Ameilhon : REGNANTE (REGE) JUTENE ET SUCGESSORE PATRIS IN REGNUM, DOMINO CORONARUM PBRILLD8TRI, ^YPTI 8TAB1L1T0RE ET RERUM QUiE PBRTIMENT AD DE09, MO BOSTIUM fICrORE, VlTiE HOMINOH BMENDATORE, DOMINO TRM31NTA AMNORDM PKRIODORUlf» SIGCT TULCANUS ILLE HA0ND9) REGE SICUT SOL, MAGNU8 REX, TAH ftOPERlOHVII QDAM INFERIORCH REGIONOM; GNATO DEORVI PBILOPATOIUM; QOBII T0LCAN08 APPRO* BATIT, COI SOL DEDIT TICTORIAM, IMAGlNB YIVBNTB IOTIS, FILIO SOLIS, DILECTO A PHTHA, AMNO MONO, SCB PONTIFICE iGTE {SftM. FlLIO), ALEXANDRI QCIDEM VT DBOIDK SOTEROM ADELPBORUll, ET DEORUM EVERGETOM, ET DEOROM PHILOPATORDM, BT DEI EPIPRANM GRATfOSi; ATBLOPBORA BERENICES BYER0ETIDI8 PTRRHA , FILIA PHlUNi; OANOPHORA ARSINOES PH1LADELPB£ AREiyi, FILIA D10GEN18 ; 8ACERD0TB ARSUIOES PfliLOPATORES, IRBNB, FILIA PTOLOM/GI ; MBNSiS XANDICI QUARTA DIE, iEOTPTIORDM f BRO HECflIR OCTODECIVA ; DECRETtM. Cette cartéphore Arsinoé dément, du moins pour cette époque, TaMeHioiï d Hérodote, qu'il n'y avait pas de prêtresses en Egypte. LMiiscription de fobélisque de Philé porte : Au roi Ptolémée, à la reine Cléopâtre sa sœur, à la rHne Cléopdlre sa femme y dieux évergètes, salut, Nous, prêtres d'Isis, adorée à VAbaton et à Philé, déesse très-grande; Considérant que les stratèges, les épistates, les thébarques, les chan- celiers royaux, les épistates des corps préposés à la garde du pays, toui les officiers publics qui viennent à Philé, les troupes qui les accompa» gnent, et le reste de leur suite, nous obligent à leur fournir de V argent ^ ce qui fait que le temple en est appauvn et que nom risquons de n* avoir plus de quoi suffire aux dépenses légales des sacrifices et des libaUons qui se font pour votre conservation et celle de vos enfants; '*., ffous vous supplions, 6 dieux très-grands, de faire écrire par votre pirent et épistolographe Numenius^ à Lochus votre parent et stratège de la Thébaide, de ne pas user avec nous de vexations pareilles et de ne pas souffrir qu'il en soit usé par d'autres; de nous donner à cet effet les or- donnances et autorisations habituelles, dans lesquelles nous vous prions d^insérer Vautorisaiion d*élever une stèle oU nous inscrirons le Hertfait exercé par vous à notre égard dans cette occasion, afin que cette stèle conserve un éternel souvenir de la faveur que vous n&us attrez accordée. SHl en est ainsi, nous et le teniple serons en ceci, comme nous sommes en d*autres choses, vos très-obligés. Vivez heureux, — Yoy . Lelronne, Inscr» d^Égyptty t. II, |r. 337. 28. 436 DBUXIÈMB éPOQUB. touches; t)r Tinscription nouvelle en était la confirmation^ et comme les monuments sont pleins de cartouches semblables, on s^assura^ en les étudiant, qu'il y avait dans les hiéroglyphes des caractères alphabétiques dont on put alors vérifier la figure. Voilà en quoi consiste la découverte de Champollion (i) , déjà indiquée dans ses lettres à Dacier en 1822 y puis dans le Précis du système des hiéroglyphes, publié deux ans après; dé- couverte perfectionnée dans le voyage qu'il fit en Egypte et en Nubie^ déposée enfin dans la grammaire (2) qu^en mourant^ (1) D'antres nations dispatent à la France l'iionneur de cette déconcerte. Les Anglais mettent en avant le docteur Yoong, auteur de rarticle Egypte, dans VEncyclopcedia Britannica, 1819, et de V Account qfsome récent dis- coveriesin hiéroglyphe lïtter, (Londres, 1723); les Allemands, le célèbre Spohn, qui , dans ses Mémoires, proposa des règles excellentes pour rexplica- tion de ces énigmes Seypfarth, son élève, professeur à Leipzig, dans ses HtidiTnenta hieroglyphica (Leipzig, 1826), alla plus loin que Champollion sur quelques points. Dernièrement, Pahlin publia ses Nouvelles recherches sur V inscription en lettres sacrées du monument de Rosette (Florence, 1830), où il s'approprie la découverte de Champollion. Elle ne constituerait, selon lui , qu'une fausse application des principes établis dans son Analyse de Vinscription de Rosette (Dresde, 1804) et dans ses Fragments de Vétude des hiéroglyphes. Lëkoruant, Sur le précis du système hiéroglyphique de Champollion le jeune, iSSO.^" Recherches sur Vorigine, la destination chez les anciens, et V utilité actuelle des hiéroglyphes d'HorapoUon, 1838, in-4''. (Mote delà 2« édition française.) (2) Grammaire égyptienne ou principes généraux de Vécriture sacrée égyptienne^ appliquée à la représentation de ta langue parlée, par Chah* POLLION LE JEUNE, pubUéc sur U manuscrit autographe. Paris, 1836. Dictionnaire égyptien en écriture hiéroglyphique, par Champollion u JEUNE, publié d* après les manuscrits autographes, par M. champoluon- FiGEAC. Paris, Firmin Dtdot. 1841, in-fol. — Catalogue des signes hiérogly' phiquesde Vimprimerie nationale, dressé par M. E. nERoucÉ, conservateur des monuments égyptiens* du musée du Louvre. Paris, 1851, iu-4**. (Note de la 2" édition française). On peut consulter encore les ouvrages suivants : Conjectures sur l'inscription de Rosette, par Pahlin, 1804. Spiegazione délia statua egizia de Ozial, 1824. Explication du zodiaque de Denderah, 1824. Atti de VAcademia di Tonno, t. XXIX, XXXIY, etc. IHssertazioni di Peyron, Gazzera, San Quintino... Essai sur les hiéroglyphes égyptiens, par Lagour de Bordeaux, 1821. Horapollinis Niloi hieroglyphica , de Conrad Leemans; Amsterdam) 1835. U fait connaître tout ce que Ton sait à ce sujet jusqu'à présent; mais sa LES HIÉEOGLYPHBS. 4d7 jeune encore^ il recommanda aux soins de son frère comme son titre de gloire près de la postérité ; et la postérité fera jus- tice^ au milieu des grands éloges et des vives oppositions (i) neutralité entre CliampoUion et Seyffartli n'est pas ce que Ton pouvait désirer de lui. Analyse grammaticale et raisonnée des différents textes égyptiens (Paris, 1837), de Francesco Saltolini, élève de CtiampolUon. Le 1*' vol. con- tient le texte hiéroglyphique et démotique du monua^eot de Rosette. En 1825, il avait annoté le manuscrit d*Aix que nous avons cité. Il mourut à TAge de vingt-neuf ans. TouNG, Rudiments of an egyptian dictionnary in the ancient enchorial character containing ail the words of which the sensé has been ascertai- ned. Londres, 1831. Spohn, De lingua et litteris veterum jEgyptiorum, ete, Edidrt et ahsolvit H. Seyffàrth. Leipzig, 1831. J. BuRTo:^, Excerpta hieroglyphica, 1828-1830, au Caire. Or. Félix, Note sur les dynasties des Pharaons avec les hiéroglyphes précédés de leur alphabet. Au Caire, 1828, et Florence, 183S. Zardetti, Letiera sopra due antichi monumenti egizii, etc. Milan, 1835. W^iLKifisoN, Maleria hieroglyphica. Malle, 1828. La l'* partie est un tableau des divinités; la 2% de Thistoire ancienne. KosEGARTEN, De prisctt jEgyptiorum litteratura commentatio prima, VTeimar, 1828. Reuvens, Lettres à M. Letronne sur les papyrus bilingues et grecs, et sur quelques autres monuments gréco-égyptiens du musée d'antiquités de Tuni- versité de Leiden, 1830. Papy ri grxci musei antiquarii publiçi Ludguni-Batavi, Edldit Conrad Leemans. Ludguni-Batav., 1843, in-4*. IDELER, ffermapion, sive rudimenta hieroglyphica veterum jEgyptio^ rum lUleraturx, Leipzig, 1836. NoRK, Versuchte der hieroglyphie, Leipzig, 1837. Got}LiAisoFF, Examen critique de la théorie de CAampoZ/ion. Dresde, 1836. Examen de quelques points des doctrines deJ.-F, Champollion^relati-' ves à V écriture hiéroglyphique des anciens Égyptiens ^ par M. En. Dulau- RIER. Paris, 1847. Scriptura JEgyptiorum demotica ex papyris et inscriptionibus expla- nata. Scripsit Henricus brcgsch. BeroHni, 1848. -^ Dii même : NUmerorum apud veteres JEgyptios demoticorum doctrina. Berlin, 1849. —De natura etindole lingux popularis JEgyptiorum. Berlin, 1850. — Samlung demO" tischer urkunden, Berlin, 1850. (Note de la 2* édition française.) (1) Le fameux Kiaproth, l'un des philologues les plus profonds, combattit énergiquement le système de Champollion, et beaucoup d'autres avec lui. U nous suffira de nommer le Napolitain Cataido Janelli, qui non-seulement nie que les hiéroglyphes soient alphabétiques, mais que la langue cophte ait jamais été celle des prêtres, affirmant que les hiéroglyphes sont lexéoschèmes, c'est-à-dire, signes de paroles. Voyez Fundamenla hermeneutica hierogra- phias crypticœ veterum gentium, sive hermeneutices hierographicx libri ^e». Naples, 1830. — Hieroglyphica ^gyptia ex Horo Apolline^ etc., ex 438 DIUKIKMS EtOQIJB. dont Ohampollion a été Tobjet; eàr il pourrait avoir erré daifs l'application de son système sans que celui*<:i cessât d'être vrai; de mépie que ne serait pas moins vraie la formule géné- rale d'une équation algébrique, parce que son inventeur se se- rait toujours trompé dans son emploi. La plupart des savants paraissent néanmoins avoir admis que la langue des andens Égyptiens n'avait pas entièrement péri avec Fempire des Pharaons^ et qu'elle s'est conservée dans ridiome cophte: bien que celui-ci, dans lequel ont été traduits plusieurs ouvrages ecclésiastiques chrétiens (1), soit altéré sui^ obelisco Flaminio. Ib. — Tabulée Rosettanœ hieroglyphicas et centuriœ sinogrammatum interpr€(aiio ientata. Ib. — Teniamen hermeneuticum in hkrographiam crypticam vetenim gentium, etc. Ib., 1831. (1) Les livres copbtes sont écrits en trois dialectes : saïde ou thébain; baï- rien ou mempbitique;basmurien,dela basse Egypte. M. Quatremère asoutena, avec nombre de preuves à Tappui, que la langue cophte est l'ancien égyptien. (Meeherchea critiques et historiques sur la langue et la littérature de V Egypte,) I il est tnoins dif'- férent de ridiome antique que ne le sont nos langues modernes de celles parlées il y a mille ans. L'égyptien était monosylla* bique. GhampoUion^ bien loin d^admettre cette généalogie de Récri- ture dont nous avons parlé> juge comme nous impossible que la pure image de la chose signifiée devienne jamais l'écriture de son nom> ou qu'un hiéroglyphe passe à Pétat phonétique sans avoir été précédé par Talphabet des sons. Les Égyptiens faisaient donc usage contemporainement de trois genres d^écH- ture : la démotique ou écriture vulgaire y pour les besoins ordi- naires de la vie; V hiératique ou Sacerdotale > dans les livres ou sur le papyrus; V hiéroglyphique ou monumentale. Aucune de ces écritures ne pouvait toutefois exprimer la simple pensée tant que lui aurait manqué le secours de ]a phonétique ; aussi ChampoUion et Seyffarth s^accordent-ils à croire que Palpha*- bet a été le germe des symboles hiératiques et hiéroglyphi- ques (1), qui ne constituaient qu^une calligraphie , un artifice pour soustraire la science au vulgaire ou pour faire que les idées frappassent davantage les sens. Parmi ces caiactères^ quelques-uns sont des imitations plus ou moins fidèles des objets naturels; comme ils ornaient les monuments publics^ on mettait le plus grand soin à les dessi- ner et à les colorier. Leurs formes furent simplifiées pour les usages plus habituels ; on les tronqua et on les réduisit à une seule couleur^ ou même à de simples contours; enfin, elles fu- rent altérées par des abréviations dans récriture démotique^ au point qu'elles conservent à peine trace de leur ancienne provenance. Il est à observer que dans tout ce que nous con- naissons d'hiéi*oglyphes, en remontant jusqu'à ceux qui se lisent sur les très-antiques débris dont fut bâti plus tard Vancien tem- ple de Karnac, et en descendant jusqu'aux Romains, il n'y a rien qui indique la diversité d'époque : même genre , même style, à tel point que Ton peut les considérer comme inventés tous dans le même temps, et aussitôt après la formation de la mythologie égyptienne (2). Les écritures hiératique et démoti- (1) Nous laissons à Tauteiur la responsabilité de cet accord prétendu entre Seyfrarth et Cbampoliion : ce dernier n'a jamais pu dire que Talpbabet avait été le germe des symboles biératiques et hiéroglyphiques. (Note de la 2' édit. française.) (2) La diversité des éléments de récriture hiéroglyphique, dit cependant 440 DEUXlàMB EPOQUE. que procèdent de droite à gauche; celle hiéroglyphique^ de méme^ ou en sens contraire ou perpendiculairement; on en reconnaît la direction à celle des animaux. Voilà pour la forme : quant à la substance^ Pécriture hiéro- glyphique se sert tour à tour de limitation, de la similitude, de la représentation des sons. Les hiéroglyphes y^wra/t/s copient l'objet au naturel; lès tropiqtieè on symboliques réveillent Tidée par une similitude prochaine ou éloignée, se rattachant aux doctrines ou aux opinions. On voit, dans Tinscription de Ro- sette, enfant, statue, aspic exprimés par leur propre image ; ils sont donc figuratifs. En signes symboliques, la lune indique le mois; le roseau, écrire; Fabeille, le peuple obéissant; le scara- bée, le monde; le mâle, la paternité; un serpent horizontal, le roi; tortueux, le cours des astres. En langue égyptienne, éper- vier se disait baieth, et ce mot exprimait aussi Tâme, de bai, âme, et et h y cœur : un épervier figurait donc Pâme, par la même raison qu'un papillon la représentait chez les Grecs (1). Ce qu^il y a de plus difficile est précisément d^entendre ces énigmes; mais, d'un côté, le livre d'Horapollon, de Pautre, Pinduction et la comparaison avec les textes hiératiques , ont été d^un grand secours (1). M. Brunet de Presles, montre qu'elle est née et qu'elle 8*est développée gra- duellement sur 1^ même sol. Elle n'a pas le caractère d'unité de l'écriture importée cliez les Grecs. On voit que plusieurs siècles ont travaillé à pallier ses imperfections primitives. Elle ressemble à ces vieilles cathédrales, œuvres de plusieurs siècles, qui ont imprimé chacun leur caractère à quelque partie, ou à ces constitutions anciennes qui conservent encore des traces de barbarie dans certaines dispositions inusitées et non abolies. De même, dans l'écriture, les Égyptiens n'ont jamais voulu se défaire de méthodes qui trahissaient l'en* fance de l'art , et les scribe* des derniers temps, en faisant souvent asage d'ar- chaïsmes calligraphiques, ont augmenté l'obscurité inhérente à ce système. Voy. Des Hiéroglyphes, par M. W. Brunet, p. 7. (Note de la 2« édition française. ) ( 1 ^ Vvxvi, âme et papillon. (2) Par exen)ple, sur un papyrus reporté dans le grand ouvrage sur l'Egypte, le nom du mort se trouve reproduit une multitude de fois, presque toujours en signes phonétiques, et on peut le transcrire Ptamn, c'est-à-dire PetamoD. Sur le papyrus lui-même, il est parfois noté par les deux signes phonétiques p t, puis un obélisque. L'obélisque est donc le symbole d'Amon. Dans le pliw grand rituel du musée égyptien de Turin, dû à vingt années de recherches da chevalier Drovetti, le nom du défunt Auphonch revient plus de quatre cents fois, tantôt entièrement écrit en signes phonétiques, tantôt avec ces quatre seuls , Auph, et le signe appelé clef du Ml ou croix ansée : celle-ci est donc le symbole de la vie, qui en cophle se dit onch. Voy. Dos Todlenhuch der LB8 H11ÊR0GLYPHBS. 44t Les caractères phonétiques ne diffèrent pas des autres dans la forme matérielle^ étant eux-mêmes des images de choses sensibles; toutefois ils ne figurent plus l'idée^ mais le son^ Pal- phabet. Le principe général à cet égard fut de représenter un son par Pimage de quelque objet dont le nom dans la langue parlée commençât par la lettre qu'on voulait exprimer. Ainsi, dans Finscription de Philé, les trois premières lettres du nom kLCssandre sont écrites par un Aigle , un Lion et une Coupe , de même qu'on pourrait par hasard le faire en italien comme en français. Mais on aurait pu récrire aussi avec une Abeille , un Livre et un Cercle, ou tous autres objets ; de là dérivent ce grand nombre d* homophones , c^est-à-dire signes différents ex- primant un même son. Bien que les caractères de cet alpha- bet (l) se fixent de plus en plus en avançant, les homophonies en sont la complication la plus ardue; aussi s'en prévalut-on pour repousser l'interprétation de Champollion , en soutenant qu'un peuple ne voudrait jamais adopter un alphabet aussi va- gue et aussi mobile. Les caractères phonétiques sont dans les inscriptions en nombre beaucoup plus grand que les signes figuratifs et symboliques (2) ; ceux des voyelles ont une valeur indéterminée; ils sont même souvent omis, selon Fusage des langues sémitiques : ainsi on écrit sn au lieu de son, frère; rt, au lieu de rat, pied; Amn pour Amon, Trins pour TrajantiSy ce qui sert à écarter les différences de dialectes en ne mar- quant que les radicales. L'écriture chinoise syllabique et celles de PEurope qui sont alphabétiques n^emploient à la fois qu'un système. L'écriture hiéroglyphique, au contraire, mêle ensemble la phonétique et Mgypter nach dem hieroglyphischen papyrus in Turin mit einem Vor- worte zum ersten maie heransgegeben, von D' R. Lepsius. Leipzig, 1842. (Note de ia 2^ édition française.) (1) L'a?g)e ou Tibis d*Herinès, ou bien un bras étendu, indique TA; un œil avec le sourcil, l'E; une cbouette, TU; deux plumes ou deux feuilieSyri; un vase ou un braisier, le B; r.ne flûte, le C; une hache ou un triangle, le K; un lion en repos, l'L ; une ligne brisée, l'N ; un carré, k P ; i^pe bouche ouverte, VK; une ligne droite et recourbée au bout, Y s ; une main, le T. En étendant cette liste, on aurait pu espérer un bon dictionnaire des signes idéaux o i phonétiques; mais quand on pense que chaque caractère est repré- senté par plusieurs signes de ce genre, que les voyelles sont supprimées, et que Salvoiini a calculé des milliers de combinaisons possibles, on peut se deman- der si réellement Champollion mérite les honneurs d'une grande découverte. (2) Champollion affirme avoir reconnu la valeur de 267 hiéroglyphes. 449 niuxiiiifB APOQOI4 l'idéogn^que^ l'alphabet^ les symboIe8> les figures, ainsi ({ue l^on fait parmi nous quand on s'amuse à «composer des rébtis) on peut s'en former une idée en jetant les yeux sur un traité d^algëbre^ où la même ligne présente^ avec les mêmes carao* tëres, des signes génétiques et idéographiques. Cela suffirait déjà pour faire comprendre la difficulté de lire une pareille écriture^ et pourquoi^ après en avoir même trouvé la clef, on n^a pu encore déchiffrer un texte hiéroglyphique entier* Il est pour- tant à espérer que la comparaison de figures innombrables^ de- puis l'immense pyramide jusqu'au plus petit amulette^ depuis l'inscription jusqu^aux enveloppes de momios» associée à la con* naissance de la langue cophte> aidera un jour à lire cette écri- ture mystérieuse. Behsoni^ parvetiu avec d'immenses fatigues à la pyramide de Cephren^ veut y pénétrer; il réussit^ après de longs efforts^ à en découvrir l'entrée, masquée par le travail de l'art et par les décombres. Il se traîne de corridor en corridor^ de puits en puits» à la chambre sépulcrale; il y trouve un sarcophage; mais quoi? ce sarcophage ne renferme que le squelette d'im bœuf. C'est là précisément le cas des hiéroglyphes; car tant de stu- dieuse persévérance n^a jusqu^à présent produit aucun grand résultat. Plus d'une fois, lorsqu'on croyait ouvrir les archives de la science primitive, on n'aperçut que quelque nom de roi^ quelque formule de jugement, ou des inscriptions» soit votives^ soit mortuaires (1). Il en est ainsi dans les choses humaines; on croit y trouver le bonheur et la science, on n'y rencontre que la mort et le néant. (1) Le monument hiéroglyphique itant étudié par Rosellini est interprété ainsi par lui : « Pour ie salut du roi, oblatious parfaites à Amon, roi des dieux protecteurs de Thèbes, afin qu'il accorde aux morts un bon logis ayec nour- riture de bœiifs et d'oies, des YÎvres et de Teau, de la cire, des parfums poor toutes les années de l'inondation, du vin et du lait pour la durée du cours du ^ieil, Seigneur de Tallégresse : que Thaui leur accorde ses purifications daos les assemblées in ciel et de la terre; orfrande faite au Scha! Amonmaï défuoti par son fils Scbai. » B14UK-*A11T8« 44S CHAPITRÉ XXIL DES BBAOJI^AATI MM OÉKÉÈLAh » Bf «rtOULVMIIIt PANS i*lMC |ST BM àù^VTR. Il est un autre aspect sous lequel l'hiéroglyphe doit être con- sidéré ^ c'est-à-dire comme un premier pas dans la voie des beaux-arts (i). Nous le retrouvons en Egypte tel qu'il est dans la Chine et au Mexique. Peindre et écrire s'exprimaient par le même mot chez les Égyptiens et chez les Grecs. Ea effets Tart ne tendait pas dans le principe à imiter la nature^ mais à re- tracer les idées jusqu'au moment où il exprima les images sans plus penser à la signification grammaticale. Tel fut le premier pas qu'il fit pour arriver à son émancipation du Gange au Va- tican. Cependant le symbole dans lequel l'imagination des hommes^ peu distraits par les occupations et les vaines théo- ries sociales, cherchait un appui pour ses croyances^ parce qu'il parlait plus aux sens qu'à la raison et à Tintelligence ; le synibole mettait encore des limites à l'art, C'est pour cela que nous avons déjà vu les Orientaux exprimer les attributs des êtres supérieurs par des figures de bêtes et de monstres hi- deux f en suppléant à l'infériorité de la pensée par la grandeur de l'exécution. L'Ethiopie et l'Egypte peuplaient les temples de sphinx et de colosses d'une nature mixte; les pagodes de PInde renferment des géants aux cent bras et aux cent ma- melles : la force génératrice y est symbolisée par les organes prolifiques ) Siva y a trois yeux^ Brahma quatre têtes^ Ganésa (1) Sortes monuments les plus gttinds comme tes plus péllU, les hiérogly- pbessont ordinairement tracés, avec une neUeté, une finesse d'êxëcntion i|ui permettent de reconnaître tous les objets pris dans la nature; si tes figures d'hommes ont cette roideur et ces formes grêles qui étaient coUsacrées dans iWt égyptien, lés animaux, les oiseaux surtout, sont très-bien rendus. Lors de Texpédition française en Egypte, on supposait que tes hiéroglyphes les mietik sculptés étalent pent»étre l'œuvre des Grecs , et l'on croyait voir dans les autres l'enfance de Fart : l'interprétation des légendes a foit connaîtrai 4n contraire, que tes monuments dont les sculptures sont les plus négligées datent ordinairement de l'époque romaine, et que les plus parfaites remontent aux temps des Pharaons, principalement aux xtui*, xix* et xx* dynasties. Yoy. des Hiétùglypheêy par M. W. Bruitet de Prestes, p. 14, 15. (Ifofé de la v édif . francise.) 444 DBOXIÀMfi éPÔQUE. une tête d'éléphant sur un buste d^homme : le repos de lIÊtre suprême est figuré par des lits magnifiques sur lesquels des dieux chinois^ japonais^ tartares, indiens, siègent revêtus d'ha- bits splendides ornés de diamants , pour représenter leur ma- gnificence surnaturelle. Enchaîné à ^expression de l'hiéroglyphe ou à l'obligation du symbole, Tart ne put prendre son élan avec la liberté qui est son élément; mais quand les Grecs, délivrés de la terreur que leur inspiraient les phénomènes de la nature, écartèrent le voile des mystères religieux, et représentèrent les dieux sous les formes d'élite de la nature humaine , il s'abandonna à son essor, et livra à l'inspiration le choix de l'expression et de la pose. Il y a encore cette différence capitale entre les artistes égyp- tiens ou indiens et les grecs, que les premiers ne sont que de simples traducteurs de la pensée d' autrui, tandis que les autres exécutèrent de leurs mains ce que leur propre génie avait conçu. La caste sacerdotale imaginait un temple, une peinture, une statue, aussitôt des milliers de bras accomplissaient le tra- vail; chaque ouvrier s'y adonnait tout entier, comme un homme dont toute la vie est destinée à un même travail. Un atelier de sculpture est représenté dans la grotte ouverte par Belzoni ; on y voit d'abord une classe qui dégrossit le bloc, une autre mastique les fissures, une troisième dessine les figures en rouge, la suivante les corrige en noir ; puis vient celle qui les sculpte , celle qui leur applique une couleur blanche , celle qui les peint, enfin celle qui les vernit. Voilà ce qui se prati- quait pour les statues : parfois on sciait le bloc en deux moitiés •pour donner le côté droit à faire à ceux-ci^ à ceux-là le côté gauche, puis on rapprochait les deux parties. De là l'extrême finesse à laquelle nous voyons amenés les porphyres les plus durs, de là Fimmensité des constructions auxquelles ne tra- vaillaient pas des hommes, mais des générations : de là encore runiformité, le plan n'étant pas abandonné à la fantaisie d'un artiste, mais impérieusement commandé par l'expression hié- roglyphique ou symbolique , et dirigé par un prêtre. Là , l'ar- tiste n'est qu'une machine ; esclave comme dans tout le reste, il lui faut apporter toute son intelligence mécanique à achever le travail avec une exactitude et un fini incroyables , non à le perfectionner, et cela sans qu'il puisse compter la gloire au nombre de ses récompenses. Ainsi, tandis que les artistes grecs BBÀUX-AAtS. 445 s'immortalisèrent et survécurent à leurs ouvrages^ on demande en vain dans FInde et dans TÉgypte à des monuments qui dé- fient les siècles (1) quels furent les muets sans existence propre dont ils sont les créations. Tous ces motifs firent que, chez ces peuples^ Tari resta dans Tenfance : mais il y a injustice de la part de ceux qui , idolâ- tres des types grecs, avouent à peine qu'il y ait eu des arts avant eux (2). Cependant la théorie des arts, c^est leur histoire, et, dans leur développement grandiose chez les divers peuples, nous trouvons une progression technique, sinon égale, au moins semblable. Et d'abord ils ont partout les mêmes sources d'inspiration : la religion, la poésie, l'histoire. La religion domine dans les formes plastiques de la croyance d'un peuple : la poésie est la peinture parlante, comme Tart est une poésie muette. Homère et Dante, non moins que Kalidasa et les Hermès, inspirent des monuments dans lesquels l'image qui frappe le regard traduit l'image pensée. Les guerres des Pandos et des Koros, les vic- toires de Sésostris et l'expulsion des Hyksos étaient retracées par les Indiens et par les Égyptiens , comme la bataille de Ma- rathon dans le Pœcile par les Athéniens, la ligue lombarde par les Milanais, lors des premiers essais de l'art renaissant, et la conquête des Normands par les Anglais sur les tapisseries an- tiques. L^art, toujours inspiré par les mêmes sentiments, a marché d'un pas uniforme dans les pays les plus éloignés. Plus que tout autre art, l'architecture s'inspire du caractère Archiieciuic. national. Les grottes où s'abritèrent les hommes après le dé- luge furent aussi les premières voûtes courbées par les mains de la Providence pour abriter l'image de la Divinité ou le ca- davre des morts. C'est pourquoi chez toutes les nations on trouve quelques antres sacrés. La Grèce se rappelait la grotte abc du Parnasse , dédiée au dieu Pan et à la nymphe Corcyre ; le ^'^*'** '"**"** labyrinthe, excavation souterraine, servait au culte de Jupiter. Épiménide de Crète passa quarante-cinq ans dans une caverne; dans une autre , Minos reçut ses lois de la main de Jupiter^ Le (1) Wilford pense avoir trouvé dans une inscription d'Ellora le nom de l'ar- chitecte Sakia-Padamrata. Ou n'a conservé dans ie nombre des artistes égyp- tiens que le nom de Memnon, qui sculpta trois statues dans le temple de Tliè- bes. Voy. Diodorb, Uv. I. (2) Winckelmann ne dit pas un mot des Orientaux, et, s'il se souvient des Egyptiens et des Étrusques^ ce n'est que pour les mépriser. 446 BBUXlkMB iPOQUE. Gauease êsi plein de grottes. Reîneg en démvit un grand nom- bre près U ville de Gori^ où Pon trouve Ujphlisziéché , o'est-à^ dire la cité des seigneurs^ dont les portes^ les rues^ les temples, les murs sont creusés dans le roc. 11 en existe-de môme dans la Géorgie^ à Guba^ à Podrona^ et un rocher^ dans le district de Badiil, contient plus de mille cellules : le Paropamise est percé de toutes parts, soit pour le culte, soit pour des usages domes- tiques : Hoek et Bruns ont visité les souterrains de Benian (i) : on en trouve dans les hautes montagne® de Mahon^ avec des couleurs parfaitement conservée»; ils sont plus multipliés dans rÉthiopie , dans l^de et dans l'Egypte : perscnme n'ignore ceux que Van trouve à Rome^ dans r£^rie {%) et dans les iles de la Méditerfanée. Ainsi^ la première époque de l'art ^ celle des troglodytes^ se présente uniformém^t chez tous les peuples , à quelque dis* tance qu^ils soient. On peut rapporter à cette classe les innom- brables tombeaux souterrains que l'on trouve > à partir de la Mésopotamie, dans le pachalik d'Orfa^ dans l'Asie Mineure, dans la Lycie où était Patare^ dans FArahie Pétrée, en Egypte^ sur les côtes de Gyrène^ à Malte ^ à Gozo^ en Sicile^ dans la Gampanie (3), dans l'Étrurie maritime , dans la France méri- dionalcy dans le M(»rbihan^ enfin dans la Cafrerié (4)i et jusque chez les Hc^ttentots (5). c ctopéen ^* sccoude époque est celle des constructions cyclopé^anes^ ouvrages gigantesques attribués à une race d'hommes plus ro- bustes, appelés cyclopes. Ds sont pour la plupart isolés^ de blocs bruts^ soutenus par leur propre masse, disposés en totmê de tourS; ou d'enceintes de gros piliers réimis au moyen de longues pierres s'étendant de Tun à Tautre en nMurière d'arel^i* traves^ ou enfin de murailles avec des portes. Quelques-unes de (i) yttetis Afediœ et Persiâs tnonumenta, ' (2) Un hypogée trè9-F«mar<|HaMe est eeliii qni existe èm» h boorg des Fie' soUuii « tiHieieiM de faiilique Fiesole; il ett ereueédav loe lÂerre atkka* Dense, compacte, aux caucUes 8é|)arée8, et atyourd'hui il se remplit facileineut d*eaa. A quoi pouvail-il servir? On Tignore. Voy. TAKCiOiNi Tozzetti, Viaggio in Toscana, vol. 1 ; Nuovo giomale dei letterati. Pise, 1S26^ n** 25. — Ban* mm , Lettere Fiesolane. (3) G. SANcnEz^ La Campartia soUerranea, o brevi noHziedegUed\fi^ scavati entiv roccia nelle SiciHe edin atire regioni. Napoli, 1S3$. (4) Spabmann , Voyage au cap de Bonne^Espéranee, t. Itl, p. 163. (5) a. Barow, Vopage dans les parties méridumaks de l'Afritiue en 1797- 1798, tl, p. 191. ces muntillsfi sont en pierres de toutes grosseurs , telles que la nature les façonna^ soutenues par des éclats et des cailloux qui en remplissent les interstices. D*autres sont en blocs rangés de la ménae manière^ mais équarris au ciseau^ bien que grossière* ment, d'une forme et d'une masse très-inégales. Il ai.est aussi de pierres parallélipipèdes perpendiculaires y raboteuses^ diffl»^ rentes dans quelques murailles^ égales dans d^autres (!)> mais toutes sans dment. Les murs cyclopéens des villes itaUennes ont cela de particulier^ que leurs énormes polygones sont pou]^ la plupart disposés horizontalement (2). Les autels druidiques et les Stone-^h^g ou pierres levées de TAngleterre^ du pays de Galles et de la Germanie y appartien# nent au style cydopéen le plus imparfait. L'emploi de pierres n maient de six ou sept pierres plantées veiiical^sient^ sur les* quelles on en {daçait une plus longue et plus large , d^oii le sang humain s'écoulait au nioyea d'un sillon creusé à cet ethU On btmve encore dans rArnK)rique beaucoup de Menhirs (5)^ monolithes bruts ^ hauts de deux à vingt mètres^ ressemblant quelque peu aux obélisques (6). Dans le comté de Cornouailles et dans le pays de Galles , les Cromlek (7) sont des pierres cir- culaires ou carrées, soutenues par d'autres qui leur servent de (1) DoowEL, Viewa and duenptMms of Cycloplan or Pelasfie renuthis wUh constructions of a late psriodfrom drawings by the late. LoiidreSi isa4, avec 131 plancUes, additiou poftthome au Tour in Greeee. (2) Les murailles cyelopéenaes ou pélasgiques qui existent encore dans pin- sieurs localités de l'Italie centrale ou mérîdiouale sont formées, eii générai, de blocs immenses taillés en polygones irréguliers, se combiaant et s'unissani entre eux sans ayoir exigé remploi d'aucun ciment. Voyez à ee sujet les Rt^ cherches sur les monuments cyclopéens et la description de la collection des modèles en relief composant la galerie pélasgique de la Mliothéque Masarine, par L. C. F. PETir-AAnELw Paris, 1841. (Note de \a 2" édition fran- çaise.) (8) Si altare lapideumfeceris , «oïl asdifUahis Hlud de seciis lapidiàus^ si enim levaveris euUrum super eo, polluetur. Ex. XX. — Mdifieahisal^ tare Domino Deo iuo quodjérrum non tetiçiteê de saxis in/érmêbus et tm- polUis. Ueut. XXVil. (4) Iktl men, table de pi^re. (5) Men hir, pierre lonpie. (6) Parfois on les appelle Mir-men'^ul, longne pierre du soteii, ce qni les npprocberait de la destinatiofi des obélisifues, ainsi qu'on la leur a supposée. (7) Cnmm techs, Meu eouHw. ¥eâr de Frensntalb, AnHquiêés de là Bre-' tagne. 448 DBCXISMB ÉPOQtI£. base : la Norvège, la France (!) et le Portugal (2) en ont beau- coup de cette espèce. Dans le comté de Wiltshire, non loin de Salisbury, on voit un stone-heng formé de quatre rangées de piliers bruts en cercles concentriques , ayant six pieds de dia- mètre et de vingt à vingt-huit de hauteur, sur lesquels sont placées horizontalement d^autres pierres longues, liées en- semble à leurs extrémités par des dentelures (3). Quelques-unes de ces pierres pèsent jusqu^à trente tonneaux. Sur la côte de Carnac , dans le Morbihan, se dressent , comme une armée de géants, une file de douze cents menhirs, dont quelques-uns s^élèvent jusqu^à quarante pieds du sol : peut-être est-ce laque se réunissaient les druides au fracas de l'Océan. Ceux qui prê- chèrent dans ces contrées la religion du Christ, voulant enle- ver aux Armoricains ces symboles vénérés de leur antique croyance, en détruisirent quelques-uns; ils en consacrèrent d'autres en y plantant une croix, ou en leur en donnant la forme; mais le paysan les regarde encore avec une terreur secrète, et il sait les nuits où des troupes de nains difformes viennent y danser leurs branles, en effrayant le voyageur at- tardé par des hurlements épouvantables (A). (1) Pierre levée, pierre det/ées. (2) Antas. (3) Il fui renTersé le 3 janvier 1797. (4) Le nom de bourg de Caruac dérive, selon toute apparence, du celtique carriy pierre. l\ est situé dans le département du Morbihan , à 12 kilom. en- viron de la petite ville d'Auray. C*est près du boarg» non loin de la mer et dans la direction de Test à l'ouest, que^ont disposées ifs pierres dont le calcul le plus modéré porte encore le nombre à douze cents, quoiqu'une grande quantité de ces blocs ait été détruite, et que tous les jours, malgré les ordres les plus feévères, on y porte atteinte soit par un simple esprit de destruction, soit par l'espoir de trouver des trésors cachés sous ces pierres gigantesques. Les pierres de Carnac ont donné lieu à une multitude de conjectures. Les uds ont voulu y voir les traces d'un ancien camp romain, les autres un champ funè- bre, les autres les emblèmes du culte du soleil , d'autres un zodiaque; d'autres enfin ont pensé que toute ceUe côte hérissée de pierres levées étaient une dé- pendance d'un sanctuaire druidique. Chaque enceinte pouvait avoir une desti- nation différente et avoir servi aux besoins du commerce, de la législation^dc la justice , de la religion. Voy. à ce sujet Macdet de Benhouet, Recherches his- toriques sur la Bretagne et antiquités égyptiennes dans le département du Morbihan, 1812. — Recherches sur les pierres de Carnae, in-4°. — Mabé, Essai sur les antiquités du département du Morbihan, Y innés , 1825. " De Freninvills, Antiquités de la Bretagne. Brest, 1837. ^Mémoires de la Société des antiquaires de France, passim. (Note de la 2" édition fran- çaise.) B£Al)X-A&iS. 449 Ces monuments si antiques ont leui*s pareils à d'immenses distances^ puisque dans la Nouvelle-York, dans la Pensylvanie, sur les bords de POhio, on voit de longues murailles faites de blocs énormes, s'étendre à Pentour d^enceintes carrées ou cir- culaires, destinées probablement à un usage guerrier ou à des solennités politiques et religieuses, en tout conformes aux cons- tructions appelées en Grèce et en Italie cyclopéennes ou pé- lasgiques. Walter en vu parmi les Gosséahs de Tlndostan, et dans les îles de Tinian et de Rota. Dans Tarchipel des Mariannes, on trouve des rangées de gros piliers massifs surmontés d'une espèce de chapiteau ; on aperçoit au milieu un cercle de pierres enfoncées en terre et à distance Tune de Fautre. La Gonda- mine et Humboldt admirèrent les constructions de Cagnar au Pérou , formées de très-grosses pierres, dans le genre du mur de Nerva à Rome (1), et dont il paraît que les blocs énormes furent élevés à la hauteur où on les voit placés, au moyen d'un plan incliné fait avec des terres que l'on amoncelait à mesure. Acosta et Gieça de Léon mesurèrent , dans celles de Tiagua- naco et de Tiahuanaco, de grosses pierres de 12 mètres de long sur 5,8 de large et 1,9 d'épaisseur, disposées comme dans les murs cyclopéens (2). La grande île de Laocoo, dans la mer du Japon, sur la côte occidentale de Corée, a un pont d^me construction semblable. Il y a dans la Thessalie et dans la Thrace des murailles poly- gones d'une haute antiquité; on en voit d'autres à Pylos, à Mo- don, à Messène et dans les îles (3). En Italie, celles de Ter- raccine, Fondi, Circello, Arpino, Cossa, Anagni , Norba, immenses ruines d^énormes polygones liés sans ciment, mon- trent que, dans ces lieux , on ne les employa que comme dé- fenses et pour sépultures, non pour servir de temples; tandis que les Phéniciens s'en servirent aussi pour cet usage, comme nous le voyons dans le temple des Géants à Gozo, décrit par Mazara, qui le répute antédiluvien. Nous comprenons dans cette classe de monuments les ter- Tumuu. très qui couvrent les restes de quelques héros, et qui tous of- frent un type comnmn. En Thesalie, vers Thessalonique, sur (1 > Ja Gonoahine, Mémoires de l'Académie de Berlin, 1746, p. 443. — Humboldt, Vue des Cordillères, 1. 1, p. 310. (2) Pe;dro Gieça, Chronique du Pérou (Anvers, 1554), p. 254. (3) Blouet les a dessinées. Expédition scient Kiqne de Morée. T. I. 29 460 D&UXikMK ÉPOQUE. les rivea de rHeUespont^ et partout où donûnèrent les Pélasges, les vallées sont pleines de ces tumuli , seconde forme solennelle de sépultures (1). Aux Thermopyles^ à Ghéronée, à Marathon^ à Pharsale^ on en rencontre un grand nombre (S). Le Caucase^ de même que la Colchide et la Crimée, en offrent de très-an- ciens. Les rives du fleuve Hylas (Dniester) conservent les tombes des princes cymmériens et des rois scythes qui les subjuguè- rent. Pallas remarqua dans la Russie méridionale ceux des Ës- chondes, et Meyer ceux des steppes Kirghises, sur les deux rives du fleuve Ablakilla. On y retrouve au milieu des cendres de petits bronzes ciselés en forme de fleurs et de feuilles, et sur des pierres tumulaires des visages humains (3). On découvre une infinité de ces tombeaux, érigés par les Germains et les Slaves, entre le Rhin et le Danube , ainsi que dans les prairies de PElbe et de TOder, où dorment les héros teutons et vendes. Ceux des Chinois et des Thibétains s'élèvent à peine de quel- ques mètres (4). Celui d'Aliatte, père de Crésus, roi de Lydie , avait six stades de tour (5). Les tumuli du roi Scandinave Gor- mus et de la reine Damboda ont trois cents mètres de largeur et trente de hauteur. Il en existe un près de Pella, capitale de la Macédoine, formé de trois chambres avec de longues galeries. On en conserve encore en grand nombre dans FArmorique. 11 (1) Virgile dit : Ingens aggeritur tumulo tellus. (vEneid., Ill, 62.) Et dans Homère, Andromaqiie, en parlant de son père : « Alors^ il prit toutes 868 armes , dont il couvrit le corps sur le bûcher , et il lui éleva un tertre que les Oréades compatissantes, filles de Jupiter, couronnèrent d'ormes toufTos. » Nous trouvons un exemple des sépultures troglodytes dans Abraham, qui achète une grotte pour ensevelir Sara. (2) SiEGLiTz , Beytrage zur geschichte des Baukunst. — Ritter s'en est occupé spécialement dans son Verhalle. (3) Yoy. Cypribn Robert, dans V Univers catholique, (4) DuHALDE, Description de la Chine, t. il, p. 126. (ô) C'est-à-dire 633 mètres. Hérodote, liv. I, c. 93. — n est bien reroar quable qu*Hérodote, en nous donnant la description du tombeau d'Aliatte efi Lydie, ait observé que ce monument était couronné à son sommet par cii|i pyramides de pierre. Or, le tombeau de Porsenna à Chiusi se terminait au8i| d'après ce que nous en ont dit Varron et Pline, par cinq pyramides, et il en de même de celui que Piranesi, d'Hancarvilie, Nibby, attribuent à Aruns, de Porsenna, et dont on voit encore les ruines à Textréniité orieniale d*Al près de Téglise de Santa-Maria délia Stella. Ne peut au Kêlaça, palais de Siva, qui occupe presque le centre des excavations infinies pratiquées dans cette montagne. Siva liabite l'une des trois cimes mytho- (0 « sir Charles Malet, dit M. Langlois, rapporte deux traditions biendif* férentes sur Torigine des monuments d'Ellora. Les musulmans les attribueot au radja El, qui vivait il y a neuf cents ans. Les Indiens les font remonter jusqu'à Ëlou, qui aurait régné dans le Dwaparâ-Touga, e'est-à-dire il y a plus de sept mille neuf cents ans. LesPouranas parlent d*un roi £la, autrement a p|ielé Pouroiiravas, qui date du commencement de la monarchie indienne; nous ne ponvons pas raisonnablement adopter une pareille antiquité. Les sculptures gravées sur le monumi^nt donneraient un démenti formel à cette prétention désordonnée. La présence de Crichna et des Pandous parmi les personnages représentés nous donne déjà une date postérieure à. la grande guerre décrite par le MahabhdratOf et qui peut avoir eu lieu de mille deux cents ans à mille ans avant notre ère. Le cuite de Crichna n*a dû être adopté qn'à une époque asseï éloignée de son existence réelle ; et si même il faut reconnattre parmi toutes les sculptures d'Ellora quelques figures bouddhiques, nous serons obligés de des- cendre à une daie voisine de notre ère, au moment où se balançait Tinfluence des Brahmanes et des réformateurs fatigués de leur joug. Une antiquité de deax mille ans me paratt tout ce que Ton doit accorder à ces belles ruines, et, dans celle supposition, je ne voudrais pas nier absolument les rai>ports qui ontpa avoir lieu , pour le perfectionnement des arts , entre l'Inde et l'Occident. Les belles médailles indo-bactriennes , qu'un heureux destin nous a révélées der- nièrement, peuvent nous indiquer le chemin que l'art grec aurait suivi; mais, en tout cas, s'il faut dépouiller Tlnde de son originalité, on sera contraint d'a- vouer que cet art grec s'est transformé pour se faire indien. » (Note de la V édi- tion française.) BEAUX-ABT8 DAMS L^ICTOB ET DANS L^IGYPTB. 461 logiques de THimalaya; le printemps y est éternel, et> sur des tapis de fleurs qui recouvrent les neiges perpétuelles et les abî- mes sans fond, dansent continuellement les laitières toujours jeunes, au gazouillement des oiseaux de toutes les couleurs. Le palais dont nous parlons, qui n'offre plus désormais que de ma- gnifiques ruines, reproduisait ce théâtre des amours de Siva. Le temple proprement dit est une pyramide détachée, bien que prise sur la roche même ; elle est entourée de statues d'hommes et d'éléphants qui, dans des attitudes différentes, soutiennent des fardeaux et font jaillir Teau de leurs trompes. Le temple est précédé d'un grand nombre de cours, avec des puits et des obélisques ou des colonnes isolées, la plupart surmontées d'un lion. Devant l'entrée du palais est accroupi le bœuf sacré ; et un pont taillé dans le roc, qui conduit aux étages supérieurs, fait baldaquin sur la tète de Bavani, femme de Siva, siégeant de côté entre deux éléphants, dont les trompes se joignent en arc au-dessus de sa tète. Ici, on voit pour la première fois les fenê- tres, inusitées dans les monuments de la manière primitive, et enfin une petite voûte. Le Kélaça communique avec des laby- rinthes mystérieux dans lesquels aucun voyageur, quelque hardi qu^il fût, n'a osé pénétrer. Nous ne ferons que mentionner la grotte de Des- Avatar, ou des dix incarnations de Yichnou, pour parler du temple le plus renommé de tout l'Indostan, la maison de Vtsouacarmâ. Ce dieu des arts, fils de Brahma, et son architecte, l'inspirateur des soixante-quatre métiers, a trois yeux; une tiare de pierreries, des colliers, des bracelets d^or, parent ses membres nus, d'une blancheur éclatante. Assis à l'européenne au fond de son tem- ple, sur un siège soutenu par deux lions et élevé sur une es- trade, il est dans l'attitude de la méditation : à ses côtés, deux serviteurs tiennent le chasse-mouches. Huit génies, nus aussi , voltigent dans la niche voûtée où il est placé, et derrière laquelle est érigé un autel circulaire surmonté d'un globe conique. Deux rangées de gros piliers forment deux nefs latérales aussi sombres qu'étroites , dont la voûte est plate et basse, tandis que celle du milieu est à cintre aigu imparfait, et se termine en abside, dans le genre des basiliques romaines. Un ornement de bas-relief se continue par tout le temple. Au-dessus est une rangée de statuettes assises sur la plinthe, au point où se ter- minent 4es arêtes de la voûte, qui ne se croisent pas comme 463 0BinUBMB iPOQUB. chez Dous y mais s'étendent parallèlement comme les cercles d'un tonneau (i). La description de tous les édifices signalés dans PIndostan par les voyageurs ne saurait entrer dans le plan de cet ou- vrage ; ce que nous en avons dit suffit pour donner une idée de leur style^ et pour suivre les progrès de Part. Nous ajouterons seulement que parmi les temples de Pile de Salsetta^ où la mon- tagne de Keneri y comme la chaîne Libyque de PÉgypte y est partout creusée en grottes pratiquées Pune sur Pautre, il en est un qu'occupèrent autrefois des moines portugais. On rapporte que Pabbé et ses religieux, s'étant munis de vivres^ de lumières et d'un fil y voulurent pénétrer dans un labyrinthe qui y abou- tit ; mais ils errèrent durant sept jours sans pouvoir trouver une issue ni autre chose que de^ puits et des cellules. Les Brahmanes assurent qu^il passait sous la mer^ et mettait en communica- tion un grand nombre de pagodes. On cite dans PIndostan d'au- tres routes souterrmnes de ce genre qui y en temps de guerre ^ auraient servi aux prêtres pour gouverner secrètement le pays. Nous avons vu jusqu'ici Part attaché à la terre ; voyons-le maintenant élever les blocs de pierre et les disposer symétri- quement à ciel^découvert. Les premières pagodes de ce genre sont des contructions cy- dopéennes^ faites de rocs énormes superposés et allant en di- minuant^ de manière à former des pyramides à quatre panS; mode de construction aussi facile que solide. Le Ramesourani; dans Pile de Ramesour, est si antique^ qu'on le prétend bâti par Rama. Il est construit de blocs tour à tour horizontaux et transversaux y couverts extérieurement de sculptures; les murs ont jusqu^à cent pieds de hauteur, et ils sont surmontés par un portique soutenu par deux mille cinq cent piliers d^une a^ chitecture très-'bizarre^ aux sculptures cosmogoniques. La pyramide de Tangiaour^ que lord Valentia appelle le mo- (1) ft Ce temple, consacré d'abord à Bonddba, dit M. Labglois , a dû être ensuite occupé par les sectateurs de Siva , qui y out sculpté à gauche leur obscène symbole et à droite leurs pygmées dirrormes, céiébranl Tunioncbar' nellede leur dieu et de leur déesse. Mais on y chercherait vaineinent ces croix que donne U gravure des Recherches asiatiguesp et que reproduit Laogiès , tirant de celte circonstance des conséquences qui tombent d'elles-méaies. Il est évident que le temple de Visouacarm& est bouddhiste; il est donc posté- rieur au VI* siècle avant notre ère, comme il doit être antérieur au ix* de cette même ère. » (Note de la 2* édition française.) BBAUX-ABTS DAM8 li'llIDB BT DANS l'bGYPTE. 4%^ dèie le plus remarquable, dans FInde, des constructions de ce genre, s'élève à deux cents pieds sur une base très-large; elle abonde en bas-reliefs et en statues, quoiqu'elle u'ait à rin<- térieur qu'une salle rustique qui n'est pas même polie au ci- seau. A partir du pied, une massif d une largeur égale aux deux tiers de la hauteui* de l'édifice monte d'abord tout uni jusqu'à un quart de l'élévation totale, puis il diminue graduel- lement de seize pieds; il est enfin couronné d'une coupole as^ sez légèi^e et d'une boule métallique avec une pointe.  cha- cun des seize étages est une rangée de piliers et de corniches, qu'interrompent des fenêtres surmontées de tirèfles et de rosa- ces. Lors de certaines solennités, on les remplit de lampions, et elles donnent ainsi le spectacle d'une illumination non moins fameuse dans l'Inde que celles de Pise et du dôme de Baintr Pierre en Italie. La façade est ornée de momies dans des postu- res symboliques, de huit bœufs, et d'une rosace à la manière gothique. Sous le pérystile carré, une troupe de taureaux font cortège au bœuf colossal, d'un seul morceau de porphyre bronzé, haut de treize pieds et long de seize. Dans les grandes fêtes , les Indiens dansent encore autour de lui, le peignent de diffé- rentes couleurs, et lui suspendent au cou des guirlandes. Ils croient qu^il se lève chaque nuit pour faire le tour de la pa- gode-monde, mise sous sa tutelle; de même que Siva fait une fois Tan le tour de la cité , traîné sur un char élevé par des taureaux, au milieu des hurlements effroyables d'un peuple de pèlerins (1). Les mahométans n'arrivent jamais au milieu des merveilles de rinde sans tirer le canon contre les sculptures. Ce fut ainsi qu'ils détruisirent le temple de Soumnat, merveille de PAsie, dans lequel cinquante-six piliers couverts de lames d^or et djB pierres précieuses soutenaient la voûte de la chapelle, où l'on voyait une idole d^un seul morceau et d'une hauteur de cin- quante coudées. La pagode la plus remarquable sous le rapport de Part est Pagode mo- dèle. (1) On aperçoit là quelque (race du ciotre aigu , de même que près de Ma- dras dans la groUe de Talicot. La voûte apparaît , comme nous l'avons dit, 4ai}S le temple de Visouacarmft. Il existe sur le fleuve Ka? eri des débris d'un pont détruit y qui dut avoir 300 pieds de long; il était formé de larges pierres ayant 2 pieds de largeur sur 20 de liauteur , placées de champ sur des co- lonnes de granit noir; c'est Tunique pont cintré que Ton connaisse chez les Indiens. 464 DEUXIBMB ÉPOQUE. celle de Brahma, à Schalembroum, à vingi-sept milles de Pon- dichéry. On lui atlribue quatre mille ans d^existenœ. Quatre portes y donnent accès, et chacune d'elles est surmontée d'une pyramide, ayant cent douze pieds de hauteur. Elle forme un carré long de l'orient à l'occident, qui n'a pas moins de trois cent quatre-vingts toises sur cent soixante. Elle est entourée de trois murailles concentriques, construites en briques et revê- tues de pierres de taille. Quatre portes sont soutenues cha- cune par deux piliers hauts de quarante-cinq pieds, d'un seul morceau; leurs deux chapiteaux, éloignés Pun de l'autre de vingt-sept pieds, sont réunis par une chaîne en pierre, trans- versale et mobile, de vingt- neuf anneaux. Caylus prétend que les piliers et la chaîne sont faits du même bloc, dont la lon- gueur devait être au moins de soixante pieds : et il y en a qua- tre ! Des lions de style égyptien figurent dans lés corniches appuyées sur les piliers, qui sont surmontés de quatre pyra- mides à sept étages, divisés par autant de larges bandes de mé- tal sur lesquelles les sculptures sont en profusion. Trois cloî- tres successifs renfermés dans cette enceinte ont au milieu une cour intérieure dans laquelle sont trois petits temples sem- blables, avec des péristyles chargés de sculptures et une étroite cellule, en pierres énormes, éclairée par des lampes, où l'on adore le Lingam , Yichnou et Brahma. L'entrée du temple de ce dernier dieu est décorée de cinq piliers de bois de sandal, que les Brahmanes disent être le sym- bole des cinq castes et des cinq éléments; ils disent aussi que dix-huit pouranas sont figurés par les dix-huit piliers du même bois qui divisent le temple, au fond duquel le dieu invisible, mais présent comme l'air que l'on respire, siège sur un trône d'or. De même, les cinq voyelles ou syllabes sacrées sont rap- pelées par la forme et la couleur des dalles de marbre qui pa- vent le sanctuaire : les neuf globes dorés qui surmontent cette salle d'or signifient les neuf ouvertures du corps humaifl et les neuf incarnations. Le toit est soutenu par soixante-qua- tre cartouches, nombre égal à celui des métiers brahmaniques; et quatre-vingt-seize barreaux, correspondant aux quatre- vingt-seize modes de la pensée humaine, forment la grille dont est environné le sanctuaire symboUque. Des chapelles, des pa- godes, des piscines régénératrices, entourent le temple. Parvati, femme de Siva, a là aussi un temple splendide,où sa statue est chaque jour baignée dans une eau que les pèle- BBÀUX-ABTS DANS l'iNDB BT BN BGYPTE. 465 riiis boivent ensuite dévotement. Une salle appuyée sur cent colonnes sert de tabernacle, quand la déesse^ portée en grande pompe, vient visiter la chapelle des joies sans fin ou de l'éter- nité. Une forêt de colonnes, les innombrables sculptures^ les portiques, les lames d'or, les inscriptions, tout est d'une étonnante bizarrerie dans ce temple, qui est comme le modèle de tous les autres. Gaylus et Maurice y ont signalé une foule de rapports avec ceux de Tantique Egypte. Les Français avaient fait de Scbalembroum une caserne ; le tabernacle servait de salle de bal. Assiégés dans la place, ils durent la céder aux Anglais^ qui y rétablirent les Brahmanes. C'est précisément parce qu^ils servaient de demeure à ces der- niers que ces édifices prenaient de si grandes proportions, au point de ressembler à des villes. L'Indostan en conserve beau- coup de ce genre; il nous suffira de rappeler Jagrenat, sur la côte d'Orissa, dans le Bengale ; immense carré de portiques et de cours, à double rang de piliers qui soutiennent deux cent soixante-six arcades entourées de statues noires d'une masse extraordinaire : il a quatre portes vers les points cardinaux; et à l'entour, des bosquets parsemés d'oratoires, de pyramides, et de piscines sacrées pour les ablutions habituelles des pèlerins. C'était la résidence -du pontife suprême du brahmanisme; elle est révérée aujourd'hui àVégal de la Mecque. Tout Indien doit l'avoir visitée au moins une fois en sa vie, et l'on y rencontre souvent jusqu'à deux cent mille pèlerins. Il en vient douze mil- lions par an, qui remplissent continuellement la ville, où n'habi- tent que des prêtres et des mendiantsrOn raconte que l'idole fut l'ouvrage de Vichnou , qui, transformé en charpentier, avait demandé à y travailler seul et sans témoins. Mais le roi , qui lui avait commandé la statue en expiation de ses péchés, pris de curiosité, comme la Psyché grecque, mit l'œil à une fente de la porte. A peine eut-il regardé, que le dieu disparut, lais- sant son œuvre grossièrement ébauchée (i). Le bœuf de Siva élève son énorme masse au milieu du temple, sur les os du dieu Crichna, renfermés dans le bois de sandal. Quand il va se promener hors du temple, des milliers d'Indiens se prosternent, et beaucoup se font écraser sous son char. La pagode princi- (i) La très-légère taxe imposée par le gouvernement anglais aux pèlerins de Jagrenat p^oduisitdans les dix-sept ans qui précédèrent 1830 la somme de 400,000 livres sterling. T. ï. 50 406 DEUXIÈME ÉPOQUE. pale a sept étages qui vont en diminuant^ jusqu'à une hauteur de trois cent quarante-quatre pieds : elle se termine en voûte arrondie, couverte de cuivre doré, avec des rosaces flgurant deux larges queues de paon. L'ensemble des édifices dont se compose le temple présente un coup d'œil sans égal ; il annonce de loin au navigateur le voisinage de la côte, qui est très-basse dans cette partie du golfe du Bengale. La vue seule du temple suffit pour attirer sur les fidèles les bénédictions célestes : toutes les fautes sont pardoilnées à celui qui peut porter à sa bouche quelque reste du repas offert au dieu , dût-on Tarracher de la gueule d'un chien. Recevoir les coups de bâton des Brahmanes qui distri- buent le riz est œuvre méritoire ; et un moyen sûr de gagner le paradis est de mourir sur cette terre sainte. Voilà pourquoi les dévots qui sentent leur mort approcher se font transporter à Jagrenat pour l'y attendre ; mais elle est hâtée de beaucoup par les fatigués du voyage, par les tortures auxquelles ils se soumettent, et par les épidémies qu'ils y apportent. Les corps des pèlerins restent privés de sépulture; ils sont le repas ha- bituel des chiens, des chacals, des vautours; et leurs os, épars çà et là , indiquent durant plusieurs lieues le chemin du sanc- tuaire. En lisant la description de semblables monuments, on trouve le récit d'Hérodote moins incroyable, lorsque cet historien ra- conte que Sémiramis fit tailler le mont Bagistan de manière à la représenter au milieu de plusieurs centaines de guer- riers. * Les formes symboliques sont conservées dans tous ces édi- fices : le nombre quatre et le carré sont la base de leur har- monie ; le triangle pyramidal , produit par le nombre ternaire et divin, sert à les élever vers le, ciel; et le nombre sept est celui qui préside à la disposition des nefs sous les trois, les sept ou les neuf étages cosmogoniques. Architecture Nous passcrons plus rapidement sur l'art égyptien, dont les égyptienne. ^ , , f ^ . ^r^ monuments sont beaucoup mieux connus. Là encore, nous trouvons les trois époques ou plutôt les trois haltes de Tarchi- sontemuns. tccturc, quc uous avous signalées dans l'Inde. Une infinité d'excavations dans la chaîne Libyque révèlent l'usage primi- tif d'habiter dans les grottes (\), usage qui se reproduisit en (1) Pour donner une idée du genre de vie des anciens Iroglodyles, nous rap- BEAUX'^AUtS KN ÉOYPTK. 467 Egypte^ où elles servaient tantôt tf abri contre Féclat et contre l'ardeur du soleil , tantôt de tombeaux. Près de chaque ville s^ouvrent ses catacombes^ enfilade de longs corridors aboutis- porferons les mœurs des Fellahs modernes, décrites par Belzoki dans le Voyage en Egypte et en Nubie : « Quand Je ne voulais pas traverser le fleuve le soir pour retourner au tem- ple de Louxor où nous habitions , je me plaçais à l'eitrémité d'un tombeau» au milieu des troglodytes , et c'était pour moi un amusement. Ce peuple occupe ordinairement le passage entre la première et la seconde entriée des sépulcres; les murs et les plafonds sont noirs comme des cheminées ; la porte intérieure est bouchée avec de la boue; il n'y a qu'une ouverture, à peine suf- fisante pour qu'un homme puisse y pénétrer. Leurs troupeaux y passent la nuit, mêlant leurs bêlements à la voix de leurs maîtres. Quelques figures égyptiennes ntuUlées, parmi lesquelled on dislingue souvent les deux renards, symbole de U vigilance, décorent l'entrée des anciennes cavernes sépulcrales. Une petite mèche, alimentée de suif ou d'huile rance, et placée dans un creux du mur, répand un faible rayon de lumière dans ces horribles retiailes : une natte étendue à terre est le seul objet de commodité qu'on y trouve; et moi- même je n'en eus pas d'autre quand il m'arriva de passer la nuit dans ces tombes. Les troglodytes se réimissaient le soir autour de moi , et nos entre- tiens roulaient principalement sur les antiquités. Chacun racontait ses décou- veries; ils m'apportaient des vieilleries pour me les vendre, et j'eus souvent à m'apphiudir de mon séjour dans ces rochers. J'étais toujours 8ûr d'y trouver pour mon souper du pain et du lait apprêté dans une écuelle de bois : mais, quand ils savaient que je passerais la nuit chez eux , ils tuaient une paire de poulets et les fai^^aieut rôtir dans un petit four chauffé avec dès morceaux de caisses de momies, ou avec les os et la toile des morts. Il n'est pas rare, dans ces tombeaux , de s'asseoir au milieu des crânes et des ossements qui appar- tinrent aux contemporains des Ptolémées,et l'Arabe qui vit dans leurs sépul- cres ne se fait aucun scrupule d'en tirer parti pour ses besoins. L'habitude finit par y rendre aussi indifférent qu'eux-mêmes ; et je me serais arrangé pour dormir sur un puits de momies aussi bien qu'en tout autre lieu. « Chacun peut être heureux , s'il le veut, attendu que le bonheur dépend certainement de nous. L'homme qui se contente de ce que le soit lui dunne est heureux, snitont s'il sait se persuader que c'est tout ce qu'il pourra obte- nir. On ne croirait certainement pas trouver la félicHé chez un peuple qui ha- bile des antres comme les bêtes fauves ; qui se voit sans cesse environné des cadavres, des cercueils des anciens habitants du pays , et qui de plus est soumis à un pouvoir tyrannique dont il n'a aucune amélioration à espérer, car il ne connaît pas même la justice, et le gouverne au gré de ses caprices despotiijues. L'habitude a néanmoins rendu familière et supportable à ces malheureux leur horrible situation , et leur vie n'est pas sans quelque gaieté. Le soir, le fellah rentre et se place près de la caverne pour fumer avec ses compagnons et parler des choses qui l'intéressent, comme de la dernière inondation du 14 il et de l'espérance de la prochaine moisson : sa femme lui apporte l'écuelle avec les lentilles et le pain trempé dans Teau ; c'est une fête s'il peut y ajouter du beurre. Sachant bien qu'il ne pourrait améliorer son état, c'est là tout ce que désire le paysan de Gournah. Il se contente de ce qu'il 30 468 DEUXIÈME EPOQUE. « sant à des salles soutenues par des piliers massifs hauts de douze à quinze pieds^ et dans les détours desquels les plus hardis ne s^aventurent qu'à peine, de peur de s'égarer ou de mettre le feu aux momies qui y sont encaissées. La voûte en est naturelle ; les colonnes et les parois sont par- tout couvertes de peintures à fresque ou de bas-reliefs coloriés, une partie historique, Fautre de pur ornement, la plupart re- présentant des scènes de la vie domestique ou civile. Les cata- bombes d'Elétya, près d*Edfou, sont pleines d^ouvrages de ce genre, ainsi que celles de Beni-Hassan dans TEgypte centrale. Celles des rois, dans la chaîne Libyque, offrent plus de magni- ficence, ayant de cinquante à trois cent soixante pieds de pro- fondeur, et formant chacune une suite de galeries, de cham- possède , et il est heurenx. S*il est jeune , ses efforts tendent à amasser la somme de cent piastres (environ soixante francs) pour acheter une femme et se marier. Les enfants ne sont point à charge à la maison ; leur vêtement ne coûte rien , car ils vont nus ou couverts de haillons. Lorsqu'ils avancent en âge, leur mère leur apprend qu'il faut gagner pour se vélir; l'exemple de leurs parents les instruit bientôt à tromper les voyageurs pour en tirer de l'ar- gent. Les femmes, bien que dans la détresse de toutes choses , aimeraient à briller : elles se parent avec plaisir de colliers de verre et de corail grossier. Si Tune d'elles trouve le moyen de se procurer des boucles d'argent ou des bracelets, elle est enviée de ses compagnes. Quoique l'usage de rorienl ha- bitue les femmes à une très-grande modestie , les laides seules se montrent très-fidèles à la coutume de se cacher aux regards des hommes. Celles qui sont jolies, sans violer formellement l'usage, trouvent mille moyens de faire voir à l'étranger que la nature leur a donné des attraits pour plaire. Un voile qui tombe, ou se dérange par hasard, rend tout à la fois service à la coquet- terie commandée par la nature sans offenser la modestie prescrite par les mœurs. « Quand un jeune homme veut se marier, il va trouver le père de celle qa'il a choisie, et convient avec lui du prix qu'il met à la cession de sa liile. Le marché conclu, il examine combien il peut destiner d'argent à ses noces. L'ar- rangement de la maison n'exige pas de grandes dépenses. Trois ou quatre vases de terre, une pierre pour broyer le blé et une natte pour s'étendre, voilà tout le mobilier dont il a besoin. La femme apporte ses habillements et ses bijoux, et, si l'époux est galant, il lui donne une paire de bracelets d'argent, d'ivoire ou de verre. Le logis est fout prôl; c'est une caverne sépulcrale qui ne coûte rien ni pour le loyer ni pour les réparations : la pluie ne traversera jamais le toit; la porte, ou peut s'en passer, car il n'y a rien à enfermer, à l'excep- tion d'une armoire, faite d'un mélange de terre et de paille séché au soleil, dans laquelle ils serrent leurs effets les plus précieux. Une planche, provenant du cercueil d'une momie, clôt cette espèce de niche. Si la maison ne platt pas au jeune couple, il en prend une antre; il peut la choisir entre cent, je dirais même entre mille, si tous ces tombpaux étaient disposés pour recevoir des hôtes vivants. » BEAUX-ARTS KS EGYPTE. 469 bres^ de grandes salles, dans la principale desquelles le sarco- phage était élevé sur une estrade. Il y en a un long de douze pieds, en granit rouge de Syène, qui résonne comme une clo- che, et auquel on ne parvenait qu'après avoir passé douze por- tes. On doit bien regretter que la cupidité des Arabes les ait conduits presque partout pour chercher de For, et qu'ils aient non-seulement dispersé les restes des morts, mais encore mu- tilé les principaux monuments de Part. Le tombeau d'Acheu- cheroès Osirei ou Petosiris, c'est-à-dire Busiris ouOchoreos, qui régnait vers Pan 1597 avant Jésus-Christ, tombeau que Bel- zoni ouvrit avec la plus grande peine , surpassa toute attente : il y trouva, après quatre mille ans , des sculptures et des pein- tures d'une extrême fraîcheur. Un sarcophage d'albâtre orien- tal très-pur, long de neuf pieds dix pouces et large de cinq pieds sept pouces, était dans la salle principale; une lumière que Ton place à Pintérieur fait apparaître, à travers la transparence de l'albâtre, les milliers de figures dont il est couvert. Ce chef- d'œuvre sans égal de l'art égyptien orne à présent le musée bri- tannique (1). L'architecture égyptienne, née dans les grottes ou les exca- vations de la chaîne Libyque, conserva toujours les caractères de son origine : simplicité et solidité. De là ses grandes lignes non interrompues, ses piliers massifs et écrasés, ses surfaces planes, ses formes quadrangulaires et ses angles saillants : aussi à peine si, dans des édifices longs de quatre cents pieds, hauts de plus de cinquante, il y a, depuis tant de siècles, une seule pierre dérangée. La colonne destinée à soutenir des masses si énormes ne pouvait jamais acquérir de légèreté. Les chapi- taux sont ornés de feuilles de lotos, de palmier et de figures d'animaux; mais comme les artistes égyptiens 'comprenaient qu'ils ne pouvaient poser l'architrave sur des ornements légers, ils faisaient sortir du milieu de ceux-ci un dé pour l'y appuyer. A la différence de ceux des Grecs, les chapiteaux sont divers l'un de l'autre, bien que de proportions égales. Les temples n'ont pas non plus un comble élevé, mais ils se terminent en plater forme; ils ne se courbent pas en arcs, mais, anguleux et bas, ils tiennent de la grotte ; à peine si quelque ouverture y laisse (I) Voy., dans non Secondvoyage en Egypte et en Nubie, la descriplion de ces grottes et de la manière dont il parvint à les découvrir. C'est un récit plein d'intérêt, parce qu'il est simple et sans prétention. 410 DEUXIÈME ÉPOQUE. pénétrer la lumière, taiH pour en adoucirx l'éclat quo pour ins-» pirer le recueillement. Les Egyptiens avaient sous la main, pour ces immenses tn^ vaux, d^népuisables carrières de porphyre et de granit rose, noir ou gris, dans la chaîne supérieure; de grès, dans la ré* gion moderne; de pierre calcaire, dans la partie inférieure, ^agriculture, réclamant peu de bras, laissait la plus grande partie des forces de la nation à la disposition de la caste domi- natrice. Belzoni, qui, sans autre secours que sa stature athlé- tique, contraint à coups de bâton les Fellahs de creuser où il lui plaît, nous offre une image de ces chefs d^ouvriers tenant des générations entières occupées à travailler péniblement pour un roi ou pour un prêtre ; à suppléer, à force de bras , à Tin- sufBsance des machines, à consumer leur vie pour élever, as- sise par assise, d'immenses pyraçfiides, ou pour polir les faces d^un obélisque avec la même patience qu'ils mettaient à filer et à tisser. Rois et prêtres rivalisaient à qui entreprendrait les ouvrages les plus merveilleux , c'est-à-dire à qui rendrait plus misérable le peuple, qui seul accomplissait le labeur. Celui qui observe ces monuments avec nos idées actuelles doit croire qu'il a fallu des siècles pour les achever; mais l'his- toire nous apprend que les monarques du Pérou mirent à fin des travaux non moins prodigieux : telles sont les deux routes qui de Cusco conduisent à Quito, Tune à travers les précipices de Cordillères, Tautre le long du littoral, sur cinq cents lieues de sable : tels sont encore le temple du Soleil , le palais de Cusco, celui de Cagiambé, et de nombreux canaux. Leur mo- narchie n'eut pourtant qu^une durée de trois siècles et demi sous treize rois; celle des Mexicains dura moins encore, etquels édifices merveilleux n'ont-ils.pas construits 1 Les Chinois termi- nèrent en cinq années leur immense muraille. Que ne pouvait pas faire un peuple comme celui de PEgypte, déjà constitué au temps d'Abraham, comme le trouvèrent les Romains du siècle de César? L'architecture, la sculpture, la peinture et l'écriture, se trou- vent partout intimement unies dans lespwiÇ» o^te icapà totç ovfjfp** çevmv (Ti>(j.ç(i>vetTat. Pour ce qui concerne les pyramides, ni les gens du paysni les écrivains ne sont d'accord. Diooore, I. Pline dit, en faisant de la morale: Interomnes non constat a quibusfactœ sint, justissimo casu obliteratii ûuctorilms. La plupart attribuent les trois plus grandes à Ciiéops, Cephrenet Mycerinus. (8) Voyez sur les pyramides : JoHAnn, Bemarques et recherches sur fc» pyramides, et Description générale de Memphis et des pyramides^ dai»8i« grand ouvrage de la commission d'Egypte. — Lepèrb, Mémoire sur les pf^' mides des Égyptiens et sur leur système religieux. Paris, 1800. — BM* Von den Mgyptischen Pyramiden, Berlin, 1815, in*4». — howabd V!«» Opérations carried on at tke Pyramide of Gisch in 1837. Londres, 1840» 2 vol. (Note de la 2* édition francise.) et que les rois y prodigun qui le secondait dans sa fureur. Quelques interprètfs ont prétendu qu'en effet un lion apprivoisé et élevé par le roi l'avait soutenu dans le combat en décidant la fuite de l'ennemi ; d'autres racontent que oe roi , aussi vain que vaillant, afin de faire son propre éloge, avait voulu, par le symbole du lion, eiprimer sa force d'Ame. Sur la seconde paroi étaient représentée des prisonniers, euna* ques et sans main.«, pour indi/^uer que dans le combat ils s'étaient montrés BBAUX*AATS KN KQyPïE. 479 C^est là aussi qu'est la statue de Memnon^ dont la voix saluait le soleil levant. 8ans poursuivre plus loin la description de tant de monu- efTëminéfl et sads force. Sur la troisième, on voyait toutes sortes de sculptures et de dessins très-fifiis, qui rappelaient et les sacrifices offerts par le roi, et son triomplie à son retour de cette expédition. « Au milieu du péristyle était un autel à ciel découvert, d*une belle pierre richement sculptée et d'une merveilleuse grandeur. Deux statues monolithes, assises, hautes de vingt-sept coudées, étaient appuyées le do9 au mur. Entre elles, et de chaque côté, se trouvaient trois eutiées conduisant dans une lalle hypostyle, dont te plafond posait sur des colonnes alternées; elle était disposée en forme d'odéun, et chacun de ses côiés était de deux plètlires (environ 60 mètres). « Une grande quantité de statues en bois représentaient des hommf s qui plaidaient, les yeux fixés sur lesjuges siégeant pour prononcer, et sculptés, au nombre de trente, sur Tun des murs. Au milieu d'eux, on voyait le président du tribunal portant à son cou une image de la Vérité, représentée les yeux fermés et ayant à ses pieds un grand nombre de livres. Lesjuges enseignaient par leur aspect que le magistrat ne doit rien recevoir, et le président qu'il n*a d'yeux que pour la vérité. « Après cette salle était un passage flanqué de bâtiments divers, où on pré- parait des mets délicats au goût, et où le roi était sculpté et peint de couleurs très-viv6s, avec les habits royaux, appottaiit en tribut au dieu de l'or et de l'argent retirés des mines dans l'année. Au bas était inscrite la somme équi- valente à trente-deux millions de mines de notre monnaie. « Après ce passage venait la bibliothèque sacrée, avec l'inscription : Re- mèdes de Tâme. On y apercevait une série d'images des di^^ux de l'Egypte et celle du roi qui, en offrant à chaque divinité les dons convenables, paraissait démontrer à Osiris et h ses assesseurs dans les enfers qu'il avait accompli les devoirs de la piété envers les dieux, ceux de la justice envers les hommes. « Au mur de la bibl othèque était contiguë une salle faite avec beaucoup d'art; vingt tables y étaient entourées de hts où l'on voyait les images de Jupiter, de Junon, du roi Osymandyas; c'est là qu'on supposait quJe le corps du roi était enseveli. a A l'entour étaient construites beaucoup de chapelies contenant des pein- tures représentant les animaux sacrés de l'Égyple, et d'où l'on montait sur le comble de ce vaste tombeau. « Une fois'monté, on voyait sur le monument un cercle d'or épais d'une coudée et de trois cent soixante-cinq coudées de tour. A chaque coudée cor- respondait un jour de l'année ; le lever et le coucher des astres y étaient mar- qués, ainsi que les indications astrologiques enseignées par la superstition égyptienne. Ce cercle fut enlevée par Cambyse lorsqu'il subjugua l'Egypte. ortionnée, maniérée âans la pose et dans l'expression. Les pyramides de Vlnde le cèdent de beaucoup à celles de l'Egypte, puisque la pyramide indienae qu'on appelle la Grande, et que lord Val^itia considère comiQe un prodige, s'élève à peine à deux cents pieds. Les pagodes aussi n'ont en pierre de taille que la base ; le reste est en bois revêtu d'un enduit et de fïuence. L'Egypte ne consacrait pas ub grand travail à ses grottes, qu'elle destinait à la sépulture des cadavres : comme aussi l'imagination moins vive ne produisit pas chez elle autant de poèmes ni de traités de philosophie, tandis que la profondeur de la pensée et la jalousie sacerdotale y inventèrent les hiéroglyphes tout à fait inconnus à l'Inde. Des ressemblances de plus en plus frappantes résultent de la comparaison générale de ces deux peuples. L'inspection des qrlUies y conduisit aux mêmes résultats^ et démonira la i^do- minance des classes sacerdotales et guerrières. Chez l'un et chez Fautre» la législation est dans la main des prêtres. Le roi^ choisi parmi les guerriers^ est entravé par Le cérémonial^ et toute la constitution se fonde sur la division des castes^ qui est identique dans la classe élevée et varie selon les circonstances dans la classe inférieure. Les prêtres ont dans les deux pays les mêmes droits^ les mêmes domaines^ le même vêtement, et leur auto- rité est également fondée sur lascience. Les guerriers em{^ient la même espèce dVmes> combattent sur des chars et non sur des chevaux; seulement^ en Egypte , ils font moins usage des éléphants et acquièrent une plus grande puissance (1). En Egypte^ la propriété foncière resta réglée comme dans Plnde^ jusqu'à ce que Joseph fut venu la concentrer tout entière dans les mains du {^araon. La civilisation y marcha du même pas, quo^ue régaÛté dusol permit de réduire plus facilement en un seul les petits États de TÉgypte. Les dieux se ressemblent beaucoup : Isis et Oshis rappellent risi et risaoura des Indiens. Le lingam est vénéré chez tous deux ; les animaux sont sacrés aussi dans Plnde^ quoiqu'à un degré bien moindre qu'en Egypte : Fœuf , qui symbolisait pour les Indiens l'origine de toute chose^ figurait sur les bords du Nil daos la bouche de Cnef, et Horus^ fils d'Isis^ imitait le Kama né de Lakmi. Gorres trouve dans Osiris la septième incaniation de Vichnou ; mais Kreutzer le compare avec plus de raison à Crichna^ qui^ noir comme Osiris^ entouré de nymphes et d'ani- maux, répand comme lui la fécondité et l'agriculture^ obtient par excellence le titre de bon^ et expire cloué par une flèche au tronc d'un sandal à la fin de Favant-demière période du monde. £n général^ la religion égyptienne, de même que celle de l'Inde, réduit le dualisme en panthéisme, ainsi qu'il appa* rait par la légende d'Isis rendant la Uberlé à Typhon vaincu par Horus. Le culte extérieur est attaché dans les deux pays à cer- tains sanctuaires, et célébré avec des sacrifices de sang et d'a- mour, des pèlerinages, des pénitences, des baptêmes, des pro- cessions dans lesquelles la divinité est conduite d'un temple à un autre (2). L'Indien répète continuellement oum, PÉgyptien (1) JD^RBERa, Ueber die Musik der Inder^ pi. U, donne deux figyres de Kcbatrias, qui ressemblent beaucoup, surtout pour la coiffure, aux guerriers égyptieus dessinés dans le vol. U, pi. X, de la Descriptùm de V Egypte. (3) Prichard établit un long parallèle entre les deux religion?, An anal^sig 3L 484 DEUXIÈMB liPOQUB. any et tous deux croient au jugement des morts avec Passis- tance de deux génies, Tun ami, Fautre ennemi; jugement qui livre les méchants à Tenfer. Tous deux croient à la transmigra- tion des âmes, s^accordant même dans le nombre des degrés qu'elles ont à parcourir et dans la durée des périodes. Chez les deux peuples, on rencontre d'ailleurs un zèle égal pour la culture des champs, la même forme de charrue, la même habileté à tisser le coton, la polygamie permise sans être généralement passée dans les mœurs, des classes réprouvées, déshéritées même des droits de l'humanité. Quand Burr, capitaine anglais de la division des Indes, fut envoyé en Egypte avec un corps d'indiens pour combattre Bo- naparte, il trouva que les prêtres, représentés sur le temple de Denderah et ceux des bords du Gange se ressemblaient beau- coup. « Les Indiens qui nous accompagnaient, dit-il, obser- a valent ces ruines avec une admiration respectueuse, à raison et de la ressemblance entre les diverses figures qu'ils voyaient a là et les divinités de leur patrie : aussi croyaient-ils que ce a temple était l'ouvrage d'un de leurs rak-schahs, qui avait vi- a site ce pays (1). » Tant de rapports pourraient-ils être seulement accidentels? N'indiqueraient-ils qu'une simple origine commune? ou la colonie qui civilisa l'Egypte venait-elle de l'Inde? La tradi- tion veut que ce fussent des Indiens, probablement des Ba- nians conduits par des Brahmanes. Les tombes égyptiennes sont pleines d'étoffes, de pierres fines et d'ustensiles indiens qui attestent des relations entre les deux pays, malgré l'antique préjugé qui attribue aux sujets des pharaons l'horreur de la mer. Le nom même de Manès, auteur de la civilisation égyp- tienne, qui se rapproche de celui de l'Indien Manou (2), attes- terait que quelque colonie indienrîe, parvenue sur la côte occi- dentale de la mer Rouge, au lieu de s'y établir, gagna l'Ethiopie, y assujettit la race primitive des Arabes abyssiniens, et se ré- pandit de là en Egypte. On a découvert en Ethiopie des carac- of, etc., Londres, 18! 9; mais, par syslènie, il ne se sert pas des monuments ni des découvertes récentes. (1) Bibliotlièque britannique, t. XXXVni, p. 20S-72f . (2) CAnvEB, dans les Travels thrie Manitou, sous la fonne d*un graoë serpent. Cela vienves une fois abattues par les Perses, l'Egypte devint-elle le théâtre d'invasions irrésistibles ; Grecs, Romains, Byzantins, Arabes, Fatimites, Gurdes, Mamelucks, Turcs, la désolèi'cnt successivement jusqu'à ce que le pharaon qui maintenant Vop- prime savamment, en faisant du fond de son palais d'Alexan- drie trembler Constantinople, comme Sésostris et Saladin fai- saient trembler Babylone et Bagdad, vint lui promettre une nouvelle vie (2). (1) Langi.es, Noies sur le Voyage de Nordeny t. III, p. 299-349. (2) On sait que, depuis la mort de Méhémet-Ali, TËgypte est relomhée sous la dépendance du sultan. ( Note de la 2* édition française) 486 DEtlXl^HK ÉPOQUE. PHENICIENS. CHAPITRE XXIV. BI8T0IRB tx msTinmoNs. L'Arabie Heureuse devait anciennement renfermer un très- grand penpie agricole et commerçant dont la navigation s'éten- dait le long de TÂfrique^ jusqu'à Sofala^ ainsi que sur les côtes occidentales de l'Inde et celles du midi de la Perse. Quelques voyageurs (1) ont affirmé Texistence de ce peuple de TYémen, déjà civilisé et puissant six cents ans avant Salomon^ appelé ensuite par les Grecs les HomériteS:, et qui constituait le royaume des Himyarites ou Sabéens. Une preuve de son anti- quité résulterait de ce que Ninus réclama le secours d'Arieus ou Aricus, l'un des princes de ce pays qui, si nous en croyons Strabon^ était constitué en castes^ à la manière des Indiens et des Égyptiens. G^est probablement de ces Arabes que dérivent les Phéni- ciens, ou, comme les nomme l'Écriture , les Ghananéens : Hé- rodote fait déjà mention d'eux, lorsqu'il dit que les Arabes^ au temps de Gambyse^ avaient des comptoirs sur la Méditerranée» de Gaditis jusqu'à Jéniso (2). Aussi les Phéniciens s'aperçurent- ils du commerce qu'ils pouvaient faire avec l'Inde par la mer Rouge , et résolurent-ils d'enlever quelque port aux Iduméens. tl est certain qu'ils entretinrent constamment des relations avee les Arabes de Saba : il est probable qu'ils tiraient de l'Yémen l'or qui, selon Strabon, s'y trouvait en abondance, par grains quelquefois de la grosseur d'une noix, et dont les naturels fai« saient des bijoux qu'ils échangeaient contre le double d'argent ou le triple de bronze. (1) PoRORE, Spécimen Mstoriœ Arahum, — âlb. Schultens, Eistoria imperii vetmlissimi Jectanidarum %n Aràbia Fe^ici. Hardovici GueldronnD, 1786. (2) LiTre m, 5. PHBNICIBN8. — BISTOIM BT INSTITUTIONS. 487 On peut done croire que les Phéniciens habitèrent d'abord le long K DBUXliME BPOQUB. Peut-être est-il vrai que^ dans des temps très^reculés^ la Mé- diterranée n'existait pas^ et qu'une vaste plaine remplie d'ha- bitants régnait à la même place qu'elle occupe aujourd'hui^ jusqu'à ce qu'une immense convulsion de la nature souleva les Apennins, sépara Galpé d'Abila, et, par cette ouverture, préci- pita la mer sur la florissante vallée, ne laissant à découvert que le flanc des monts et les plateaux qui formèrent depuis l'Espa- gne, ritalie, leurs lies et celles de l'Archipel. Le souvenir de cet événement est écrit pour les géologues dans le gisem^t des terrains , pour les mythographes dans les exploits d'Her- contraire indépendants, et devinrent souvent redoutables non-seulement aux Hébreux, mais aux Sidoniens eux-mêmes. Ce fut seulement après Moïse qu'ils s*établirent définitivement dans la petite contrée qui prit leur nom , étendu pins tard à la Palestine entière ; et ils y occupèrent ou fondèrent les cinq villes de Gatt Éhron, Asealon^ Asdod ou Azotus et Gaza, D'après M. Mo- vers, les plus anciennes émigrations chanauéennesou phéniciennes, émigrations antérieures aux colonies parties de Sidon ou de Tyr, prirent trois directioos principales. La première de ces directions embrasse les côtes sud et ouest de 1 Asie Mineure, en y joignant les rivages voisins de la Thrace et les lies jetées sur toutes ces côtes, à commencer par File de Chypre, toute pleine de religions phéniciennes, soit pures, soit mélangées avec les cultes grecs apportés plus tard par les colonies helléniques. M. Movers pense qu'en Ciiicie des colonies phéniciennes s'établirent au milieu d'une tribu chananéenne venue antérieure- ment dans ce pays. Il retrouve positivement une pareille tribu dans ces fameux Solymes, connus depuis les temps homériques, qui habitaient à l'ouest des Ci- liciens, qui [larlaient la langue phénicienne et qui adoraient Saturne, c'est-à- dire Baal. I>e nombreux vestiges des religions phéniciennes, ou sémitiques eu général , se remarquent également sur les côtes occidentales et septentrionales de l'Asie Mineure. Enfin les Cabires de Lemnos, d'Imbros et de Samotbrace, à ia suite desquels se retrouve Cadmus, le même qui fut le fondateur de Thèbes aux sept portes ; ces Cabires, que l'on adorait dans un temple de cette ville, achèvent de nous montrer l'influence de la religion phéniciemie pénétrant par le nord jusqu'au cœur de la Grèce, où elle arrivait d'un autre côté par le sud, des lies de Rhodes et de Crète. C'est ici la seconde direction des émigra* tioiis phéniciennes ou chananéennes qui, parties des côtes de la Syne ou de l'Asie Mineure, couvrirent les deux lies que nous venons de citer, occupèrent celle de Cytbère, et de là passèrent dans le Péloponèse. Par une troisièoie direction, et avec des effets plus vastes encore, sinon plus frappants, que ceux des précédentes, les tribus phéniciennes, chananéennes, arabes, parties de U Palestine et des pays voisins, se portèrent en Egypte, et de là le long de la c6te septentrionale de l'Afrique, ainsi que dans plusieurs Iles et sur plusieurs points des côtes méridionales de l'Europe. Ce sont, en effet, des nomades de cette race que M. Movers Toit dans les fameux Hyesos , dans ces pasteurs dont les rois forment les XY% XYI* et XYII* dynasties de Manéthon. Yoy. M. Guigniaot, Religions de Vantiquité, t. II, 3* partie, Paris, 1849, p. 822 à 834. (Note delà 2* édition française.) .. ^ PHIRICIIUIS* •— HltTOlBB BT INSTITUTIONS. 4S9 • oule. Un tel désastre facilita les communications entre les pays sauvés du cataclysme , qui autrement seraient restés peut-être barbares et ignorés^ comme laTartarie et Tintérieur de TA- frique^ tandis qu'une multitude de ports et Fétendue des côtes multiplièrent les relations et propagèrent la civilisation. Les Phéniciens vinrent profiter de cet avantage en s'établis- sant sur cette lisière de terre qui s'étend entre le Liban et la mer. La tradition raconte que» trente siècles avant J. C, M^n- roum enseigna aux Sidoniens à se couvrir de peaux^ à cons- truire des maisons^ à faire jaillir le feu de la pierre^ et qu'ayant abattu un arbre^ il le lança à la mar et en fit un navire. Le vé- ritable Memroum dut être la nécessité et la nature du pays ; car la pauvreté du sol et l'oppression portent ordinairement les nations au commerce et à Pindustrie : témoin Venise^ Gênes ^ la Hollande. Le commerce était si naturel à cette contrée^ que chaque fois que Tépée d^un conquérant vint interrompre Tœu- vre de la paix, une nouvelle ville surgît aussitôt pour prendre la place de celle qui était détruite. Si Nâbuchodono3or extermine Sidon, Tyr s'élève en face de ses ruines, et lorsque Tyr suc- combe, son destructeur lui-même bâtit, au milieu du désert, Alexandrie, qui, après tant de désastres, n^a pas encore aujour- d'hui perdu son importance. Nous aimerions à passer des annales de peuples condamnés par des despotes à l'immobilité ou à un mouvement forcé, à celles d'un peuple qui, comme les Phéniciens , fonde son exis- tence sur le négoce et l'industrie, se disperse parmi les nations voisines ou éloignées, faisant (selon Télégante expression de Bianchini) commerce de lois et échange d'habitudes policées. Mais, par malheur, nous sommes ici dans les ténèbres. Les écri- vains hébreux, notamment Ézéchiel et Josèphe, ne font men- tion qu'incidemment des Phéniciens; le dernier, ainsi qu'Ëusèbe dans la Préparation évangélique, nomme Dius et Ménandre d'Ëphèse, historiens de Tyr; Théodote, Ipsicrate et Mochus sont cités par Tatien (i); nous savons par Appien (2) que les Tyriens enregistraient leurs événements particuliers et ceux des peuples avec lesquels ils eurent affaire : mais le temps n'a épargné que quelques fragments détachés. Sanchoniathon, his- torien national, le plus célèbre après Moïse, avait écrit un (1) OratioadGrweoSyVl'dn, (2) Ub. f , ^ 17. 4M DKUXlàKI iPOQIW. traité de la pUlosofriiie d'Hennés^ une théologie égypiiaafuie et les (astes de la Phénieie. Ses deui premiers ouvrages ^ puisés dans les écrits de Thaut et dans les registres déposés dans les sttdctuaires des Anoonéens^ nous «iraient initiés à la sdenee égyptienne et phénicienne arec d'autant plus de certitude que le roi Abibal , auquel Sanchoniathon les dédia^ en avait fait re- connaître Texactitode par une conunisâon de savants. Son his- toire fut traduite en grec par Érennins Philon de Byblos^ qui vivait dans le second siècle après notre ère; mais la traduction est perdue comme l'original ^ sauf quelques fragments qui se rapportent plutôt à la cosmographie (1)^ On a dernièrement (1) Les fragments de Sanchoniathon, insérés par^Eusèbe dans la Prépara- tion évangëlique, ont été depuis longtemps l'objet d'une controverse animée, les uns admettant et les autres niant leur aothentieité. « Personne n'a traité d'une noani^re «usai large et aussi approfondie eette question , dit M. Gui- gniaut, que M. Movers, qui a consacré à la discuter le 3* et le 4* chapitre de son ouvrage sur la religion des Phéniciens. Ces peuples, d'après lui, eurent des fifres sacrés dont ils attribuaient Torigine à leurs divinités. Le dieu pre- mier principe de cette réfélation , l'antique Bel ou Chijun, on Saturne ^ est identique à ChoH on à V Hercule de Tyr. C'est de lui que ces livres auraient pris le nom de San-Chon»Jdth, qui veut dire la loi entière de Chon, et re- présente le canon sacerdotal , existant à la fois dans toutes les villes princi- pales de la Phénicie, comme le my tique $anch>nialbon, collecteur supposé de ces écrits antiques, et pendant du Vydea ou Véd Sarepta, Botris^ Oriosia> villes moins considérables. Toutes ces villes^ singulier spectade d^opulence^ furent bâties Tune après Pautre^ selon le besoin du commerce. Sidon^ la première entre elles, mentionnée par Moïse^ domina jusqu'au temps de Josué et d'Homère. Prise .alors par un roi d^Âscalon , ses haUtants élevèrent Tyr^ qui bientôt éclipsa sa métropole. D'autres Sidoniens fondèrent Arad^ et ce&,trois cités élevèrent d'un commun acc(M*d celle de Tripoli^ qui de là prit son nom (1). GouTfrne. Elles uc formaient pas par leur réunion un seul État; mais, comme les républiques italiennes du moyen âge , chacune d^el* les avait dans son territoire une organisation distincte^ sous un roi ou des chefs particuliers. Leur lien dans là paix était le culte de Melkarth et des intérêts communs; le danger^ dans les circonstances difficiles. L'autorité des chefs, comme il arrive dans les pays commerçants, était tempérée par d'autres magis-* trats qui marchaient de pair dans les cérémonies, et avec les- quels ils devaient se concerter pour les ambassades à envoyer. La diète générale des principales cités se tenait de temps à autre dans Tripoli, où les rois délibéraient avec rassemblée sur les mesures à prendre pour l'avantage de toutes (2). Rois. to4o.»76. L'historien Josèphe nous a conservé la série des rois de Tyr depuis Âbibal, contemporain deSaûl. Iram, son fils^ fut d'a- bord en guerre avec les Hébreux, puis fit alliance avec David et Salomon. Il recevait d'eux de l'huile, du vin, du blé, et il leur fournissait en échange des marins pour la navigation du golfe Persique, des charpentiers, des maçons, des matériaux pour la construction du palais et du temple. Ce dernier peut donner une idée de l'habileté des Phéniciens dans l'art d'édifier, indé- pendamment de ce que l'on rapporte dé celui de Melkarth dans l'île de Tyr, qui, dit-on, n'avait pas d'égal au monde. Iram en (i) Le désir connu des anciens peuples de rappeler dans une nouvelle patrie les noms de la première nous permet de suivre la trace des migrations des Phéniciens. Néarque, au temps d'Alexandre , visitait les Iles Tynts et AradiUt et la ville de Sidon , dans le golfe Persique. Les ties de Balirain , à feinboo- chnre de l'Euphrate, furent appelées Tylos et Aradus rces noms furent enfio portés sur les cMes de la Méditerranée. Il est vrai qu'on pourrait nous rétor- quer Targument et croire que ces noms, et ceux également phéniciens qn'oB récent voyageur a renrontrés dans le golfe Persiqtie (Lettre du docteur Ssvas» dans la Correspondance mensuelle du baron de Zacli, septembre i8l3), pro» tinrent de colonies phéniciennes transplantées dans ces parages. (2) ABiEN, IT, î4, 15. — PionoRE, ir, 113. PHENICIENS. — HI8T0IBB EX INSTITUTIONS. 408 éleva aussi an à Astarté y un autre au Jupiter national^ et en-" toura la ville de murailles , en la réunissant à la terre ferme au moyen d'un môle merveilleux. On ajoute que Salomon recon- nut mal les grands services d'Iram ^ ce qui cependant ne rompit pas leurs relations; ils s'écrivaient^ au contraire, fré* quemment, et s'envoyaient des énigmes, en imposant une amende à celui qui ne parviendrait pas à les déchiffrer. Après Iram viennent Beleazar (976), Abdastrate (969), As- tarte (94«), Aserim et Jhelès (936) ; puis Éthaal Y' (926)? père de Jézabel. Badezor, successeur de ce dernier, donna le jour à Pygmalion, Barca, Anne et Élise ou Didon (879-746)? Celle-ci avait épousé le grand prêtre Sichée, que tua Pygmalion pour s'emparer de ses richesses. Elle parvint à lui échapper, et alla fonder Carthage (591). Sous le règne d'Ëthaal II, Nabuchodoiiosor assiégea Tyr, et, après une défense de treize ans (572), la détruisit, apportant ainsi par la fureur des conquêtes une grave perturbation dans les pacifiques opérations du commerce. Une nouvelle Tyr prit la place de Tancienne ; et quand Cyrus étendit au loin ses con- quêtes, les Phéniciens se soumirent à lui, préférant le paye- ment d'un tribut aux chances d'une guen*e : ils conservèrent d'ailleurs leurs constitutions et leurs rois nationaux, ainsi que le commerce continental de l'empire des Perses. Ici, le spectacle d'un peuple industrieux nous offre un inté- rêt bien plus puissant que les vicissitudes d'une dynastie. Nous le voyons s'élancer d'un territoire restreint et ingrat pour s'a- venturer sur les flots, mettre à profit le bois que lui offre le Liban, et utiliser les anses nombreuses de la côte : placé sur les confins des trois parties du monde, il recevait d'une main les productions de l'Asie et de l'Afrique, pour les offrir de l'autre à l'Europe. A l'intérieur, il s'appUquait aux arts de la paix (1), et nous avons vu les rois d'Israël lui demander ses architectes, ses sculpteurs, ses ciseleurs et ses fondeurs en bronze (2). Les Phéniciens conservèrent dans les constructions de leurs villes beaucoup des habitudes troglody tiques, et la Phé- nicie est encore aujourd'hui parsemée de grottes. Mais on ne trouve plus de monuments purement phéniciens, à moins qu'on ne veuille considérer conmie tels quelques-uns de ceux de l'île (i) Viderunt poputum ImhUantem in ea^aàsque nullo timoré Jtixla conmetudinem Sidonitn'umf seeurum et quietum. mdic. XVIII, 7. {9.) HoiHf m, 7, la. 404 DBUXIBMI ÉPOQUE. de Chypre^ pripdpdement dans le voisinage de L4irnaca, et quelques statues transportées à Londres des côtes de Barbarie. Nous en avons quelques-uns modifiés par le mélange des types étrangers^ comme le bas-relief égypto-phénicien de Garpentras^ et d'autres gréco-phéniciens. Les Grecs leur ont atMbué la plus surprenante des inven- tions^ celle de l'alphabet; mais les Grecs eux-mêmes rappellent des inscriptions antérieures à la migration de Cadmus^ et peut- être les Phéniciens ne firent-ils autre chose que faciliter Pécri- ture par Pintroduction du papyrus (1). L'alphabet phénicien était te même que celui dont se servirent les Hébreux jusqu'à Cyrus, et que les Samaritains conservèrent; mais ils eurent aussi des caractères sacrés et secrets. Les inscriptions connues jusqu'ici sont funéraires ou religieuses; et trois fragments d'écritures phéniciemies, récemment découverts, attendent des interprètes dans les bibliothèques de la Propagande, du Vati- can et de Turin (2). On croit généralement qu'à Tembouchure du fleuve Bélus fut inventé le verre (3), qui, par la suite, aida à connaître l'im- (1) Cbe. Fa. Webeb, Vermuh einer Ge$ehêehte ésr Sehreibkumt. Gost* tingen, 1S07. (2) Jusqu'en 1837 on connaissait soixante-quatorze inscriptions phénicienDes, puniques ou libyques, reproduites on interprétées dans l'ouvrage de Géséoins. Depuis lors ce nombre s'est augmenté de trente-cinq. Parmi les inscriptions récemment découvertes, la plus étendue et la plus intéressante est celle de marseilte. Elle est gravée sur deux fragments de pierre, bien ajustés, que mita BU im maçou démolissant une vieille maison située non loin de Tetnplaceineat occupé autrefois par le temple de Diane. M. de Saulcy en a publié le premier une traduction en 1846. En 1847, M. Judas en donna nn fac-similé dans son ouvfAge intitulé : Étude démonstrative de la langue phénicienne. Enfin M* l'aiibé fiarg^ «n a fait parji^lre dans la même année une traducliun cooi- plèle avec commentaires. L'insQr.iption est divisée en treize paragraphes, et contient différentes dispositions concernant les offrandes qui doivent être pré- sentées aux prêtres par les maîtres des sacrifices dans le temple de Baal. Voy. ia Phénicie, pa< M. Hoefer, Pai is, 1 852, p. 140. (Note de la 2* édition française.) (3) Les anciens connaissaient-ils le verre ? Le plaçaient-ils à leurs fenêtres? L'opinion vulgaire répond , non ; l'histoire , oui. Hérodote ( Uv. III , $ 54) p.irle de caisses de momies en verre, ûa).»<; : Aristophane le nomme dans les Nuées, V. 766, et dans les Acarnanes, v. 73 ; Aristote également. Galien en- seigne la maaière de le faire; Lucrèce, Hoi^ce, Martial , Sénèque, sont des au- torités irréfragables. Pline (XXXVI, ch. 26) dit : ^one quondam Us officinis nobili , siqtUdem etiam spécula excogitaverat. Hœe fuit antiqua ratio vitri. Peui^tre indique«t-il ici qu'ils disaient aussi les miroirs. Au temps de ce naturaliste on donnait an verre toote couleur et toute forme, soit par le souffle, soit par le tour, soit même en le ciselant. Fundiiur in officinis, tin- PHÉNICIENS. -— HUrrOUB ET INSTITUTIONS. 49ê menfiité de la création^ depuia la marche des corps célestes ju»* qu'à la structure de l'insecte imperceptible à l'oeil nu. Us s'en servaient peu ou point pour les fenêtres, puisqu'ils laissaient leiurs appûiements ouverts à l'air libre. Le métal était préféré pour k^ coupes; mais ils couvraient de verre les parois de leurs chambres ; Us en faisaient des ornements et des colliers, en le mêlant à l'ambre et à l'ivoire travaillé. Les Phéniciens furent renommés aussi pour la finesse de gitui-que, alvudflatu flguratur^ aliud tarno têritur, aliud argenii modo cxlalur. (U>id.) Il fatt menlion, hstsc Dioa Casâîus, d'un individu qui ««rait parviuu à rendre le verre malléable, chose qui, tout improbable qu'elle soit, indique combien cet art était avancé. On a exhumé des fioles à Pompéi; ou a trouvé à Herculanum des pâtes de verre cotorié pour simuler des pÛTres Unes, conformément à ce que dit encore Pline : Fit et alimm et murrhinum , aut hfocinthosy sapphirosque imitatum, et omnibus uliài coloribus .... maxif mus tamen honos in candide transhicentibus, quam proxima crisialli simililudine. Le verre blanc , et qai se rapproche le plus de la transparence du cristal, était donc comme aujourd'hui le plus estimé. Néron paya 6,000 ses- terces deux petits vases de verre, tant ce genre d'ouvrages avait acquis de perliection dans la forme et dans l'omemenl. On substitua même les coupes de verre à celles d'argent et d'or : usus vero ad potandum argenti meialU et auri propuUt (Pline, ib). Peut-être les anciens auront-ils pensé de bonne heure au plus grand avan^ tage du verre, celui d'en garnir les fenêtres en donnant ainsi passage à la lu- miëre et non à l'air. Mais aucune autorité ne nous eu donne la certitude pour les temps reculés. 11 en est fait mention pour la première fois daijis l'ambassade de rHébrev Philon, quand les envoyés d'Alexandrie comparent 1( s fenêtres de verre à celles en pierres spéculaires : xoXç CoXco Xeux^ dia^aveai «apaicXTioicoc XCOoK. Fea, daus sou Histoire de l*art, commenta ce passage et recueillit plu- sieurs indices des second et troisième siècles a^rès J. C , d'où résulte indubi- tablement l'iisage des vitres aux fenêtres. Ihlougez, dans le Dictionnaire d*anf tiquUés 4ie V Encyclopédie méthodique^ en a réuni d'autres, mais tous des temps inférieurs et dès lors inutiles, puisque J'on a trouvé à Hercolanum dea vitres entières que l'on voit au musée de Naples. On découvrit, ettl772, à Pompéi , une croisée ayant près de trois paUnes d'embrasure, dont Jes vitrea carrées étaient grandes d'une palmes Notis pouvons donc supposer qu'on en faisait d^à usage plus anciennement, quoiqu'on employât plus souvent les pierres spéculaires. Celles-ci étaient si transparentes, que Pline, pour donner une idée de la simplicité du vernis qn'Apelles étendait sur ses tableaux, 4it qu'on y voyait veluliper lapidem speculareminiuentibus. Les plus belles venaient d'Es|iagne et de tappadoce; d'autres se tiraient du Bolonais, et il y en avait dans quelques endroits dont la longueur allait jusqu'à cinq pieds. On n'en trouve plus de cette espèce : elles furent remplacées par le verre, qui peu à peu devint d'un prix très- modique. Sénèque dit : Qumdam nostra demum prodisse memoria sdmuSf ut spectttoriortim mus perluemte Adonis. au commencement de juin, le fleuve de ce nom coulait^ comme aujourd'hui encore, empourpré par les ocres qu'il charrie dans ses crues, on disait que son onde était teinte du sang de Pâmant de Vénus, tué dans le Liban. On lui offrait alors des sacrificesl funèbres, on se fustigeait jusqu^au sang ; les femmes surtout éclataient en gémissements et coupaient leur chevelure, hom- mage qu^elles pouvaient racheter en se prostituant, et en offrant au temple le prix de leur déshonneur. Ces Adonies, qui ne sont pas étrangères à la tradition d'Osiris,se propagèrent beaucoup; nous les retrouvons à Antioche sur TOronte, à Alexandrie d'E- gypte, à Athènes, à Chypre, à Argos ; et Théocrite et Bion nous sont témoins de la magnificence de ces cérémonies et du deuil efféminé qui y régnait (1). A Azotus on adorait Dagon, Dercéto à Joppé (2); mais nous ignorons le nom qu^ils donnaient à leur Neptutie, en l'honneur duquel ils jetaient à la mer un grand nombre de victimes hu- maines. Sept Gabires (3) ou Pateks étaient des dieux protecteurs ou des forces élémentaires : on y ajoutait Esmoun, dieu de la médecine, dont le temple, à Béryte, était fréquenté par les ma- lades, qui venaient y dormir (A) et obtenaient des guérisons miraculeuses. Le père des Cabires était appelé Sydyck, prin- cipe du feu ; on portait leurs images sur les navires. Ce furent (1) Théocrite, XV. — Bion, I. On sait quel soin le législateur et les pro- phètes hébreux apportèrent à repousser au loin ce culle. La malédiction en- éourae par la descendance de Cham, pour avoir découvert la nudité de son père, devait éloigner les Hébreux de l'adoration du Phallus. (2) Dagon, dont le nom semble venir de Z)a^, poisson, était adoré comme un dlen demi-homme et demi-poisson, non-seulement à Azotus, mais dans les autres villes des Philistins. Il paraît avoir été distinct de la déesse Atergatis ou Dercéto y qui s'en rapproche cependant aussi bien par les mythes que par les représentations figurées. (Note de la 2* édition française.) (3) Soit de xateiv, brûler, soit de cabirim, qui, en persan, veut dire les forts, soit du mot hébreu chaberim, les associés. Kibir, qbir, en maltais, signifié le diable. (4) C'est à quoi parait faire allusion Isaïe, dans le ch. lxv, 4, où il dit : Populus,.. qui immolant in hortis,,. qui habitant in sepulcris, et in delu- bris idolorumdormiunt. 32 ÔOO DEUXIÈME EPOQLE. peu^-étre les Phéniciens qui en introduisirent le culte dans la Samothrace. Hcttarth. Le plus grand des dieux était Melkarth ou roi de la cité ; il était surtout adoré dans Tyr, dont la puissance croissante lui valut de Remporter aussi sur les autres divinités du pays. Le culte de cet Hercule était transporté partout où abordaient des colonies phéniciennes, et il formait le lien entre celles-ci et la mère-patrie (1). Les Carthaginois envoyaient à son temple la dîme des revenus publics au commencement du printemps, époque à laquelle y accouraient les Théores de toutes les colo- nies. Dans toutes on lui allumait chaque année un grand feu, d'où on laissait s'envoler un aigle ; scène que les Grecs trans- portèrent sur POEta, et que les Romains adoptèrent dans leurs apothéoses adulatrices. Les ruines d'un temple de Melkarth existent encore à Malte ; mais le plus magnifique des édifices consacrés à ce dieu était le temple de Cadix, où il n'avait pas d'autre simulacre que la flamme. Nous pouvons juger de la puissance des prêtres chez les Phéniciens, en voyant leur pontife Sichée, beau-frère du roi Pygmalion, et eux-mêmes répandus par centaines dans Israël dès qu^ils y sont tolérés (2). CHAPITRE XXV. DU COMMERCE (3). Les Phéniciens furent surtout renommés pour le trafic; et comme on pense généralement, ce qui est en grande partie la (1) Le Melkarth de Tyr, assimilé par les Grecs à leur Jupiter Olympien aussi bien qu'à leur Hercule» se rapproche à bieu des égards de Baol-Chammon ou Baal-Moloch^ dieu du feu en même temps que du soleil. Melkarth parait avoir pénétré fort anciennement dans la Grèce, mais il ne s'était pas originairement associé au type d'Hercule. C*est Traisemblabiemeot sous les formes de Méii- certc et de Meilichios (Zev; MsiXi/toç), qu'il nous apparaît. En effet, le dieu marin Mélicerle paratl être dérivé du Melkarth tyrien, dieu de la navigation, et le surnom de Meilichios pourrait bien être une forme hellénisée du ooui de Melkarth ou de celui de Moloch. \oy. M. Maiîry, Éclaircissements au II* vol. des Religions de V antiquité. (Note de la 2« édition française.) (2) RoiSf 1, ch. xviii, XXII, et ci-dessus, p. 241. (3) Consulter en outre Touvrage célèbre de Heeren : Gatterer, Einleitung zur synchronisttchcn Universal historié, £icnHORN, Geschichte des ostindiscfien Handels. DU COMMERCE. 501 faute des historiens^ que les nations de Tantiquiténe furent que guerrières et conquérantes, nous nous arrêterons quelque peu à démontrer Pimportance et la nature de leur commerce, Tun des agents les plus efficaces de la civilisation. Il est facile d'imaginer que le besoin suggéra l'échange mu- tuel; mais si nous demandons à Fhistoire comment cet échange s'étendit de peuple à peuple, quelle est Fépoque à laquelle on substitua aux denrées les métaux précieux, où furent battues les premières monnaies, jusqu'à quel point le trafic aida dans le principe à la civilisation, elle ne sait pas nous répondre. Lais- sant donc de côté les conjectures pour les faits, nous reconnaî- trons que dans l'antiquité le commerce différait de celui des modernes en ce qu'il se faisait principalement par terre. Ce n'est pas que les mers, et en particulier la Méditerranée, ne fussent sillonnées par des navires ; mais c'était un mode secon- daire, un accessoire au commerce de terre. Les choses durè- rent ainsi jusqu'à ce que la navigation autour de PAfrique et la découverte de l'Amérique vinssent changer la nature des rela^ lions entre les peuples. Les négociants devaient naturellement se diriger vers les pays qui offraient le plus de productions à exporter. L'Europe était en grande partie inculte ; mais, lors même qu'elle se civilisa, elle avait encore peu d'objets d'échange à proposer aux étran- gers, et devait se borner au commerce de consommation. Les côtes d'Asie et d'Afrique ouvraient au contraire un vaste champ aux spéculations; c'était surtout sur les rives del'Indus que les besoins du luxe trouvaient à se satisfaire. Gomme les Arabes et les Mongols modernes, les anciens Perses avaient de l'or et de Pargent en telle abondance, qu'ils l'employaient non-seulement à l'ornement des palais et des trônes, mais encore aux ustensiles les plus communs. D'où le tiraient-ils? Dans l'Asie Mineure, le Méandre et le Pactole roulaient des sables d'or, mais il ne pa- raît pas qu'il y en eût des mines. Le Taurus en a peu, jusqu'au point où il se divise pour embrasser le désert de Gobi, d'où l'on en tirait une grande quantité, ainsi que de la grande Bucharie. Gette chaîne en devient plus riche en s'avançant vers le levant. Mais ces régions, peu connues aujourd'hui. Tétaient encore bien moins dans les temps antiques. Les mines qu'exploite maintenant la Russie, au delà du lac Baïkal (1), n'en fournis- (\) Agalharcllidas, dans Photius, décrit la manière dont les anciens ex* 602 DEUXpKlfB EPOQUE. saieni guèr^ alors) i( en venait beaucoup plus dô la Sibaria. Quant à l'argent , si abondant sous la domination persa, que certains peuples payaient tout leur tribut en espèces^ il se tirait du Caucase^ de la Bactriane, et encore plus de l'Espagne. Les perles et Jes pierres précieuses, très-recherchées pour la parure des rois et des prêtres, pour anneaux, cachets, poi- gnées, bracelets, chaînes, et même pour le harnachement des chevaiix, venaient du cœur de l'Afrique et de Tlndostan. Le golfe Persique, les côtes de Ceylan et de la péninsule au delà du Gange, furent toujours très-abondants en perles (1). Ce fut de ces parages qu'elles allèrent orner les femmes de Darius, comme de Tippoo-Saïb, mort en défendant sa capitale contre les Anglais, et du roi de Lahore, Radjet-Sing, quand naguère il recevait pompeusement les envoyés de l'Europe. Le Levant possède, en outre, les laines les plus fines, le poil du chameau et de la chèvre d'Angora, du chanvre sans trayaient et purifiaient l'or. l\ croit plus malheureux que tous les antres les esclaves employés à ces travaux. « On brise d'abord^ au moyen du feu, la rochis q^ui renferme le minerai ;. on détache alors les morceaux avec des instruments en fer ou ^ force de bras, ce qui est l'ouvrage des plus jeunes et des plus vi- goureux : on creuse ainsi les galeries en suivant la veine. Chaque mineur a une lanterne attachée à son bonnet; ils doivent travailler dans une attitude des plus pénibles, selon l'ordre du surintendant, qui les accable de coups. Les enfants courent ramasser les morceaux de minerai détachés, et les por- tent ifD rampant hors de la galerie. Là, les yieillards et les infirmes les remettent aux surveillants. Ceux-ci sont des hommes vigoureux, de plus de trente ans, qui broient le minerai en poudre aussi fine que la farine de froment. D'autres jettent cette poudre sur une table inclinée, et, en y versant de l'eau, ils la frottent avec leurs mains pour en chasser les parties terreuses ; restent ainsi les parcelles métalliques qui sont plus pesantes. On la bat aussi fréquemment avec des éponges, qui enlèvent dans leurs pores ce qui est léger et sans va- leur, en laissant le métal sur la fable. kUe est ensuite donnée aux fondeurs; on y mêle du plomb, du sable, de l'étain, et du «on d'orge; on renflerroele tout dans un vase hermétiquement clos avec du mastic. Ce mélange reste dnrant cinq jours et cinq nuits exposé à un feu violent; le sixièmp, on le laisse refroidir, et on en verse le contenu dans un autre vase, où ne reste que l'or, qui a perdu bien peu du poids de la poudre qu^on y a mise, «i (1) Les Brahmanes reçoivent vingt pour cent des perles que recueillent les plongeurs, en récompense des prières qu'ils font pour éloigner d'eux tous les accidents funestes, et surtout les chiens de mer. 3i quelque fraudeur se sous- trait à ce tribut, il n'a à compter sur aucun secours en cas de sinistre. Avant que les Portugais arrivassent dans les Indes, la pêche se faisait tous les vingt ou yingt-quatre ans ; ils en réduisirent Tintervalle à dix ans ; les Hollandais, à sept ou huit; elle se fait maintenant tous les deux ans, ce qui ne laisse pas aox coquillages je temps de se reproduire et de parvenir à une suffisante grosseur. DU GOMMItliqV. 603 égnl : d^ plus^ le coton et la soie, le premier trèH^mmun , l'autre plus rare, mais que les Mèdes employaient toutefois pour leurs vêtements (i). Sans parler des troupeaux d'Arabie et de Kachemyr, des laines de choix étaient fournies par TAsie Mineure, et spécialement par Milet, aux manufactures de Baby- lone et de la Grèce. Les fourrures n'étaient pas moins recher- chées, plutôt par luxe que par besoin de se garantir du froid. L'encens, prodigué dans les sacrifices, venait de TArabie et de la partie de l'Afrique opposée à l'entrée du golfe Persique; il était donc porté, avec les autres parfums de ces contrées, soit dans la Phénicie, soit en traversant le golfe, à Babylone et dans l'intérieur de l'Asie. Il paraît que la cannelle, qui, de même que le poivre, est aujourd'hui un produit particulier à TAsie, croissait aussi alors dans l'Arabie. Le Uvre de Job fait déjà mention du commerce des Indes et de ses toiles peintes (2). Tels étaient les principaux objets du commerce antique. Mais caraTane». les longues distances, les déserts à traverser, les hordes mena- çantes, obligeaient à voyager en grand nombre, à se faire es- corter d'hommes armés, et à go secourir réciproquement. Quelle qu'en fût la cause, les grands fleuves de l'Asie n'eurent pas, durant de longs siècles, pour les transports, l'importance qu'ont acquise ceux de l'Europe ; mais, dès la plus haute an- tiquité, quand Thomme venait à peine de faire la conquête du chameau et de l'éléphant, noustrouvons les caravanes [kier^ varies). Nombreuses comme elles étaient, il fallait déterminer les lieux vers lesquels toutes se dirigeraient, et choisir les plus favorables pour l'achat et pour la vente. Les fleuves, les sour^ • ces, les ombrages, les oasis, traçaient la route et indiquaient les stations, tant pour le repos que pour les entrepôts et les marchés. En Asie, où l'on traversait des pays civilisés, on fit (1) \\ n*est pas certain que le» passages de la Vulgate pu la soie est nommée indiquent précisément cette étofîe dans Toriginal. «-^ Quant ^ Tusage de la soie dans les empires de la Perse ou de l'Assyrie, Hérodote et Xénophon, se reportant au temps de Cyrns, parlent seulement d*liabits médiques dont ils n'indiquent pas la matière, mais qu'iU désignent comme des objets d'un grand prix, Frocope cependant a expliqué Texpression habit médique par habit fait d'une étoffe de soie : Myi^ixtiv èaO^Ta, {^v vvv ÎTip^xi^jv xaXoCiTi. Veste utipiCK quam SEBICAM oppellant hodie. Voy. Procope , de Bello aendah 1. II, c. VI, et le Mémoire sur le commerce de la soie chez les anciens, par M. Pardessus, dans les Mémoires de V Académie des inscriptions et belles- lettres. Nouvelle série, t. XV. (Note de la 2^ édition française.) (2) If on eonferetur iinctis Indimcoloribm, cli. xxvni. 504 DEUXIEME ]£P0QUB. des chemins et l'on disposa des hôtelleries, ou^ comme on le dit aujourd'hui, des caravansérails. On les construisit et on les entretint avec des dépenses et des efforts dignes d'États despo- tiques, dans lesquels Tactivité d'un peuple entier est concen- trée sur un seul point. Hérodote nous décrit ceux des Pers^, qui ne diffèrent en rien de ceux que Marc-Pol trouva dans la Mongolie. La religion de Mahomet a consacré leur fondation comme une œuvre méritoire. De même que dans le moyen âge, lorsqu^l n'y avait aucune sûreté publique, les religieux réunissaient autour de leur mo- nastère les quelques marchands qui venaient y trafiquer, les protégeant de Timmunité des lieux saints, et les attirant par le concours des fêtes; ainsi, dans ces siècles reculés, les tem- ples devenaient Toccasion et la sauvegarde du commerce. Les pèlerinages annuels servaient de rendez-vous aux négociants, qui s'y réunissaient à des époques fixes, et, continuant leur voyage, s^arrêtaient aux différents sanctuaires, oii leur arrivée correspondait avec les solennités périodiques; de manière quils y trouvaient la foule que la dévotion y avait fait accourir, et par suite plus d^occasions d'acheter et d'échanger. A combien de besoins, à combien de commodités ne satisfaisaient pas les peuples placés sur la route des caravanes, en échangeant leurs denrées avec celles des pays étrangers! Les habitants des con- trées limitrophes, en se rendant en grand nombre aux caravan- sérails, augmentent les communications et les avantages que trouve l'homme à se rapprocher de Phomme. Les nomades eux- mêmes se lient d'intérêts avec les trafiquants en leur fournis- sant les chameaux et en leur servant même parfois de conduc- teurs. Les haltes, les points de départ et d'arrivée, les routes, tout est déterminé. Où s'ouvrent les marchés, les tentes mo- biles se convertissent bientôt en édifices ; chaque année voit s'accroître le nombre des caravanes, des acheteurs , des hô- telleries et des magasins; se former des bourgs et des cités où le luxe et l'abondance fomentent les arts et Pindustrie, les biens et les maux de la civilisation. Ainsi , les habitudes du commerce par voie de terre deviennent de jour en jour plus invariablement fixées. Non pas qu'elles n'eussent à se ressentir des fréquentes révolutions des empires, et ne fussent souvent changées ou interrompues; mais les nouveaux conquérants, ne tardant pas à comprendre Tavantage apporté par le commerce, tant aux particuliers qu'à leur trésor, se hâtaient de rétablir, , BU COMMEBGB. 505 avec la tranquillité publique et la sécurité des routes^ cet échange mutel de la richesse des nations. On peut dire que, dans Fantiquité, le commerce ne se fai- penréei. sait qu'en denrées, se bornant à satisfaire aux besoins ou au luxe, à se procurer les matières premières et à les vendre ou à les échanger lorsque l'industrie les avait raffinées. L'échange en était la forme la plus habituelle, et, lors même qu'on y em- ployait les métaux précieux comme mesure des valeurs, c^était plutôt au poids qu'en pièces monnayées. Uusage de l'argent monnayé, si important aujourd'hui, resta à l'état d'enfance chez les Phéniciens, les Perses et les Hébreux ; s'il y eut plus tard à Athènes, à Alexandrie, à Rome, des changeurs et des banquiers, peut-être ignorèrent-ils le parti qu^on pouv^ût tirer des lettres de change et des traites (1), sans lesquelles on ne sau* (1) Giov. ViLLANi et Sayàry (Parfait négociant) attribuent les lettres de change aux Hébreux bannis de France sous Dagobert eu 640, Philippe-Auguste en 1 181, et Philippe le Long en 1316; retirés en Lomhardie, ils se servaient, pour faire venir de France Targent quMls y avaient laissé, des voyageurs et des marchands, en leur remettant des lettres en quelques lignes. Mais Dupny de la Serre {Traité de Vart des lettres de change) les réfute, l" parce qu*ils sont trop indéterminés quant au temps; 1^ parce que Tordonnance de bannis- sement défendait toute communication et assistance à Tégard des Hébreux expulsés, d*oti suit qu*il n*est pas probable que personne eût voulu recevoir leur argent en dépôt. Il attribue donc cette invention , ainsi que Derubys, his- torien de Lyon, aux Guelfes florentins , chassés par les Gibelins et réfugiés en France, qui, les premiers, firent des traites, principalement à Lyon, où les marchands se réunissaient sur la Place au Change. Les Gibelins, chassés à leur tour, se retirèrent à Amsterdam, où ils en tirent autant. Philippe le Bel fit, en 1294 , avec le syndic et le corps des changeur^ ita- liens , une convention par laquelle ils devaient payer un droit pour les af- faires de cliauge. Mais la première mention formelle des lettres de change est dans redit de Louis XI, mars 14C2, par lequel il confirma la foire de Lyon. Quant au papiermonnaie, Marc-Pol fut le premier à en faire connaître Texis- tence à l'Europe, en ayant vu chez les Mongols, alors maîtres 4e la Chine, qui l'introduisirent ensuite dans la Perse. Ils n'en furent pas cependant les inireu- teurs, mais bien les Chinois. Dès Tan 119 avant J. C., sous le règne de Hu-ti, de la grande dynastie des Hans, un surcroît de dépenses leur fit inventer les pki'pi ou valeurs en peau ; c'étaient des morceaux de la peau de certains cerfs blancs, d'un pied chinois en carré, ornés de certaines peintures ou fes- tons, valant cltacun environ 300 livres : ils n'avaient cours^ à ce qu'il paraît, qu'à la cour et parmi les grands. A partir de 605, jusqu'à la fin de la dynastie des Suis, les finances furent dans on tel désordre, que Ton faisait usage de tout comme d'argent monnayé. Au commencement du règne de Hian-Tsung, vers 807, il fut ordonné aux marchands et aux gens riches de déposer leur numéraire dans les caisses pu- 1^06 DEUIlàm lÉPOQUE. rait obtenir la circulation néccMaire ! les anciens n'eurent point de crédit public^ ni des transmissions promptes, sûres et fréquentes par le moyen des postes. Le principal moyen de transport était le chameau^ de sorte que les caravanes limitèrent leurs courses au pays où il vivait. Quelque prodigieuse que soit pourtant la force de ce vais- seau du désert^ des centaines suffiraient à peine à porter la cargaison d'un gros bâtiment d'aujourd'hui. Le commerce devait donc se restreindre à des denrées de peu de volume : ainsi, par exemple, bien que le riz fût connu en Europe, elle n'en recevait qu'en très-faible quantité; à telles enseignes qu'au quatorzième siècle nous le voyons encore dans les tarifs de nos villes lombardes considéré comme drogue et vendu par les pharmaciens. Que Ton calcule ce que coûteraient le nitre et le sucre s'il fallait qu'ils nous vinssent du Bengale par terre. Les côtes d'Afrique et FÉgypte regorgeaient de froment, et pour- tant , au lieu de l'expédier au dehors, on l'amoncelait dans des magasins jusqu'à ce que la famine contraignît des étrangers à venir le chercher. Le vin exige aussi des chariots et de bonnes routes; or, l'Europe méridionale, qui maintenant en produit le plus, cultivait à peine la vigne, et les pays auxquels la nature h refusa ne buvaient pas de vin. Les huiles, employées au lieu bliques, où Ton recevait en retour des bonsqni eurent cours sous le nom de fey-thsian, monnaie volante. L'usage en fut aboli après trois ans. Taî-Tsou, fondateur de la dynastie des Sungs, permit aux marchands de dé- poser leur argent ou leurs marchandises dans divers trésors impériaux, en re- cevant des pianthsian, ou monnaie commode. En 901, il ee avait été émis pour 1,700,000 onces d'argent, et, en 10*21, pour 1,1SO,000,000. Mais le véritable papier-monnaie, ou , comme nous disons maintenant , les assignats, substitués au numéraire sans aucune hypothèque, furent introduits d*abord dans le pays de Chou, et appelés ci-tsi ou coupons. Cet exemple fiit Imité sous Cin-Tsungi (de 997 à 1022), en faisant des assignats payables tous les trois ans ; six maisons des plus fortes dirigèrent cette opération de finaniie, mais elles faillirent, et l'empereur priva les particuliers du droit d'émettre do papier-monnaie, en le réservant à la couronne. Ceux qui voudront suivre les vicissitudes des assignats en Chine les trou* veront dans les Mémoires relatifs à l'Asie, pv Klaproth, t. I, p. 365. Il oeos suffit d'avoir indiqué que c'est au peuple de ce pays qo'apparUent ane inven- Uon aussi importante. Les Mantchoux, maîtres actuels de la diiae, ig^orastee grand principe d'une l)oone administration financière, que plus on pays a de dettes, plus il est riche et prospère, n'ont jamais mis en drcolation ëc papier- monnaie d'aucune sorte. Il fut introduit au Japon du temps de I>aîri Go-Diagonolenoo, qni ré^ de 1319 à 1331. pu GOM¥F.llGS. ^07 (}e ]3eurre et à t^pt d^^utres usages par les aiiciens^ sont moins difficiles k transporter^, mais on aimait mieux charger des épiées^ deTencens^ des étoffes fmes^ des pierreries, desiiiétaux^ et tout ce qui, sous un petit volume^ renferme une grande valeur. Lps interprètes et les courtiers que nous trouvons en Egypte >*«»<>»««>• nous prouvent que des classes diverses d'individus se consa- craient au commerce; mais on ne doit pas s'attendre à trouver chez les anciens la subdivision du travail des modernes. Au- jourd'hui le négociant peut, en vivant paisiblement dans son hôtel de Londres ou d'Amsterdam , trafiquer avec les d^UK mondes par Tintermédiaire de courtiers, de commis, de corresr- pondants : il devait alors (entreprendre en personne de longs voyages, être à la fois capitaine et propriétaire de 1^ caravane pu du navire. Nous avons dit aussi du navire, car on aurait tort de conclure Marine. d^ ce qui précède que le commerce maritime fftt tout à fait nul. Nous parlerons bientôt des Phéniciens, et Ton verra qu'il en était autrement; mais il se réduisait pour ainsi dire à un simple cabotage, à voyager d'un port à un autre port, d'un promon- toire à Pautre, sans se hasarder en pleine mer. C'était moins encore Tabsence de la boussole qui Farrétait dans son essor que l'ignorance où l'on était d'un autre continent au delà de TAtlantique. A quoi bon s'en aller au large s'il n'y a point de bords? C'est pourquoi nous avons dit (1) que Pimportance de la découverte de Colomb ne consista pas tant dans ce qu'elle révéla des régions inconnues, que dans la direction ^nouvelle qu elle imprima à la navigation en l'arrachant à ses allures étroites pour la lancer dans l'immensité de POcéan, Celui qui connaît la mer sait combien est pénible la naviga- tion des côtes, et quelle utile école elle offre aux marins : les Portugais n'en connaissaient pas d'autre quand ils parvinrent à doubler le cap de Bonne-Espérance, ni les Normands du moyen âge quand ils coururent par toute l'Europe; aujourd'hui encore la pêche de Terre-Neuve et le transport du charbon de teire forment les meilleurs matelots de la marine anglaise. Les trois continents connus des anciens étant contigus, l'amour du gain et des découvertes suffisait pour les faire visiter de côte en (0 Voy. rintroduction, p. 53, et pour tout le reste, l'ouvrage de Heerrn , déjà eité. 508 DBUXIÈMB BPOQUB. côte. La Méditerranée^ correspondant avec la mer Noire ^ eii- tourée des pays les plus féconds et les mieux cultivés, parse- mée d'îles, peu agitée par les marées, facilita les communica- tions. De même dans l'océan Indien, correspondant avec les golfes Persique et Arabique; le peu d'éloignement des côtes, ie grand nombre d*îles, la régularité des vents étésiens, aidè- rent à la navigation. Les vents de sud-ouest, soufflant de mai à o<».tobre, emportaient les navires des rivages africains vers ceux du Malabar et de Geyian ; puis le vent du nord, qui, pendant les mêmes mois, règne dans le golfe Arabique, les poussait par le détroit de Bab-el-Mandeb. L'hiver venu , les vents de nord- est dans la mer des Indes et ceux du sud dans le golfe Arabique favorisaient le retour des bâtiments. desSwTlines. L'invariabilité gardée, ainsi que nous Favons dit, par le com- merce dans son parcours , nous permet d^en déterminer la di- rection. Babylone sur TEuphrate, Bactres et Samarcande sur rOxus, les côtes de la Méditerranée et de la mer Noire parais- saient désignées par la nature pour devenir florissantes en don- nant Tessor au commerce : c'étaient donc là les points de dé- part et d'arrivée des caravanes. Celles qui trafiquaient entre l'Arabie et la Phénicie, chargées des produits de l'Inde et du désert , s'arrêtaient à Pétra, dans l'Arabie septentrionale, et de là gagnaient le Liban. Celles qui faisaient le trajet de la Perse à la Babylonie se di- rigeaient vers la grande ville, où les matières brutes de Flude étaient plus particulièrement travaillées, soit par la Lydie jus- qu^à Suze, soit par Ja Phénicie, en traversant Palmyre dans le désert, Tamsaque sur PEuphrate, et le mur médique; soit enfin par la Syrie, en parcourant la Mésopotamie, contrée' dangereuse par ses bandes errantes qu'il fallait se concilier à l'aide de présents : elles passaient l'Euphrate à Antemusia, des- cendaient à Ëdesse par Bambica , et, franchissant les landes des Scénites ou nomades, elles allaient toucher Scène, à soixante milles seulement de Séleucie, sur le Tigre. Voilà pour PAsie occidentale : pour l'intérieur, les caravanes allaient de Babylone et de Suze dans Plnde, en laissant au nord le désert entre la Perse et la Médie. Par cette route, elles tra- versaient la Mésopotamie jusqu'à Ëcbatane et Rages , vers les portes Caspiennes, aujourd'hui gorges de Dariel (1) 5 seul pas- Ci) Des récits fabuleux attribuent la construction de cette forteresse à oDe PHÉNIGIBNS. — BU COHMSBGE. d09 sage ouvert de ce côté entre l'occident et Porient. De là par Hécatompyle, dans la Parthie; par Alexandrie en Arie , Proph- tasie^ Ortospane, elles atteignaient Tlndus après un voyage de près de six cents lieues. Quand les caravanes voulaient aller de l'Asie occidentale dans la Bactriane et à Samarcande, elles se dirigeaient, après Alexandrie en Arie, par Maracande , vers Plassarte et les fron- tières de la Grande-Tartarie. C'était à Bactres et à Samarcande ( Grande-Bucharie ) qu'était l'entrepôt des marchandises de llnde destinées à l'Asie septentrionale; et là, de même que sur les rives occidentales de la mer Caspienne, accouraient en foule, presque comme à leur marché naturel, les hordes de Fintérieur : il en résultait une communication très-fréquente entre une prodigieuse variété de populations nomades. L'Asie était en outre traversée par une route qui, des villes grecques sur la mer Noire, conduisait par les monts Ourals jusque chez les Agrippéens ou Kalmoucks, dans la Grande-Tartarie. Pour parcourir l'Afrique, les caravanes suivaient la direction dont elles ne se sont pas écartées jusqu'ici, sauf qu^elles partent à présent du Caire. Elles partaient alors de Thèbes, pour aboutir à l'oasis de Jupiter Ammon, où elles recevaient, tant de l'E- thiopie que des nomades, les produits précieux de l'intérieur de cette péninsule, et les transportaient sur le Nil ou à la Méditer- ranée. Les Phéniciens commencèrent leurs expéditions nautiques commerce par la piraterie : au temps de la guerre de Troie , quand Ho- phéSScns. mère exalte Rhodes aimée de Jupiter, et Topulente Corinthe, et la splendide Orchomène enrichie par le commerce, les Phéni- ciens abordaient sur les côtes de la Grèce, y débitant des bijoux et des bagatelles, et enlevant les jeunes garçons et les jeunes filles, qu'ils vendaient ensuite sur les marchés de PAsie ou qu'ils remettaient en liberté moyennant une grosse rançon (1). Us ne certaine Daria, qui y dépouillait les voyageurs, qu'elle faisait précipiter dans le Tereck après s*étre livrée à eux. KlaproUi , si heureux dans ses recherches sur le Caucase , croit que le nom de Dariei vient du tartare dar toi , chemin étroit. (I) Voici ce qu'Eumée raconte à Ulysse, dans V Odyssée : « Mon hôte, puis- que tu m'interroges et t'informes à ce sujet. .... je te dirai : Il est une lie dite SiriaC si jamais tu Tas entendu nommer) , au-dessus d'Ortygie, où le soleil se luontre , non pas très-grand , mais très-bienfaisant ; elle a de bons bœufs, de bons moutons, est très-riche en vin et en froment ; jamais la famine n'envahit ce peuple , et nul autre mal abhorré n'y tombe sur les misérables mortels ; 610 DBUXlBHfi EPOQUE. trouTaieiit pas à cela plus de honte que les Bédotiiiïs d'aujour- d'hui à leurs pillages. Dans Homère, Ulysse raconte à Eunaéé qu^avant de se rendre à Troie , on l'avait vu neuf fois aller en mais, après que les hommes y ont vieilli dans leur cité , Apollon à Tare d'ar- gent survient, accompagné de Diane, et les tue avec ses douces flèches. Il y a deux villes, et tout est également partagé entre elles ; à toutes deux comman- dait mon père Ctéshis Orménide , semblable aux immortels. Là, vinrent les Phéuidens, très-habiles sur mer, portant sur leur noir navire beaucoup de colifichets. Mon père avait au logis une femme phénicienne, grande, belle, ex- perte aux ouvrages splendides. Les Phéniciens rusés l'abusèrent, et, lorsqu'elle allait laver, l'un d'eux s'entretint d'amour avec elle près de la nef profonde, té qui bouleverse d'ordinafre Tesprit des femmes, même lorsqu'il en esc quel- qu'une qui n'y soit que médiocrement portée. Puis il lui demandait qui elle était, d'où elle venait ; et elle lui indiqua bientôt la haute maison de mon père, et : Je me vante de soriir de Sidon, abondante en cuivre, et je suis fille d'AiHbante aux grandes richesses; mais les pirates taffiens nfont enlevée quand je revenais des champs^ et^ m^ayant amenée ici aux maisons de cet homme, ils me vendirent à lui pour un prix convenable. Alors l'homme qai l'avait embrassée lui parla de nouveau ainsi : Ne nous \suivraiS'tu pas au pays, pour revoir la haute maison de ton pèie et de ta mère , et eux- mêmes? Car ils vivent encore , et passent pour opulents. Et la femme Itri répomfit de nouveau : Je le ferais volontiers si vous me promettiez avec serment de me remettre intacte au logis. Ainsi dit-eile, et ceux-ci jurèrent comme elle le leur dicta. Mais après qu'ils eurent juré, la femme parla de noa* veau au milieu d'eux, et reprit, disant : Maintenant, silence; qu'aucun de Vos compagnons ne m*adres$e la pdtole, pour que, si quelqu'un me ren- contre, soit en chemin, soit à la fontaine, il ne le dise pas au vieillard en rentrant à la maison, de peur que lui venant des soupçons il ne m'attache avec des chaînes pesantes et ne trame votre mort. Mais rappelezvous votre parole, et hâtez Cachât des provisions; et quand le navire sera déjà plein de vivres, qiCun exprès vienne vite vers moi au palais, et f appor- terai aussi ce que je trouverai sous ma main. Je vous payerai même en- core autrement mon passage; car j'élève à la maison un fils du bon* homme, déjà alerte, et gui court avec moi dans le voisinage; je le conduirai au navire, et il vous vaudra un prix infini, en quelque lieu que vous le portiez pour le vendre aux étrangers. Cela dit , elle regagna le beau palais ; 6t eux , restant là toute l'année au milieu de nous dans ia nef profonde, ils achetaient beaucoup de richesses. Quand la nef profonde fut remplie par eux pour le retour, ils expédièrent un exprès pour l'annoncer à la femme ; il vint en hâte à la maison de mon père, ayant à la main un collier d^or où était l'ambre enchâssé. Ma vénérable mère et ses femmes se le pas- saient de main en main, et eu offraient un prix en le regardant. Celui-ci y cop- sentit tacitement; et après qu il y eut consenti, il retourna à la profonde nef' Alors cette femme me prit par la main , m'emmena hors de la maison , et ayant trouvé dans le vestibule les tables dressées avec les coupes des convires ordinaires de mon père , aussitôt que eeirx-et s'en allèrent à l'assemblée et ao parlement du peuple, ette enleva et cacha dans son sein trois conpes, et sortit avec moiy qui la suivais aveuglément. Le soleil toml)ait, et tolis les chemins se PHBNlClBNSi -^ DU €OMM£BCE. dit course sur la mer ; et Ménélas apprend a ses enfants que c'est en faisant la course durant huit années à Chypre, en Phénicie, en Egypte^ chez les Éthiopiens, en Lybie , qu'il amassa tant de richesses que nul homme n'en possédait autant. Plutarque aussi (\) dit que les héros s'honoraient du titre de voleurs : dans des temps postérieurs, Solon autorisa les associations pour la piraterie; le brigandage est considéré par Aristote et par Platon comme une espèce de chasse. Les premiers exploits des héros de la Grèce sont précisé- ment contre des corsaires : Taccroissement que prit ce pays dut donc faire changer de système aux Phéniciens qui , selon Strabon, avaient, peu après la guerre de Troie, des points de relâche sur les côtes occidentales de l'Afrique. Nous avons vu aussi que, du temps de Salomon, ils partirent des ports septen- trionaux du golfe Arabique, pour naviguer vers Tarse et Ophir dans TArabie Heureuse et l'Ethiopie , d'où ils revenaient au bout de trois ans, chargés d'or, d'argent, d'ivoire, de perles et d'autres marchandises. Leur commerce prenait trois directions principales : vers TArabie et Tlnde , au midi ; au levant , vers l'Assyrie et Babylone; au nord, vers l'Arménie et lé Caucase^ La première, plus importante que lies autres, suivait la voie de mer comme celle de terre. Sortant du golfe Persique, ils attei^ gnaient la péninsule hidienne en deçà du Gange et 1 ile de Geylan, où ils chargeaient la cannelle et le cinnamome. Soit effet de Thabitud^ qu'ont tous les voyageurs d'exagérer les choses, soit pour écarter des concurrents , ils racontaient que la première y était apportée par certains oiseaux de proie, et que des serpents très-venimeux rendaient l'autre extrêmement difficile à recueillir (^)« Des caravanes de nomades qui se rendaient dansFYémenou eoavraiênt d*ombre ; et nous, parti» précipitanmiêiit, nous gagnâmes un beau port, où était le navire des Phéniciens» rapides mv la mer. Ceux-el, étant montés à bord et nous ayant embarqués, fendirent la plaine liquide; et Jupi- ter faisait souffler un vent propice. INous voyageâmes sept jours et sept nuits; puis, quand le saturnien Jupiter ramena le septième matin, Diane, joyeuse de ses flèches, perça Id femme qui, tombée dans la sentine, fit entendre un cri comme une mouette de mer, et ils la jetèrent en pâture aux phoques et aux poissous; et moi, je restai seul, le cœur attristé. Le vent et Tonde nous portèrent à Itha- que, où Laërte m'acheta pour ses fermes, et c'est comme cela que je vis aussi cette terre. » (1) Homère, Odyssée, IV. — Plutarque, Vie de Thésée. {^) Hérodote, UI. — Le cinnamome est le nom grec et latin de. la cannelle : 513 DBUXIÈHB ÉPOQUE. à Gerrha, près le golfe Arabique^ apportaient de TArabie à Tyr de Pencens, de la myrrhe, de la cassie {laurus casia), du lau- danum (cisiuscreticus), de l'or, des perles, de Tivoire. Ce trafic enrichit beaucoup plusieurs peuples de la Syrie et de l'Arabie, notamment les Édomites de lldumée, qui revendaient aux Phé- niciens ces riches produits, et les Madianites, chez lesquels Por était tellement abondant, que les Hébreux qui les subjuguèrent en trouvèrent assez dans le pays, non-seulement pour le prodi- guer dans leur propre parure, mais pour en faire des colliers à leurs chevaux. Les Phéniciens recevaient de TÉgypte le coton, le blé, des tissus, et lui portaient du vin dans certains tonneaux en terre cuite, que les Perses, lorsqu'ils furent maîtres de TÉ- gypte, disposaient le long du désert en guise de citernes (1 ). La Palestine leur fournissait le meilleur froment , du vin et des huiles , qui sont encore supérieures à celles de Provence, ainsi que le baume qu'on appelle aujourd'hui baume de la Mecque, et que Ton recueillait près du lac de Génézareth. Ils tiraient de la Syrie le vin de Calibon (Alep) et la laine du désert : et c'est précisément par le désert que, continuant la route sur laquelle les nécessités du commerce fondèrent Palmyre et Balbeck, ils gagnaient Babylone, d'où, tournant vers la Perse, ils parve- naient aux pays de la soie. Au nord, ils se dirigeaient vers la mer Noire et la mer Cas- pienne , tirant de PArménie et des pays limitrophes des che- vaux, des vases de cuivre et des esclaves, q^i étaient très-beaux de ce côté . C'est pour ce conunerce d'esclaves que les pro- phètes les maudissaient en les menaçant de voir aussi leurs en- fants vendus un jour aux Sabéens (2). Les Phéniciens construisaient leurs vaisseaux presque ronds^ avec très-peu de quille, pour pouvoir naviguer en rasant la plage ; ils triomphaient du vent contraire au moyen de leur large voilure et de grandes rames. Ils construisirent ensuite pour la guerre des navires longs et effilés : la flotte de Salomon, comme aussi celles de Sémiramis et de Sésostris, durent sortir xtwàpLa>[iov, cinnamomum* Ce%i lui que de grands oiseaux apportaient des lieux où Bacctius a été Dourri, d*après le récit d'Hérodote, et c'est l'arbre qui produit l'encens que des serpents ailés défendaient contre ceux qui Toulaieot s*emparer de cet aromate. Voy. Hér.,1. III, c. 107-112. (Note delà 2* édition française. ) (1) HÉRODOTE , II , 5, 6. (2) JoEi«, IV, I, 8. — Amos, I, 9. PHÉNICIENS. — DV COMMERCE. 513 de leurs chantiers. Ils profitèrent sur la mer des observations astronomiques dont les autres peuples'se servaient pour les di- vinations, et ils s'orientaient en portant les yeux sur la petite Ourse : ce qui a fait dire qu'ils découvrirent cette constel- lation. Ils portaient ainsi les marchandises de l'Orient d'un bout à colonies. Tautre des mers intérieures, sur les côtes desquelles ils fondè- rent d'innombrables établissements qui conservèrent des traces de leur idiome. Ils donnèrent des habitants à Tîle de Délos aus- sitôt qu^elle fut sortie du sein de la mer. Chypre, Rhodes, la Sicile, la Sardaigne, les virent se multiplier sur leurs rivages. Ils tiraient de Malte le corail, la poix d'Italie; ils recherchaient surtout les pays riches en mines, que de gré ou de force ils fai- saient exploiter par les naturels : quelquefois ils y transpor- taient des esclaves. L'Espagne était pour eux un pays de prédi- lection, parce qu'ils y trouvaient Fargent même à fleur de terre; aussi fut-elle pour les Phéniciens ce que le Pérou a été pour les Espagnols. Ils en extrayaient non-seulement de Targent, mais de Tor, de Tétain, du fer, du plomb (1); elle leur fournissait en outre du blé, du vin, de Phuile, de la cire, une laine très-esti- mée, du poisson salé, des fruits exquis dont l'abondance sug- géra ridée de les confire. Un mouton d'Espagne se vendait jusqu'à un talent (2) ; en échange des denrées, ils fournissaient aux naturels le lin, dont les Espagnols faisaient leur vêtement habituel, et ces bagatelles toujours agréables aux yeux des barbares. Cadix était leur point de départ pour des expéditions plus lointaines ; on prétend qu'ils les poussèrent jusqu'à Madère et aux Canaries. Il est certain qu'ils franchirent le détroit, et ils allèrent chercher l'étain, peuirêtre aussi l'ambre jaune, dont le prix égalait celui de Por, dans la Grande-Bretagne et dans les îles Scilly ou Cassitérides ; ils parvinrent même jusqu'à la Prusse et à la mer Baltique, partout enfin où ils pouvaient aller en côtoyant. On rapporte de plus que Néchao, roi d'Egypte, vers Tan 610 avant J. G., leur persuada de faire le tour de l'Afrique : étant donc partis de la mer Rouge, et suivant toujours la terre autant que le permettaient les courants et les vents, ils seraient, après trois ans de voyage, revenus débarquer à l'embouchure (1) ÉzécHiÈL, XXVII, 12. — Strabom et Diodore. (2) Strabon. T. 1. 35 514 l>£U}k»l£MI£ ÉPO(^U|E. du NU par le détroit de Cadix (1). Pour prouver qu'ils traver- sèreut aussi rOcéan, on a prétendu que des inscriptions phéni- ciennes ont été découvertes au pied des Cordillères^ et que le Bélus assyrien et le Mitbra persan eurent leur culte en An^ rique, où les filles du soleil rappellent les vestales^ en même temps que les palais du Mexique et du Pérou offrent les types et les hiéroglyphes de TÉgypte. Quoi qu'il en soit, lorsque Xer- xès assaillit la Grèce avec leur flotte, les Phéniciens n^osèrent pas s'avancer au delà de Samos à l'occident, bien que cette île ne soit pas à plus de soixante milles des premières Cyclades, Myconi et Ténos : ajoutez que le grand nombre de leurs vais- seaux leur eût permis de faire, pour ainsi dire, la chaîne (2), Mais peutr-étre aussi que ce fut une feinte de leur part, quelque nouvel intérêt les détournant de continuer à favoriser les Perses : car l'intérêt était le principal mobile de leurs résolutions; il leur faisait cacher avec soin leurs expéditions pour empêcher que d'autres n'eussent à rivaliser avec eux, et ils répandaient dans ce but des fables étranges que, par la suite, les historiens recueillirent sans discernement. G^est peut-être à eux qu'il faut attribuer les noms effrayants de Bab-el-Mandeby port de Pafflic- tion; de Mété ou mort, donné à un autre port du golfe Ara- ^que, où probablement il faut chercher le Garde fan ou cap des Funérailles. Strabon raconte même que, lorsqu'ils se voyaient épiés par des navires étrangers, ils leur échappaient eu tes éga- rant au milieu des récifs et des bancs de sable, ou ils les atta- quaient en corsaires pour les dégoûter des voyages. Ce qui rend cette a/^rtion moins improbable^ c'est qu'ils n'étaient pas aussi (1) Malte-Brun aie absolument que les Phéniciens aient fait ce tour de i'Afri- quCy qu'avec sa bonne foi ordinaire Hérodote ne fait que rapporter comme un ouï-dire. Mais Miot, auteur d'une traduction française d'Hérodote (Paris, 1822), radmet comme vra). Son principal argument est précisément ce faU qui sem- ble incroyable à Hérodote, que le soleil se montrait à la droite de ceux ^ faisaient le tour de la Libye. l\ est évident, dit-il, que quand les Phéniciens eurent passé le tropique du Capricorne , pour aller doubler le cap de Bonne- Espérance, en regardant le soleil, ils eu voyaient le mouvement apparent de droite à gauche, puisqu'ils avaient le nord devant eux, l'orient à droite, l'ec* eidemt à gauche. Quand Us naviguaient dans la Méditerranée, d'orienlenoeci- à^\iX^ ils avawnt toujours le soleil |k gauche; mais aussitôt qu'ils eurent francbi le détroit de Bab-el-Mandeb, vers l'extrémité de l'Afrique, voyageant d'orient en occidenf, ils voyaient constamment le soleil à leur droite, circonstance tout à fait naturelle, mais toutefois merveilleuse pour des gens qui ne savaient ni concevoir i^ s'en expliquer le pourquoi. (?.) HrnoDOTE, VIII, 132. PUËNIGIKNS. — OU COHaBBGË. 5U loyaux qu*habiles dans les relations commerciales ; de sorte que marché phénicien et foi punique passèrent en proverbo chez les Grecs et chez les Romains. Au reste, tous les peuples commerçants cherchent à avoir des ports où leurs bâtiments soient accueillis, à dominer dans les lieux où ils abordent pour trafiquer, à empêcher la concur- rence, et à éviter les collisions qui peuvent troubler la paix. Telle dut être la politique des Phéniciens ; mais les historiens, plus attentifs à retracer les mutations de règne qu^à faire res- sortir la nature des institutions, ne nous ont pas fait connaître les lois qui régissaient leur commerce. Chez les autres nations, le commerce était un monopole royal : les hôtelleries placées sur les grandes routes de la Perse appartenaient au domaine royal (1). L'unique armateur des ex- péditions pour Ophir était Salomon, comme aujourdTiui Méhé- met-Ali est le seul négociant de l'Egypte ; les Phéniciens, au contraire, se gouvernant en république, ressemblaient aux Eu- ropéens modernes, en ce qu'ils spéculaient pour leur compte particulier, La tradition vulgaire, en racontant qu'ils faisaient usage d'ancres d^argent au lieu de les avoir en fer, indique assez com- bien ils acquirent de richesses. Mais le témoin le plus ancieu comme le plus célèbre de l'étendue de leur commerce et de la magnificence qui en était résultée, c'est Ézéchiel. « Le Seigneur « me dit : 0 fils de l'homme, commence tes lameiatations sur a Tyr. A Tyr, placée sur le rivage de la mer, trafiquant avec a les peuples de tant d'îles différentes, tu diras : Ainsi te parle « le Seigneur : 0 Tyr, tu as* dit en toi-même, je suis d'une a beauté parfaite, et assise au sein de la mer. On t'a construite, c< toi et tes navires, avec les sapins de Senir ; tes antennes, avec a les cèdres du Liban ^ tes rames, avec les chênes de Bazan; les « bancs de tes vaisseaux, avec l'ivoire de ITnde; tes chambres a et tes magasins, avec le bois des îles d'Italie. Le fin lin de TÉ- « gypte fut brodé pour tes voiles ; Thyacinthe et la pourpre des « îles d'Élisa décorèrent tes pavillons ; tu as eu pour navigateurs a les habitants de Sidon etd'Arad, tes sages pour pilotes, et les « vieillards de Gébal travaillèrent à réparer tes bâtiments fatigués. a Tous les navires de la mer et tous les marins venaient trafiquer « avec toi à cause de la multitude de tes manufactures; Perses, (1) £Ta6|Jtd;, Hérodote, V, 22. 53. 616 DEUXIÈME ÉPOQUE. a Lydiens, Libyens, combattaient dans tes rangs, et, avec eux, « les Aradiens et les Pygmées garnissaient tes murailles, y appen- « dantleursboucliersetleurs casques pour teservird'ornements. « Les fils de Tharsis Rapportant toute sorte de richesses : argent, et fer, étain, plomb, remplissaient tes marchés ; l'Ionie, Tubal et « Mosoch, les fournirent d'esclaves et de vases de cuivre; Tho- « gorma ( la Cappadoce ), de chevaux et de mulets ; Dedan, « tf ivoire, d'ébène, et de housses pour les chevaux et pour les « chars. Les Syriens fréquentaient tes marchés avec des éme- a raudes, [des coraux, des rubis, de la pourpre, des toiles ou- « vrées, du lin, de la soie (sericum), et toute autre marchandise « de prix. Juda et Israël t'offraient blé, baume, miel, huile et «résine; Damas, ses vins, et ses laines aux vives couleurs; « Dan, les fils vagabonds de Yavan (les Grecs) et Mosel, le fer « poli, la casse, la canne odorante; les Arabes et les princes de « Cédar, devenus tes commis, des agneaux, des béliers, des « chevreaux ; Saba et Rama, des parfums, des pierres précieu- « ses, de l'or. Haran, Chené, Éden, Assur, Cheîmad, venaient « avec des balles d'hyacinthe et des masses d'ouvrages en bro- a deries, de meubles coûteux et de bois de cèdre. Tes rameurs « t'ont portée dans bien des eaux ; mais le vent du midi t'a brisée « au milieu de la mer : tes flottes trembleront aux cris de tes « amiraux. Par le savoir et par la prudence, tu as acquis la « force ; Tor et l'argent ont rempli tes coffres ; par ta grande « habileté et par tes trafics, tu as multiplié ta puissance, et ton « cœur s'est gonflé ; pour cela, le Seigneur a dit : Tu mourras « de la main des étrangers. Toi, devenue un modèle de sagesse « et de beauté parfaite, regorgeant de biens, couverte de perles, c< de topazes, de jaspe, de chrysoUthes, de béril et de saphirs ; c( experte dans l'art des flûtes et des tambours; symétrique- ce ment alignée dans tes rues, du jour où tu fus bâtie jusqu'à ce « que la richesse t'ait pervertie ; tu tomberas, et au bruit de tes « gémissements descendront des navires tous ceux qui tiennent c( la rame, et marins et pilotes viendront à terre et pleureront c( amèrement, et ils diront : Comment a péri Tyr, qui dans le « cercle de ses relations embrassa tant de peuples ; Tyr, qui par « la multitude de ses trésors et de ses colonies, enrichit les rois c< de la terre (1)?» (1) Chap. xxvn, xxviii. voir les commentaires de MiCHAELis et Robert. Le chapitre lx d'Isaïe peut servir aussi à l'histoire du commerre antique. PHBNICIBN8. — DD COMMEBCC. 51t Les Phéniciens furent aussi d'un grand secours à la civilisa^ tion parleurs colonies. De même que nos puissances maritimes, et surtout l'Angleterre, font aujourd'hui, par de pareils moyens, pénétrer notre civilisation au cœur de FAmérique, au fond de PAfrique, dans Tlnde, dans la Chine et dans l'Océanie , où elle survivrait sans doute, si, par malheur, elle devait périr en Eu- rope; ainsi firent ces conquérants pacifiques de Pancien monde, se préparant une autre existence après leur chute, comme un père qui laisse en mourant une famille nombreuse. Il est cons- tant que les peuples riverains de la mer se multiplient avec une grande rapidité. Aussi les Phéniciens, faute d'un territoire assez étendu, étaient-ils obligés de chercher un écoulement à leur population croissante et pauvre en la transportant ailleurs. Parfois encore, les divisions intestines, si faciles chez un peuple que l'habitude de vivre sur les flots rend impatient de tout frein civil, chassaient hors du pays une faction qui s'en allait ailleurs fonder une colonie. Ainsi naquit Carthage , qui devait plus tard succéder à Tyr et Sidon, et rivaliser avec la reine prédestinée du monde. Si les modernes qui s'aventurèrent à de lointaines expédi- tions trouvèrent nécessaire de fonder çà et là des comptoirs pour déposer les marchandises qu'ils transportaient , recueillir les productions de l'intérieur du pays, favoriser l'échange des mies et des autres, c'était alors chose d^autant plus importante que les voyages se faisaient lentement et que les communica- tions étaient rares. S'ils ne voulaient donc pas avoir à combat- tre de nouveaux ennemis chaque fois qu'ils revenaient sur une plage, ni consumer beaucoup de temps à se procurer des échanges, et encore avec la perte qu'éprouve d'ordinaire celui qui offre, force était aux Phéniciens de fonder des colonies : l'exploitation des mines, but principal et presque unique de ce peuple , les leur rendait encore plus nécessaires. Ils exploitèrent de cette manière toutes les îles de l'Archipelj, et nommément Chypre, la Crète, les Sporades, les Cyclades, les îles de l'Hellespont, et jusqu'à Thasos, en face de la Thrace, où ils extrayaient de l'or. On leur attribuait, dans l'Asie Mineure, la fondation de Pronettos et de Bithynium, établissements qu'ils furent contraints d'abandonner avec d'autres encore à mesure que les Grecs croissaient en nombre et en force. Les Étrusques les chassèrent de même de l'Italie; mais ils prospérèrent en Sicile, où ils portèrent le culte d'Astarté, qu'on y appela Venus 616 DBUXIBMB ÉPOQUE. Ëryciiie^ et où ils élevèrent à un grand état de splendeur Pa- noraié et Lilybée. U est à croire cpi'ils considéraient la Sicile et la Sardaigne comme le centre d'expéditions plus éloignées^ tel que Test aujourd'hui pour nous le cap de Bonne-Espérance. La côte septentrionale de TAfrique était parsemée de leurs colonies^ dont les principales, à Touest de la petite Syrte, étaient Utique, Carthage, Adrumète. Ils avaient à Memphis un quartier en propre pour leurs caravanes; et il est probable qu'ils établirent des comptoirs pour le Levant sur le golfe Persi- que, dans les îles de Tyloset d'Arad (îles Baharein). Lorsqu'ils s'allièrent avec Salomon, ils partagèrent avec lui le commerce de la mer Rouge, que leur disputèrent d'abofd les Iduméens. Ils multiplièrent surtout leurs établissements en Espagne : les principaux existaient en Andalousie , depuis Tembouchure de la Guadiana et du Guadalquivir jusqu'aux royaumes de Murcie et de Grenade; les plus florissants étaient Tartesse, Gadès, Cortija, Malaca, Hispalis (Béville), et les colonnes d'Hercule. Hercule fut pour les Tyriens le type dans lequel ils symboli- sèrent rhistoire de leurs colonies. Ils dirent que ce héros, vou- lant faire la guerre en Ibérie au fils deTopulent roi Chrysaorus^ réunit une flotte en Crète, île qui servait d'anneau entre les colo- nies phéniciennes, traversa l'Afrique, où il introduisit l'agricul- ture, ^t fonda la ville d'Hécatompylos ; que, parvenu au détroit, il passa à Cadix, soumit l'Espagne, enleva les bœufs de Géryon, puis revint par la Gaule, l'Italie, et les îles de la Méditerranée. Telle fut précisément la marche de leurs colonies. Mais les Phéniciens ne surent pas , comme dans la suite Carthage , les tenir dans la soumission, n'ayant ni la facilité ni le moyen de ies contenir avec des armées, ce qui fit qu'elles s'émancipèrent bientôt. En effet, ils se livraient peu à l'exercice des armes, et ils confiaient leur défense aux mercenaires de l'Asie, comme les Vénitiens aux Dalmates et aux Esclavons. Aussi subirent-ils souvent le joug des conquérants ; mais ils écartèrent du moins ces funestes ambitions qui parfois entraînent à la guerre même lès peuples commerçants, les' plus intéressés à l'éviter. On ne leur connaît pas d'autre conquête que Chypre, où ils bâtirent Citium (Kitim), et où ils se maintinrent toujours. Leurs colonies étaient donc bien différentes de celles des Européens modernes, œuvre du hasard plus souvent que le ré- sultat d'un dessein prémédité, et offrant la plupart du temps le déplorable spectacle de la tyrannie et de l'iniquité. Les Phéni- GRÈCE. ^ raftlitXMS*aAilTANTS. ii^ dens difttribtialÉtit les fours sur tes points les plsà ffUtorâbtes au commerce^ el n'y portaient point la manie de conquérir^ comme il est advenu pour PAmérique ; mais ils bâtissaient déè villes^ excitaient Tindustrie^ s'attachaient les peuples nouveaux par le lien des besoins réciproques : leur esprit de ru$e et de fraude contribuait aussi à éveiller chez ces nations encore sau^ vages la connaissance d'eux-mêmes et la valeur de leurs propres richesses. Si personne ne doute que les colonies modernes ont été d'un grand secours aux sciences, à la civilisation, à Taccrois- sement des richesses, combien plus durent Pétre celles des an- ciens! Les relations continuelles entre la métropole et les colonies étendent le cercle des connaissances, développent les idées po- litiques, et perfectionnent l'organisation sociale; aussi verrons- nous les colonies grecques, dans l'Asie Mineure et en Italie , se signaler par la puissance et le savoir , et reporter au sein de la mère-patrie la civilisation et les arts. GRÈCE. CHAPITRE XXVI. PREMIERS HARITÀNTS. Vous êtes des enfants qui ne savez que les choses éCaujour^ d'hui et d'hier, disaient à Solon les prêtres égyptiens, en faisant allusion au peu d'antiquité de l'histoire grecque. Au lieu de se perdre, en effet, dans les millions d'années des Orientaux, elle abandonnait les périodes divines, et s'en tenait aux demi-dieux et aux héros , sans pourtant se montrer sobre de fables. Loin de là, l'imagination vive des Grecs et leur vanité nationale en inventèrent une infinité, mais toutes embellies par ce sentiment esthétique qui, chez aucun peuple, ne fut aussi parfait que chez eu^. De cette faculté, jointe à leur admirable aptitude non-seulement à s'approprier, mais encore à s'assimiler les trar ditions étrangères , résulta une telle fusion , qu'il devint très- difficile d'en distinguer les éléments; aussi les tentatives faites Jusqu'ici pour saisir le véritable sens de leurs mythes hîstori- 520 DBÇXlftHB SPOQUB. ques ont-elles {produit des systèmes plus ou moins séduisants pour Tesprit^ mais dénués de cette solidité propre à satisfaire la raison (1). (1) Les historiens grecs sont au nombre des plas grands écri?ams; aussi nous réserroncHious d'en parler au livre III. Mous nous contenterons de mentionner ici qu'HÉRonoTE, Plutarqde, Strabon, nous ont transmis beau- coup de traditions sur les temps primitifs. Ceux des livres de Diodore qui en traitaient sont perdus : Tiotroduction de Thucydide et la description de la Grèce de Pacsanias nous offrent de précieuses nolions sur de petits États isolés. Dents n'HALiCARNAssE a conservé la suite des traditions relatives à la migration des Pélasges vers Toccideot ; on Ta traitée trop légèrement de fabu- leuse. Petit Radel a pris sa défense. {Sur la véracité dç Denys d'Halicar- nasse ) ; puis, dans V Examen analytique et comparatif des synchronismes de l'histoire des temps héroïques de la Grèce (Paris, 1828), il a mis en ordre les temps héroïques, en comparant les principales dynasties et les géné- rations, calculées de trente à trente-lrois ans, avec les faits et les monuments. Peut-être a-t-il parfois pris pour des monuments grecs ceux appartenant à une population antérieure. On trouve des éclaircissements fort utiles dans le Thésaurus antiquitatum grxcarum de Gronovius, 12 vol. in-folio; dans les comptes rendus de diffé- rentes académies, surtout dans les Mémoires de celle des inscriptions et belles- lettres, depuis 1789, et de celle des sciences de Goettingen. Sont aussi à consulter : PoTTER, Archœologia grœca, or the Antiquities of Greece, 2 vol. în-8% Londres, 1722. Clinnton, Fasti ellinici, John Gillies, The history of ancient Greece, its colonies and conquests from the earliest accounts till the division ofthe Macedonian empire in the east, including the history of littérature^ philosophy and the fine arts; Londres, 1786, 2 vol. in-4». W. MiTFORD, The History of Greece, Londres, 1784, 3 vol. in-4®. Celui-ci est plus érudit, plus profond, plus abondant; le précédent a plus de justesse, et comprend mieux Tantiquité. Clavier, Histoire des premiers temps de la Grèce, 2* édition, Paris, 1822. Fréret, Observations sur les premiers habitants de la Grèce. L. D. Hdlliiann, Premiers temps de V histoire grecque, 1814 (allemand), ouvrage rempli de considérations et de conjectures fort intéressantes. C. OTTFRiEn-MoELLER, Gcschichtc helUnischcr Stamme und Stadte, Bres- lau, 1820. Welcker et WoLCKER, qui, avec le précédent, nient Torigine égyptienne et phénicienne, pour attribuer tout aux Pélasges, tandis que Raoul-Rochette, Histoire de rétablissement des colonie^ grecques, veut que les auteurs de la civilisation grecque aient été les pasteurs phéniciens, chassés de TËgypte par Sésostris. *^ H. Reingandm, Die alte Megaris, E. Beitrag, Z* Alterthumskunde Grie- chenl. Berlin, 1825. CoNNOP Thirwal, Histoire de la Grèce, traduction française, in-S*". Edgar Quinet, De la Grèce dans ses rapports avec VantiqtUté, PariSi GBkCB. — > PBBMIBBS HABITANTS. 511 ^Écriture nous dit que lone ou Javan y fils de Japhet^ peu- pla les îles voisines [de la côte occidentale de TAsie Mineure^ d'où il serait passé dans les îles européennes. Cette race japéti- tique s'était, comme nous l'avons vu , propagée dans le Nord, et dut s*établir dans la région du Caucase, aux lieux où sont au- jourd'hui la Géorgie, la. Circassie (Tchercassie), la Mingrelie, l'Abasie, au milieu de montagnes qui peut-être s'élevaient, comme des îles, d'une grande mer formée par la réunion des mers Blanche et Baltique avec l'Euxin et le lac Aral, Nous au- rions peine à déterminer les diverses populations que les Grecs confondirent sous le nom de Scythes; ils l'appliquaient à tous ceux qui habitaient le voisinage du Danube, du Borys- thène et du Tanaïs, en deçà et au delà du mont Imavus, et qui se donnaient eux-mêmes le nom de Skolotes (1). Les prin- cipaux dans ce nombre étaient les Cimmériens (2), qui habi- taient aux environs de Kuban sur la mer Noire, et qui, dix- huit siècles avant Jésus-Christ, refoulés par les Méotides (3) , traversèrent le Caucase et passèrent en Arménie. Ce fut aussi dans ces parages que les Grecs placèrent les Amazones (4), po- 1830, tâche de mettre à la portée de tout le inonde les découvertes qui ont été faites à ce sujet. PouQUEYiLLE a inséré dans V Univers pittoresque une histoire de la Grèce écrite avec cet esprit passionné qui pouvait lui être utile pour son Voyage et pour son Histoire de la régénération de la Grèce, mais qui Ta servi bien mal pour«le récit des faits antiques, et ne lui a pas permis de chercher lavéïité ni d'en voir Taccord. Les lecteurs novices se contentent de Goldshith, et ceux qui aiment les hypothèses superficielles s'arrangent de celles de Pav?. V Histoire de la Grèce, du comte Drago (Milan, 1825-1836,6 vol.), ne fait que délayer, en longues et ennuyeuses déclamations, de vieilles idées, décou- sues et serviles : elle va jusqu'à la guerre péloponésiaque. Pour les inscriptions, voir Corpus inscriptionum grœcarum (Berlin, 1826), publié par l'Académie de Prusse. Pour les monnaies, Eckel, Doctrina nummorum veterum, 1792, 8 volu- mes in-8"*. (1) r4'étaient-ce pas les Celtes? Dans l'idiome finlandais, schylta iïgultie encore aujourd'hui arclier. (2) Peut-être les Kimris. Appien, dans Vlllyrie, § 2, raconte que Polyphème et Galatée eurent trois fils, Celtus, lUyrius et Gala, qui, partis de la Sicile, donainèrent sur les Celtes, les lllyriens et les Gaulois, et donnèrent leur nom à ces peuples. (3) Galattophages, Massagètes, Sarmates, Magogs. (4) Quelques-uns ont voulu retrouver chez les Amazones , république de femmes sur le Thermodon, des traces de faits historiques; mais nous serions 52111 ftEÛXitilÈ ÉI»OQtTE. pttlaiion qui n^èst peutrêtre pas entiëremehf ftlbuleuse ; et le souvenir qu'ils conservèrent de la félicité et de la sagesse des pins porté à y voir un souvenir, entremêlé de rites symboliques et religieux, d'un culte de la nature qui domina dans la haute Asie, où la continence, soit perpétuelle, soit à temps, était imposée aux ptêtrèsses; où Ton sait de plus que les hommes et tes femmes changeaient entre eux de Tétements. on à voulu tirer leur nom de oc et de pjxi^à;, sans mamelles, et cette étymofogié a fuit peut-être inventer qu'elles se brûlaient le sein droit. Dans le langage des Circassiens d'aujourd'hui, maza signifie lune , et peut-être les Amazones ëtaient-eiles des prêtresses de cet astre. La construction du temple d'Éplièse, de Smynie et d'antres villes ioniennes qui lenr est attribuée, se rapporte à des migrations religieuses. Texier, chef de Vexpédition scientifique en Grèce, découvrit en 1834, dans les montagnes de la Galatie, près Halys, une enceinte de roches naturelles, taillées de main d'hoiume en façon de murailles, sur la surface desquelles est sculptée une scène historique de plus de soixante figures colossales : elle représente l'entrevue de deux rois, l'un monté sur un lion, l'autre armé d'une massue et coiffé du bonnet ionien. On y voit d'étranges accouplements de membres d'animaux terrestres et marins, difdciles à décrire par des mots. Texier pensa que la ville trouvée dans le voisinage était la pélasgique Thémiscyra, capitale des Leucosyriens ; que l'un ^es deux rois et ceux qui le suivent, ^ux habits et aux cheveux longs, étaient des Amazones ; et que le bas-relief représentait leur réunion annuelle avec les peuples voisins. Mais ces réunions avaient lieu au pied du Caucase et non à Thémiscyra (voy. Strâbon, liv. Xî, p. 503); et Strabon dit de ce peuple mystérieux, que la tra- dition lui attribuait des guerres, des monuments, un grand nombre de villes , mais que déjà, de son temps, on né pouvait plus indiquer le pays qu'il habi- tait : Sttovi 8è vOv bIo-i, ôXiyoi ôà xal àvaTcoSeixTw; xal àTciaxtoç XéYovTs; àicou!;6(jl6vov x. t. X. Il est vrai que d'autres écrivains en font une ville, mais ils la placent près dit Thermodon et de la mer : toutes choses qui nous font douter des déductions de Texier. Pallas, dans la description qu'il donne des mœurs des Circassiens, sur le versant Septentrional dti Caucase, remarque que les nobles vivent séparés de leurs femmes et donnent leurs enfants à élever aux étrangers. Klaproth, dans le voyage qu'il y fit, en 1807, s'occupa beaucoup de recherches au sujet des Amazones; il trouva que la tribu Sauromale, dont les femmes, selon ScjlaX de Coriandre, étaient guerrières à l'égal des hortimes, habitait la Cabourdeet les steppes de Cumes. Hérodote dit que le nom propre des Amazones était Âiorpates, c'est-à-dire tueuses d'hommes ; et Klaproth en trouve Tétymologic dans l'arménien ah', hommes, et sban, sbanog, meurtrier. Fréret la tire du kalmouck enié ou aemé, femme, et tzainej excellente, dont il compose le mot Atnazone; aematzaine, femme héroïque, virago. Mais des cinquante mentionnées par les Grecs, toutes ont des noms grecs, Penthésilée, Thalestris, Antiope, Déjanire, Hippolyte, Ménalippe, Orithye, Thomyris, etc. — Voyei encore la note 9 du 1. IV des Religions de V antiquité : Sur les Àmasones, leur origine, les mythes et les représentations figurées qui les concernent^ par M. GUigtiiatit; (NOlê de là 2* édition française.) GRÈGK. — - »&8MtltiS HÂfilTAnTS. 618 Hyperboréens ou Septentrionaux ressemtde à ces ornements dont chacun se plaît à embellir le pays où il eut son berceau. Hérodote disait que le Nord était la contrée la plus peuplée après rinde. Olen, que Pausanias dit hyperboréen, amena de là une colonie sacerdotale, qui établit dans Délos le culte d'A- pollon et de Diane (1). De là vint Orphée, constructeur de villes et mstituteur d'arts et de métiers; de là Prométhée (%, carac- tère idéal des premiers civilisateurs, qui firent répudier l'in- fâme communauté des biens et des femmes. Aussi s'écrie-t-il dans Eschyle : a Les dieux me font grand tort : écoutez com- a bienj'ai fait à l'avantage des mortels. De brutes qu'ils étaient, «grâce à moi, ils sont devenus des hommes... Aveugles, « sourds, semblables à de vains spectres, ils erraient au hasard, a sans ordre et sans lois; ils ne savaient pas Tart de bâtir des a maisons, le fond des cavernes était leur seul abri; menant * Voy. Éclaircissements sur le deuxième volume des Religions de Vantiquilé. (Note de la 2' édition française.) 524 DEUXIBMB BPOQUB. « de la mémoire^ mère des muses; je leur appris à soumettre à « leur joug les animaux (1). » Quelque grand bouleversement chassa de leur demeure les populations établies autour de la mer Caspienne et du Pontr Euxin. Certaines |tribus se dirigèrent vers les monts Carpathes, d'où elles gagnèrent l'Italie etTÉpire; d'autres, remontant le Danube, arrivèrent jusqu^au Rhin, et, après l'avoir passé, fran- chirent aussi les Pyrénées, et ne s'arrêtèrent qu'à POcéan : il en fut qui, de l'embouchure du Danube,toumant vers le midi, descendirent dans les vallées de l'Asie Mmeure, et produisirent les Thynes, les Bithyniens, les Phrygiens, les Mysiens ; d'autres restèrent entre le Danube et le Dnieper, ce furent les Cimmé- rienset les Tauriens; d'autres enfin, plus spécialement appe- lés Pélasges, s'étabUrent dans les montagnes de la Thessalie et de la Béotie, puis dans le pays qui plus tard se nomma Hel- lade; devenus navigateurs, ils occupèrent un grand nombre d'îles de la mer Egée, Lemnos, Imbros, la Samothrace, et s'é- tendirent dans le pays qui fut par la suite la Carie, FÉolide, rionie, et jusqu'à Hellespont (2): (1) npo{jiE6.^ acte î, se. I. (2) L'origîDe et la marche des peuples pélasgiqnes est l'une des qnesUous les plus étudiées dans ces derniers temps. On n'est pas même d'accord sur l'étj- mologie du nom que les plus faciles tirent de TceXapyô;, grue, par allusion à leurs nn'grations, comparables à celles de ces oiseaux. Mùller le fait dériver de àpYÔç, plaine, mot vieilli, ({ui s'est conservé dans les dialectes de la Thessalie et de la Macédoine, et de neXeco ou 7ie>.65, j'habite ( Gresch. hellenischer Stamme und Séadte. Breslaw, 1820). Petit-Radel a fait attendre quarante ans de nombreux renseignements sur ce peuple, étudié par lui dans tous les pays où il en existe trace ; ayant levé une grande quantité de dessins, et recueilli de nombreuses notions monumentales, écrites ou traditionnelles, il en tira parti pour déterminer l'époque de la fondation de différentes villes. Plus de 450 cités antiques furent observées dans ce but, à partir de 1810, surtout durant l'ex- pédition scientifique en Morée, après 1829. Quatre-vingt-quatre modèles eo relief, rassemblés par les soins de M. Petit-Radel, composent la galerie pélas- gique de la bibliothèque Mazarino, représentant les diverses constructions des Pélasges historiques et des fabuleux Cyclopes. On apprécia les différentes épo- ques de la construction des villes par les diverses méthodes employées pour en élever les murs, presque de la même manière que l'on évalua l'âge delà terre par la superposition des couches. Abel Blouet , architecte en chef de l'expédition de M orée, en examinant si les murs de Mycènes, inhabitée depuis 2313 ans (470 avant J. C), laissaient voir une diversité de construction, eu trou va d'abord une partie conforme aux murailles primitives d'Ârgos, faite parla méthode que Yitruve appelle incertaine ou réticulaire ; une autre, plus soignée, sur les ruines de cette première ; puis, une réparation faite avec des pierres GBBCB. — PHBMIBIIS H4filTAlNTS. 525 Loin de trouver la Grèce déserte, on raconte qu'ils eurent à lutter contre les habitants primitifs, qui se divisèrent, à ce qu^il paraît, dans la suite en deux lignées, les Grecs et les Léléges ou Curetés. Le nom des premiers se perdit plus tard dans celui d^Hellènes, au point qu'il ne fut plus même prononcé dans leur pays natal; mais il se conserva en Italie, où il fut porté par les Pélasges , dits aussi Tyrrhéniens , avant qu'il eût fait place au nouveau (1). Plus tard , les Romains non-seulement le firent presque parfaitement reclilignes. l\ en conclut que le premier ouvrage apparte- nait à la fondation de Mycènes, vers 1790 avant J. C; le second, à des temps plus récents, mais indéterminés ; le troisième, à Tépoque de Persée, fils de Daoaùs. — Consultez sur les Pélasges la note 1 des sections i et ii du livre V des Religions de Vantiquité àe Kreuzer, refondu par M. Guigniaut. R. Lepsius, Veber die Tyrrhenischen-Pelasger in Elrurie. Leipzig, 1842. Abeken, Miltel. Italien, Stutgard, 1842. Connop Thierwal, Histoire de la Grèce, traduction française. A. Maury, article sur les Pélasges dans V Encyclopédie moderne^ 1850. (Note delà 2« édition française.) (l) NJébuhr, dans V Histoire romaine, parle des Pélasges avtc celte péné- tration qui lui fait deviner dans les anciens auteurs le sens de ce qu'ils rap- portent sans l'entendre, et il conclut ainsi : « Les Pélasges n'étaient pas un ramas de zingaris (bohémiens), comme quelques-uns les représenteut, mais des nations établies sur des territoires qui leur appartenaient, tlorissantes et glorieuses dans un temps qui précède This- foire connue des Hellènes. Ce n'est pas de ma part nue hypothèse; je dis même, avec la plus entière conviction historique, qu'il fut un temps où les Pélasges, qui constituaient peut-être la population la plus étendue en Europe, habitaient depuis l'Arno et le Pô jusque vers le Bosphore, sauf que leurs établissements étaient interrompus dans la Thrace ; mais les lies septentrionales de la mer Egée renouaient la chaîne qui réunissait les Tyrrhéniens d'Asie avec les Pélasges de l'Argolide. » Pour ce qui concerne plus spécialement l'Italie, le même Miébuhr conclut ainsi : « Les Pélasges, dénomination nationale sous laquelle il parait qu'étaient compris en Italie les OEnolriens, les Morgètes, les Sicules, les Tyrrhéniens, les Peucètes, les Libumes, les Venètes, environnaient de leurs résidences l'Adria- tique non moins que la mer Egée. Ceux d'entre eux qui laissèrent leur nom à la mer Tyrrhénienne, dont ils occupaient la côte très-anciennement dans la Toscane» avaient aussi un établissement en Sardaigne ; en Sicile, les £lymes, comme les Sicules, appartenaient à cette souche. Dans les contrées intérieures de l'Europe, les Pélasges occupaient le versant septentrional des Alpes Tyro- liennes, et nous les trouvons sous le nom de Péoniens ou Pannouiens jusque sur le Danube, si pourtant les Teucriens et les Dardanieus n'étaient pas des peuples différents. « Dans toutes les premières traditions, les Pélasges étaient à l'apogée de leur puissance ; le récit des événements qui les concernent ne les représente plus qu'à leur déclin et lors de leur chute. Jupiter avait mis dans la balance leur sort et celui des Hellènes, et le plateau des Pélasges trébucha. La chute de Troie était le symbole de leur histoire. ^ à .4 o2Q B^UXifilLB £?0QIJB. teyivv^, jaxm Vé^ndkent même à tous les Hellènes; de même que tous les Tudesqueç furent appelés Germains ou Allemands^ et Francs tous les Européens par les Levantins : nous donmons ainsi quelquefois le nom de Sarra»ns à tous les Arabes. Les Léléges pu Gurètes , subdivisés en plusieurs branches^ comme les Aoniens, les Hyantes^ qui tous deux ne formaient peut-être qu'un peuple avec les Liburnes, habitaient PAcarnanie etrÉ- tolie, et s'adonnaient au comn^erce : vaincus par les Pelages, ils s'établirent partie en Crète, partie dans la Laconie. Déjà plu- sieurs États sont constitués, l'Attique sous Ogygès, Mycènes et Sparte, fondées un peu auparavant, Pliégée en Arcadie, Tarse en Cilicie. L'Argolide obéissait à une autre famille grecque , itTo lorsque Inachus amena les Pélasges dans la péninsule, que, du nom d'un de ses neveux, il appela Apia , et qui, dans la suite, fut appelé Péloponèse. Quiconqiie aura parcouru un prays nouveau pourra en dessi* ner à peu près les confins , tracer la situation des villes , celle des montagnes, et la direction des fleuves; mais ses inexactitu- des frapperont d'autant plus qu'il prétendra agrandir les pro- portions et préciser davantage les latitudes. Nous nous conten- terons donc d^indiquer les faits les plus distincts et les mieux certifiés, sans prétendre assigner aux événements leur temps précis ni entrer dans leurs particularités (1). Nous maintenons cependant que, vers 1800, les Pélasges occupaient tout le pays, de r Arno au Bosphore ; puis , de la mêïhe manière peut-être que les îles de la Méditerranée apparurent au-dessus des flots comme des cimes isolées quand le reste du pays fut submergé, les Pélasges, après de nouvelles invasions de peuples, ne sem- blèrent rien de plus que des colonies séparées. Il est certain que leur nom embrassait un grand nombre de nations, et qu'il y avait beaucoup de variété entre elles. C^est pourquoi on nous les présente sous des aspects entièrement di- vers : on nous les mcmtre en Italie comme ayant enseigné les arts et la civilisation, tandis qu^ils sont dépeints en Grèce comme des sauvages vivant dans les grottes, ignorant toute industrie, et sans aucune sociabilité, à tel point que Phoronée, fils d'Inar chus, leur aurait appris à se bâtir des maisons, à faire usage (1) RaowHlochetfce sait nous dire (\at Pélasge amena sa eolonie dans to Tliessalie en 11S3 ; i'Aigien Trtptolème la sienne à Tafse de Ctticie en 1931; que Phégée fut fondée en 1922; Myeène» et Sparte en 1884. GBÈG£. — PAfiMlBAB HABITANTS. 527 du feu, à vivre en société. Mais les faits ont un bien autre lan- gage pour attester que les Pélasges apportèrent en Grèce, non quelques arts seulement , niais un système entier de croyan- ces, d'arts et de lettres; que ce fut une race au$si bienfaisante qu'infortunée. Leur langue, âpre et plus voisine du latin que du grec, se conserva dans le dialecte éolien et dans Tépirote, que les Hellènes considéraient comme barbares. Ils enseignèi'ent même une écriture dont l'usage était commun avant l'arrivée du Phénicien Gadmus. Établis dans la Thessalie, ils la cultivè- rent. Connaissant les procédés naétallurgiques, ils ouvrirent des mines dans la Samothrace, à Lemnos, en Macédoine, ainsi que faisaient les Cyclopes dans le Péloponèse, la Thrace, l'Asie Mi- neure et la Sicile ; ces Cyclopes qui pénétraient sous la terre avec une lanterne au front, origine de la fable qui ne leur at- tribuait qu'un œil. Les Pélasges élevèrent beaucoup de forte- resses, qui, dans leur langue, se disaient Larisse (1), nom qui, par la suite , devint appellatif. Nous n'oserions dire que leurs constructions soient tout un avec celles dites cyclopéennes , mais elles étaient formées d'énormes blocs peu ou point dégros- sis, disposés les uns sur autres sans ciment, et elles s'étendent dans l'Arcadie, l'Argolide, l'Attique, PÉtrurie, leLatium(2). Ils donnèrent quelques formes de culte à des peuples qui n'a- vaient que des pratiques grossières , sans traditions mytholo- giques, ni même de dénomination précise aflectée à la Divinité. Une colombe prophétisait du haut d'une colonne, au milieu de leur forêt sacrée de Dodpne, dont les chênes rendaient des ora- cles : le centre de leurs rites était la Samothrace, où ils ado- r^ent les Cabires, formidables puissances souterrs^ines (3), (t) Ce nom paraît dérivé du mot lary qui signifiait demeure, et nous donne aussi l'étymoiogie du nom de Lare. (Note de Je 2" édition française.^ (2) INDUS en avons parlé ci-dessus, ch. xxii. (3) Voy. pour leur cuUe, Qoinet, Scheluhg, Welckeb, Ot. Moeller, Ad. PiCTET. — Les Pélasges, dit M. Guigniatit, professèrent une religion fondée sur le culte des puissances invisibles qui se révèlent dans les grands phénomènes de la nature, au ciel et sur la terre, dans ceux du cours de Tannée, dans les vicisûtudes de la vie animale et végétale. Ces puissances, qui leur apparais- saient aiasi dans Faction des forces naturelles, dans les lois les pins simples et les plus frappantes de l'homme et de la société humaine, ils les divinisèrent et les personnifièrent du même coup, mais d'une manière nuve autant qu'é^ ««rgique, et par des symboles non moins grossiers <:|u'expFessifs. L'Hermès iUiOilbalii^tie en est la preuve : oet Hermès, le même que Cadmus ou Cadmilus, le créateur, l'ordonnateur du moi^de au pliysique et au moral, qu'Uérodole, 528 DEUXIÈME ÉPOQUE. Sous le voile même des fables percent les bienfaits qu'ils ap- portèrent avec eux. C'était sur les flancs de l'Olympe^ du Pinde, de THélicon, résidences des Pélasges, que -les Grecs faisaient naître la religion, la philosophie, la musique, la poésie; sur les rives du Pénée, Apollon fait paître les troupeaux, Orphée ap- privoise les bêtes féroces ; en Béotie, Amphion élève des villes au son de la lyre, c/est-à-dire qu'il employa les beaux-arts à étendre la civilisation, et de là vint pour la Grèce le caractère qu'elle ne perdit plus. Ainsi, Olen, Thamyris, Linus, venus de cette 'contrée, éveil- lent par des chants le sentiment religieux, célèbrent la première expédition des Hellènes, les font renoncer aux sacrifices hu- mains et aux haines héréditaires, instituent les honneurs à ren- dre aux dieux , proclament des idées supérieures aux intérêts matériels, profitent enfin à la civilisation plus que les colonies qui arrivent du Midi. Les royaumes d'Argos et de Sicyone , les plus anciens de la Grèce, furent fondés par les Pélasges, auxquels appartinrent aussi les dynasties de Thèbes, de la Thessalie, de VArcadie, et Tirynthe, et My cènes, et Lycasure, réputée la plus antique cité de la Grèce et des îles. Mais comme il est des hommes qui sem- blent destinés au malheur, on dirait qu'il en a été ainsi des Pé- lasges. Orphée est déchiré en morceaux par les femmes de la Thrace, les habitants d'Agylle lapident les Phocéens prison- niers, les fenmies de Lemnos égorgent leurs maris; puis les Hellènes qui leur ont succédé, non contents de les avoir vain- cus, cherchent encore à les diffamer : guerriers, ils jettent le mépris sur cette race agricole et industrieuse; ils parlent de ri- tes sanguinaires, de victimes humaines alimentant la flamme que ceux-ci adoraient comme agent mystérieux de l'art ; la par une exception quMI étend auK Dioscures, à Héra ou Junon, à Histia ou Vesta, aux Charités ou Grâces et aux Kéréides, reconnaît comme un dieu d'o- rigine péia8gique.(Hérod., Il, 5d, 51.) Les Pélasges dont il s*agitici sont encore les Pélasges-Tyrrliènes, instituteurs des mystères cabiriquesà Sàmothrace, et qui portèrent le culte des dieux Cabires partout où ils formèrent des établis- sements. Quant aux Péla^^ges de Dodone, que le Yieii historien n'en distingua pas d'une façon expresse, on peut croire avec lui qu'ils adorèrent d'abord des dieux sans noms particuliers, au même sens que ces Du consentes et corn- pliceSf ces dieux agissant collectivement dans l'œuvre permanente de la créa- tion, que les Romains devaient aux Étrusques, c'est-à-dire aux Tyrrbèoes de ritalit", et que l'illustre Sclielling identifie avec les Cabires, par le mot comme par ridée. (Note de la 2*^ édition française,) GRECE. — PBBMIEBS HABITANTS. 529 Thessalie, la Lycie, la Béotie passent pour des repaires de ma- gicieunes, dont les assemblées étaient le foyer de mystères hon- teux et épouvantables. Chassés de la Thessalie, qu'ils cultivaient depuis deux siècles et demi, les Pélasges se retirèrent dans TAr- cadie et dans le petit territoire de Dodone, puis de là quelques- uns retournèrent en Italie , d'autres se dirigèrent vers la Crète pour y éprouver des désastres nouveaux. Quant à ceux qui de- meurèrent, ils se confondirent avec les vainqueurs, et perdi- rent leur nom. Un autre peuple industrieux , frère peut-être des Pélasges, qui habita les bords de Plrtisc et de Tlénisséi et les côtes de TAltaï , périt de la même manière , sans laisser de descendance. Les Russes de la Sibérie en parlent encore sous le nom de Schiodakis ou Tchoudes (i) ; il travaillait le cuivre, et l'on a trouvé dans les nombreux tombeaux qui lui appartien- nent des ornements d'or et d'argent, tombeaux muets jusqu^à présent, comme les admirables constructions des Pélasges. On fait Deucaiion fils de Prométée et neveu du Pélasge Atlas, HeUènes. ce qui indiquerait tout à la fois l'origine septentrionale de sa colonie, sa parenté avec les Pélasges, et peut-être aussi son identité avec les Grecs, Curetés et Léléges, vaincus d'abord par les Pélasges (2). On pourrait presque prouver tous ces rapports entre ces anciens peuples en comparant leurs langages. Quel- ques philologues soutiennent que les Pélasges parlaient le grec, parce que tel était l'idiome de l'Arcadie et de FAttique, où ils habitaient. Les Latins auraient-ils dû aux Pélasges les mots et les formes grecques dont abondait leur langue? Le grec aurait-il été la langue propre des Pélasges, adoptée par les Hellènes, de la même manière que les Albanais dans la Grèce moderne, les Goths et les Longbards en Italie adoptèrent le langage des vaincus (3) ? Hais, voulant éviter, autant que cela (1) pillas suppose quMls enseignèrent aux Tudesques Part du mineur. (2) Autrefois Grecs, maintenant Hellènes (Tote {ùv Tpaixol vvvSè "ëXXyiveç). Aristote, à^rï% îa Météorologie ^ T, 14, appelle ainsi ceux qui habi- taient les environs de Dodone. (3) La migration des Pélasges en Italie, dit M. A. Maury, explique le fond commun qui existe dans les langues grecque et latine, et qui ne peut provenir que de ce que ces langues Uraient toutes deux , en partie du moins, leur ori^ gine de la langue pélasgique. Celle-ci était encore parlée, au temps d'Héro- dote, à Cortine en Êtrnrie, où, selon une autre leçon du texte de cet historien, à Creston dans la Thrace. Elle lui paraissait tout à fait différente de celle des Grecs. Mais, dans Tignorancc complète où il était, ainsi que toute Tantiquité, de la philologie comparée, il n*a pu «aisir la parenté qui se cachait sous coa T. i. 34 est pojisible, toute diecussion dont les érudits les plus patients n'ont encore pu faire jaillir aucune lumière certaine^ nous con- tinuerons notre )iistoir^ aussi rationnellement que nous le pour? ronsj en nous aidant des fraginents épars et con^adictoires de l'antiquité^ qui^ par suite de ce principe de la nature humaine de rapporter tout k soi-même, ne nous représent^ les révolu^ tions des peuples que sous des noms individuels, Oeucalion s'établit donc au pied du Parnasse^ jusqu'à ce qu'une inondation Fayapt chassé dans la Thessalie^ il en re- poussa les Pelasges, et vint occuper^ dans la Grèce, des États déjà constitués et des villes murées, en y instituant les Am- phictyons. Il eut pour fils Hellénus, de qui les Hellèaes pri- rent leur nom. Celui-ci engendra trois fils, Dorus, Ëolus et Xu- Ëouens.) thus. Éolus pcupla la Phthiotide, d'où ses descendants se répandirent à l'ouest de la Grèce, dans l'Acarnanie, l'Étolie, la Phocide, la Locride, PÉlide, le Péloponèse et les îles occi- dentales, Ils n'y donûnèrent pas; mus ils fieurirent à tel point qu'Homè][^ compare déjà la richesse d'Orchomène k celle de la fhèhes égyptienne, et donne à Corinthe le titre d'opulente. Donis, s'arrétant d'abord dans l'Estiotide, d'où il fut chassé par Im Perrhébiens, transporta ensuite les siens dans la Macâ- doine et dans la Crète : mais une partie d'entre eux, rebrous- sant chemin , franchit TÛËta, et vint se fixer dans la Tétr^^le dorique, qui prit depuis lors le nom de Doride; ils y demeu- r^ent Jusqu'à ce que les Héraclides les conduisirent dans le Péloponèse. Xuthus, diépossédé par ses frères, se réfugia à Athènes, où Creuse, fiUe d'Érechthée, lui donna deux fils, lone et Achéus. Le premier, banni de l'Atiique, se fixa dans l'Égide du Pélo- ponèsâ, qui prit .de lui le nom d'Ionie, et plus tard celui d'A« chaïe. Les descendants d'Achéus demeurèrent dans PArgolide et dans la Laconie jusqu'à ^invasion des DoricQSt Doriens* Ioniens et AEUXI£M£ ÉPOQUE. Quelques modernes ont nié tout à fait ces immigrations (1) : mais^ d^un côté^ la tradition en est si constante et si uniforme que l'historien n'ose la repousser; de Tautre, les Grecs eux- mêmes^ tout vaniteux qu'ils étaient, se reconnaissaient rede- vables envers l'Egypte de beaucoup d'institutions; nous avons indiqué aussi tant de points de ressemblance^ qu'il serait diffi- cile de les croire accidentels. On raconte donc que sous le règne de Gélanor, c'est-à-dire M*** lors de la neuvième descendance du Pélasge Inacbus, aborda en Grèce Danaus^ banni de PÉgypte par les Ghemmites, et qu'ayant détrôné ce roi, il fonda le royaume d'Argos, où il in- troduisit les arts égyptiens, et donna aux habitants le nom de Danaens. Sa fille institua les Thesmophories, fêtes de l'agricul- ture, célébrées sur le Nil en 1 honneur d'Isis, et transportées ici au culte de Gérés, que les Pélasges adoraient sous le nom •«û. de Thesmophore ou législatrice. Une longue suite de rois des- cendit de Danaùs jusqu'à Acrisius, soiis lequel Dus, fils de Tros, et Tantale, père de Pélops, s'étant battus dans la Mysie, i3ct. ce dernier fut obligé de passer d'Asie en Grèce, où il acquit, partie à prix d^argent et partie par la force, l'Apia, qui de son nom, fut appelée par la suite Péloponèse : il en chassa les Hellènes, qui s'y étaient établis au milieu des Pélasges. 1470. Les Mégariens faisaient honneur de leur civilisation à l'Ë- Kio. gyptien Lélége. Cécrops était déjà venu de Sais dans TAtti- que (2), où étaient les descendants d'Ogygès, roi mémorable, nn^ puisqu'un déluge particulier était arrivé sous son règne. Cé- crops trouva les naturels tout à fait sauvages, sans mariages (1) Raonl-Rochettc , enlre antres, nie les colonies égyptiennes. Petit-Radel ne croit pas Inachus Égyptien , contrairement à Topinion de quelques autres, et il suppose que le premier Égyptien qui aborda en Grèce fut Danaûs. Cepen- dant Inachus ressemble lout à fait à j^nac/i,qui,en phénicien, signiGe prioce, et Phéronée, son successeur, rappelle singulièrement les Pharaons. (2) I/origine saïtique de Cécrops ne serait, d'après OU. Mûller, qu*un so- phisme historique. Psammétichus ayant appelé dans S»U , à la défense de sa dynastie nouvelle, des Cariens et des Ioniens, la IS'eilh ég>plienne, sage et bcUkiueuse déesse, aurait été rapprochée par ceux de Pallas«Athéné, et delà, cliez Platon, cette parenté de Sais et d'Athènes. Athènes aurait d*abord pasfé pour avoir colonisé Sais, et plus tard, sous les Ptolémées seulement, Topinion contraire aurait prévalu; Sais aurait élé regardé comme la métropole, et Cé- crops, le héros national des Athéniens, héros dont les pieds de serpent sont le symbole de raulochthonie, n'aurait plus été, contrairement aux plusancieom'fl traditions, qu'un émigré de Sais. (Note de la 2* édition française.) GRÈCE. — PREMIERS HABITANTS. 533 légitimes ni connaissance de la Divinité. Il leur donna des lois^ les façonna à la vie sociale/ abolit la promiscuité des femmes et tout sacrifice sanglant (1). Il régla les rites funéraires^ dont faisait partie un banquet où l'on chantait les louanges du dé- funt. Mais aussitôt que le corps était rendu à la terre^ on de- vait ensemencer la glèbe qui le recouvrait. Il persuada aux Athéniens de fortifier leurs villes pour se garantir de leurs voisins et de se soumettre au gouvernement d'un seul : par lui commença une série de dix-sept rois, qui finit avec Codrus. Cadmus^ venant de la Phénicie, établit une colonie dans la Béotie, où il trouva les Hyantes et les Aoniens^ arrivés dans le pays après une terrible contagion qui avait exterminé les indi- gènes. Il y institua des oracles, bâtità Thèbes la citadelle Cad- méenne (2), et apporta en Grèce Fécriture, qui fut substituée à celle dont les Pélasges se servaient d'abord. (l) c'est ainsi que la plupart iVnleiident ; mais il nous parait Ucmontré que cela ne fut que pour l'autel de Jupiter Hypafus , où , comme dans le La- tium, il était seulement défendu d'immoler les bœufs. Cette compassion nous parait d'ailleurs tenir de l'égyptien , comme il y a de l'indien dans la défense laite par Triptolème de mettre des entraves à l'animal qui laboore les champs. (1) Cadmus pouvait Tenir de la Phénicie et ôlre Égyptien ; ce qui nous con- firme daus cette opinion, c'est de Toir combien la Thèbes grecque ressemble à celle d'Egypte. L'une et l'autre avait ses iles des bienheuretix ; elles croyaient toutes deux avoir donné le jour à Jupiter Ammon et à Osiris Bacchus, et pos- sédaient le tombeau de ce dieu. Millier trouve tout à fait étrange que des Phé- niciens aient été se placer dans un lieu si peu propre aux courses maritimes. — Voss et G. Millier ont supposé que Cadmus n'était pns Phénicien, et ce n'est pas non plus à l'Egypte qu'ils attribuent son origine. Le fondateur de Thèbes était, selon Voss, chef de la tribu antique des Cadméiens ou Cadméens, qu'il croit originaires de la Thrace. Le mythe qui lui donne pour père un roi de Phé- nicie, et pour sœur Europa, à la recherche de laquelle il passa de Tyr en Thrace , et de Thrace en Béotie , serait une invention des prêtres consacrés au culte des Cabires dans la Samothrace, et cette fable aurait été accréditée par eux , d'accord en cela avec les navigateurs phéniciens. Quant à l'opinion d'O. Millier, Cadmus appartient, selon lui , à la race des Pélasges. Son nom , où l'on a voulu voir la preuve de son origine phénicienne , soit qu'on le fit venir de Kadm, l'Orient, ou de Kadmon, VAncien^ serait un nom essentiel- lement grec, qui se compose dans Eucadmos,f\m est analogue à Cosmos^ et qui signifie l'ordonnateur. « Cependant, dit H. Guigniaut {Rel. de Vant,^ II , 1048), si Cadmus n'est pas, dès le principe, le symbole des Phéniciens et de leurs établissements, il faut qu'il se soit formé entre eux et les Cadniéens ou les Pélasges Tyrrhènes, à Samothrace ou ailleurs, une liaison étroite qui ait fini par donner ce tour à la tradition. Quoique pélasgiques et locales, la religion et les légendes mythologiques de Tlièbes sont, comme celles de la Crèle, où se 584 DEUXtÉMB ÉPOQUE. ' -^ ' ■■ . ■ r > CHAPITRE XXVII. PREMIÈRBS EXPÉOmOMS ET 0R6AMIBATI0!! G1T1L6 DES GRRG8. Des immigrations si variées durent apporter aux Grecs indi- gènes des connaissances^ des arts et des institutions sociales; mais il n^est pas aisé de distinguer les vestiges de ce qui leur fut transmis du dehors^ tant Tadmirable nature de ce peuple s'assimilait facilement tout ce qu'il recevait, et lui imprimait un caractère d'originalité. Il sembla réellement que le pays eût été créé pour le progrès des arts, des sciences et de la so* ciabilité. Si une nation grandit au milieu d'une enceinte in- franchissable de montagnes, sans contact, ni lien, ni sympathie, avec d'autres peuples, les lois et les habitudes s'y perpétueront, mais on ne pourra en espérer le développement progressif. Regardez autour de vous, et vous verrez comment, dans les pays sillonnés de fleuves, entrecoupés de golfes, entourés par la mer, l'industrie et les arts sociaux se sont développés ef perfectionnés de bonne heure; comment le despotisme et les constitutions tyranniques n'y ont eu que peu de durée. La Grèce proprement dite est située entre le 36® et le 41* de- gré de latitude (1); la mer la baigne de trois côtés. Au nord, un prolongement des Alpes Garniques, dont le Parnasse et le Pinde sont une ramification, la sépare de l'IllyTie et de la Macédoine : un grand nombre de petites rivières arrosent retrouTent les noms d'Europe et de CacTmas, mêlées d*élémenls< qui nous pa- raissent incontestablement étrangers et phéniciens. C'est ce qui fait que nous ne saurions admettre l'hypothèse de M. Welcker, d'après laquelle Cadmas et les siens auraient fondé une colonie Cretoise à Tlièbes. L'opinion de M. Rùckert {Troja*s ursprung, p. 53) satisferait mieux', tout en excluant l'influence di- recte des Phéniciens, aux conditions du problème, en faisant des Cadméens tine peuplade pclasgique, passée de bonne heure dane l'Ile de Crète, et de là en Lycie, d'où, mêlée aux Carlens, aux Léléges, à toutes ces tribus demi-orientales de l'Asie Mineure, elle aurait apporté dans la Grèce centrale , avec son chef mythique Cadmiis et la divine Europe, qui donna son nom de proche en pro- che à notre continent, ime religion, une civilisation, des arts, des lettres em- pruntés médiateraent à la Phénicie, et justement qualifiés, ces dernières do moins, de cadméenneset de phéniciennes à la fois. » (Note de la 2* édition française.) (1) Au méridien de l'tle de Fer, sur lequel nous nous réglons. PBBMièBBS BXPiDinONS DES GBCCS* 5dâ son territoire^ propice à toutes sortes de cultures^ et auquel sourit le ciel le plus pur et le plus doux. Les oohimunicatioiis y sont facilitées par une côte de douze cent lieues au ihoins^ o'esi-à-Klire trois cent trente de plus que Tltalie^ et quatre ceîits déplus qtie la France.. De là son industriel i^on motive^ ment^ et cette impatiente variété dans les arts^ dans les mœurë^ dansi les ôolonies, dans les traditiohs^ dans leë instiltitidtis^ qui^ hii rendant impossible la civilisation uniforme et ëtationnaire de l'Asie^ devaient Tentrainer d'excès en excèë^ pour aboutir à des résultats inattendus. Tout était mystère en Asi6^ les Castes et la monarchie^ fondées sur la foi > y étaient les symboles de Tunité infinie. En Grèce^ les usages exotiques durettt céder à la nature du pays; les rois y font place à des gouveinements nationaux dans lesquels triomphent Thabileté et TéloqUence; le prêtre y voit briser son bâton augurai} la science s^échappe du sanctuaire pour se communiquer à tous^ et pour montrer que> dans le monde comme dans rhoiiime, tout est mouve- ment : leur mythologie elle-méine enseigne ce perpétuel inoU- vement dans ses révolutions répétées des éléments comme dans ses dieux anciens et nouveaux ^ grands et petits^ dépendants et indépendante, eii guerre entre eux> avec les géants, avec les héros. Entrons donc dans la civilisation européenne ; recherchons-en les éléments chez un peuple qui devint bien vite plus habile que les Phéniciens dans les arts du commerce, plus Valeureux que les Perses ; peut-être moins hardi et moitls gigantesque que les Indiens et les Égyptiens dans ses édifices , mais plus varié et plus gracieux; moins original dans la science, liiaîs plus pratique que ses devanciers. La marche de l'humatiité, chez les peuples de TAsie intérieure et de l'Afrique , ne s'offre à nous que par échappées, comme les souvenirs d'un songe apparu à notre esprit quand, dans ses rêveries, il se sent plus dégagé de la matière, ou comme le récit d'un homme de l'an- tiquité se réveillant de son tombeau, après deux tiiille ans, avec ses idées et son langage d'autrefois. Mais, à l'heure qu'il est, nous allons quitter l'indéfini pour trouver l'histoire véritable , sous le voile attrayant dont la revêtit un peuple doué sur tous autres du sentiment du beau. La première pensée des homtnes d'État de la Grèce dut être de mettre les tribus éparses en relation entre elles : c'est à quoi servirent la religion, les alliaUces, le commence, les guer- 536 DEUXIÈME iPOQUB. Eeiigion. res, les gouvernements. La religion^ sur l'essence de laquelle nous aurons bientôt à nous étendre^ ne put y rester le privi- lège d'une caste : quoique les prêtres qui Fintroduisirent fis- sent tous leurs efforts pour exploiter le mystère au profit de leur domination^ le peuple y fit passer tant d'idées et d'institu- tions nationales^ qu'elle devint le patrimoine commun. Son office fut limité à propager les idées du juste et de Fhonnéte^ à consacrer les sages entreprises par la sanction du ciel ; et quand on convoquait les diverses populations à des fêtes générales, c'étaient autant d'impulsions données au commerce et aux re- lations amicales de ces populations entre elles. Rapprochées et réunies ainsi pour la prière et pour les divertissements^ il était tout simple qu'elles iî*aitassent des intérêts communs ^ que le sentiment d'un droit public germât dans leur cœur^ et que des questions fussent débattues^ des alliances formées. La religion^ n'étant plus ensevelie dans le sanctuaire^ parla par la bouche des poètes, qui n'appartenaient pas au sacerdoce, mais qu'on appelait fils des dieux : on les disait montés au ciel ou descen- dus dans les enfers, parce qu'ils inspiraient à des sauvages grossiers la piété et la clémence. Ils passaient pour savoir ap- privoiser les tigres , émouvoir les chênes, et faire que les pier- res s'élevassent d'elles-mêmes en cités : et cela, parce qu'ils éteignaient les haines sanguinaires, instituaient les associations et révélaient aux meilleurs esprits, du fond de leurs mystères, les secrets les plus importants de la vie morale. La religion inventa les asiles, opposition désarmée à la force brutale. Les jugements étaient aussi chose divine, puisque ceux qui les ren- daient suppliaient les dieux de leur accorder leur pardon s'ils avaient violé la justice; aussi le châtiment fut-il appelé sup- plice, comme on appela sacré le condamné et le maudit. Cette idée se propagea chez les autres nations, et fit regarder la guerre comme sainte, les duels comme des jugements de Dieu, et les vaincus comme des gens abandonnés du ciel. Tant il est vrai que le premier pas de la civilisation est toujours dicté par une raison d'origine divine, tout s'y faisant par les dieux et pour les dieux. Les vaincus ont pour maîtres les races héroïques, c'est-à-dire , les conquérants, qui pourvoient à leur propre conservation par un sénat, ayant pour règle de justice la raison d'État, et dont la loi est en même temps impénétrable dans ses motifs, inviolable dans ses formes. Plus tard, en opposition aux grands, aux fa- PBSM1ÈRE8 EXPÉDITIONS DES OBBCS* 5S7 milles patriciennes, surgit la plèbe^ le démos y la commune^ qui finit par obtenir des gouvernements humains y et sa part dans la propriété des terres ainsi que dans la confection des lois, selon régalité civile. La Grèce n'arriva pas à ce dernier point : Rome seulement fonda ^ après une longue lutte ^ Tégalité de droits entre hommes libres^ jusqu'à ce que le christianisme^ en abolissant Pesclavage^ proclama tous les hommes égaux : loi inscrite désormais dans tous les codes des peuples policés. Es- pérons que bientôt ce sera aussi un fait dans la société pra- tique. Nous devions constater cela dès le débuts afin qu'en parlant de gouvernements et de liberté en Grèce, Fon sache qu'il s'agit seulement de la race dominatrice. Le droit de conquête , que nous avons trouvé chez les nations plus anciennes, est de même établi en principe chez celle-ci, et y constitue une classe puis- sante, plus ou moins éclairée, qui commande à une autre des- tinée à servir et à obéir. A la première les droits, les lois, les jugements, la religion, les armes, les privilèges grands ou pe- tits; à l'autre, sous le titre de paysans, de serfs, d'esclaves, l'agriculture, ^industrie, les bas emplois. Il convient de remar- quer toutefois qu'en Grèce les barrières entre les classes ne sont pas insurmontables , qu'un sage illustre, un grand artiste peut s'y élever du milieu de la foule, et, par d'autres voies, rivaliser de gloire avec les privilégiés de l'aristocratie. Le plus célèbre de ces sénats aristocratiques, qui, gardant Amphictyoni. par devers eux la loi secrète et sacrée, rendaient au nom des dieux des jugements dont la plèbe n'avait pas à connaître, fut celui des princes feudataires de la Thessalie, confédérés contre les Barbares dans la ligue appelée amphictyonique, d'Amphic- tyon, fils de Deucahon, qui avait eu en partage le littoral des Thermopyles , des confins de la Thessalie jusqu'à la Béotie. Ce qui restait de Pélasges s'unit dans cette confédération aux Hellènes, et le culte de l'Apollon Dorien fut associé avec celui de ]a Gérés Polasge. Les assemblées se tenaient, en automne, dans le temple Je cette déesse, à Anthéla, près des Thermopyles ; an printemps, à Delphes, dans le temple d'Apollon (1) : leurs déli- (I) Titmann dit que lesÀmpliictyons se réaotssaieDt au printemps à Delphes, en automne aux Thermopyles; mais Boek suppose que les séances d'automne se tenaient aussi à Uelplies. Il nous parait probable» selon l'opinion de Heeren, que les députés s'assemblaient toujours aux Thermopyles, et se transportaient 6SS DËUXtÈllB Éfd^Ufi. bérations, marquées du nom dU âoilVët^ain pdùUré dèl|)llîqiié^ étaient inscrites sur les colonnes des deux sanctuaires. Chacuilè des villes confédérées y avait deux Votes , et s'y faisait rejnré^ senter par autant dé députés qu'il lui plaisait^ comme eti usaient les provinces des Pâys-Ba§ dans leurs états générâttl Leur unique conventiciti était d'abord de ne pas se îltiire entte elles; c'est pourquoi elles ptôtaient ee sermeut * « Nous n'â«- «battrons aucune cité confédérée^ nous ne détouiliéi^tis « point j soit en paix, soit ett gueri^^ les sources nécessaires aux a besoins des peuples de la confédération; si tout autre l'osait, « nous le combaltriotis jUsqu^à éxteftninàtlon. Si des impies a enlevaient les offrandes faites à Apollôii , lious emploierions « pieds > bras, voik, toutes nos forces contre eux et contre « leurs complices, j) Comme les Amphictyons S'étaient érigés en protecteurs du temple de Delphes , ils prononçaient sur les contestations qui, par hasard , s'élevaient entre les éttarigers accourus à ces so- lennités î Ce qui les obligeait à posséder des' notions de jus- tice générale et à connaître les coutumes particulières. La pru- dence des juges faisait respecter leurs décisions,) que la religion sanctionnait. Il était donc naturel que l'on soumît, en outre, à Cette assemblée des questions de pliis grande valeur. Le temps seUl lui imposa des fortnes régulières, et lui fit embrasser les douze cités de la Grèce septentrionale , apparte- nant aux Doriens, aUx Ioniens, aux Phocidiens, aux Béotiens et aux Thessaliens. Quiconque avait violé le droit public pouvait en être exclu , et un autre peuple y être admis à sa place (1). Ce conseil ne constitua jamais une diète générale appelée à délibérer sur les intérêts de tout le piiys; mais^ composée qu'elle était des députés de toute la Grèce et affectant un ca- ractère sacré , on lui Soumettait les questions de plus haute importance et les difBcultés entre États; aussi était-ce d'elle qu'émanaient les idées sur le droit public, et veillait-on à ce qu'il n'y fût pas porté atteinte. Les Amphictyons faisaient, en un mot, ce que, dans les siècles éminemment catholiques, fit à Delphes après la célébration de certains rites. De là sans doute le nom denv- XaC(i>v, donné à toutes leurs réunions, et de TcuXaYÔpcov aux députés. (1) PAusANiAs^X, S, 3. On assigna deui votes aux Macédonienfl, Thessaliens, Béotiens» Phocidiens, Locriens, ainsi qu'aux Tilles de Nicopolis et de Deipkesi un aux Athéniens et aux peuples doriques de la Doride, ainsi qu'aux EufoéenSf Piusanias ae parle pas des autres. PREMIÈRES ÊXMDltidltS DÈS GRECS. 689 la coiip de Rônië avec ses cài*dinâux^ élus dans chaque langue, investis d'iiti pouvoir feaiis armes , mais supérieur à celui du glaive^ parce quïl s'appuyait sui* les règles éternelles de la jus^ tice; ou ce que font les congrès dans notre siècle ^ terminant par les discussioud diplomatiques les contestations qui autrefois se résolvaient sur le champ de bataille. 8i Ton pense que les Amphictyons siégeaient près de Totacle de Delphes {!)> de sorte qu'ils pouvaient lui suggérer les réponses convenables > et lui faire sanctionner leurs décisions ^ on comprendra à quelle puissance s'éleva cette assemblée, cause principale deTunité de la Grèce et de la résistance qu'elle put opposet* à Xerxès. Elle déchut plus tard, lorsque des orateurs vinrent y mettre le sophisme à la place de la vérité, et que les républiques, ani-^ mées de Tesprit de chicane^ en firent l'arène de leurs querelles^ en détournant sur des disputes partielles son attention, qui de- vait ne se fixer que sur le droit et Tintérét commun; sans compter qtie les tribus doriennes et ioniennes, parvenues une fois à une grande puissance, furent blessées de se trouver à éga- lité de suffrages avec les pauvres habitants de Phthia et du mont OEta, l'orgueilleuse Sparte avec les paysans du bourg de Citinium; de sorte que cette confédération perdit toute vigueur et jusqu^à Pexistence. Le besoin et le lu^e amenè^ent bientôt des relations entre les peuples de la Grèce, puis entre la Grèce et les nations éloi^ gnées. Il semble même que les premières expéditions des Grecs aient eu pour but d'établir des rapports de commerce : celle commerce. d'Hellé, qui donna son nom à rHellespont, et celle de Phryxus, qui aborda à Golchos sur un navire portant la figure d'un mou-^ ton, sont racontées sans le voile de Tallégorie. Le rapt d'Eu- rope indique que les ports de la Méditerranée étaient déjà fré- quentés. C^étaient aussi, à notre avis, dés bâtiments à voilés que le cheval ailé de Bellérophon, la Chimère quMl vainquit, les ailes de Dédale et le dauphin d'Arion, ainsi nommés de la figure sculptée sur leur proue. L'expédition des Argonautes en Golchide est la plus mémo- Argonautei. rable de toutes les expéditions tentées par les Grecs. Cette Hol- (l) Voir à ce sujet C. F. Wilster , de Reîigione et Oraculo ApoUonis Del-- phicl, Copenhaghen, 1827. L. zander, in Erschin, "- ÙiVBEjif Encyclùp, art, et littér,, sect. I, t.xxiii. 540 DBUXliUB BPOQUB. lande des anciens fat favorisée dans son commerce parles deux mers sur lesquelles elle est assise, et qui peut-être se réunis- saient autrefois vers le nord. Le climat en est pluvieux^ le sol marécageux, au point que les maisons, Mties sur pilotis^ étaient séparées par de nombreux canaux. Ses habitants, au langage rude comme leurs manières^ étaient industrieux^ et leur roi Ééta avait amassé d'immenses richesses. Animé du désir de s^en em- itso. parer^ afin aussi de fonder des colonies et des comptoirs^ Jason fit construire au pied du Pélion le navire Argo ; il prit pour ses compagnons la fleur des braves de la Phthiotide et de Sparte : Tiphys^ pilote expérimenté, le médecin Esculape, le poëte Or- phée, Zethès et Calais^ fils de Borée^ Castor et Pollux, du sang de Jupiter, Autolicus, né de Mercure, Thésée, Hercule enfin, le plus grand des mortels et le premier des demi-dieux. Ds par- tent de la Thessalie, visitent Lemnos et la Samothrace, siège du culte des Cabires, entrent dans PHellespont et côtoient l'Asie Mineure. Hercule, Hylas, Télamon, s'arrêtent sur la plage de la Troade, où ils fondent Abdère ; les autres, poursuivant leur route, touchent à Gyzique, à la Bithynie, aux Symplegades, dé- couvrent et franchissent le détroit qui mène au Pont-Euxin, puis anivent à Mariandini et à Ééa en Colchide. On ne sait s'ils s'emparèrent des trésors d'Êéta; il est certain qu'ils établirent des colonies sur le PontoSy qui prit le nom A'Euxenos, hospita- lier, au lieu de celui àÂxenoSy inhospitalier, qu^il avait dû d'abord aux pillages exercés par les Caucasiens sur les navires qui abordaient ces parages. De retour en Grèce, les Argonautes, pour conserver la mémoire de leur expédition, instituèrent les jeux Olympiques et mirent le navire Argo au rang des cmistel- lations (1). dcTitS^M, ^* seconde entreprise des Grecs fut le siège de Thèbes. Nous avons dit que Cadmus avait été le fondateur de cette ville, où ( I ) Deux anciennes chroniqnes citées par saint Clément d'Alexandrie fixaient le voyage des Argonautes , Tune à l'an 83 et l'autre à Tan 84 avant la prise de Troie. Eusèbe, qui parie en divers endroits de cette expédition, y attaciie, i cliaque mention qu'il en fait, une date différente, tantôt soixante-dixsept ans, tantôt quatre-vingt-quatre, tantôt quatre-vingt-dix-neuf avant le désastre d'I- lion. Aussi Fréret déclarait-il que c'était là un des événements du cycle héroïque dont il était le plus difficile d'établir la chronologie. La date, en tout cas, est relative et dépend de celle que l'on assigne à la prise de Troie , qu'elle aurait précédée de quatre-vingt-dix-neuf ans au plus et de soixante-dix-sept au moios- Voy. sur ce sujet la Chronol, lUigieuse de M. Dannou dans ses Éludes histO' tiques, t. V. (Note de la 2« édition française.; PfiËMlàaBS EXPÉDITIONS DES GBEGS. 541 sa dynastie sembla livrée aux plus cruelles infortunes. Après lui régnèrent Polydore^ puis Labdacus, enfin Laïus^ qui, marié à Jocaste, eut pour fils Œdipe. Instruit par les oracles que ce fils lui serait funeste^ Laïus le fit abandonner dans les forêts du Cithéron; mais, recueilli par des bergers, il grandit sans savoir à qui il devait le jour, et, par une suite d'accidents étranges, tua son père, épousa sa mère, et mourut de douleur lorsqu'il reconnut à quels crimes l'avait voué le destin. De son inceste naquirent Étéocle et Polynice, ennemis dès le berceau. Le premier ayant usurpé le trône de Thèbes, Poly- nice, avec Taide d'Adraste, roi d'Argos, son beau-père, vint réclamer sa part du pouvoir. Il avait pour auxiliaires Tydée, roi d'Étolie, Gapanée, Amphiaraûs, Hippomédon, Parthénope, et les guerriers les plus vaillants de la Messénie, de TArgolide et de TArcadie, pays déjà constitués, mais indépendants l'un de l'autre. Les sept chefs, s'étant réunis dans la forêt de Némée, «««• où ils instituèrent les jeux Néméens, allèrent porter la guerre sous les murs de Thèbes, jusqu'à ce que les deux frères se fus- sent entre-tués, et qu'eussent péri les sept chefs, à Pexception d'Adraste. Mais, dans une seconde expédition, les fils de ces Épigones. premiers assaillants, plus vaillants que leurs pères, s'emparè- rent de Thèbes et la détruisirent. Ces guerres fraternelles, les atrocités qui les accompagnè- rent, et les horreurs dont furent le théâtre les palais d'Argos et de Mycènes, indiquent des temps barbares. Ici, Tantale égorge le fils de Pélops et le lui donne à manger; là, Acrisius expose sur la mer sa fille Danaé pour la punir de ses amours ; son fils Persée tue son aïeul et fonde Mycènes, où régnent ensuite les deux frères Atrée et Thyeste. Ce dernier, dépossédé, se venge en violant la femme d'Atrée : Pépoux outragé bannit les enfants nés de l'adultère. Thyeste, dans la suite, abuse de sa propre fille, qui se tue lorsqu'elle est plus tard informée de la vérité. Égisthe, né de cet inceste, égorge Atrée et rétablit Thyeste sur le trône. Celui-ci est attaqué par les Atrides, Ménélas et Aga- memnon, devenus rois, l'un de Sparte, l'autre d'Argos. Aga- memnon immole aux dieux Iphigénie, sa fille ; puis il est assas- siné par Clytemnestre, qu'Égisthe a séduite, et qui reçoit la mort de la main de son fils Oreste. Traditions féroces d'une génération de poètes antérieurs au siècle homérique, sombres comme les mœurs du temps, et destinées à détourner du vice, en mettant en relief ce qu'il a de plus hideux. Ô49 DfiUXlÈlCS BPOQUS. dSVroie Agameninon et Ménélasj, que nous avons nommés les der- niers, nous amènent à parler d'une autre expédition qui eut la plus grande influence sur la Grèce, et dont la renommée ne doit jamais périp. Troie (i) s'élevait où l'Asie Mineure fait face h FEurope, tout près du détroit d'Hellé : c'était une ville pé- lasgique bâtje par les dieux, c'est-à-dire à une époque très- rf3çulée, et qui, dans l'espace de trois siècles, avait étendu sa domination sur toute la Mysie occideptale. Les traditions poé- tiques citent au nombre de ses rois Teucer (1500?); puis Dar- danus, qui venait de PÉtrurJe, de Gorinthe et de Samothrace, indice d'une origipepélasgienne; Érychthon; Tros, de qui Troie prit son nom; Uus, qu| la fit aussi appeler Ilion; Laomédon et Pri^m. La haine entre les deux races pélasgique et hellénique s^était manifestée par des outrages réciproques. Tantale, bisaïeul d'Agamemnon, avait enlevé le Troyen Ganimède ; Hercule avait saccagé Troie, tué Laomédon et ravi sa fille : en revanche, Paris, fijs de Priara, enlève la belle Hélène, femme de Ménélas. Agamemnon appelle à la vengeance les chefs des cités grecques, qui réunissent di}^ mille voiles en Anlide et s^embarquent pour l'Asie, En outre des rois de Sparte et d'Argos, les principaux guerriers qui les accompagnaient dans cette expédition étaient: Ulysse d^Ithaque ; Nestor de Pyjos, Idoménée de Crète, Achille (1) f M-il eu réellement une guerre de Trpie ? Troie inèiBe a-t^elle existé? Ces questions p^raissçRt moins étranges lorsqu*on songe combien de poèmes et de romans ont pour sujet une guerre de Charlemagne avec les Arabes et un siège de Paiis par ces derniers , événements qui n'ont existé que dans rima- gination de leurs auteurs. Il semble toutefois moins croyable qu'une guerre qui devint une gloire nationale^ et fui le point de départ de toutes les lus- toires et gjéoé^jogies grecques, comme pour nous les croisades, soit de pure invention. D'un autre côté, cet événement est parfaitement en rapport avh la nature des temps héroïques. Selon Chevalier et Choiseul-Goulfier, Troie était située sur la colline que domine le mont de Bounar-Bascbi , autour de la- quelle coule le SioQoïs ; peu éloignée des sources du ^camandre et d'un grand nombre dp fombe^u^ et de constructions cyclopéennes, décQuTertes en 181^ par Firmin pidot|au lleii où l'on suppose que s'élevait la citadelle perga- méenne. Le tombeau d'Achille était au cap Sigée. Heyne a joint de bonnes notes à la Description du plan de Troie, par Chevalier, dans l'édition de 1794. Leur opinion fut cependant révoquée en doute par Clarke , TraveU, 1. 1, n. 4-Ô. &ennel aîné crut aussi qu'ils avaient été induits en erreur, et pro? posa un autre emplacement. Maclarep réfuta Rennel par un nouveau système qui attend qu'on le batte eu brèche à son tour. A rien ne sert de prétendre qu'Homère ait été absolument exact et infaillible. Il suffit de savoir que Troie s'élevait près du cap Sigée et de l'Hellespont, dans la plaine du Modère , entre rida et la mer. PBEMIÈBES BXPSOITIOOI^ D^S GBBCS. ^43 de Pbthia, Ajftx de Salamina, Diomède de l'ArgoUde, et autres chefs de tribu indépendants Tun de Tautre, mais réunis daus un but commun, Priam leur oppo^ une autre confédération, celle des n^ontagnards voisins de ses États^ Carieni^, Lydens, Pélasges, et de plus la valeur de gens défendant leurs foyers {i). jLes Grecs commencèrent par dévaster les pays alliés, pui3 vinrent asseoir leur camp en face de Troie. Il est difficile de conjprendre 4ans Homère de quelle manière ils entendaient s^en emparer ; ce n'était pas par un siège en règle, puisqu'ils ne fai-^ saient aucun ouvrage pour s'approcher des murs, pour ruiner (1) La pbronojogie des preipiers temps de la Grèce est tout ^ fait jncer* taine; les érudits se sont donné beaucoup de peine pour l'éclaircir, sans par-r venir à des résultats positifs. Le meilleur ouvrage à ce sujet est VExamen analytique et tableau comparatif des synchronismes de Vhistoire des temps héroïques de la Grèce, par L. G. F. Petit-Radel. Paris, 1827, aveo une table comparative des généalogies royales et des synchronismes des temps héroïques. Loin de rejeter comme fabuleux les récits des poètes, il regarde ceux-ci comme les seuls historiens d'alors, et, les dépouillant de l'enveloppe artistique, il établit d- après eux la généalogie des familles d'Argos , de Sparte et de i'Arcadie; il les rapproche entre elles et avec les lignes d'autres maisons. Eq suppliant ainsi les générations , il remonte de la guerris de "Troie ^ux temps les plus reculés. Il place cette guerre en l'an 1199^ comme Saint-Martin, et, partant de l'âge qu'Homère attribue aux héros qui y prirent part, il va jusqu'à Inachus, en 1920, époque à laquelle se rattachent, soit directement, soit indireeteoieBt, les soucbes princières de la Grèce. — Les indications don» nées par les écrits oa les monup^çi^fs de l'apM^J^Hé sur la date certaine 4e la guerre de T'roie varient d'une différence d'environ deux siècles, entre |300 et 1100. Peu de points de chronologie litigieuse ont été soumis à plus de cal- culs et d'hypothèses, ce qui était bien naturel, puisqu'il s'agit d'un événement qui sert d'époque et sépare les temps mythologiques des temps héroïques ou seqnirhistQfiques. On a divisé en quatre grandes classes les systèmi^s sur la date de la prise de Troie : 1° celui qui la fait remonter aux trepte premières années du xiii" siècle avant J. C, de 1300 à 1270, et qui s'appuie sur l'autorité d'Hérodote et de Thucydide, autorité qui a entraîné Fréret parmi les moder- nes; celui qni rapporte cet événement aux quinze dernières années du même siècle, de 1215 ^ 1200, et qui est fondé sur )a date inscrite aux marbres de Paros» 1209; le troisième systèqse, qui rappfoçl^ de nous cette date d'une vingtaine d'années en la plaçant vers 1 183 ou 1184, et qui a pour lui l'autorité de Timée, d'Ératosthène, de Sosibius, d'Aretès, d'Apollodore, de Diodore de Sicile, de Denys d'Halicarnasse , de Censorin; et enfin le système qui se rapproche de la in i|u xii^ siècle, 4e 1126 à 1116, et qui a été soutenu par Clavier, s'appuyant sur le texte de Phérécyde cité par Marcejiin, et sur les généalogies recueillies par Pausanias. Newton et Yolney, par des calculs hypo- thétiques qui leur appartiennent entièrement, se sont placés en dehors de ces quatre systèmes, qui du moins ^'appuient tous les quatre sur des témoignages anciens. Newton assigne pour date à la prise de Troie l'an 904, et Yolney 1022» ( Note de la 2* édition fraf^çai^.) 544 DBUXIÈMB EPOQUE. les fortifications et tirer sur les maisons; ce n'était pas par un blocus^ car jamais ils n'interceptèrent à Troie ni les convois de vivres ni les secours. Ils campaient loin des murailles^ au mi- lieu de leurs chars et de leurs vaisseaux tirés à sec sur la plage. A rintérieur de la ville , on vivait en repos, sinon tranquille : tout se bornait à quelques combats journaliers et à quelques assauts aux endroits où la montée était plus aisée et V escalade des murs plus facile. Couverts de casques^ de cuirasses^ de cuis- sards et de boucliers de cuir, armés de massues, de lances, d'é- pées/de faux, de javelots, de flèches quelquefois empoisonnées, et de pierres énormes, ils en venaient aux mains, les Grecs, mieux disciplinés, dans un terrible silence, les Troyens avec leurs auxiliaires montagnards qui jetaient des cris eflrayants. Ils ne montaient pas de chevaux, mais des chars guidés par un co- cher (auriga) qui combattait vaillanunent lui-même. Chefs et soldats se lançaient dans la mêlée pour faire preuve de valeur personnelle jusqu'à ce que la nuit vînt les séparer. Alors les Troyens rentraient dans la ville, et les Grecs dans leur camp en- touré de retranchements. Le lendemain, chacun brûlait ses morts sur des bûchers autour desquels on célébrait des jeux, on égorgeait, pour les grands, des chevaux et des prisonniers. Souvent le combat était interrompu par un duel où Ton ne fai- sait pas assaut d'habileté dans l'art de l'escrime, mais où triom- phait celui dont le glaive tombait avec plus de vigueur, dont la lance était plus rapide.' Les gueiriers ne connaissaient pas la pitié sur le champ de bataille, et s'acharnaient jusque sur les cadavres. Après la bataille, ils se livraient aux douceurs deTa- mitiéet àTamouravec leurs belles esclaves; ils apprêtaient eux-mêmes leurs repas, et, tout en vidant de larges coupes, ils racontaient d'anciennes aventures ou chantaient au sonde la lyre les héros antiques. Agamemnon, le pemier parmi ses égaux, réunissait les chefs sur le rivage pour tenir conseil avec eux. La guerre dura dix ans, et les plus vaillants des deux cô- tés y périrent, notamment Hector et Achille ; types immortels, celui-ci de la bravoure impétueuse et sans frein; celui-là de la valeur modérée et humaine, consacrée à la défense du foyer et des autels. Le poëme le plus admiré est le seul où soit célébré un héros succombant pour sa patrie; mais là aussi s'offre à nous le spectacle toujours nouveau, quoique bien ancien, de la fortune contraire au mérite et à la vertu. Comment finit cette guerre? C'est ce que ne nous apprend PRBMIÈRBS EXPÉDITIONS DES GABCS. 54.> pas Homère^ ni les autres écrivains les plus voisins de l'épo- que (1). Il semble qu'un traité soit intervenu entre les Grecs et les Troyens, aux termes duquel les premiers se seraient enga- gés à ne plus combattre les sujets de Priam , et ceux-ci à ne plus mettre le pied dans le Péloponèse, dans la Boétie, en Crète, à Ithaque, à Phthia, ni dans TEubée. Un cheval gigantes- que fut érigé et consacré aux dieux à cette occasion (2). Sté- sichore, dont Virgile a tiré la fable de Y Enéide , dit que Troie fut prise et détruite : mais d'abord aucune fête ne rappelait une si importante victoire chez les Grecs, habitués à célébrer de cette manière les grands événements nationaux ; puis Ho- mère fait prédire à Hector par Apollon que sa descendance ré- gnera dans Troie ; prophétie dont le poëte devait avoir l'ac- comphssement sous les yeux. Ajoutez à cela les traverses des Grecs qui, sous un tout autre aspect que celui de vainqueurs , ballottés çà et là par les dieux, ou périrent dans leurs courses errantes, ou trouvèrent en rentrant chez eux l'usurpation, l'a- dultère et l'assassinat (3). Quoi qu'il en soit, durant ces dix années de combats pour la même cause, contre les mêmes ennemis, les tiibus grecques ap- prirent à se considérer comme un seul corps, et de ce moment le nom d'Hellènes indiqua l'ensemble des peuples habitant le Péloponèse, les îles et les côtes [A), Cette expédition fournit aux (1) Uérodofe parle des diverses opruions ({iii cuiiraienl de soti temps à ce sujet^ daiis VEuterpe, p. 118 et siiiv. (2) Dion Chhysostome, Oratio II, de Trojana expugnatione. (3) Un graud nombre de témoignages antiques font mention de la chute d'ilion. Homère, àaxk^V Odyssée y parle plusieurs fois de sa destruction. L'un des plus anciens monuments épigraphiques qui soient parvenus jusqu'à uous^ la Chronique de Paros, en fixe la date au 24 thargélion, 1209 avant J. C.Los poètes tragiques ont puisé dans cet événement le sujet de plusieurs de leurs tragédies. Hérodote rapporte qu'il avait consulté les prêtres égyptiens sur la vérité de cette tradition, et qu'il en avait appris que les Grecs s'étaient bien réellement emparés de la ville de Priam. Thucydide, qui s'attache à démontrée que rexpédition célébrée par Homère n'a pas eu autant d'éclat que le poëte lui en prête, convient cependant que Troie fut prise et ruinée par une armée venue de la Grèce. Les poètes ou les historiens postérieurs, grecs ou latins, ont tous admis la ruine de Troie, tout en variant sur les circonstances qui l'accompagnèrent. (Note de la 2* édition française.) (4) HuELLMANN, autcur d'un ouvrage récent sur l'oracle de Delphes ( Vûr» digung des Delphischen Orakels^ Bonn, 1837), pense que le nom d'Hellènes désignait non un peuple, mais une confédération, et qu'on appelait Hellènes tous ceux qui appartenaient à ramphictyonie ; Pélasges, ceux qui en étaient exclus. T. i. . sr» .^ 546 DEUXIÈME EPOQUE. imaginations une pâture abondante : elle devint le sujet des chants des poètes cycliques , qui s'en allaient errants de ville en ville, et chantaient les combats, les guerres, les exploits hé- roïques, en retraçant les fastes de chaque tribu et de la nation entière. Ces chants, appris et répétés, formaient un noble re- cueil de poésies nationales : c'est là ce qui engendra chez les Grecs cet esprit patriotique qui les fit toujours considérer comme un seul peuple, quelque inimitié que suscitassent entre eux leurs discordes intestines. [Homère. Le plus illustre parmi ces poètes fut Homère. En quel temps vécut-il? dans quelle ville? Était-il Grec, Asiatique, ItaUen? Était-il vraiment aveugle? Mendiait^il réellement? Voyagea-t-il dans les îles, en Egypte, en Italie ? L7/mc?e et Y Odyssée tfeu- rent-elles qu'un même auteur? Exista-t-il même véritablement un poëte appelé Homère, ou faut-il traduire son existence en un symbole et sespoëmesen chants traditionnels, composés par plusieurs poètes à diflérentes époques, et mis en ordre par des grammairiens ? Cela importe peu à l'histoire de l'humanité (1). On pourra (1) Dugaz-Montbel, membre de l'institut de France (Histoire des poésies homériques, Paris, 1831, et Observations sur V Iliade), a fait revivre l'opi- nion de Vico, de Perrault, de Wolf, que ces poëmes sont un recueil de frag- ments, chantés par les improvisateurs ou rapsode;», et réunis ensuite, au moyeu de diverses interpolations, par Lycurgue, par Pisistrate, ou même, comme le veulent quelques-uns, par les sophistes d'Alexandrie. A Constantin Koliades, professeur à l'uni versité ionienne, appartient en propre l'opinion par lui soutenue, que Tauteur de V Iliade et de VOdysséeà!Ai être l'un des guerriers qui accompagnèrent Agamemnon, et précisément Ulysse. Si Ton désire savoir notre opinion, nous dirons, en nous dispensant de dé- duire tous les motifs qui nous l'ont fait embrasser, que la composition d'un de ces poëmes par des auteurs différents nous parait chose impossible, surtout si Ton considère la liaison de ses parties, la constance des caractères, la cou- leur générale et la forme. Le même style domine partout ; on y remarque les mêmes défauts, l'hexamètre a la même construction; toujours la césure y tombe au troisième pied, sur une syllabe brève, qu'elle rend longue comme dans le premier vers de V Iliade : mode non adopté par les poètes subséquents, qui évitèrent les hiatus, si dé- sagréables dans Homère, et qui nous font penser qu'on y interposa tout d'abord le digamme, ou que la prononciation était aspirée comme celle de Vh allemand et du c toscan. Il est plutôt incroyable qu'étonuant que ces poëmes aient été composés de mémoire. Ce qui parait probable, c*est que les rapsodes en avaient appris divers PRBMIÈRKS EXPÉDITIONS DBS GRECS. Ô47 débattre un jour le point de savoir si un Raphaël Sanzio y voyait, si le Vatican eut un ardiitecte, s'il exista un Arioste, Aucun poëte n'a exercé sur son pays plus d'influence qu'Ho- mère , aucun dès lors n'appartient plus à l'historien ; mais il nous suffit de l'accepter dans la signification de son nom comme le témoin des faits qu'il décrit. L'étoile polaire est à des millions de lieues loin de nous; elle ne se trouve pas où nous la voyons, elle est peut-être éteinte depuis des années; elle n'en sert pas moins au navigateur pour le diriger dans son voyage. D'un autre côté, ce qui rendit Homère si admirable pour des siècles plus cultivés, ce fut peut-être ce qu'il déploya de beau- tés et d'artifices poétiques; ce fut la délicatesse de goût qui lui fit garder le milieu entre le caprice incorrect des Orientaux et la raison trop positive des temps prosaïques, entre l'enthou- siasme de la beauté et l'harmonie des proportions. Ses chants tinrent, avec la musique et la gymnastique, le premier rang dans l'éducation des Grecs; le perfectionnement social de ce peuple s'opéra donc, non pas à l'aide d'une doctrine aux leçons froi- des et abstraites, mais par l'imagination et en embrassant toute la vie (i). Homère instruisit ses compatriotes, non pas en fai- fragmenls, et les avaient portés ainsi épars de l'ionie en Grèoe, où ils furent ensuite réunis. Le premier manuscrit put périr par mille causes , ie Pentc '^onr nuire aux autres? » (1) Âganiomnon place devant Ajax une épaule de taureau; Ënée sert à Ulysse deux porcs nouveau-nés, puis de pleines coupes de vin trempé d*eau. Ils man- geaient assis deux fois par jour. « Achille, ayant ainsi parlé, se leva tout à coup, et égorgea un agneau blanc. Ses compagnons le dépouillèient et Tappré- tèrent avec soin, en le dépeçant très- habilement. L'ayant ensuite embroché, lorsqu'il fut bien rôti, ils l'dtèrent du feu. Automédon prit dans la corbeille luisante le pain qu'il mit sur la table, et le tils de Péiée partagea les chairs. » Iliade, XXIV, 622. 554 DEUXIÈME ÉPOQUE. de chaque sillon , manœuvrait tour à tour le glaive et la char- rue, vetemenu. Ils sc couvraicut d'abord de peaux de bêtes^ la fourrure en dehors, attachées autour de la taille, soit avec les nerfs des ani- maux mêmes, soit avec des épines. Mais déjà, au temps de la guerre, de Troie, îls savaient tanner les peaux et tisser le lin et la laine. Les hommes avaient pour habillement une longue si- marre descendant jusqu'aux pieds, et par-dessus un manteau agrafé sur l'épaule ou sur la poitrine ; ils portaient aussi une tunique serrée autour des reins, qu'ils lavaient souvent en la foulant dans l'eau avec leurs pieds. Ils laissaient croître leur barbe, et bouclaient soigneusement leurs cheveux. Les person- nages de haut rang portaient le bâton (1). Des épées larges et tranchantes, agrafées à l'épaule, pen- daient à leur côté; un bouclier aussi grand qu'eux, et attaché à leur coii, couvrait leur poitrine : en combattant, ils le tenaient de la main gauche, et en paraient les coups qui leur étaient portés; pour marcher, ils le jetaient derrière leur dos. Cette défense incommode fut plus tard remplacée par le bouclier carien, qui se portait au bras (2}. Les chefs veillaient à ce que leurs armes fussent sohdes et leurs soldats bien nourris. Ceux-ci n'étaient pas distribués par bataillons et par compagnies ayant des signes distinctifs uni- formes, bien que, dès le temps du siège de Thèbes, nous trou- vions chez les chefs l'usage des devises et des armoiries qui reparurent dans le moyen âge (3). Ils marchaient serrés le plus (i) Ulysse avait iid beau manteau de pourpre, attaché sur ses épaules avec une double agrafe d*or, sur laquelle était ciselé un chien cba^ant un cerf; il portait dessous une tunique brillante comme le soleil. (2) Le casque d'Ulysse était de gros cuir, renforcé à Tintérieur par un tissu de cordes serrées, et parsemé au dehors de dents de sanglier disposées par rangs; celui d'Hector était surmonté d'une crinière pour cimier. (3) Eschyle, dans les Sept devant Thèbes^ et Euripide, dans les Phéni' cienneSf nous montrent des devises sur les boucliers des Ëpigones. Selon le premier, Capanée a un ProméUiée a?ec l'étincelle et ces mots : JHncendierai les cités; Ëtéocle, un soldat montant à l'assaut, et cette inscription : Mars même ne m'arrêtera pas; Hippomédon, un Typhée vomissant le feu; Hyper- bius, un Jupiter foudroyant; Parthénope, le Sphinx terrassant unThébaio; Polynice, la Justice qui le conduit, avec ces paroles : Je te rétablirai; Tydée, la Nuil, c'est-à-dire un champ noir parsemé d'étoiles, et la lune [au milieu. Selon Euripide, au contraire, Capanée avait un géant soutenant la terre sur son dos; Adraste, une hydre dont les tètes enlèvent des enfants sur les murs de Thèbes; Hippomédon, un Argus aux cent yeux ; Parthénope, Atalante,sa PBEMIÈRES EXPÉDITIONS DBS GBBCS. 555 possible, mais sans ordonnance générale, s'engageant corps à corps avec l'ennemi. Ils n'avaient point de bannières, de trom- pettes ni d'autres instruments de guerre : aussi était-ce un grand avantage que de posséder une voix forte comme Tavaient Stentor etMénélas; c'était surtout un mérite extrême que l'agi- lité et la vitesse, soit pour fuir l'ennemi, soit pour le pour- suivre. Quant au recrutement de l'armée, chaque famille fournissait un fantassin ; mais les héros eux-mêmes cherchaient parfois à se soustraire à cette obligation (1). Le butin pris en masse se partageait entre les chefs, qui le distribuaient à leurs soldats, dont c'était Tunique solde; les villes vaincues étaient mises au pillage et rasées, les rois égorgés, les habitants vendus. On trouve dans Homère l'or, Pargent, Fétain, le cuivre et le bronze, mais non le fer. Le mot chalcos, dans son poëme, ne veut dire autre chose que cuivre, puisque c'est avec ce métal que se font les trépieds, les casques, les boucliers et les cui- rasses. Sideros ne signifie pas non plus fer, mais un métal peu malléable et fragile, le bronze probablement. Les Dactyles et les Curetés avaient cependant apporté en Phrygie l'art d'extraire le fer, et nous voyons dans VOdyssée des marchands qui en portent en Italie pour l'échanger contre le cuivre, auquel on donnait aussi le nom de cupros, parce qu^on en tirait une grande quantité de Hle de Chypre. Durant les dix années que les Grecs restèrent campés en corps d'année, ils durent faire des progrès dans Tart militaire, et substituer peu à peu la tactique à la force consistant seule- ment dans le nombre et dans la valeur personnelle. Il n'y avait mère, tuant le sanglier d'Étoile; Polynice, les cavales qui déchirent Glaucns; Tydée, la dépouille d'un lion. Dans Tun ni dans l'autre Âmphiaraiis n'a de devise» parce que où 6oxeTv àpioroç, àXX'.sivai 6^ei : il ne veut pas paraître bon, mais rétre (Eschyle, 598). Dira-t-on que c'était une invention de ces poètes ? Mais Euripide suivait très-exactement l'histoire, et reprochait à Eschyle de s'en être écarté. Ainsi, dans VÉlectre, v. 524, il blâme le passage des Choéphores d*E8chyle, t. 166, où Electre reconnaît les cheveux de son frère Oreste sur la tombe d'Agamemnon. De toute manière, Eschyle était contemporain de la bataille de Marathon (495 avant J. C.)f et il sufGrait, indépendamment de l'autorité d'Homère, à prouver Tantiquité d'une coutume renouvelée dans le moyen Age et par riiéroïsme d'apparat du xvi* siècle. (1) Ainsi, Achille se déguise en jeune fille, Ulysse feint d'être fou, Ëcepoie offre un superbe cheval à Agamemnon pour qu'il le laisse jouir tranquillement de ses richesses à Sicyone, sa patrie. 566 DEUXIÈME BPOQUB. toutefois dans leurs rangs aucune uniformité : l'un se couvrait tf armes d'étain, Tautre de bronze, ou de cuivre, ou d*or. Ce- lui-ci se servait de la lance, celui-là de Tépée. Qui combattait à pied, qui sur un char; chacun pensait à soi et à ses propres soldats. Le casque des héros d'Homère est généralement d^ai- rain, sans visière ni mentoimière. Le cimier était généralement surmonté d'une plume ; celui d'Achille portait un grand pana- che d'or, celui d'Hector une crinière. La cuirasse, en airain, couvrait depuis le cou jusqu'à Pab- domen , et se bouclait sur le dos. Achille tua Polydore pai' derrière, lorsqu'il se baissait, et que les attaches d'or, trop larges^ laissaient la cuirasse s'ouvrir (/foWe, XX, 413). La cotte de mailles descendait jusqu aux genoux ('A^^atSv /aXxo/i- Tojvojv). Il n'est aucunement fait mention de gantelets. Les co- thurnes étaient d'un cuir épais et montaient au-dessus des ge* noux. Quelques héros sont appelés cavahers, quoique peu d'entre eux, pour ne pas dire aucun, combattissent à cheval , mais bien sur un char à deux roues attelé de deux, trois ou quatre che- vaux, ayant chacun un nom. Andromaque pansait les chevaux de son mari, mettait de l'orge dans leur mangeoire, et les jours de combat les réconfortait avec du vin. (//iarfc, VHI, 187.) Les chars de guerre avaient sur le devant un siège pour le cocher, qui cependant conduisait quelquefois à cheval. (Iliade, XIX, 395.) Les chevaux avaient la bride et le mors, de lon- gues rênes en cuir, la poitrine et les flancs garantis : il n'est question ni de ferrure ni d'éperons , bien qu'Aristophane parle des chevaux aux pieds de cuivre (^ j^aXxoxpoxwv Ïtctcwv ; Cheva- liers, 513); Xénophon enseigne la manière de durcir et d'ar- rondir le sabot des poulains, sans mentionner les fers : la cava- lerie romaine elle-même n'en faisait pas usage. Xénophon dit que Cyrus réforma les anciens chars troyens, parce qu'ils ne servaient que dans les escarmouches, bien que montés par les plus vaillants guerriers; de sorte que pour trois cents chars portant trois cents combattants, il fallait douze chevaux et trois cents cochers choisis parmi les plus bra- ves et les plus fidèles. (Cyropédie, VI, 1.) Les roues des nou- veaux chars furent plus fortes et l'essieu plus long. Le siège, placé en avant, était en forme de tour, d'un bois épais, où le cocher, armé de toutes pièces, et n'ayant que les yeux à dé- couvert, était enfermé jusqu'à la hauteur ^s coudes. Deux PH£MIÈABS EXrÉUniOAS DES GfiECS. o57 faux étaient attachées aux deux extrémités de Fessieu^ de ma- nière que le char n'était pas moins meurtrier que la lame du guerrier qui le montait. Ils avaient des femmes pour leurs plaisirs ou pour qu'elles Femmes leur donnassent des enfants; mais jamais dans les poëmes ho- mériques n'apparaît trace d'un sentiment d'amour. Parmi tous les prétendants qui aspirent à la mam de Pénélope^ il n'en est pas un qui cherche à mériter son affection; Télémaque lui-môme parle durement à sa mère (i). Achille n^est pas amoureux de sa belle esclave, et M énélas reprend tranquillement Hélène qui est restée dix ans avec Paris. Le passage le plus touchant pour les affections domestiques que possède Pantiquité^ les adieux d'Hector à Andromaque, n^exprime presque d'autre tendresse que celle de ce héros pour son fils : il n'est ému que par rap- port à lui. Cette Andromaque^ qui aurait dû se parer du titre de veuve d^Hector, et se montrer fière lorsque, rapportant l'eau puisée à la source du Messis et de l'Hypée^ elle entendait dire : Cest la veuve du plus vaillant dompteur des coursiers y Andro- maque subit les embrassements de Pyrrhus, fils du meurtrier de son époux; puis elle contracte de nouveaux nœuds avec le Troyen Hellénus. Les femmes portaient des robes longues et ajustées avec art , retroussées avec des agrafes d^or; des bracelets, des cor- deUères en or et en perles, des pendants d'oreilles à trois rangs. Elles se fardaient le visage ; mais il n^est jamais fait mention de poches, de boutons ni de linge. Nous ne trouvons pas là cependant les femmes cachées k l'o- rientale au fond des sérails, et soustraites absolument aux re- gards des hommes. Andromaque sort seule avec sa nourrice pour aller au temple, chez ses belles-sœurs, à la tour d'Ilion, voilée de Vélé^'àXii péplum. Hélène quitte ses appartements par- ticuliers pour se montrer au milieu des vieillards troyens , qui s^écrient en la voyant qu'il est juste de souffrir pour elle. Cette Hélène, Cly temnestre, Médée, Phèdre, Ériphyle , ne sont rien moins que des modèles de chasteté. Celles qui tombaient en esclavage perdaient jusqu'à leur individualité, et se vendaient à Pencan. (0 « RemoDle maintenant dans tes appartements, et okxupe-toi de tes tra- vaux, la quenouille et la navette; ordonne à tes femmes, 6 ma mère, de tra- vailler de toute leur force : converser au milieu d'hommes réunis est le soin propre de Phomme. » Odyssée, T. 568 DEUXIÈME BPOQUE. Les femmes u^étaient pas seulement occupées à tisser et à fi- ler, elles s'employaient encore au ménage (1). Laver^ puiser de Feau, allumer du feu, moudre le grain, étaient des travaux de leur compétence, ainsi que présider à la toilette des hommes, les mener au bain , les parfumer (2), les mettre au lit j car les nombreux esclaves étaient retenus d'ordinaire aux champs. Agricuitore. L'orgc fut cultivéc cu premier par les Grecs, puis l'avoine. Ils labouraient la terre deux fois par an, et se servaient à cet effet de grossières charrues de bois traînées par des bœufs ou par des mulets; ils ne connaissaient pas la herse. Lors delà ré- colte, deux bandes de moissonneurs se plaçaient aux deux ex- trémités du champ , et avançaient jusqu'à ce qu'elles se ren- contrassent ; les javelles se mettaient dans des corbeilles ou dans des vases. Au lieu de battre le grain avec des fléaux, ils le faisaient fouler sous les pieds des bœufs; une fois réduit en poudre dans des mortiers ou par des moulins à bras, ils pétris- saient la farine avec de la viande, sans levain, et en faisaient une pâte substantielle. Vigne. Cadmus donnant le jour à Sémélé, mère de Bacchus, signi- fie peut-être qu'il fut le premier à cultiver la vigne en Béotie. Le raisin vendangé était exposé durant dix jours et autant de nuits au soleil et à la rosée, puis, pendant cinq jours mis à l'ombre en plein air, on le pressait le seizième, et le vin se con- servait dans des outres. Ils savaient faire aussi une cervoise avec l'orge fermentée. ouviers. L'Attiquc fut redevable à Cécrops de l'olivier, qui y prospéra si bien. On n'y brûlait toutefois alors ni huile, ni suif, ni cire, mais des torches d'un bois résineux et odoriférant. Dans leja^ din de Laërte fleurissaient des pommiers, des poiriers et des figuiers; mais Homère ne fait pas mention de la greffe; il ne parle pas non plus de l'éducation des abeilles, qui fut, dit-ou, enseignée , ainsi que la manière de faire des fromages , par Aristée, roi d'Arcadie, probablement de race pélasgîque. Édifices. L^ancien temple de Delphes était une hutte couverte de bran- (1) Une des plus belles allégories d'Homère est celle où il dit qu'Hélèoe savait composer un breuvage qui procurait I*oubli : la beauté fait perdre le souvenir des maux. (2) « Polycasle, la plus jeune fille de Nestor, après l'avoir lavé (Télémaque), l'oignit d'une huile blonde et limpide. » Odyssée, III. « ... Lorsqu'ils eurent été lavés par les pudiques servantes, frottés par elles d'une huile blonde, revêtus de tuniques et de manteaux laineux... » Odyssée, IV. PREMIBBES EXPÉDITIONS D£S GBECS. 6â9 ches de laurier; FAréopage, une cabane d'argile. Que de- vaient être les habitations particulières? Dans les splendides pa- lais d^Homère, il n'est jamais question de marbres. Ils sont sou- tenus par des poteaux, dans les enfoncements desquels on plaçait les armes ^ ou bien on les y suspendait à des che- villes. Quoiqu'on n'en puisse pas bien comprendre la construc- tion, il paraît qu'ils consistaient en une enceinte de murs; on y trouvait d^abord la salle et le portique , où l'on recevait les hôtes et où dormaient les étrangers; venaient ensuite l'anti- chambre et la chambre à coucher. Le toit était plat, les portes faites pour résister aux fréquentes invasions. La magnificence y était grande à l'intérieur, eu égard au temps et à la grossièreté de ceux qui les admiraient (1). Il est probable que les sculptures de Dédale étaient elles- sculpture, mêmes en bois. Les dieux d'abord n'étaient représentés que par des pierres brutes ou par des troncs d'arbre grossièrement taillés et revêtus d'étoffes. La première statue que virent les Grecs fut celle de Minerve, apportée d'Egypte par Cécrops. Mais bientôt ils se dégoûtèrent de tant de grossièreté, et leurs Dé- dales en firent de si naturelles qu^on les eût dit vivantes. La description du bouclier d'Achille fit mettre en question si Homère avait vu, en effet, des ouvrages semblables exécutés (1) On peut lire dans V Odyssée, cli. iy, la description du palais de Ménélas, et la réception qui y fut faite à Téiémaque. Voici quelle était la magnificenct) du palais d'Alcinoiis : « L*augu6te palais du magnanime Âlcinoiis brillait d'un éclat pareil à celui du soleil et de la iune. Depuis le seuil jusqu'au fond se pro- longeaient deux resplendissantes murailles de cuivre massif, avec une bordure de métal azuré qui courait à Tentour. Des portes d'or fermaient partout l'iné- branlable maison. Dès le seuil de bronze s'élevaient de solides piliers d'argent qui soutenaient une arcbitrave aussi d'argent, et un anneau d'or ornait les portes, des deux côtés desquelles étaient des chiens alertes, en or et en argent, ouvrage de Vulcaiu... Dans toute la longueur des deux murailles il y avait des sièges fixés çà et là, et couverts de fines étoffes, long et habile ouvrage des femmes de Schérie... Dorant la nuit, de jeunes garçons sculptés en or sur des piédestaux, construits avec beaucoup d'art, tenaient des torches à la main et répandaient la clarté sur la table. » Odyssée, VII. Les délicieux jardins d'Âlcinoiis, la somptuosité de ses festins, le nombre de ses serviteurs, l'encens d'Arabie qui exhale son parfum dans la grotte de la déesse, le lin plus fin que la pellicule de l'oignon, un vêtement dont les pré- tendants font cadeau à Pénélope, vêtement garni de ressorts qui s'étendent et se resserrent..., tout cela se trouve si peu en harmonie avec Achille occupé à tourner son rdti, et avec la princesse allant laver elle-même son linge au fleuve, que nous sommes porté à les croire le résultat d'interpolations posté- rieures. o60 DBUXlkMB KPOQUfi. en métal ^ ou s'il avait créé par rimagination un travail que la main aurait ensuite imité. Le doute ne put exister à cet égard qu'autant que les arts de la Grèce passèrent pour les plus anti- ques. On y savait pourtant déjà travailler l'ivoire, pour en or- ner les li(s, les épées, les sièges; les héros faisaient usage de coupes, de bassins, de trépieds, de tasses d'or et d'argent. Nes- tor avait un bouclier incrusté d^or, et, dans sa demeure, un vase d'or à deux anses élégamment sculpté. On savait amalga- mer Tor avec l'argent, y appliquer Témail, allier la calamine au cuivre pour en faire le laiton; si nous ne trouvons mention ni de sceaux, ni de bagues gravées, il est à croire que les Grecs apprirent bientôt des Égyptiens l'art de la gravure. De petites plaques battues à l'enclume recouvraient les cornes des gé- nisses destinées au sacrifice, d'où semble résulter qu'ils n'au- raient pas su réduire For en feuilles ni en fil. L'un des arts de l'époque héroïque consistait à fermer des coffi^es ou corbeilles au moyen de nœuds tellement compliqués que d'autres que celui qui les avait faits ne pussent parvenir à les délier. Géographie. Après tout cc quc uous avous dit précédemment , après les voyages de Bacchus, d'Hercule, de Thésée, de Persée, jusque dans les Indes, on doit s'étoimer de l'ignorance des Grecs en géographie. Homère donne au monde la forme d'un disque, environné par le cours rapide du fleuve Océan; idée qui revient souvent chez les anciens. La voûte solide du firmament domine les airs, et sur sa courbe Voyagent des chars qui portent les astres. Au matin, le soleil sort de l'Océan oriental pour s'y plonger le soir à l'occident , d'où un vaisseau d'or, ouvrage de Vulcain, le ramène à l'orient par le nord. Sidon et le Pont- Euxin au levant, le détroit d'Hercule et l'Océan au couchant, l'Ethiopie au midi, la Thrace au nord, étaient, pour Homère, les limites du monde. Au-dessous régnait le Tartare avec les Titans, aussi éloigné de la terre que celle-ci du ciel (1). Ces idées vinrent souvent se mêler à la science, et se perpétuèrent jusqu'à nos jours chez les esprits vulgaires. Les seules parties du monde étaient l'Europe et l'Asie, séparées par le Phase, (1) Hésiode détermine ceUe distance égale à celle que parcourrait une en- dume en tombant durant neuf jours. Vulcaiu met une demi*joumée à tomiier du ciel en terre. Voy. Â. G. Schlegel, De GeographiaBomeri commentatio, Hanovre, 1788 ; Traité sur la géographie politiqtie de la Grèce héroïque. Malte-Bruuy dans le livre 11 de son Histoire de la géographie, résume les con- naissance» géogra|ilii à laquelle re^ tournent toutes les religions. Sans nous enfoncer dans les ténè- bres de celles qui sont moins connues^ et en passant souâ silence la Chine^ qui^ toute patriarcale^ rendit un culte pur à la Divi' nité jusqu'au temps où Lao-Tseu y propagea le rationftlisme> la trimourti indienne n'est qu'une décomposition de Brahm; en Egypte, Hom existe avant les dieux ; en Perse^ Ormuz et Ari- niane sont engendi^és par Zervane l'éternel 3 l'excellent; en Grèce, les sages et les initiés considèrent les divinités comme des représentations des forces de Dieu. Par suite d'une fausse interprétation des vérités primitives^ on y associe l'idée d'un génie du mal représentant la lutte entre les ténèbres et la lumière, entre l'idéal et le réel, l'action et là passion, l'esprit et la matière, génie que Ton évoque ou que l'on apaise par la magie. C'est là l'idée dominante des croyances antiques. Une autre idée, celle d'une grande faute et d'une rédemption possible suggère les sacrifices, qui n'ont pas tant pour objet de faire hommage des prémices à la t)ivinité miséricordieuse que de déjouer les puissances des ténèbres, d'acquérir des* forces pour ce voyage terrestre, et de détourner sur la victime les cbâtiments encourus (i). C'est à cette intention qu'on choisis- sait les animaux du plus grand prix; on alla même jusqu'aux sacrifices humains, et leur extension prouve que l'erreur la plus redoutable est celle qui, dans sa nature intime^ se mêle à un sentiment profond mais confus de la vérité. La prière a besoin d'être soutenue de pratiques extérieures qui frappent les sens; l'imagination, qui demande à la raison quel est Dieu, le reconnaît dans la beauté et dtuis les forces de la nature, qui apparaît supérieure aux forces humaines^ soit qu'elle les contrarie, soit qu'elle les seconde. Alors l'imagina- tion adore Dieu dans le monde qui le révèle ; elle abandonne ensilitè FÊtre pour l'emblème, le sens caché pour le signe ap- (1) Les Yédas contienneut les moyens révélés pour éviter les trois peines , c'est-à-dire le mal qui procède de nous, des objets extérieurs et des causes supérieures. Le principal moyen est le sacrifice : « Celui qui accomplit ua aswa medha (immolation du cheval) acquiert tous les mondes» triomphera la mort, expie les péchés et les sacrilèges. » DES RELIGIONS EN QEKEB4L. 667 parent^ et elle tombe dans Terreur capitale du paganisme^ c'est- à-dire dans la déification de la nature. Étrangers aux concep- tions de mécanique et de physique purement matérielles, qui dans la suite devinrent dominantes, les anciens, dans toute la fraîcheur de leur imagination, se formaient de la nature une idée toute spirituelle ; ils ne voyaient pas dans Tunivers une machine puissante, régie par une force attractive et répulsive, mais bien un tout vivant gouverné par des génies. Ces astres admirables dont la révolution invariable mesure Pespace et le temps, lois de la pensée humaine, leur parurent mériter un culte, et le soin que les prêtres apportaient à les contempler passa pour uûe adoration. C'est au sabéiâme> en effets que se rapportent les reUgions des Babyloniens et de Zoroastre, ainsi que celles des Égyptiens (1) et des Phéniciens ; les divinités sont aussi en rapport chez les Grecs avec les révolutions sidérales, et les planètes y prennent des noms de dieux; au printemps, les Bacchantes célèbrent les fêtes de Dionysius, dieu solaire ; les rites d'Eleusis ont pour objet le Soleil et la Lune ; Phiérd- phante est la figure du ()remier, l'épibome de l'autre. Lfe§ dieilx de l'Italie étaient de même planétaires, ainsi que eeux de VArà- bie, du Thibet et de la Chine. Aux divinités planétaires s'associe le ciilte des phénomènes idowirie. et des éléments comme puissances vitales et fécondantes; elles sont vénérées d'abord sans avoir de simulacres, puis sous formé de cône, de cube, de disque brillant, de colonnes, de pierres tombées du ciel (2), et principalement sous remblèmé expressif (1) Artimon et Osiri» figiireul le solel; tsis, )â lune, trèâ-rëTérëe parce qtrelle répand la rosée ; ÂnUbis, Tétoile de Sirius^ qui, se levant du côté de la source du Mil, annonce son débordement | les CabireS sont au nombre de sept, comme les planètes; H y a douze grands dieux, autant que de constellations du zodiaque; de même que celui-ci est divisé en trente-six parties, on compte aussi trente-six divinités du second ordre; ses 360 degrés sont régis par autant de génies. Le soleil lui-même cbange dé nom ; après le solstice d*été, il est représenté par Horus, Tigoureux et le visage barbu ; après le solstice d*hîver, il devient Harpocrate, dieu boiteux ; aux périodes croissantes ou dé- ci'bissahtes de sa carrière se rapportent les fêles dMsis et (t'Osiris. Ailleurs, la Idhe 60 <:ro}s8ance est appelée Bubaste, et Botito lorsqu'elle est pleine. C*est ainsi qu'on séparait d*ane divinité principale ses pt-opriétés^ ses mailirestations et ses attributs. (2) BatTvXia, BatiuXoi, du phénicien Bethel Voy. Muenter, Ueber die vom Himmel Gefallèn Steinei' der Alten, Nous trouvons dans là Bible Fautel de Béthel érigé par Jacob, la ville de Béthulie, etc. Les Cliinois s'occupèrent aussi très-anciennemeiit de l'observation des aérolilhès> qu'ils appelaient sing yun 568 DEUXIÈME ÉPOQUE. du phallus; car nous le voyons souvent figurer dans les céré- monies antiques ; il ornait, en petits amulettes, le cou des jeunes filles grecques et romaines; et, sous d'énormes propor- tions, il se dressait devant le seuil des temples indiens et devant ceux de la mère déesse de Phrygie. Plus tard, par suite de cet éternel penchant de la nature humaine à tout assimiler à elle- même, les dieux furent représentés sous la figure de Thomme : leurs noms et leurs attributs se multiplient alors, et avec eux leurs histoires et leurs généalogies; cette personnification aide à la diffusion des connaissances astronomiques et des cosmogo- nies; puis le vulgaire exagère, le temps altère, les passions corrompent, et de là les extravagances des mythes, les rites énigmatiques, les orgies féroces et licencieuses. Symboles. Lcs formcs mythique et symbolique sont pourtant celles sous lesquelles se rangent le plus naturellement les idées religieuses des anciens temps. Chaque chose dans la nature put être envi- sagée et accueillie comme un symbole, grossier d'abord, jus- qu^à ce que Pesprit eût découvert des rapports entre les choses et les idées qu'elles représentaient. Le bouc fécondateur et gé- nérateur fut la victime expiatoire immolée par le pâtre pour le salut du troupeau; la génisse représenta la terre par sa fécon- dité; le bœuf, le cheval, compagnons de l'homme, furent les animaux destinés au sacrifice; le ciel lui-même se peupla de symboles, comme les signes du zodiaque, les cent bras de Briarée, le double visage de Ganesa, Saturne dévorant ses pro- pres enfants , les Danaïdes emplissant leur tonneau sans fond, les Parques filant la vie humaine. Mais, de même que les mots eurent dans Torigine une valeur désormais perdue , ainsi se perdit la signification des symboles , et Platon et Zenon nous paraissent aujourd'hui plus ingénieux que vrais dans leur ex- plication de ceux d^Homère, qui florissait peu de siècles avant eux. Mythes. Les mythes découlent de sources innombrables. L'étranger qui apporte de loin les arts et les habitudes sociales, qui ac- quiert la domination par des qualités brillantes ou par de grandes entreprises, se conciliera Pestime de la foule qui ne sait jamais échapper aux exagérations; sa mort cause les plus isching chu, étoiles tombantes changées en pierre.^. Les païens continaèrent ttès-taiil à adorer quelques-unes de ces pierres, auxquelles on peut aussi lattaclier la Kaaba des musulmans. DES RELIGIONS EN GÉNÉRAL. 569 vifs regrets; 1 eloignement le grandit, Tadulation ou la recon- naissance l^invoque; on en fait un dieu ou un demi-dieu, et bientôt son histoire est toute miraculeuse. Un animal extraor- dinaire, un phénomène physique viennent-ils à saisir imagi- nation, un mythe s'en empare et les perpétue; les souvenirs mêmes de la plus haute antiquité, vus à travers le brouillard des siècles, prennent un aspect vague et prodigieux , se com- pliquent de légendes calendaires, s^accumulent sur un seul personnage qui, dépassant la mesure humaine, va se placer au rang des immortels. La langue , de son côté , figurée , capri- cieuse et toute sensuelle chez les premiers peuples, produit de nouveaux mythes en multipUant les personnifications et les faits , quand surtout les mots passant chez d'autres peuples prennent un aspect étranger qui ne permet plus-de reconnaître les rapports quMls établissent. Les noms significatifs auxquels TAsie confiait les idées qu'elle voulait consacre^ , perdirent leur signification en arrivant parmi les Grecs, étymologistes prévenus et peu instruits (1), d'autant plus que la religion, qui d'ordinaire s'appuie sur les traditions, conserve avec jalousie le souvenir du passé, et maintient encore Fancien langage lors- qu'il est tombé en désuétude. Nous trouvons partout en effet une langue sacrée qui n'est autre que la langue primitive avant qu'elle eût été modifiée par Fusage. C'est ce que nous voyons aujourd'hui pour le latin que parlaient nos pères, et qui est conservé dans la liturgie. Le vulgaire, ne comprenant pas, supposait des mystères, et, dans son ignorance, ou il se trompait lui-même, ou il aidait à l'imposture d'autrui. Aussitôt que l'on a personnifié un être quelconque , il faut lui attribuer des idées, des sentiments, des affections humai- nes. Une petite rivière , qui a reçu en grec le nom d'/o indi- (1) Parce que l*ou aura dit, comme éloge, Pélops à l'épaule d'ivoire, la foule, pour expliqu- r ces mots, aura fabriqué la fable du fuifait de Tantale. Muké veut dire pommeau; on partit de là pour dire que Myc(Uics fut bâtie par Persée, au lieu tù il avait perdu le pommeau de son cpée; qu'elle piitde là son nom. Ainsi Égislhe dut avoir été allaité par une chèvre (egos); la Béotie, nommée ainsi du bœuf que Cadmas y rencontra; Homère dut être aveugle, les Cyclopes n'avoir qu'un œil. Dans la mythologie indienne, Ikchvaku, nom de la race des Sumate», (it dire qu'ils étaieut sortis d'une citrouille, parce que ce mot est synonyme de tumba, aicurbUa lagenaris. Hcrhann, de Mythologia Grœcorumanliquissima et de Historié grxcx pnmordiis, fait de l'allégorie et de la personniûcation les éléments uniques de la mythologie. 570 DEUXIÈME ÉPOQUE. quant sa propriété, est qualifiée de cornue à cause de ses notn- breux détours; puis on en fait une génisse, animal qui porte des cornes, et son cours fournit bientôt la trame d'une fable complète. L'imagination grecque , éprise du beau , ne se coii- tentera plus de pierres grossières tombées du ciel > et elle les nommera Vulcain ou Phaéton; elle dira alors que l'un a été lancé d'en haut par la colère du maître des dieux, et que Tautre est tombé victime de son imprudence. Antée , personnification des sables africains qui confinent à l'Egypte, sera le fils de Nep- tune et de la Terre , géant élevant sa tête vers le ciel comme ces sables eux-mêmes quand le vent les soulève en tourbil- lons. Tous les eiïorts sont vains pour arrêter les progrès désas- treux de leurs dunes; car ces dunes renversées se reforment et reprennent vigueur en touchant la terre leur mère , jusqu'à ce que Ton pense à creuser au pied de la chaîne Libyque de larges canaux que les sables ne peuvent franchir : ce sont là les bras robustes d'Hercule étouffant le géant suspendu danà les airs. Les symboles eux-mêmes donnaient origine aux mythes; car l'imagination , ne se trouvant pas satisfaite de représentations qu^elle ne comprenait pas, forgeait pour les expliquer des récits à sa manière : c^est ainsi que nous voyons se répandre tous les jours dans nos villes mille fables sur certains édifices et siir certaines figures. Le vase niliaque des Égyptiens, surmonté d'utte tête avec les oreilles ornées de serpents, donna naissance chez les Grecs à un récit qu^ils rattachèrent à un héros de la guerre de Troie. Les coffres en forme de bœuf dans lesquels on renfermait par une dévotion spéciale certaines momies égyptiennes, produisi- rent la fable obscène de Pasiphaé. Les anciens^ observant les rapports établis entre tous les produits de là création , imagi- nèrent une chaîne qui liait la terre au ciel. Ainsi, dans le Ba- gavat Gita, Crichna dit à Ariouna : « Connais en moi la seconde « nature; nature excellente et supérieure, dont l'essence est la « vie de l'univers que je soutiens. Je suis la création et là des- c( tructîon de tout; rien ri'est plus grand que moi, Ô Ariouna. (( Ce monde visible est suspendu à moi comme les perles d'un « collier au fil qui les retient, » Peut-être dans les symboles re- présentait-on en effet le moilde comme suspendu à une chaîne. GeUx qui en donnaient Texplication auront dit que Jupiter te- nait toutes les puissances et tous les corps attachés à POlympe par une chaîne d^or : Homère, ayant vu ce symbole et entendu DES RELIGIONS BN GBNÉBAL. 571 le commentaire, en forma un récit épique qu^il encadra dans les événements de sa grande fable iliaque (1). Ici le symbole n^a pas encore perdu sa signification; mais il en est d'autres dans le même poëme dont le sens est devenu plus obscur pour nous : Junon suspendue dans les airs avec des enclumes aux pieds, Vulcain, Briarée, et autres créations monstrueuses, sont si peu en harmonie avec la claire et simple pureté de Pépopée homérique , qu'elles trahissent leur origine orientale et nous donnent la preuve que la poésie grecque elle-même, lorsqu'elle recherchait plus le sens philosophique et religieux que la beauté des formes, enfantait aussi ses monstres (2). Chaque âge, chaque peuple choisit à son tour, dans les tra- influence deia ditions primitives ainsi altérées, ce qui lui convient le plus : ducumai. l'enfance, des amusements , des contes , des fictions miracu- leuses; la jeunesse, les récits de la gloire des ancêtres; Page mûr, une morale parfois exagérée. Chacun y greffe quelque chose de ce qui lui appartient en propre; et le climat, la tribu, le gouvernement, les mœurs, sont transportés de la terre au ciel, et rinvisible est expliqué par le visible. Il en résulte que chaque mythologie devient l'expression de l'aspect sous lequel la nature se montre à chaque peuple. Les interminables récits du Nègre tiennent de son goût à rester nonchalamment en place pour moins souffrir de Fardeur du soleil; le Perse ordonne la cour céleste conformément à la hiérarchie terrestre qu'il a sous les yeux; les dieux de l'Inde se baignent dans des lacs aux fraîches eaux et reposent parmi les fleurs : rimaginàtion n'a point de frein pour ceux qui se plaisent dans la solitude. En vain chercherait-on à introduire chez un peuple la mytho- logie d'un autre : la Volupsa de l'Islandais paraîtrait bien étrange au Brahmane, et l'Islandais ne saurait comprendre les Védas. (1) « Je suis ie plus puissant des dieux : en vèut-on la preuve? Suspendez aii ciel tihe clialhe d*or, et \oiis y attachez tous, dieux et déesses, eu tirant à vous, vous ne parviendrez paft à ébranler le grand Jupiter, raison suprême, en y eniployant même toutes vos forces. Mais moi, si je le veux, je la ratnft^ nerai à moi avec la Urre et la liier attachées à elle, puis je tiouerai celte grande chaîne à la cime de l'immense Olympe, et toutes choses pendront de sa bau- ieiir : tant mon pouvoir TempOrte sur les forces des dieux et des mortels. » Iliade, VIIî. ()) Ainsi Uranos dépouillé de te virilité dans Hésiode, dalurrie détorant lèè pierresi el autres mythes orphiques. 572 DE{JX1ÈM£ ÉPOQUE. Parlez de religion à des Groenlandais^ et demandez-leur : Qui a créé le ciel et la terre et tout ce que vous voyez ? R. Nous ne savons pas. Ou bien : lis n^ont jamais été faits et ne cesseront jamais d'exister. D. Avez-vous une âme ? R, Oui certes. Elle peut croître et se détériorer : nos magi- ciens savent la soigner et la réparer; en donner une saine à celui chez qui elle est malade en la tirant du corps d^un liè- vre, d*un renne ou d'un enfant. Quand nous partons pour un long voyage, souvent notre âme reste au logis; lorsque nous dormons, elle s'en va errant hors de notre corps, à la chasse, à la danse, à des assemblées. D. Que devient-elle après la mort ? R. Elle va dans un séjour de bonheur au fond de l'Océan,, où sont Torngarsuck et sa femme. Il y règne un été perpétuel, et le soleil ne s'y couche jamais; il y a de belles eaux, une multitude d'oiseaux, des poissons, des veaux marins et des rennes faciles à prendre ou déjà cuits dans une immense chau- dière. D. Et tous s'en vont-ils là ? R. Non; seulement les bons, ceux qui travaillèrent beau- coup durant leur vie, qui accomplirent de grandes actions, qui prirent un grand nombre de baleines et de veaux marins ; ceux qui souffrirent longtemps, qui furent noyés à la mer ou mou- rurent en naissant. D, Comment y vont-ils? R. Avec une grande peine; ils sont cinq jours au moins à franchir une roche escarpée et tout ensanglantée. D. Mais ne voyez-vous pas ces étoiles si brillantes ? N'est-il pas plus vraisemblable que ce soit là votre séjour? R. Nous y allons aussi , dans le ciel le plus élevé, au-des- sus de l'arc-en-ciel , et la route en est si facile qu'une âme peut dans la même matinée arriver dans la lune (qui fut autrefois un Groenlandais) , y danser et jouer aux boules de neige avec les autres âmes. Ces lueurs que Ton aperçoit au nord sont précisé- ment des âmes qui s'amusent. Elles vivent là sous des tentes, près d'un grand lac où sont des poissons et des oiseaux en abondance. Quand le lac déborde, il pleut ici-bas, et, s'il rom- pait ses dignes, ce serait un déluge universel. Mais il ne va que des paresseux dans ce ciel-là ; le séjour des hommes laborieux est au fond de la mer. Ceux de là*baut endurent souvent la DES BBL1GI0NS EN GENéBAt. $73 faim ; ils sont faibles> exténués et sans repos par suite du rou- lement du ciel. Là vont aussi les méchants et les jeteurs de sort; ils y sont tourmentés par des corbeaux qui les prennent par les cheveux, etc., etc. * Z>. Et comment l'espèce humaine a-t-elle commencé ? B. Kallak est éclos de la terre et la femme de son pouce ; celle-ci donna le jour à une Grœnlandaise, qui enfanta les Ga- blunaets, c'est-à-dire les étrangers et les chiens, qui, parce motif, sont également lascifs et féconds. Z>. Jusqu'à quand durera la monde ? /?. Il a déjà été détruit une fois, et tous les hommes péri- rent, excepté un seul , qui frappa la terre de son bâton, et 1 en sortit une femme avec laquelle il repeupla le monde. Main- tenant, il est soutenu sur des piliers tellement rongés par le temps, qu^ils craquent souvent, et il serait déjà tombé si nos magiciens n'y pourvoyaient pas. D. Qu'est-ce donc que ces astres si beaux? R. C'étaient autrefois des Groenlandais ou des animaux qui, dans différentes occasions, ont voyagé là-haut, et qui nous apparaissent enluminés ou pâles, selon la nourriture qu'ils ont. Ces deux étoiles qui se rencontrent sont deux dames qui se vi- sitent ; celle-là qui scintille est une âme en voyage ; celle qui est plus grande (POurse) est un renne ; ces sept-là sont des chiens à lâchasse de Tours; ces autres (Orion) sont des hommes qui, s'étant égarés en poursuivant des veaux marins, allèrent jus- qu'au ciel. Malina, assaillie de nuit par son frère, s'enfuit et monta au ciel, où elle devint le soleil, et Ânninga , qui la poursuivait, la lune. Celui-ci tourne sans cesse autour de la jeune fille pour la joindre, mais en vain. Quand elle est lasse et épuisée (en décours), elle va quelques jours à la chasse du veau marin, puis elle revient réconfortée (1). Nous ne nous écartons pas de notre thème en exposant les McungM. opinions d'un peuple quel qu'il soit; mais, si vous comparez cette théogonie avec les autres, le contraste vous révélera ce que peuvent sur l'imagination les idées habituelles. Les croyan- ces et les traditions y mêleront des éléments nouveaux. Quel- quefois un mythe physique se greffe sur un récit vulgaire, ou un accident naturel sur un fait national, ou bien une légende (1) Herder, Ideen zur PkHosoph.^elc, et Cranz, Histoire des Groen- landais. 574 DEUXitMB EPOQUE. héroïque sur une combinaison astronomique ; le héros monte parmi les astres, et c^est une série d'exploits qui indique le cours d'une planète^ ou bien c'est la morale qui dicte un pré- cepte sous le voile de Tallégorie. Le soleil devient Hercule^ et les douze cases du zodiaque autant de travaux ; puis Hercule est pour les Grecs un aventurier; pour les Phéniciens^, un fon- dateur de colonies; pour les Gaulois, un marchand : c'est ainsi qu'Atlas représente le génie de la science^ Prométhée celui de la civilisation délivré par Hercule vainqueur des nomades. Les différents peuples se mêlent, et une race sacerdotale arrive portj^nt le nom même du dieu (i) dont elle introduit le culte dans sa nouvelle patrie ; les populations plus grossières accep- tent les rites et les dogmes de celles qui sont plus civilisées, comme elles accueillirent les Védas dans Tlnde, ou comme, dans la Chine, elle reçurent les livres canoniques remis en or- dre dans la suite par Confucius. Souvent aussi les conquérants imposent leur culte aux vaincus, dont ils subjuguent ou abolis- sent les dieux ; d'autres, par un compromis, multiplient les divinités et établissent entre elles des catégories. Quelle lutte n'eurent pas à soutenir les Hébreux pour donner à Jéhovah la prééminence sur les dieux des Philistins ! Ormuz fut subjugué en Perse par Mithra, Brahma dans l'Inde par Siva et Vichnou, Osiris par Sérapis, Saturne par Jupiter ; ce sont les Titans oui escaladent le ciel de leurs prédécesseurs. Alors chaque peuple modifie la tradition ^elon son caractère, gai ou austère, poli ou ^ossier. Les Grecs, en s^genouillant devant des idoles in- formes, leur communiqueront la vie et la beauté ; la grande déesse d'Éphèse, déposant ses voiles asiatiques et ses nom- breux symboles, s'élancera légère chasseresse et palpitante d'amour à travers les montagnes; Apollon n'aura pîus les têtes multiples de Vichnou fait homme, mais, doué d'une beauté accomplie dans toute sa personne, il parcourra la terre à gi*ands pas en faisant résonner sur son épaule les flèches d'or de son carquois, innuence La civiGsation vient plus tard altérer ces inventions, comme et cr va ns. ,j ^^^-^^^ ^^ Grècc quaud , au temps de Pindare, les sentiments (i) De là les nombreuses idoles qui, en Grèce, passaient pour TœuTre de Jupiter (SioTcexei) : Apollon apporta lui-même son cuUe à Delphes, Cérèsà Eleusis, etc. Voy. Scol. sur Pindare, Olymp,, XII, 10; et ScoL sur Aristo- phane, OiseauXf 720. DES BBtlGtONS EN GENl^BÀU 575 religieux se trouvèrent dominés par Texamen philosophique. Puis ce fut Euripide et les sophistes qui se prévalurent des lé- gendes antiques pour donner cours à leurs conceptions sou- vent immorales^ plus souvent pointilleuses : un fait se présen- tait-il à eux, ils voulaient en trouver la raison (1) : le peuple avait-il attribué à un seul héros les sentiments et les actions de plusieurs, ils prenaient à tâche d'anatomiser les caractères, en leur attribuant des incUnations personnelles, de sorte que le type d'un siècle, d^une nation, se concentra dans un seul homme : ils furent secondés en cela par la poésie, qui effaçait les différences entre les cultes et les divinités partielles. Ce fut ainsi que les dieux pullulèrent en mille façons, et que Explications les origines des religions s'obscurcirent. Cette multiplicité con- la mythologie, fondit les npms et les idées, les temps et les nations, les sym- boles anciens et les nouveaux, les personnages universels et les individus, les êtres allégoriques et ceux qui étaient réels : le vulgaire adorait et ne pensait pas; ceux qui pensaient auraient voulu accorder la raison avec la foi; c^est pour cela que, de Phérécide et Heraclite jusqu^à l'empereur Juhen , les esprits s'appliquèrent à trouver des interprétations plausibles aux mythes philosophiques. Les stoïciens expliquaient matérielle- ment les symboles et les religions ; Évhémère ne voyait dans les dieux que de grands hommes placés dans TOlympe; ceux qui défendaient le polythéisme réduit aux abois par le christianisme prétendaient trouver dans la mythologie les mystères d'une sa- gesse sublime; quelques modernes, poursuivant cette investi- gation, considérèrent les mythes comme des faits historiques altérés (â) ; d'autres n'y aperçurent que des symboles astroao- miques(3); Bacon y découvrit des germes cachés de doctrine morale et sociale (4) ; Vico, les premières conceptions de la raison, les fruits printaniers de ^imagination, les commence- (1) Eschyle avait indiqué k cbâtiment de Pcométhée, Euripide en puisa ies motifs dans sa propre icaagina^l^oji. (2) BiAKCBiNi, la Storia universale provata co* momm^nti ; Usséaiu^, avant eux Diodorb de Sicile, et, dans le siècle dernier, Banier, la Mythologie et les fables expliquées par Vhisioire, Quelques modernes ont fait de ce système une véritable plaisanterie en ciiangeaot Pkaéton et Bellérophon en deux astronomes ayant échoué au beau milieu de leurs observations, Paris çn un rhéteur composant une harangue sur le mérite des trois déesses, etc. (3) Dupuis, Origine de tous les cultes, (4) De Sapkntia veterum. 576 DEUXlèlfB BPOQllE. nients de Tordre social , voilés sous des fictions sévères et des formes sensibles (i). D'autres y virent un ensemble de con- naissances physiques représentées sous forme d'allégories; quelques uns^ un simple jeu de fantaisie. Tous ont donné à faux en se montrant exclusifs. La mythologie est, à nos yeux, Tune des formes les plus riches de la trachtion de Thumanité, embrassant en deux grands rameaux les événements antiques et les antiques croyances. Elle nous offre conune un débris du monde primitif, resté pour continuer les religions et commen- cer l'histoire ; mais nous l'avons vue sortir d'éléments si hété- rogènes, les nuages qui l'enveloppent ont si souvent changé d'aspect, selon la position et les passions de ceux qui regar- daient, que, dans notre conviction, pour aucun peuple elle ne saurait offrir un accord raisonnable ; aussi n'est-ce que par frag- ments que nous avons tâché de nous en aider pour retracer l'histoire des temps obscurs. Morale. Toutc religion se compose de croyances et de morale : quelles que fussent les premières, les prêtres tendirent toujours à ré- pandre la seconde au moyen du culte. Les idées s^en altérèrent néanmoins selon les opinions, le besoin, les passions, deux principes opposés, le sensualisme et la barbarie, s'associant toujours dans l'antiquité. L'Astarté des Phéniciens, la grande déesse des Syriens à Hiéropolis, TAniti des Arméniens avaient pour prêtresses des courtisanes et exigeaient le sacrifice de la pudeur : de même en Grèce, à Rome, à Chypre, à Corinthe, en Sicile, des rites infâmes se célébraient en l'honneur de Flore, de Mutinus, de Cybèle, de Bacchus ; des images obscènes or- naient les temples de l'Egypte, ainsi que ceux de Pompéia et d'Herculanum. Des fables aux honteuses amours semblèrent inventées pour rassurer les consciences et pour pouvoir pécher sous la garantie des dieux. Mais ces dieux, tout en sanctifiant la volupté, réclamaient des victimes humaines, dont les autels de presque toutes les nations antiques ont été souillés. La Grèce elle-même ne fut pas exempte de cette barbarie, non-seulement au temps des Argonautes et quand Agamemnon et Aristodème immolaient leurs propres filles, mais bien plus tard, lorsque le sixième jour du mois thargélion, les Athéniens sacrifiaient un homme et une femme pour la santé publique (2), et que Thé- Ci) Passim. Mais Toir surtout une note au chapitre xxx de la dernière partie eu Wvre de Constantiajurisprudentis. (2) Cette cérémonie s'appelait xaOapov, pnrgation. V . J. Tzetzès, Chil., V, 23; DRS BELI6I0MS EN GÉriEBAL. 577 mistocle égoi*geait deux jeunes garçons pour se rendre les dieux propices dans le combat de Salamine. Il est vrai que vouloir juger des mœurs par les croyances serait souvent une cause d'erreur. Les Romains sacrifiaient à la peur; Lucrèce avait de la dévotion pour Vénus; comme aussi le Kalmouk, bien qu'il adore une idole d'argile, ne se plie pas aux douces doctrines du lamisme. Toujours les enfants de la chair se séparèrent de ceux de Pesprit, et Tautorité de la loi morale ne saurait être anéantie par les fables religieuses. C'est vers l'accomplissement de cette loi éternelle que les hommes dirigeaient leurs actions, plutôt que vers Pimitation des dieux ; et, bien qu'obscurcie, la confiance en un Dieu supérieur et di- rigeant tout ne périt jamais. C'est pour cela que Zaleucus ins- crivait en tête de sa législation qu'avant tout il importe de con- naître la nature de Dieu. On jurait par les dieux; on redoutait d'encourir leur colère : Apollon Pythien proclamait que la piété des mortels est aussi chère aux dieux que l'Olympe lui-même. Pindare chantait que la sagesse dérive de Dieu (1), que Dieu est le modèle des rois, qu'il créa et enseigna tout ce qu'il y a de beau au monde (2) : Cicéron disait plus tard que tout ce qu'il y a de beau et de bon vient de Dieu, que des hommes vient tout ce qui est mauvais (3). C'étaient là toutefois des sentences de phi- losophes, tandis que le vulgaire, qui n'était pas instruit à leurs écoles, avait sous les yeux trop de déplorables exemples, sans parler même de l'innombrable foule d'esclaves qui croupissait sans divinités et sans morale. Les religions ne furent donc pas l'invention des prêtres ; Pim- préires, posture ne fit que les adopter, et propager des songes pour des réalités. Les premiers prêtres sont représentés par le patriarche de la tribu, qui offre le sacrifice, conserve la mémoire des ré- vélations divines et des connaissances primitives, dicte au nom de Dieu les commandements moraux, c'est-à-dire ceux de la justice, et les applique aux cas journaliers. En se répandant au milieu de gens grossiers, les prêtres les trouvent occupés de satisfaire aux besoins et aux divers emplois de la vie matérielle, de sorte que c'est à eux que reste le privilège du savoir qu'ils ChiL, vin, 239. — MEinsR's, Lect.y lib. IV, 22, et Crœcia ferlata, lib. iv, in ThargelHs. (1) Olymp., X, 10. (2) Stobée, lit. 48, G3. (3) De Natura dcortim, 11, 35 ; HT, 39. T. I, 37 578 DEUXIÈME ÉPOQUB. ont le temps de cultiver : ils sont astronomes^ physiciens, mé- decins, historiens. Voilà pourquoi les sciences s'offrent d^abord sous l'aspect religieux : les germes de la civilisation se propa- gent sous le voile des cosmogonies religieuses ; car, depuis les Thesmophores jusqu'à nos missionnaires, la religion a toujours été considérée comme le principal moyen d'arracher les peuples à la barbarie. MysièTM. Mais peu d'hommes savent résister à la tentation du pouvoir. Sentant combien la science et le culte les rendent supérieurs au vulgaire, les prêtres songent à ne lui communiquer que co quî est nécessaire pour assurer leur puissance, et ils enveloppent le reste d'un voile épais. Alors les mythes cosmogoniques, de simples qu'ils étaient, deviennent multiples et compliqués ; les connaissances livrées à la foi implicite des contemporains, comme vérités absolues, sont déposées dans des symboles; la tradition primitive est étouflfiée de plus en plus, et d'obscures métaphores, des caractères mystérieux, des expressions énig- matiques confondent l'intelligence et égarent la conscience (1). (1) Les écrivains qui ont traité des mystères sont : Meursios, Eleusinaf sîve de Cereris Eleiisinœ sacro etjesio, Sainte-Croix, des Mystères de V antiquité, Paris, 1765. Lentz a ajouté des notes précieuses à la traduction allemande de cet ouvrage. P. N. RoLLE, Recherches sur le culte de Bacchus, symbole de la force reproductive de la nature, considérée sous ses rapports généraux dans les mystères d* Eleusis, et dans ses rapports particuliers dans les Diony- siaques et les Triétériquesy Paris, 1 824. A. Van Dalen, de Oraculis veterum ethnicorum dissertationes sex, Amsterdam, 1700. L'ouvrage est des plus importants, mais il manque de vues arges et coordonnées, qui se font aussi désirer dans celui de j. Groddek, de Oraculorum veterum quœ in Herodoti libris continen- tur natura, commentatio, Goettingen^ 1786. — Sur les oracles et sur les sibylles , FABRiaus, BibL grxca, vol. 1, 136 et suiv. Fréret, Sur les recueils des prédictions écrites qui portaient le nom de Musée, de Bacis et de la Sibylle^ \. XXI II des Mémoires de V Académie des inscriptions. B. Thorlacios, Libri sibyllistarum^ veteris Ecclesiœ crisi subjecti, Co- penhaghen, 1815. A. Majcs, £i6uXX7iî Xoyo; lA, Milan, 1817. . Clavier, Afto. sur les oracles anciens, Paris, 1818. PavneKnight, Inquiry into the symbolical langage, ouvrage qui rem- porte peut-être sur tous les autres. — Ytfyez encore sur les mystères de Gérés et de Proscrpine, et sur les m 5 stères en général : Voss, Ueber den Ursprung mystischer Tempellehren, dans le tome 111 de ses Lettres mythologiques, Stutlgard, 1827. Lobek, DES BGLICtIONS EN GÉNÉRAL. 579 De là deux doctrines, l'une ésotérique, intérieure et secrète, plus voisine de la vérité, mais souvent souillée de pratiques magiques; l'autre exotérique, qui, secondant la disposition de la foule à diviniser la nature, abuse des images, mêle les idées du monde sensible à celles du monde moral (1). La première était enseignée dans les mystères, aux prêtres seuls j mais quand ceux-ci étaient vaincus par les guerriers, ou quand ils en venaient à traiter avec eux , peut-être étaient-ils obligés d'en initier quelques-uns à leur secret; ce qu'ils faisaient à la suite de longues et difficiles épreuves. La base principale des mystères était le secret : il fut conservé avec une telle jalousie que toute la curiosité de l'érudition n'a pu en découvrir que quelques cérémonies extérieures. Les hommes ayant l'habitude de considérer comme chose très- sainte ou très-criminelle ce qu'ils ne comprennent pas, les bruits les plus divers coururent au sujet des mystères, consi- dérés ou comme un dépôt de vérités sublimes, ou comme un raffinement d'impostures, ou conmie une occasion de turpi- tudes. Ceux en l'honneur de Démétra et de Perséphone avaient été apportés aux Éleusiniens, qui en furent longtemps les seuls dépositaires ; mais, vaincus par les Athéniens, ils durent leur en communiquer les cérémonies, qui, plus tard, devinrent com- munes à tous les États de la Grèce et formèrent un des liens de leur nationalité. Les hommes les plus distingués, sages, guer- riers, littérateurs, demandaient leur initiation à ces mystères ; ils se conservèrent toujours purs de profanations, car, le lende- main de leur célébration, le sénat d'Athènes se réunissait pour AglaophamnSf 1829. 0. MOller, arlicle Eleusinia de VÀllgemeine Enciff dopedie^ de Halle, l^*' section, yoI. XXXIII, 1840. Prelleb, Demeter und Perséphone f Hambourg, 1837 ; puis ses articles Eleusinia, Mysteria, Perse' phone, Thesmophoria de la Real-Encyclopœdie de Pauly. Hacpt, Sur les Eleusinies, dans les Archives de philologie et de pédagogique, en allemand, H, 2. Stuhr, die Religionssy sterne der Hellenen, p. 377-492. Gerhard, ProdromoSf et Hyperboreisch-Rômische Studien, Creczer et GuicmAUT^ 3* partie du tome III des Eeligions de l* antiquité, Lenormant et de Witte, Élite des monuments céramographiques, Ch. Magnin, Études sur les ori* gines du théâtre antique^ Paris, 1838. (Note de la 2* édition française.) (1) Lobek suppose que l'origine des mystères fut cette supersUlioii qui faisait croire qu'un peuple pouvait aliéner à un autre ses divinités nationales s'il parvenait à connaître leur nom et leurs rites, ee qui rendait à ce sujet le secret très-important. Il nous semble que c'est encore là un de ces cercles vicieux dans lesquels tombent souvent les spéculations historiques, et pac suite desquels on suppose précisément ce qu'il s'agit de trouver. 37. 590 DEUX1ÈMB ÉPOQUE. examiner si quelque abus ne s'y serait paâ introduit. Cicéron les appelle le plus grand bienfait dont on tût redevable à Athè- nes, « parce qu'ils enseignèrent non-seulement à vivre heureux, (K mais à mourir tranquille en se confiant dans un plus bel ave- 0 nir (1). » On y chantait cet hymne d'Orphée : « Contemple a la nature divine, éclaire ton intelligence, gouverne ton cœur, « marche dans les voies de la justice. Que le Dieu du ciel soit « toujours présent à tes yeux; il est unique, il existe par lui- « même, et tout autre être dérive de lui, est soutenu par lui. « Jamais Pœil d'un mortel ne Fa vu, et lui voit tout. » Le flam- beau allumé qui se passait de maûi en main symbolisait peut- être cette perpétuité de la vie du monde. Un Dieu suprême, l'éternité de la matière, l'âme immortelle émanée de Dieu, et divisée en autant de parcelles qu'il y a d'individus dans la na- ture; la divinité des éléments et des corps célestes, le libre 0) De legibus, II. On pourrait multiplier facilement les passages des an* cieus où il est fait mention de la sublimité des doctrines enseignées dans ces mystères. Platon dit : « Je n*ose alléguer ici la doctrine enseignée dans les mystères, que nous sommes ici-bas attachés à un poste que nous ne pouvons abandonner sans permission. » Quand le christianisme combattait Tidolàtrie, les défenseurs de celle-ci s'ingéniaient à la soutenir en montrant que les doctrine secrètes étaient dif- férentes de celles divulguées. Olympiodore, dans un commentaire sur le Phé- don, que M. Cousin a lu à la Bibliothèque royale de Paris, dit : « Dans les cérémonies sacrées, on commençait par la lustration publique (xàOap DES B£LIG1ÔNS EN GÉNÉRAL, 581 ai'bitre, un jugement après la mort, la métempsycose et Téter- nelle félicité après que les peines expiatoires avaient été subies, tels étaient, à ce qu'il semble, les dogmes enseignés dans ces mystères. L'unité de Dieu se décomposait pourtant dans la tri- nité d'un principe actif, d'un principe passif, et dans le symbole du monde produit par tous deux, Isis, Osiris etHorus; Bacchus, Cérès et lacchus ; on leur associait quelquefois le dieu du mou- vement, Thaut ou Mercure (1). Ces doctrines n'étaient exposées que selon les degrés fran- chis par les initiés, et encore ce n'était jamais ouvertement, mais au moyen de certaines formules proverbiales et concises qui demeuraient inintelligibles aux esprits moins éclairés : si ja- mais le secret s'en trouvait violé , elles devenaient une source d'erreurs nouvelles par la diversité des interprétations (2). Les symboles mêmes sous lesquels elles étaient voilées pouvaient être différemment interprétés et enfanter ainsi d'autres illu- sions. La morale y était fondée sur la connaissance des pouvoirs divins par lesquels la nature est fécondée. L'initiation dans laquelle sont représentés le passage de l'état sauvage à la ci- vilisation (3), et les peines et les joies d'une vie future, était accordée en récompense à la vertu (4). Il est certain que les dogmes des mystères contribuèrent efficacement à former l'esprit public en Grèce et en Egypte, et profitèrent à l'éduca- tion morale, au développement de la pensée, à la vie; ils l'emportèrent de beaucoup sur la mythologie vulgaire et sur la poésie pour faire envisager avec une profondeur plus sé- vère la nature humaine et les relations avec le monde invi- sible. Mais le secret servait d'aliment à un grand nombre (1) B\co."s. T. t. * dît lis- 600 DBUXIÈMB ÉPOQUE. Dioscures, bien plus ancien que celui de Tyndarides^ parait se rapporter à leur domination successive dans le séjour des om- bres. Sur cette heureuse terre, entrecoupée de montagnes et de forêts , baignée par la mer qui y pénétrait profondément, entourée d'îles innombrables, renouvelée par de fréquentes mi- grations , rénergie des habitants ne pouvait se courber sous le joug sacerdotal. Les héros ne Tauraient pas souffert, et la chute des trônes héréditaires, Tarrivée des Héraclides descendant des montagnes septentrionales , donnèrent au pays une nouvelle vigueur : aussi les mœurs, les idées, les constitutions, La poésie, s'éloignèrent-elles chaque jour davantage du mysticisme orien- tal. Si les prêtres formèrent d'abord quelques castes distinctes et restreintes, elles se décomposèrent bientôt, et Taccomplisse- ment de quelques rites resta seulement attribué à certaines fa- milles. Tels étaient les Asclépiades à Cos , les Ëunides et les Dé- dalides à Athènes, les Héliades à Élis, les Talthybiades à Sparte , les Selles à Dodone. Les Eumolpides , issus de Musée fils de la Lune, occupèrent à Eleusis la plus haute fonction des Éieusinies , celle à' Hiérophante; tandis que la seconde place , celle de Dadouque, était dévolue à la famille de Gallias et d'Hip* ponicus, qui prétendait descendre de Triptolème, mais qui de- vait se rattacher à la grande confrérie des Ceryees , puisque celle-ci donnait à la fois le Dadouqtée bï le Hiérocéryx, qui remplissait le troisième eqiploi des mystères. Plus tard la fa- mille des Lyconides , à laquelle appartenaient les descendants de Thémistocle , hérita des fonctions de Dadouque, et les garda jusqu'aux derniers temps du paganisme (1). C'est encore ainsi que les Butades étaient chargés du culte de Minerve Poliade à Athènes, et que les Étéobutades avaient des fonctions assignées dans les Scirophories. Les prêtres ne formant donc pas une caste privilégiée , ils n'employèrent par d'écriture hiéroglyphique et connue d'eux seuls, de telle sorte que l'instruction se répandit dans toutes les classes et que les sciences restèrent indépen- dantes de la religion , à la grande différence de ce qui existait en Orient. Les cuites vaincus se cachèrent et devinrent mysté- rieux, comme on le remarque pour les Cabires et les orgies de Samothrace , et en dehors du sanctuaire apparurent des poètes (1) Voy. la note là sur les taniilies ^sacerdotales de l'Âttique, par M. Gui- ;2;rnaut, dans le dernier volume de sa traduction de la Symbolique ; PhHk, 1851 , p. 1137 el suiv. (Note de la 2^" édition française.) RELIGION CHEZ LES GRECS. 601 populaires^ indépendants de la science et de la pensée des prê- tres, souvent même hostiles à ceux-ci (1) : de ce moment cha- que chose fut mieux déterminée , devint plus intelligible et plus claire. La hiérarchie égyptienne , non moins puissante sur les croyances que sur la politique , en resserrant les idées dans un cercle infranchissable, avait rendu la religion immuable; en Grèce , au contraire; livrée au génie des poètes et au gré du peuple j dans les sociétés, sur les théâtres , elle demeura indé- pendante, et chacun put ajouter quelque chose au culte public et aux mythes divins. En outre , les prêtres n'y formèrent ja- mais un collège comme à Rome , où Ton sait qu'ils étaient réunis en corps, bien qu'ils ne fussent pas exclus des fonctions civiles. Aussi la religion chez les Grecs ne fut-elle jamais reli- gion de TÉtat ; elle seconda souvent la politique , elle n'en fut jamais esclave. Les hymnes orphiques fournissent la preuve que , dans Tori- vérités primi gine, la Grèce professait l'imité de Dieu : « Jupiter fut le pré- « mier et le dernier, la tête et le milieu; de lui provinrei^ « toutes choses. Jupiter fut homme et vierge immortelle; Ju- <:< piter est la tiamme du feu, la source de la mer; Jupiter est a le soleil et la lune ; Jupiter est roi; seul il créa toutes choses. « Il est une force , un dieu , le grand principe de tout ce qui est; « c'est un tout parfait qui embrasse chaque être, feu, eau, « terre, éther, nuit, jour, et Métis première créatrice, etl'amour « attrayant. Tous ces êtres sont contenus dans l'immense corps « de Jupiter (2). » Le même Orphée , c'est-à-dire les poètes les plus anciens, chantaient : « Nature, mère divine, universelle, a mère en tant de façons, céleste, vénérable, esprit souveraine- c< ment créateur, reine indomptable qui domptes tout, gou- « vernes tout, resplendis partout, toute-puissante, adorée dans c( Téternité , divinité supérieure à toute autre, indestructible, « première née , très-antique... commune à tous, seule incom- « municable , mère de toi-même qui n'as pas de mère , par ta (1) Dans Homère, les deirins sont toujours en butte au mépris: Agamenuion insulte Tun et effraye Tautre. Les chantres inspirés ont la mission d^instruire les nations et les particuliers, de conserver la foi domestique et le droit d^ gens. (2) Stobée, Ëclog. I, 1. Selon Proclus, Orphée ciiautait : « Tout ce qui est^ fut, sera, était dès le commencement contenu dans le sein fécond de Jupitei ; Jupiter est le premier et le dernier , le principe cl la fin ; de lui émanent tous fcsélrcs. » 6Ô2 DEUXIÈME ÉPOQUE. « force mâle, tu produis tout^ tu sais tout^ tu donnes tout; « nourrice et reine de Tunivers ; ouvrière féconde de tout ce « qui croît, destructrice de tout ce qui est mûr, véritable père c( et mère, et nourrice et soutien de toutes les choses. » Les Grecs perdent ensuite de vue ce culte de la nature, voisin du panthéisme. Ce Jupiter, considéré dans tous les chants pri- mitifs comme le maître du ciel et de la terre, le père des dieux et des mortels , la source de la vie , de Tordre et de la justice , devient un nom appellatif ; aussi y en eut-il un très-grand nom- lire en Grèce, et Varron en compta-t-il trois cents en Italie : les qualités se personnifient, et les fables vont se compliquant de plus en plus (i). Mais nous ne savons que peu de chose ou rien de la mythologie pélasgique, symbolique et théologique ^ qui présida aux premiers développements de la civilisation grecque ; car, lors de la scission entre le sacerdoce et la poésie, elle ne survécut que dans les mystères et dans des mythes dont le sens se perdit : Homère même et Hésiode, qui en rapportent • quelques fragments, ne paraissent déjà plus les comprendre. Dieui A. l'apparition de ces deux poètes, les ténèbres qui environ- ei*^d"ii?sîï5e. naieiît les sanctuaires des Pélasges s'éclairent tout à coup; mais, quand Hérodote dit qu'ils avaient inventé la théogonie, il veut exprimer que la Grèce avait oublié ses propres origines et con- sidérait ceux qui les lui avaient rappelées comme des créateurs. Mais la poésie orne et ne crée pas ; de telle sorte qu'Homère, Hé- siode, ces deux chantres des forces de la nature et des attributs de l'Être suprême, déjà personnifiés, ne firent que les mêler à leurs poèmes héroïques sous une forme plus humaine encore, leur prêtant des fonctions distinctes et un caractère propre. Les dieux d'Homère sont des divinités de tribu tout à fait lo- cales; leur immortalité n*est qu'une vie beaucoup plus longue que la nôtre : c'est un don qu'ils peuvent faire partager à leurs favoris ; ils ne sauraient pourtant les soustraire à la mort quand (1) M. Creuzer, qui a envisagé le myllie de Jupiter sous toutes ses faces, retrouTe le naturalisme primitif dans le Jupiter d'Arcadie , de Dodone et de Crète; les élucubraiions des philosophes et des prêtres dans le Jupiter prin- cipe du monde et maître de l'univers, et la plus haute expression de la vie politique et morale , comme Timage la plus sublime de la Divinité, dans le roi de roiympe» dans le Jupiter d*Homère etde Phidias. Voyez la note de M. Vi- net sur les principales théories relatives à' Zeus ou Jupiter dans la 3^ partie du t. II des Bel. de VaniîquUé; Paris, 1849, p.. 1256 à 1260. (ISotede la 2* édi» tion française.) BSLlGiON CHEZ LES GBSGS. 603 rînstant en a été fixé par le Destin , divinité qui leur est supé- rieure h tous. Leur agilité, une taille gigantesque (1), une voix retentissante, les distinguent des hommes; ils sont invisibles à leur gré, et peuvent aussi rendre tels ceux qu'ils protègent. L'Olympe ressemble à l'une des cours des princes de la Grèce; les dieux y passent le jour au milieu des chants et des jeux , se livrant aux exercices du corps , aux plaisirs des banquets , où ils savourent Tambroisie, sans laquelle cesserait leur immorta- lité, n est superflu de répéter ici les reproches si souvent adres^ ses à Homère pour la manière scandaleuse dont il a représenté les dieux, qu'il a faits querelleurs, méchants, puérils. Son grand mérite consiste dans cette exquise délicatesse de goût , grâce à laquelle il devint réellement le créateur des beaux-arts. Tout thez lui est naturel, rien de caché ni de mystérieux ; et lorsqu'il dit : (( Le grand fils de Saturne abaissa ses noirs sourcils , la cf chevelure divine ondoya sur la tête immortelle du souverain « maître, et tout FOlympe en trembla , » les symboles plus ou moins grossiers du Jupiter antique s'évanouissent, et le maître de la nature, le roi des dieux, s-offre à nos regards tel que Phi- dias le représentera. Hésiode, quoique postérieur à Homère, conserve plus du gé- nie symbolique et allégorique de l'antiquité , comme aussi du sens primitif des mythes religieux. Le Chaos, la Terre, le Tar- tane, TAmour, sont chez lui des êtres primordiaux : le premier est le sypabole de ^espace vide encore , de la nature qui ren- ferme tout dans son sein; la Terre représente la génération de toutes choses; le Tartare, le penchant de la création à retour- ner au chaos ; l'Amour, le principe qui meut, unit et conserve. Du Chaos naissent TÉrèbe et la Nuit; de ceux-ci TÉther et le Jour. La Nuit engendre ensuite d'elle-même le Hasard , le Des- tin, la Mort, le Sommeil, les Songes, Momus ou le Rire, l'Afflic- tion, les Hespérides, les Parques, les Peines divines, Némésis, la Fraude, l'Amitié, la Discorde. De cette dernière naissent la Fatigue, l'Oubli, la Faim, les Douleurs, les Disputes, les Meur^- très, les Batailles, les Fléaux qui détruisent les hommes, les Injures, les Paroles trompeuses, les Contestations, l'Injustice, l'Iniquité, le Serment. On voit ici se combiner la cosmogonie ^yeç la morale ; ce qui produit une infinité de personnifications. ( 1 ) Mars couvre sept arpents de terrain ; en trois pas Neptan^ francliit l'intervalle du ciel à la terre. 604 DEUXIÈME ÉPOQUE. La Terre enfanta Uranus ou le ciel, les Montagnes^ PAbtme et l'Océan qu'elle épousa^ et dont elle eut un grand nombre de dieux ^ parmi lesquels le plus noble de tous, Timpénétrabie Chronos, ou le Temps, et les Géants. Viennent ainsi à la suite tpus les corps et toutes les essences. Chronos dévore tous ses enfants jusqu'à la naissance de Jupiter , qui non-seulement échappe à sa voracité, mais le contraint à rejeter tout ce qu'il a dévoré, et délivre les cyclopes enchaînés : ceux-ci, en récom- pense, forgent pour lui la foudre dont il frappe son père. C'est ainsi qu'à l'absolu succède l'intelligible ; au temps confus , le temps réglé par le cours des astres ; à Têtre sans intelligence ni conscience , le Jupiter consciencieux et intelligent. Il triomphe des Titans rebelles, c'est-à-dire des forces aveugles de la nature, et distribue aux autres fils de Chronos les dignités et l'empire du monde, en réservant pour lui le ciel et la puissance suprême : la mer échoit à Neptune, l'enfer à Pluton : la terre et l'Olympe demeurent indivis (1). (1) Heyne, Wolf, Fi\ Thierscli, et antres savants, après le HollandaU Riilin- kon, n'ont vu dans la théogonie qu*unc coinpilalion indigeste, pleine (finter- polations, et rapiécée de fragments antiques. — D*apr6s M. Creuzei' lui-môine, Hésiode n'aurtiit d*artre mérite que d'atoir, le premier, recueilli dans son poëmc nnc niasse de dosâmes traditionnels et de mythes de plus en pins anlliro- poinorpliisés dans la bouche du peuple et des chantres populaires, et de les avoir disposés poétiquement pour le plaisir du récit, mais sans s'inquiéter du vrai sens des légendes divines, sans avoir la conscience de Pesprit de sa reli- gion. M. Otlf. Militer et M. (^uigniaut ont de ce poëlc une tout autre opinion: « Hésiode, dit M. Giiigniaut (de la Théogonie d'Hésiode, diss, de Phil. anc. parJ, D, Gwgnlaut)fYiïd à une époque où les symboles et les légendes popu- laires s'étaient tellement multipliés, que le besoin se Taisait sentir partout de les rapprocher, de les réunir, de créer entre eux des rapports, une filiation suivie, et d'organiser la cité des dieux et son histoire, comme les tribus et les cités des peuples helléniques tendaient elles-mêmes à s'organiser en on corps de nation. Résidant au vienx foyer de la poésie religieuse, héritier des chantres sacrés de Tolymiie et de THélicon, Hé.-^iode travailla pour la Grèce entière. Il recueillit les essais antérieurs, les organisa autant qu'il le put, les transforma sans en altérer le fond, et les développa dans une ordonnance aussi Taste que simple, que l'on peut bien considérer comme son œuvre propre et comme sa pensée personnelle. Comme il comprit que la loi du monde était le change- ment, la succession, ou plutôt le développement et le progrès, il comprit aussi que ce développement, ce progrès, c'était Thistoire même du monde depuis son origine, et par conséquent celle des pouvoirs identiques à lui, qui le gou- vernent. Bien plus, il devina que la série naturelle des évolutions cosmiques, représentée par la série traditionnelle des révolutions divines, s'était oiiérée comme une transitioii progressive de l'indéterminé au déterminé, de l'dbsola au relatif; en un mot, de l'inOni au fini. C'est cette grande idée philosophique, RKLtÛlOM CHEZ LES GfiEGS. 605 Dans un pays comme la Grèce, où tout était vie et où les évé- cuiu. nements se succédaient avec une extrême rapidité , Poccasion de recourir aux dieux pour leur demander des conseils ou des prédictions naissait à chaque instant ; c'est pourquoi les oracles y acquirent un plus grand crédit que chez tout autre peuple. L'intervention immédiate de la Divinité dans les événements de ce monde une fois admise , elle s*étend facilement à tous les cas, et celui qui ne peut interroger quelque oracle célèbre de- mande une réponse i\ tout ce qui l'environne , aux vents , aux animaux , surtout aux songes. Le philosophe prendra en pitié ces augures, le poëte comique les tournera en ridicule, mais le peuple en sera toujours avide , et il Test encore aujourd'hui , après les torrents de lumière qui ont éclairé les esprits. Ainsi, la religion se mêlait à tout ce que faisaient les Grecs; il n'est pas de poëte, d'historien, d'orateur, qui ne fasse intervenir les dieux dans son œuvre. Dans les mouvements politiques, il faut toujours calculer Faction mystérieuse de la religion; et dans la vie, tout est prières, sacrifices où Von immole des victimes; souvent même une ou plusieurs hécatombes (1). Chaque repas a ses libations, chaque métier ou art son patron, chaque maison son oratoire; tout champ a son gardien ; tout citoyen son pro- tecteur : Platon rappelle pieusement qu'au lever de la lune et au coucher du soleil. Grecs et Barbares se prosternaient pour rendre hommage «à la Divinité. Les fêtes particulières multipliaient les occasions de déployer My»t*re.^. oltôcnrénient compiiAC, qui lui donna rimilc iuliine el géiiéiulricc de sou poëmé, taudis qiio la croyance religieuse aux dynasties successives des dieux jnî eu traçait la marciic extérieure. » Voyez encore Fur la Théogonie d'Hé- siode : <;odefriëd Heruan, de Mythologia Grescoj'um antiquissima, — G. MOlleh, Prolégomènes pour une mythologie scienlijiqae el Uisloire de la lu fér attire grecque, 1. 1, p. 152-1. — • ëckerhann, Lehrbuch der lieligions- Gcsihkhlcund Mythologie^ l. î, p. 285-2S9. — Mutzell, de Eniendatione (heogoniie hesiodea, Lips., 1833. — Soetbeer, Versuch die Ur/onn der Jtfesiodeischen Théogonie Jiach&uweisen. Berlin, 1837. — Gruppe, Ueber die Théogonie des Hesiod, Berlin, 1841. — Th. Kock, de Pristina theo- goniœ hesiodesB forma , parUc. I. Vrati-lav., 1842. — CKEtzEit, troi^^ième édition de la Symbolique, 1. 1, et Additions du t. III. — Guigmaut, IS'otes et éclaircissements sur le tome 11 des Religions de l'antiquité, Paris, 1849, p. 1 1 17-1 129. (Note de la 2* édition française.) (i) Crcsus offrit trois hiliombes, ou sacrifices de tnille têtes de bétail, pour se rc;idre les dieux favorables contre Cyriis; il ordonna que les Lydiens imuioliissont autant d'aiiiooaux qu^ils pourraient. Ou connaît l'hécatombe de Pythagore. 606 DEUXIÈME EPOQUE. les richesses et la beauté de l'art grec : d'autres fêtes communes à tous les Hellènes étaient encore plus solennelles. Hérodote attribue à Danaus et à ses filles Tinstltution des Thesmophories^ et les fait ainsi remonter au xvi« siècle, d'où il faudrait con- clure qu^elles étaient antérieures aux Éleusinies. Elles étaient communes à toute la Grèce , d^oii elles se propagèrent dans les colonies. On célébrait à Eleusis la Gérés Thesraophore, ou lé- gislatrice, et Ton portait en procession les tables sur lesquelles on supposait qu'elle avait apporté les premières lois écrites. Les Thesmophories d'Athènes, interdites aux hommes sous peine de mort, étaient célébrées par deux femmes de haute condition choisies dans chaque tribu. Elles avaient lieu à l'automne, et des rites d'une naïve obscénité, tels que la représentation des organes sexuels , y rappelaient les semailles et l'institution du mariage. On y mêlait encore des scènes du genre orgiaque, tour à tour lugubres ou joyeuses , par allusion aux gémisse- ments et à la joie de Gérés lorsqu'elle avait cherché sa fille et l'avait retrouvée. Les Éleusinies avaient plus d'un point de contact avec ces fêtes. Elles étaient surveillées par l'archonte- roi, qui avait le droit d'en exclure quiconque avait encouru la vengeance des lois, et qui ofifrait des sacrifices pour tous les ha- bitants de l'Attique. Il était assisté par quatre épimélètes, dont deux étaient choisis parmi le peuple , deux dans la famille des Eumolpides et des Géryces. Les autres villes de la Grèce en- voyaient des députés en signe d'hommage à la métropole du culte de Gérés. On comptait quatre pontifes d'un ordre su- périeur ^i l'Hiérophante, le Dadouque, l'Hiérocéryx, TÉpibo- mius, tous quatre Eumolpides ou Géryces. L^Hiérophante, grand prêtre de l'Attique, mystagogue, prophète, chargé de la directicHi des petits et des grands mystères , introducteur des novices dans le temple et leur imtiateur aux degrés les plus élevés des doctrines secrètes, était choisi parmi les descendants de la race antique d'Eumolpus. On le prenait d'un âge mûr et de mœurs austères : une fois nonamé, il devait renoncer à toute relation avec les femmes, et le nom sacré qu'il prenait devait rester un mystère pendant toute sa vie. Les prêtres ou prê- tresses de degrés inférieurs ( Hiérophantides , Prophantides ) étaient en grand nombre. La loi excluait des fêtes tout étran- ger, tout esclave , tout homme dont la nwssance n'était pas lé- gitime, tout meurtrier, quand même le meurtre avait été invo- lontaire. On croit que la célébration des mystères était précédée RELIGION CHBZ LES ôaBCS. 607 d'une espèce de confession. Les initiés semblent avoir été divi- sés en trois catégories ou degrés : les Télestes , les Mystes, les Époptes. Les petits mystères célébrés à Agra (1) n'étaient, à proprement parler, qu'une préparation aux grands mystères : ils consistaient principalement en cérémonies expiatoires, en purifications et en instructions préparatoires. La célébration des grands mystères s'accomplissait, partie à Athènes, partie à Eleusis , et les rites en sont peu connus , de même que les for- mules sacramentelles n'en sont pas expliquées. Peut-être s'é- coulait-il des années entières avant qu'on passât du premier degré de l'initiation au plus élevé , ce qui avait lieu le sixième jour de la fête. A leur retour à Athènes, les initiés étaient ac- cueillis par les plaisanteries et les brocards des populations voi- sines accourues sur leur passage , et auxquelles ils répondaient sur le même ton (2). Mais jusqu'à quel point cet hommage profitait-il à la morale t Morale. La religion ne justifiait que trop la corruption, et Aristote, en proscrivant les images obscènes, fait une exception pour celles des divinités (3) ; Platon recommande de fuir l'ivresse, à moins que ce ne soit en l'honneur de Bacchus (4). Sans revenir ici sur les atrocités et les débauches précédemment rappelées (5), nous ajouterons que dans les circx)nstances les plus graves, on char- geait les courtisanes d'intercéder auprès de Vénus, attribuant à leurs prières le salut de l'État (6). Quand le patriotisme le plus généreux eut vaincu Xerxès, on dédia dans le temple de la déesse un tableau où se voyaient représentés les vœux et les processions de ces malheureuses, et Simonide y avait inscrit ces vers : Elles supplièrent la déesse Vénus y qui, peur l'amour d'elles, a sauvé la Grèce. (!) Agra était une espèce de faubourg d'AlhèneSy situé près des murs du sud, au delà de minus, et où se trpuyait un temple destiné à la célébration de la fêle. (Note de la 2« édition française.) (2) Voyez, sur les Thesmophories et les Êleusinies, M. Preller, article de la Zeltschri/l fiir die Aller thumswissenschaft, de Darmstadt, 1835, et Démê- ler el Perséphoné, par le même ; puis K. F. Hermann, Lehrbuch der GoUeS' dienstlichen Alterlhiimer der Griechen, Heidelberg, 1846 ; Lobeck, Âglao- pkamus ; Guigniaut et Alf. Maury, Religions de Vandquilé, t. III^ y partie, p. 1131 à 1245. Paris, 18ôl. (Note de la 2* édition française.) (3) Polilique^ Vil. (4) Lois, VI. (5) Voy. ci-dessus, pages 576 et 577. (6) ÀTBÉN£E, XIII. 608 DEUXIÈME ÉPOQUE. La partie morale de la mythologie grecque résidait tout en- tière dans ^abstraite personnification de la jurisprudence repré- sentée par Thémis, Eunonice, Dicé, Irène, les trois Parques, et surtout, et avant toutes les autres, les Euménides qui veillaient aux trois dispositions principales de la loi primitive : la sainteté du foyer, la défense de la propriété, la bonne foi dans les enga- gements réciproques. Cics inexorables vengeresses de tout délit chantent dans Eschyle : a Celui qui a les mains pures n'a rien à « craindre de notre colère, il peut vivTC tranquille; maïs tout c( coupable qui cache des mains parricides nous voit prêtes à « venger les moiis, à lui demander compte du sang versé. Nous « atteignons au loin le criminel d'un coup vigoureux ; c'est en « vain qu'il fuit : nous marchons sur ses pas, et il tombe. Notre a victime doit entendre les chants du délire, de la fureur, du « désespoir, les hynmes des Furies, sans Taccompagnement de « la lyre, ces hymnes qui, enchaînant les esprits, dessèchent et aussi les cœurs. » Mais quoi? leur colère et les pemes d'outre- tonibe ne concernaient que les actions éclatantes, les splendides méfaits. La religion n'avait presque point d'influence sur la mo- ralité des œuvres journalières et sur la conscience. Loin de là, en excitant les sens et Timàgination , elle inspirait un immense égoïsme et laissait Thomme sans dignité. C'est de l'homme libre que nous parlons ; car il n'y avait rien pour consoler ou pour relever l'esclave. La sublime et courageuse idée de la dignité de l'espèce humaine est tout 9 fait inconnue aux historiens antiques, et la morale est chez eux un système arbitraire sujet à toutes les subtilités des sophistes , variant selon les temps et les circons- tances, et modifiable au gré des passions. Les lumières augmentent cependant; les sarcasmes n^épai*- gnent pas ces dieux malfaisants et obscènes (1). La science, en (i) c'est devant un peuple qui adorait Apollon qu'Euripide fait ainsi parler lo, dans la tr<«g<^die de ce nom : « Comment ne te bl&merais je pas, Apollon? aban'ionner une jeune fille innocente après l'avoir séduite, et livrer à la mort l'enfant dont tu fus le père ! Oh ! que cela est indigne de toi ! Si tu as droit dVdonner, commande selon la Tcrtu. Les dieux punissent les mortels au cœur pervers. Est- il juste' que vous, auteurs des lois qui nous gouveruciit, vous soyez, les viol^tteurs de ces lois ? Si les hommes avaient un jour à vous demander compte de vos violences et de vos coupables amours, Neptune, Jupiter et loi, Apollon, vous seriez réduits à dép Hiiilfr vo3 teu»ples pour payer la réparation de vos méfaits. Si d'indignes passions vous entraînent, vous, dieux immortels, faut- il s'é'.onuerque les mortels y 8uccomt)ent, et si nous kELIGION CHEZ LBS OftECS. 609 expliquant naturellement beaucoup de phénomènes^ met en discrédit les causes divines auxquelles elles étaient attribués : toutes les fois que le lUuus du prêtre doit lutter contre le glaive de Fhomme puissant ou le shjle du philosophe ^ on reconnaît que sa puissance était appuyée sur l'imposture. On voudrait alors améliorer les religions à l'aide de subtilités abstruses; mais elles ne sauraient se greflfer sur le tronc des vieilles croyan- ces : les philosophes qui s'en aperçoivent les combattent; mais ils ne peuvent rien créer de mieux. C'est à cet état d'antagonisme que nous trouverons dans lu Grèce, comme à Rome, la philosophie en face de la reh'gion. Si cette dernière était en Orient un mystère de science et de vé- nération , elle fut en Occident un mystère de science et d'in- crédulité. On apprenait dans les mystères que tout ce que le vulgaire adorait n'était que folie (1); mais les sages n'osaient pas déchirer le voile, connaissant ce qui pourrait en résulter de funeste. Ainsi , tandis qu'en Orient et en Egypte le savoir était renfermé dans les sanctuaires, il l'était en Grèce dans les écoles : nulle part il n'était libre. Que le philosophe renie sa propre conscience et adore dans le temple ce dont il se rit au fond du cœur ; sinon le sort de Socrate et d'Anaxagore l'attend. Que fera-t-il? Il s'appliquera à la partie spéculative de la science, sans s'occuper de l'éducation de la multitude. Celle-ci était donc aussi ignorante aux jours d'Alexandre et d'Auguste qu'au temps de Lycurgue et de Numa ; les ténèbres s'étaient même plutôt épaissies, comme pour opposer une masse plus compacte d'erreurs et d'ignorance aux négations d'un petit nombre d'intelligences privilégiées. En aiu*ait-il été ainsi au cas où la religion aurait été une in- vention humaine? Non; elle se serait perfectionnée comme toute autre science, et comme la civiUsation matérielle : elle dégénère au contraire d'autant plus qu'elle s'éloigne de sa source; elle arrive enfin au point où elle doit s'écrouler pour faire place à une autre révélation qui restreigne dans ses limites la nature, dont le culte a si longtemps usurpé les hommages dus à la Divinité. iiut'ons vos vices, la faute en e8t>-elle à nous, ou à ceux dont nous suivons les exemples?» (1) Aristote, Mél-^ lU, 4, assure que les doctrines mytltologîques des anciens ne méritaient pas un examen sérieux. T. 1. 59 610 P^UXIÈMIÏ ]î?OQUK' i, déchues. CHAPITRE XXX. LES HÉRACLIDES. \ ■> i Nous reprendrons notre récit en disant que la guen*e de Troie ébranla tous les États ; non-seulement ceux de PAsie, mais encore ceux de la Grèce : des changements de dynasties, des migrations, des colonies en furent la suite, et l'historien peut difficilement, dans la 4isette où il est de renseignements certains, suivre ces mouvements divers. D^asues Lcs lougucs lufortuncs des chefs qui avaient assiégé Ilion permirent aux races qu'ils avaient soumises de se relever plus vigoureuses. Les Thraces envahirent Thèbes, les Thesprotes- Tbessaliens conquirent FHémonie qu'ils appelèrent Thessalie ; les Doriens descendus de leurs montagnes repoussèrent Pyrrhus de la Phtiiiotide dans FÉpire. Idoménée fut chassé de Crète; Teucer alla fonder Salamine dans llle de Chypre. Devenus alors plus hardis, les Doriens s^emparèrent des fertiles campa- gnes du Péloponèse. Leurs traditions nationales faisaient men-^ tion d'un héros antique, devenu fameux sous le nom d^Her- cule ; ils crurent le reconnaître dans ce dieu puissant dont le culte avait été apporté par les colonies orientales dans TArço- lide, la Grèce et la Béotie. Afin de justifier la violence qu'ils exerçaient, ils composèrent une généalogie d'après laquelle ils se prétendaient en droit d'occuper cette contrée. Ils dirent donc que Persée, fondateur de My cènes, avait eu trois fils, Électrion, Sthénéîus, Alcée ; ce dernier avait engendré Amphi- tryon, dont la femnie,Alcmène, avait donné le jour à Hercule, le héros le plus célèbre de la Grèce, devenu le symbole de la force employée à l'avantage des hommes pour les tirer de l'état sauvage, et dont l'imagination des Grecs avait fait une création gigantesque élevée dans l'espace qui i^épare le ciel de la terrq, comme pour en remplir le vide. Eurysthée, fik de Sthénéîus, s'étant emparé du trône au préjudice d'Hercule, il en résulta de longues et cruelles inimitiés. Les Héraclides succombèrent; la maison même d'Eurysthée tomba, et fut supplantée par la race de Pélops, dont le nom fut donné au Péloponèse. Mais les Héraclides ne cessèrent de la combattre comme usurpa- LES HBBACL1DËS. 611 trice, et, pour réussir à Tabattre, ils se liguèrent avec les tribus sauvages du nord, principalement avec les Doriens delà Thes- salie; ils se mirent à leur tête et à celle des Étoliens, et assail- lirent le Péloponèse. Ils avaient déjà tenté de s^en emparer mm. sous Dus, fils d^Hercule; mais cette fois Télèphe, Cresphonte, Eurysthène et Proclès, deux fils d'Aristodème, réussirent à s'en rendre maîtres, et, en ayant chassé les Pélopides, se partagè- rent le pays. Ainsi , d'achéennes qu'elles étaient, Argos, Sparte,, noo. Messène, Corinthe, devinrent doriennes. Les Étoliens s'établi- rent dans rÉlide; les Arcadiens conservèrent leur liberté et re- cueillirent les débris des populations pélasges fugitives. Toutes les tribus de la Grèce furent alors refoulées comme le flot par le flot qui le pousse. Les Achéens, chassés de la Péninsule , se réfugièrent dans T^Egialée , qui prit dès lors le nom d'Achaïe , et ou ils fondèrent douze villes confédérées : Dymes, Olène, iEgium, Bura, Phares, Tritéa, Rhypes, Cérynée, ^Eges, Hélice, iEgyra et Pellène. La Messénie resta, pour ainsi dire, dépeu- plée sous la domination de Cresphonte : Télèphe régna dans Argos. Les descendants d'Aristodème gouvernèrent pendant neuf cents ans la Laconie, dont les cent villes étaient réduites à vingt-cinq bourgades, et la plus grande partie de la Grèce resta plongée dans la barbarie. Les Ioniens n'occupèrent plus d'autre point sur le continent que FAttique, où ils furent accueillis par les Athéniens, grâce à une communauté d'origine, et où ils s'élevèrent bientôt à un haut degré de puissance et de gloire. Au dehors, ils occupè- rent presque toute l'Eubée , un grand nombre des îles de l'Archipel, et, abordant dans l'Asie Mineure avec les fils de Co- drus , ils fondèrent Éphèse , Phocée, Golophon , Glazomène , puis donnèrent au pays le nom d'Ionie. Gependant les Éoliens, conduits aussi en Asie Mineure par lesdescendants des Atrides, y ayant bâti douze villes, parmi lesquelles Smyrne était la prin- cipale, la contrée prit le nom d'Éolié. De là, ils passèrent dans File de Lesbos, où ils élevèrent la ville de Mitylène. Une partie des Doriens se répandit dans les îles de Grète, de Rhodes, de Gos, et aussi dans l'Asie Mineure, où ils élevèrent }lalicarnasse, Gnide, et autrçs villes de la Doride. Quelques-uns d'entre eux se dirigèrent vers l'Italie méridionale et la Sicile. Ge bouleversement dura plus d'un siècle, semblable à notre moyen âge, agitation sans but, où toute chose se fractionnait, puis se réunissait et se coordonnait ; où se constituaient les natio- 39/ 612 DEtXlËMB ÉPOQUE. nalités, qui alors équivalaient à nos cités. La civilisation qui suivit n'efTaça pas l'empreinte originaire des races. Les Doriens restè- rent attachés aux coutumes de leurs ancêtres. Adonnés aux ar- mes^ ils recherchaient les titres accordés à Tancienneté ou à la fa- mille : aussi le gouvernement resta-t-il chez eux entre les mains des nobles et des riches. Les Ioniens , plus mobiles^ plus pas- sionnés y aimaient le changement et les jouissances de la vie. Ils se plaisaient à la navigation et au commerce. Chez eux^ la souveraineté populaire succéda bientôt à Taristocratie, chan- gement qui se fit aux dépens de Tordre public et de la tran- quillité intérieure. Ces différences furent encore une des causes qui s'opposèrent à la fusion entre les peuples de la Grèce, et en- tretinrent la rivalité qui animait Tune contre Tautre ses deux principales cités. Les colonies, comme il arrive le plus souvent, se modelèrent sur la mère-patrie, et nous apprenons d'Héro- dote [lib, I) que les Ioniens avaient divisé Tlonie en douze can- tons, d'après les douze villes qu'ils avaient possédées dans le Péloponèse. Il nous dit encore qu'on y parlait quatre dialectes différents : l'un qui élait usité par les Milésiens; un autre par les Lydiens et par les habitants d'Éphèse, de Golophon, de Lé- bédos, de Téos, de Clazomène, de Phocée ; un troisième parlé dans nie de Scio et dans la ville d'Érythres; un quatrième par- ticulier à l'île de Sa'mos. Cette invasion , improprement assimilée à des colonisations de Doriens, dut accroître les souffrances privées ; mais une im- mense amélioration générale se préparait. Les races sepleii- trionulcs étaient accoutumées, dans leurs montagnes, à l'indé- pendance personnelle, et leur indomptable vigueur ne leur per- mettait pas de se laisser dominer par une volonté despotique. En temps de guerre, ils obéissaient à un chef; mais, quand ve- nait la paix, chacun n'avait plus d'autre loi que son caprice. Cette disposition des espdts fut alimentée par le tumulte des invasions; car Fhomme était alors obligé de faire usage, pour son propre compte, de sa force personnelle, et toute institu- tion sociale demeurait sans efficacité. Cependant le gouverne- ment municipal, le seul qui convînt à l'esprit indépendant des Hellènes , succéda à l'âge héroïque et féodal, et l'époque my- thologique fut remplacée par une ère commerciale et indus- trielle. La distinction entre l'Orient et la Grèce n'en devint que plus tranchée , la fierté septentrionale empêchant la nonchalance LES 1I$BACL1UE8, GIS asiatique de prévaloir. Les Grecs, qui se trouvaient tous sous la dépendance dos rois, chassèrent les dynasties ou restreigni- rent leur pouvoir, se formèrent en républiques, et propagèrent ««>è-»oo. ce mode de gouvernement jusque dans leurs colonies : TÉpire seule, éloignée des autres États, conserva le gouvernement mo- narchique. Alors naquit le sentiment de la liberté politique, caractère R«^ow«qu«». distinctif de la nation grecque : il nous fait apercevoir que noas entrons dans l'histoire européenne. Les colonies multiplient les points sur lesquels doivent s'expérimenter les constitutions, et le nombre des citoyens appelés à prendre part aux affaires publiques. On y remarque d'abord Theureuse alliance de Tin- dustrie avec les arts d'imagination ; et une fois que l'on eut compris que la délimitation bien arrêtée du cercle d'activité est une condition du progrès, le poëte ne fut plus confondu avec l'historien, le philosophe avec le prêtre. En même temp^ les beaux-arts prospérèrent, grâce à un accord efficace qui s'é- tablit entre Fesprit qui inventait et le bras qui exécutait: autre caractère particulier à ces peuples nouveaux, tout différents en cela de ceux dont il a déjà été parlé. Toutes ces républiques étaient composées d'une ville et de coosauuuoii. son territoire, de telle sorte que chacune avait sa constitution propre, variée à Pinfini, selon la condition d'égalité ou de dis- semblance qui existait entre les habitants ; ce qui ne doit pas nous faire adopter Terreur commune de compter en Grèce au- tant d'États que de régions. Il en était ainsi pour l'Attique, la Mégaride, la Laconie, qui, étant le territoire d'une seule ville, composaient chacune une seule république ; mais l'Arcadie, la Béotie, d'autres contrées encore, comptaient autant de petits Étals que leur circonscription embrassait de villes. Ainsi, aux temps des gouvernements municipaux de l'Italie, on disait la Lora- hardie, la Marche, la Romagne, et cependant ces trois provinces ne constituaient pas trois États : chacune de leurs villes avait ses magistrats, ses lois, ses formes d'administration et de jus- tice, non-seulement distinctes^ mais différentes de celles des cités voisines. De même qu'en Italie , les habitants des divers municipes, dans leur ensemble , s'appelaient Lombards, Marchésans ou Homagnols, formaient sous ce nom des ligues offensives ou dé- fejisives, ou traitaient de leurs intérêts communs; de même, dans la Grèce , les Arcadiens, les Boétiens se considéraient 614 DRUXièUE EPOQUB. comme un seul peuple. Souvent plusieurs villes, et même tou- tes les villes d^me contrée, se confédéraient sans que cela al- térât en nen la constitution intérieure. L'apparition d*un per- sonnage illustre, un grand danger, ou d'autres circonstances accidentelles donnaient parfois la suprématie à une ville qui obligeait les autres à lui obéir ; mais c'était une domination précaire, cessant avec les événements qui Pavaient produite. cittjggjj^i» Les cités ainsi constituées étaient sujettes à de fréquents changements intérieurs, soit que le peuple modifiât son gou- vernement, soit qu^un législateur imposât une organisation nouvelle, soit qu^un citoyen s'emparât du pouvoir. La petitesse de ces États et l'inquiète vivacité des Grecs multipliaient les ré- volutions; mais par elles la nation faisait son éducation. Au mi- lieu des malheurs particuliers, le peuple étendait ses idées, ac- quérait de ^expérience et fondait des systèmes de législations dont toutes les traces n^ontpas encore disparu. Unité Nous avons déjà vu au prix de quelles épreuves et par quels moyens fut créé et nourri Tesprit national. Bien que les villes se servissent de différents dialectes, elles se considéraient , comme parlant une même langue, et se regardaient par consé- quent comme les rameaux d'un même tronc. Homère appelle BocpSapd^ovoi, peuples à l'idiome barbare, ceux qui ne sont pas de race hellénique. Aussi les Grecs considéraient-ils comme un fonds commun les productions de leurs poètes ou de leurs his- toriens, et cette communauté d'idées était entre eux \m nou- veau lien. Ils en avaient encore un autre dans l'assemblée des Amphictyons, qui, se constituant diaprés ime forme plus pré- cise, distinguait les nations en Grecs et en barbares, rétablissait la paix entre les premiers, persuadait, à l'aide des oracles, ce qu'elle croyait opportim, faisait fléchir les résistances et com- battait l'étranger. Les populations voisines, les Lydiens, les Ca- riens, en Asie, eurent des institutions semblables. La religion, qui n'était pas fondée sur des livres saints, qui n'avait pas un symbole unique, qui n'était pas dirigée par un QOips sacerdotal, était impuissante à former un principe absolu d'unité dans la nation; cependant le culte extérieur devint un lien accidentel. Les cinquante oracles que nous connaissons en Grèce étaient, au moins dans le principe, une institution éminenunent natio- nale, puisque, sauf quelques exceptions peu nombreuses, on ne pouvait les interroger qu'en grec, et que c'était en grec qu'ils faisaient leurs réponses. Les temples d'Olympîe, de Delphes, tK8 tliBAÉLIDES. OiÔ de t)élo8> étaient nationaux à un autre titre que les templeôégyp^ tiens ou celui de Jérusalem^ et par cela seul que la nation les avait choisis pour y tenir ses assemblées ou y célébrer ses jeux. Les autres confédérations de la Grèce tenaient de mèrne leurs diètes dans les temples : les Doriens d'Asie, dans celui d'Apol- lon Triopien; les Éoliètts, dans celui d'Apollon Grinaos: le temple de Neptune d'Hélice était le centre de la ligue des dix eités achéennes d'Asie i Les villes d'Épidaure, Hermione> Égine, Athènes, PrUsie, Nauplle, Orchomène des Miniens, envoyaient leurs députés au temple de Neptune^ dans l'île de Galaurie, près de Trézène, Il en était de même près de Corinlhe; à Oncheste, dans la Béotie ; dans TEubée, au sanctuaire de Diane Amaurou- sienno ; au Panhellenium d'Égine : l'aréopage d'Athènes, sénat vénéré, se réunissait sous les auspices de Mars : les ambassa- deurs étrangers venaient chaque année offrir les prémices de leur pays aux divinités de l'Attique. La religion présidait encore aux jeux qui tour à tour deVe- Jent; naient un lien d'unité pour les Grecs. Ces spectacles peuvent être réduits à trois genres : sacerdotaux, aristocratiques et po- pulaires. Aux premiers appartenaient les fêtes delà Divinité; ainsi celles qui se célébraient lors des mystères d'Eleusis, les Thesmophories, lesThéophories ou processions aux sanctuaires, les Panathénées, instituées par Thésée en mémoire de la réu- nion de toutes les bourgades de FAttique : chaque canton y en- voyait des députés qui apportaient des offrandes à Minèrve> et l'on y traînait une barque en souvenir des Thesmophores venus par mer. A ces spectacles religieux de la Grèce correspondaient à Rome les fêtes religieuses des saliens, celles de Paies, les Lu- percales, les Saturnales: dans le moyen âge, tous les spectacles représentant les mystères avaient la religion pour tnobile. Il faut ranger dans la classe des jenx aristocratiques les ban- quets des grands et les solennités des funérailles que nous avons trouvées dans Homère J à Rome, le repas des obsèques ou les repas joyeux, auxquels on ajoutait des représentations scé- niques, et dans le moyen âge les cours plénières, les tournois et les cours d'amour. De même qu'à Rome les jeux populaires du cht|ue,des bateleurs, des gladiateurs, des naumachies, Rem- portèrent sur les autres, de même ceux de l'aristocratie l'em- portèrent en Grèce, qui dut en grande pai'tie aux spectacles sa civiiisâti(Mi« Le peuple y prenait part en applaudissant, les no- bles en disputant le prix, la religion en consacrant, par les rites jei» Pythiques. NéiiiétiM. 616 DSUXIKBIB ÉPOQ0£. et les symboles^ les lieux^ les monuments^ les couronnes doii- nées aux vainqueurs, comme aux di^es descendants de ces fils des dieux qui avaient institué l'agriculture ou les lois et défendu la patrie. Dans des temps où la guerre se réduisait à des combats corps à corps^ les législateurs durent apporter autant de soin à don- ner à rhomme la souplesse et la vigueur, qu^on a négligé de le faire depuis que la poudre à canon a mis de pair l'homme le plus faible et le plus robuste. Chaque pays avait donc ses jeux et ses fêtes où Ton s'exerçait à la lutte^ à la danse, à la mu- sique (i) ; mais il en était où Ton accourait de toute la (xrèce et de ses colonies. Ceux qui se célébraient avec le plus de solen- nité étaient les jeuxPythiques^ Néméens^ Isthmiques^ et surtout les Olympiques. Les premiers rappelaient la victoire d'Apollon sur le serpent ou le tyran Python ; tombés en désuétude^ ils fu- rent rétablis par les Amphictyons^ après la guerre sacrée contre les habitants de Cirrha et de Crissa; ils se célébraient tous les cinq ans^ vers la fin du mois élaphébolion et le commencement de munychion, c'est-à-dire en avril, par des courses de che vaux^ de chars, d'hommes armés^ par le pancrace des enfants et par des concours de peinture ; le prix était une couronne de laurier. Archémore^ fils du roi des Néméens, ayant été abandonné par sa nourrice, fut tué par un serpent. Afin d'adoucir la dou- leur paternelle, les héros qui assiégeaient Thèbes célébrèrent des jeux près de la forêt de Némée, entre Cléone et Phliunte. Plusieurs fois abandonnés^ puis remis en honneur^ ils acquirent (i) Atliènes eut les Pana/^n^e^, pour Minerve; ïe&jeux Olympiques^igonT Jupiter ; les Héraclides, pour Hercule ; les Éleusinies, pour Cérès ; les Pan- helléniens, pour Jupiter. Argos eut les^^r^ei onJunonies elles Itécatompha- nies pour Jnnon. Dans TArcadie se célébraient les jeux Lycéens pour Jupiter Lycéen; les Cfiçréens, pour Proserpine; leiAiiées, poiur le Soleil : dans la Béotip, les Amphiaraens, pour Ampliiaraûs; à Labadée, les Trophonies ou Basilées, pour Jupiter; à Platée, les Éleuthénes, pour la liberté de la Grèce ; à Tliespies, les Éroties, pour Cupidon ; à Êgiue, les J^actens, pour Éaque ; à Pallëne, les Théosiens et iesBennéens, pour Jupiter et pour Mercure; à Mé- gare, les Dioclées, les Pythiques, pour le héros Dioclès et pour Apollon ; à Marallion et à Syracuse, les Herculéens; à Eleusis , les DémétrienSt pour Cérès et pour Proserpine; dans la Locride, les Oïléens, sur le tombeau d'Ajax, filsd'Oïlée; à Sicyone et à Magnésie, \e$ Pythiques, pour Apollon; dans TEobée, les Gérestics, pour Neptune ; à Orchomène, les Minyéens et Jcs Alca- thoenSf pour le roi Minyas et pour le fils de Pélops AtcaUioûs; à Êpidaure, les £sculapiens ou Épidauries, etc., etc. LES 11BAACL10B8. 617 uu trè^rand éclat après l'expulsion des Perses^ destinés qu^ils furent dès lors à rappeler le sang versé pour sauver la patrie du joug étranger. Celui qui y présidait était vêtu de deuil, et des couronnes d'ache mortuaire y étaient distribuées comme récpm^ pense. Ils revenaient tous les trcris ans, comme les jeux Isihmi- irth««q««. ques, que Thésée, vainqueur du Minotaure par le secours de Neptune, institua sur l'isthme de Gorinthe en l'honneur du dieu protecteur des chevaux. Peut-être cependant ne tit-il que leur donner une organisation nouvelle, et devaient-ils leur fondation première à Sisyphe, qui les avait institués en Thonneur de Mé- licerte, fils d^Athamas roi de Thèbes, dont le corps, après qu'il mit été précipité xlans la mer, avait été, disait-on, porté par un dauphin jusque sur le rivage de Gorinthe. Les plus célèbres de tous furent les jeux Olympiques, qu'on oiyiDpkHMfc disait institués par Hercule lui-même. Tombés en désuétude au temps de la guerre de Troie, rétablis par Iphitus, mi d%- lide, contemporain de Lycurgue, abandonnés de nouveau, ils furent plus tard tellement en honneur que le nom des vain- queurs était gravé siu* des tables de marbre dans le gymnase d'Olympie. Un historien postérieur comprit que cette série de noms pouvait fournir les éléments d'une chronologie; et, en en effet, les Grecs divisaient le temps par olympiades, la pre- mière commençant à celle dont sortit vainqueur Gorœbus d'Élée, dans le solstice d'été de Tannée 776 avant J. G., vingt-trois ans avant la fondation de Rome (1). Ces jeux se célébraient tous les cinq ans dans Olympie, et duraient cinq jours; il y avmt cinq exercices différents (;p^^«^A/e) : saut, course, lutte, jet du disque et du dard. La course se faisait dans un espace que Ton appelait stade, et qui devint la mesure de distance chez les Grecs; elle équivalait à im huitième du mille : on parcourait quelquefois jusqu'à vingtrcinq stades en portant Ténorme pierre qui ^servait de borne. Chez les Grecs, bien éloignés de la féro- cité romaine, c'eût été un opprobre que de tuer son adversaire : pour être admis à combattre dans l'arène, il fallait n'être ni esclave, ni étranger, ni infâme, et s'être exercé durant dix mois sous un maître. Les prix étaient très-riches dans certaines locaUtés : à Si- (f) Le solstice cKété de cette année 776, selon Lalande, arriva^sous le mé- ridien dePise, le l"" juillet à 11 lienres 13' 53'' du matin. La nouvelle lune moyenne, le 8 juillet à 9 lieures 29' 33 '' du matin. cyone, à Thèbes et ailleurs^ on donnait aux vainqueurs dés es- claves, des chevaux, des mulets, des vases d'airain et d'argent, des armes, une somme d'argent monnayé ; ils rentraient dans leur ville natale par une brèche ouverte dans les murailles, comme si Ton voulait prouver qu'une cité qui possédait de tels citoyens n^avait pas besoin de retnparts : l'un d^eux vit dans Agrigente trois cents chars, attelés chacun de quatre chevaux blancs, faire cortège à son triomphe. On ne recevait à Olympie qu'une couronné d'oUvier; mais le Spartiate vainqueur obte- nait un grade éminent dans l'armée, l'Athénien pouvait siéger dans le prytânée à côté des magistrats. Des cérémonies religieuses et symboliques accompagnaient les jeux ; les bornes étaient marquées de l'œuf dé Castor et Pol- lux, symbole égyptien de la création. Cérès était représentée sur la barrière du cirque ; le gymnasiarque avait un caractère sacré; la pompe qui précédait tout exercice était une proces- sion ayant une signification chronologique, et dans laquelle apparaissaient les images des dieux, des héros, des inventeurs des arts (1). Les jeux du cirque eux-mêmes représentaient le système du monde, et les chars, qui étaient au nombre de douze comme les signes du ^sodiaque, recommençaient sept fois le tour de Tarène, conformément au nombre dés planètes. Tant que duraient les jeux Olympiques, on faisait trêve à toutes les inimitiés : jamais un homme armé ne pouvait péné- trer dans PÉlide * ses habitants, enrichis par le concours des nationaux et des étrangers, à Tabri des invasions du dehors, exempts des dissensions continuelles dont la Grèce était le théâ- tre, demeuraient en paix au milieu de populations sans repos. « C'est à bon droit, dit Isocrate {Panégyr.), que nous louons Ceux qui parmi nous ont institué ces assemblées fameuses aux- quelles nous convie une fraternelle alliance. Là cessent nos ini- mitiés : des vœux et des sacrifices communs nous y rappellent notre commune origine et y ressèttent les liens de l'amitié ou de rhospitalité. Ùignoraiit comme le savant y prennent égale- tiiéttt part. Dans ces réunions générales des Hellènes, les uns peuvent étaler leurs richesses, d^autres s'intéresser à la lutte. Personne n^est inutile, chacun a ses jouissances, et tous sont heureux, les uns en voyant les efforts tentés pour obtenir leur (1) M ACBOBBy Saturnàleif î» 23. LES HÉAAGLIDB8. 61$ approbation^ les autres en pensant que cette multitude qui les entoure est venue là pour assister à leurs combats. » Une disposition générale à diriger ce qui n'était d*abord qu^un divertissement vers un but d^éducation intellectuelle, et à con- vertir les amusements publics en récréations pour Tesprit^ fit bientôt associer aux exercices du corps la musique, la poésie et la lecture : tandis qu^Alcibiade conduisait à Olympie sept chars dans un jour, Pythagore et Platon y discutaient au milieu des lutteurs; les princes éloignés y envoyaient leurs chevaux pour disputer le prix de la course ; peintres et sculpteurs y exposaient au jugement public, les uns leurs tableaux, les autres leurs sta- tues, que les modernes admirent et ne peuvent égaler; Héro- dote y lisait ses histoires, Empédocle son poëme des Purifica- tions ; Corinne y enlevait à son maître Pindare le prix de la poésie lyrique; Eschyle, Sophocle, Euripide, y représentaient leurs tragédies; les orateurs y prononçaient des harangues ap- plaudies par un peuple qui pardonnait la présomption, pourvu qu'on sût caresser son oreille; les grands hommes y jouissaient de leur gloire; Thémistocle y obtint sa plus douce récompense ; Platon y eut un avant-goût de son immortalité. FIN DU PREMIER VOLITME. TABLE DES MATIERES CONT^MJES DAISS LE PREMIER VOLUME. Page», Introduction^, . m» »•*»•«••••»•#••• ^t •»' «f* ••••••••••••*••• ••• i Méthodes historiques •...••....••...••• ••••... 6 Histoire classique.. ..•.••••.«•••...•••.*#• •••••«•••••••. S Aiin'ilcs, mémoires, chroniques... •••••••.•...•••,.••••• i3 Histoire philosophique. .......... ..^v. •,•,••.....•.. .•....•..«• i5 Histoire savante. ai Philosophie de Thistoire. .. ...,•...• ..•...•....•.••.*•.... 94 K* époque. Les orijpncs,^, ...........'.....• 33 11*-' ..^ De la disfiersion aux olympiades, . . , • ^ .,.,.,. il'» \\\* — Des olympiades à Alexandre. ,...•••..........••. 34 IV« m^ Gucrrcn puniques. ..,,.,..,........ ••••..,.. 36 V« — QueiTcs civiles ,,., ,., 37 VI* _ De Jésus-Christ à Constantin • . • 39 VU* — De Constantin à Angustule •••.• ..•.,.,, 4^ VIII* — Les barbares ,...,, ^ 43 |\e »_ Mahomet. 44 X" — Carlovingiens. . . , ....••.,,......•... 4^ XI* «-• Les croisades. •.....• .,....,••,..••..• 47 XU* — > Les communes. .,. ..,.••.••.•••••••••••,*•••. 48 Xllle — Chute de Tempire d*Oricnt. 5c XIV* — . Les découvertes. ,i ..«..».. 5:i XVe — LaBéfonne 53 XVI*— Louis XIV et Pierre le Grand ^ 55 XVI1« — Le dix-septième siècle • • 57 XVIII* — La révolution. •.•....... 6o Intérêt historique. k... .••• ••...•••• 6a KucTclopédie de Thistoire ...,, ,•.•••.*••.•.•..•.••., 64 Progrès des études ,,, ., 67 Progrès de l'histoire •...•• 7^ Moralité de riiistoire # .••••.. • 73 Idéal historique. «••••..,«..... 74 Notions préliminaires... ,. .. ..^ • ..•...,. 85 PREMIÈRE KIH>QIIË. Lifit E PA£MfER. — De la création à ta dispersion des hommes. ...••....••« 97 Chapitre L —' Genèse ib. Création ..«.•..«..é •. ib. Première famille. , , . , 98 Premiers préceptes. .....,.....,,,..,.,........,,,, 99 633 TABLfi DBS MATIEEBS Pages. Chapitre 11. — Antiquité dn monde • . . • xoo . Objections... xo4 Théorie det soQlèremjpnti. . « , »•••.•••.••..••..*.•..«-..••• io6 Notions astronomiques. • • • • i ^^ Chapitre m. .» Unité de l^espèçe bumaine i^^ PerfeetionnemeMs soeeessMs dt l'wpèce. .....•....••. «. • • <'^« Unité de la race humaine • •••• i^4 Classification de Blnmenback.. .... ...*.« i^^ Langage • ^^3 Accord des sentiments moraux z4 c Coiflcidenae des traditions. • » ••..••...•..• '4^ Analogie des connaissances....^ •••..,••.,•..,..,. .•••• i5i Les Américains,, .;,•••••,*...,.••.•... ••. 1^4 Les AiistraUeDs •«•.•.•..••••...• ••« i^7 Chapitre IV. ^ Premiers pays babités i59 Qiapitre Y. — Premières sociétés. •,.... ...«. «..••••...•«••• 1^4 GottfemcmeBJk patriarcal. •.••....,.,.• é. ••.... ..,• •••••• i66 DEUXIÈME ÉPOQUE (i). Livre obuxième. — De la dispersion des peu{rfes aux oljmpiades , . 17^ Chapitre I. ^.^ L*Asie. ••••••...••••.. ....... . • • • • . •• <^< Position. «• ... , . ., , ,...,,.., •...•....• ... '*• Eaux,;;...,... ;,,..•....... •.,••.....•• **• Montagnes. . •.......'....«•....•... ^74 Dittsion. ,, ,, ..,,.,,,•,...... ,..,.. ...,,, ,, *^« Climat,. 175 Langoes, ••• • i77 Premiers habitants. ... . ,. .. • x83 GottTememeBts ..•• • i^^ Conquêtes •..;..... .• • . 186 Monarchie.. , , ..••,..,...•.....• *^. Polygamie..,.. .«••.••» 1^7 Religion ..«..« • p 188 Mythologie i8g Invasions. ..,,,., ..•.•••.......•..•.•..•........,... «*. Castes .^ 19* Commerce ., »^. '9^ Chapitre II. •— Premières monarchies. .... • » . • . . .^ 194 Sources historiques .*.,.••..••• (<^* Bàctro- Assyriens , ....,,•....,,,...•. . ig7 Médo-Bactrianr. . , 198 Chapitre III. .^ Instilutions babyloniennes « . • .. 199 Babylone *..... '^* Étendue des ville». , 200 Ruines de Babylone ,. aoa lodoitrie.. ,,, ao4 (i) Ccft par erreur i|aG l'on a cunlinnë à inrttte rn haut de| jiffr» rAUuèvr éfOQVS jttsqu*aa chapitre X. GONTBNUli;!^ DANS LE, fRmi^ VOLUME. ÇJ^ Pagrs. Dienx. •,,,••..,.••.••,......•» ••••rr ^^^ MéUpbjsique .• «,. , ^06 HÉBREUX. aïo Chapitre IV. — Les Hébreux nomades. . , • (^. Abraham. .........;....,.;.....;...; ^n Joseph.. . . ... ...•..••.. .... ^ ...... . 3x3 Moïse .......;.............,..... ai4 Cantique de Moïse :........;. a i5 Chapitre V. -^ Institutions mosaïques.. ; a 18 Culte , ai9 Constitution aao l^ois pénales aa i Armées ' aa3 économie publique • <^. Population , , aa4 Comparaison avec d^autres législations • <^. Femmes^ • aa5 Kamille. ...,.,,...., • aa6 Défauts de la loi , • , , . ♦ ih» Esclaveti * . 2^7 Chapitre VI. — Républiques fédératives. •....•...,.... aag Juges ..,,,..,,...,.,,.,,.,... ....*........•••.. 33o Cantique de Débora il'. Gédéon. , ,,, . a3i Jephté. .,,..,, .............t..... 23a Samson «^. Samuel ., ,5........... •......•..« "^« Chapitre Vil. — Monarchie •• a33 Saùl ,, . ... • flf' David ,.., à34 Salomon.. ,,,,,, •... a35 Le temple , ..,,.,,...,... a36 Chapitre VllI. — Le royaume partage a4o Rois d'Israël , • • . • *^. Servitude , .. . 24a Royaume de Juda.. , *^. Abias • a43 Josaphat , , , . , , , , , ib, Joram ,, .....••.••• '^. Athalie , ., , : , ib, Joas , , .,.,..•.» ,,p . «^. Amasias , , .,,,......,.,•...•.. i^» Oiias ,,, , a44 Ézéchias , «,.....• • .... ............t.. *^« Manassès • ..........••••.•• » «^. Josias ,,,, , iff.' Joachim.. , .^. . ... 24$ Joachin ou Jéchonias. , ......,...•..• '^. Lamenlations de Jércmie... , . ,, ,,, .,,,,,, ,•,,,,.,,,,,• a47 \ 624 TABLE DES MATIEftFS Pages. Chapitre IX. — ArU et inttractioD ekes les Hébreux • • 248 FiiDcraille». , •••••••••. .••....•.•...• •• a5o Rtcheaics.,, • ••.. th. Cantique des cantiquca .^ sSi nuth , 253 Langue ^. .«V •* .••••••••••••.••• *..• ^54 Ouvrages a57 Histoire. • «... ••..••• <^* Poésie • «.. 964 INDIENS 270 Chaftitrc X. — Notions gcnéralrs ^ ià. Clia|iilre XI. ^ Constitution 275 Brahmanes. ••. ..••.•.... a8o Kchatrias i 281 Marckand« » 282 Commerce.. ••... •• ...*.• 2S2 Soutiras « 284 Classes mixtes , .••...•••• •• ..•• '&• • Parias , 28() Ilintoirc lrcs-an«iciine.. 287 Bouddha 289 Feudataires.. , , ; , ,..,... 291 Administration. ....••..«. '^. Jugements ...,,.. ,. SQ» Famille , 293 Femmes. ,.,.,,......,,.,,,,,.. .•••..•.... • '^. Mtenrs. ^9^ Chapitre XII. — Religion • 297 Vérités primitives. , 298 Krrcurs , 299 Brahmanisme , 3oo Cosmogonie ••..........• 3o4 Pouranas , 3o8 Ressemblances atcc les Perses , , ., 3c i Vicbnuu , «^, 8iva ; . 3i4 Déesses , .,,,.,,, ,.,, , 3i7 Sarya, , , ,,,, *&. Parallèle avec la mytbologie classique • 3i8 Chapitre XIH. — Philosophie indienne p • 32 1 Philosophie simkya. ,.,, ., ..,,, ....•• ,,.... 322 Yoghis , ,.... 3a3 Le Bagavad»Gtta ..i. 324 Philosophie nyaya .,., ,. 3^8 Ptiilosophie védants '^» Comparaison avec les Grecs .•••.. 3^ ' Philosophie morale > , • 332 Autres moraliste* 336 CONTENUES DANS LE f^RBMIBR VOLUME. C>2d Page*. itétapiîjsique. ...;..... ........•• 335 Bouddhisme. , *, 338 Morale de Bouddha ^ . i .;.;........ ^ ••:• ^ • • 34li Histoire du bouddhisme ....;....... 344 Chapitre XIV. -^ Littérature.. 348 Laugue , ..*...;..«............ '^« Sanskrit ou sanscrit :....;...«.. . . 3$9 Alphabet. : 35o Grammaire. ^ . . . ; t^. Prakrit ; i ....<• »*. Vers ; ; ;....;.. 3M Poésie,...;, i ; . '*■ Ramayana. ,,.,,; i • • • 35a Mahâ-Bhârata . 358 Chronologie , 36S Histoires .■ , 368 Musique ; 369! Beaux>arts , . . . ; ......; 370 Géographie ;.....;.... i ...:;. ; ihi Inventions ••••••,.'.;. j . ^ . . . . ; i • 37!^ ÉGYPTIENS ....; 374 Chapitre XV. —Sources historiques i^: Chapitre XVL —Temps antiques. ; ; 38o Méroé , 385 Manéthé ou Menés. .....;..... 388 Joseph /^. Rois pasteurs , .....;.; 389 Osimandjas , 390 Mœris. ; ih. (Chapitre XVII. — Les Sésostrides 391 XVJIl" dynastie. ib. Aménophis , 39a XIX* dynastie. ; ib, Sésostris. • , . . ib, Sésostris 11 , 394 chapitre XVIU. — Institutions égyptiennes. . . * . < ; , 396 Castes.. .,,..; \ , 397 Prêtres ..<..... ;. ib. Guerriers ...*....... 398 Rois.. i ,, 3Qg Jugement des morts * . . , i /iOo Administration ^ * ... « <..... 401 %«« 40a Autres castes ^ i 4o3 Commerce , w . ib. Haine des étrangers. , ib, Mœurs , ./...;...j... 4o5 Race.............. , , , 4ort T. I. 40 036 TABLE DBS MATIBBBS Pag«s. Chapitre XIX. — Sciences des premiers peuples, et spéctaJeni^at des Égyp- tiens. ' 408 Astronomie des Égyptiens , , . .- . , 4zo — des Chaldéens. .., , 411 — ?• des Pliéniciens , ib, — des Indiens. ,.. 1^, — des Chinois f . . . • 4x3 Astrologie. ,., ib. Antres sciences des Égyptiens , 41S Hydraulique...... ,. .., ib. Géométrie ^ , , ib. Chimie. ,... ,....., r*f • •• '^1 Momies , ib. Médecine. , . 4^8 Littérature t , . . . 419 Chapitre XX . '— • Religion des Égyptiens. , . . . ib. Religion, sacerdoce , 4ao Sérapia , , 4a3 Hermès , , ib. Science hermétique ....,.•• 4^4 Les Ames ^ 4^5 Religion populaire. . 4^8 Animaux sacrés ib. Ibis , ., , . .. . 4^9 Apis , ^ . . . . ià. Pratiques t...* .....•• 43o Chapitre XXL ~. Les hiéroglyphes 43i Inscription de Rosette ,........«;.«..;..;...... 4^3 Chapitre XXii. — Des beaux-arts en général, et spécialement dans l'Inde et en Egypte 443 Architecture. 44^ Age troglodydqoe • • • «^ • • -. r • • • • '^* Age cyclopéen ,.....• 44^ Tumoli. , 449 Architecture indienne 4^3 Mahabalipour. , ••••:• 4^4 Éléphantine. , : . . . , 4^6 Ellora. , î . . • • • • ib. Seconde époque. .'............,. • • • r • 4^7 Temple d'Indra 458 Doumar Leyna t r • t 4^9 Ramisohiouer, • 4^ Kélasa ib. Visouacarma. ^ • • • • t 4^^ Pagodes. , 46a Pagode modèle. • • • • r • ^ 463 Architecture égyptienne , 466 Souterrains ; • . • ib. l*yramides ^ • • . 1 • 47^ Temples .. ., ,, 474 CONTENUES DANS LE PUEMLBR VOLUME. G27 PagM. ColOMCS •• ^7*> Chapitre XXIH. — RapprochcmeoU 4»2 PHÉNICIENS 486 Chapitre XXIV. — Histoire et iDstitutiona '*• GouTeroemeot - ^9* Rois... , ..., **• Religion 49*» Paal ,., 498 Astarté ou Aslaroth **• Adoois , , V ^99 Melcarth ^00 Chapitre XXV. — Commerce ,., • • • • '*• Caravaoes ^**^ Denrées ^^ Personnel , ^07 Marine '^* Routes des caravaoes ,., ^^9 Commerce des Phéniciens ^^ Colonies 5i3 GRÈCE 519 Chapitre ^XVL -r- Premiers habitante <^. Race japétique *. 5a i HeUènes , 5a9 Éoliens 53o Dorieos.. . , , *^. Ioniens , * . . *b, Acbéens • ^^• Colonies étrangères »...**.. 53i Chapitre XX Vil. .^ Premières expéditions et organisation civile des Grecs. . 534 Religion , 536 Ampbictjrons , 537 Commerce , , 539 Argonautes. .. i . .^ ib. Siège de Thèbes .^ 54© Épigones ^ ^ 54i Guerre de Troie. , , 54a Homère , ,^ 546 Rois , , , 549 Prêtres 55o Lois t , , ib, Eipiation .^ , 55i Mœurs héroïques 55a Repas. 553 Divertissements ib. VétemenU 554 Métaux 555 Femmes 557 638 TiBLI BIS MATIKBKt DU PREMIER VOLUME. Agricoltare, tigne, olitier , $59 Édifices ii^. Sculptures. é 55g I Géographie 56o Médecine 56^ Qiapitre XXVUl. — Des religions en général 563 Dualité 566 Sacrifices j^. Culte de la natnre i^. Idolâtrie 667 Sjmboles et mythes 568 Infiuence de la ctTÎlisatioa et du climat. j 57 1 Groenlandais, ' 579 Mélanges 57Î Influence des écriTskis 574 Eiplication dé la mythologie. ib. Morale 576 Prêtres 577 Mystères.. , , , 578 Initiations 58a Oracles 583 Oiapitre XXIX. --. Religion chez les Grecs. 589 Origines ih, Phrygiens ....... ...... w Sga Cabires. ' 594 Dodone ; 596 Éphèse V j ib, Délos 597 Chypre 1*. Crète ,, ib. Grèce proprement dite é 598 Religions modifiées dans la Grèce .-..;....... 599 Vérités primitives ^. 6ot Dieux d'Homère et d*Hésiode 60a Culte 6o5 Mystères ^. Morale 607 Chapitre XXX. — Les HéracUdcs 610 Dynasties déchues. , ^ tb. Républiques 6x3 ConstitnUons ^.», w .^ . . . . îb. Changements intérieurs 614 Unité nationale ib. Jeux publics ^ 6i5 Pythiques 616 Néméens ^ îb. Istbmiques • 617 Olympiques ib. FIN DE LA TABLE DU PREMIER VOLUME. ',i ' ■'' ' ■'"' 'ià''' ^A. -V"* ,7^ h »3r-.tr "■"■'.*.■ --■'X'T. .■-(■ i-v^.-. -.-^ ...■.y-r:t-s>-^>^^-^.^>^ 'ÀW^^ ;^i^--MM:Av.mm^\ F*^ h: